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Full text of "L'État moderne et ses fonctions"

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L'ÉTAT MODERNE 



KT 



SES FONCTIONS 



AUTflES OUVRAGES DE M. PAUL LEROY-BEAULIEU 



Se r£ut moral et intellectuel des populations onvriiree et ds s 
influence sur le taux des salaires. Ouvrage couronné par l'Ai 
demie dus acifiici'n inorali.'s .;t pL.ilLliqui'B, Parie, I8IJ8. Giiillau» 



Recherches économiques, historiques et statistiques s 

contemporaines, l'aris, I8G9. LaQroix-Vej-liteekhutc'i. 
La Question ouvrière an XIX" siâole, 3« édiliaii. 



ISH3. 



iirpe' 



1 France et e 



Angleterre. Uuvru^i; uou- 
t» et polilique». Paris, 1873. 



L'Administration locale o 

roDuC par l'Acudiiuiit! de 

tiuUlauniin {^épuisé}. 
Le Travail dos femmes au ZIX' siècle, uuvruge uourouiii': par l'Aca- 

dëœic des ecicnccii morale» et politique». Pnrie, 1873. Charpentier. 
De la Colonisation chei les peuples modernes ; histoire et doctrine. 

3° éditiou. GuUlaiiiniu, l'dileur. 188ti, 
Essai sur la répartitiou des richesses et sur la tendance à une 

moindre inégalité des conditions. J'^ l'Oilimi. l'.iil», 1887. Hitilluumm. 
Le Collectivisme, examen critique du nouveau socîelisme. 1' édiiiou. 

tiwUauiiiUi, IH8j. 
L'Algérie et la Tunisie. Lu volume iii-S. Puriii. Guiliaufiin, 1887. 
Traité de la science des finances : lumu 1", Les revenus publics ; 

lijiiK' II, Le ciédit public. 4° i^diliou. Giiillaumiii, \SSi. 
Précis d Économie politique. Lu voluiiit: iii-18. Parie, 'i' lidlliou. Ufla- 



L'ÉTAT MODERNE 



ET 



i^-zc^n.. 



SES FONCTIONS 



PAR 



PAUL LUROY-BEAULIEU 

MRIIRRE DK l'iNSTITUT 
PROFESSKIJR Ai; COLLÈGB DR FRANCE 

DiRKCTEUR DK L ÊcoTiomUte français. 



PARIS 



LIBKAIItlK fiUILLAUMIN KT C" 

tfUttari do Journal dM Économistes, do U Collection des principaux Économistes 

du Dictionnaire de rÈconomle politique, 
du Dictionnaire universel du Commerce et de la NaTigation. etc. 

HI'R RlCHRLIRl', 14 



I 8110 



^ 



PREFACE 



Le fond et les principales idées de ce livre furent Tob- 
jet de mon cours au Collège de France, il y a cinq ans. 
Depuis lors, frappé des envahissements de l'Élat mo- 
derne et des énormes dangers dont ils menacent les 
sociétés appartenant à la civilisation occidentale, j'ai 
publié, dans la Revue des Deux-Mondes^ en 1888 et 1889, 
cinq des Études qui composent ce livre. 

Je les ai ici remaniées, étendues, précisées. JW en ai 
joint de nouvelles. 

Je présente avec confiance au lecteur cet ouvrage 
qui traite de Tune des questions les plus importantes 
de ce temps. 

Il m'a semblé que Topinion publique se trompe, sou- 
vent même celle des plus doctes, sur la nature de TÉtat, 
ses origines, ses moyens et sa fin. 

Il m'a paru aussi que TEtat moderne, c est-à-dire 
TEtat plus ou moins électif, dont le mécanisme a été sou- 
vent étudié en détail, est encore mal connu de la géné- 
ralité de ceux qui en dissertent. 

Un dirait une machine dont on aurait merveilleu- 



VI PRÉFACE. 

sèment décrit chacun des rouages, mais dont on eût 
négligé d'examiner et de caractériser la force motrice, 
les conditions nécessaires pour que cette force agisse 
avec régularité et continuité. 

Plus que tout autre, TÉtat moderne est délicat, pré- 
caire, corruptible, enclin à l'oppression. 

Nos contemporains, éblouis par le résultat soudain du 
développement des connaissances et de l'instruction, 
tendent à perdre de vue que l'intelligence ne suffit ni à 
un homme ni à une nation, et que le grand ressort hu- 
main c'est encore la volonté. 

Les envahissements de l'Etat, en restreignant la liberté 
individuelle et la responsabilité personnelle, énervent 
la volonté. 

C'est par là que les nations sont exposées à déchoir, 

Je m'estimerai heurerux si ce livre peut jeter quelque 
clarté sur tous ces points si négligés. 

Paris, le 23 octobre 1889. 



L'ETAT MODERNE 



SES FONCTIONS 



LIVRE PREMIER 

LETAT, LA SOCIETE ET L'INDIVIDU. - LA GENESE 
DES PONCTIONS DE L ETAT- 



CHAI'ITRE l'REMlER 

SECES&ITE d'l'.VE conception EXACTE DE LETAT MOUEHNE 
ET DE SES KONCTiONS. 

lODcepUon que se l'onl de l'b^Ul, do sa nalurc ut de 
, les hommes ilo notre temps, parait singiilîëre- 
I ment conrtise. Les attributions iocaltéreDtes, souvent con> 
tradictoircs, qu'ils lui contient, témoignent du manque de 
netteté et de précision de leurs idées. Quand elle veut abor- 
der ce thùmo (l'un intérêt si décisif pour les destinées hu- 
maines, leur pensée Qotte dans les brouillards. 

Les mots de liberUÏ, de progrès, d'initiative individuelle, 
de devoir social, d'action de TtUat, d'obligation légale, se 
heurtent, comme au hasard, dans la bouche de nos législa- 




■2 L'ETAT MODEEiNE ET SES FONCTIONS, 

teurs et dans les écrits de nos polémistes. 11 semble que 
beaucoup d'entre eux soient atteints de celte singulière ma- 
ladie de la mémoire que l'on nomme aphasie, qui consiste 
à prendre pour exprimer une idée un mot qui n'a avec elle 
aucun rapport: quand ils prononcent liberté, il faut entendre 
servitude; quand ils articulent progrès, il faut comprendre 
recul. 

Cette notion de l'Étal et de sa mission, je voudrais l'exa- 
miner à nouveau. Bien d'autres, certes, l'ont Tait dans ces 
derniers temps. L'Académie des sciences morales et politi- 
ques, en 1880, prenait pour sujet de l'un de ses nombreux 
concours ; le rûle de l'État dans l'ordre économique ; elle 
couronnait deux mémoires dislingoés dus ù deux profes- 
seurs de nosTacultés de droit, M. Jourdan, d'Aix, et M. Villey, 
de Caen. Le cadre peut être plus étendu, car il ne s'agit 
pas seulement de l'ordre économique : l'Etat moderne dé- 
borde dans toutes les spbÈres de l'aclivilé de l'homme : il 
menace la personne humaine tout entière. 

Plus récemment, le corps savant que je viens de citer se 
livrait entre ses membres h une longue discussion sur les 
fonctions de l'État ; tous à peu près y prirent pari : légistes, 
économisles, historiens, moralistes, philosophes. 

Il me parut que les philosophes ne descendaient pas asse:; 
sur celte lerra, et que, avec un grand talent d'abstraction, 
ils ignoraient la genèse de beaucoup des institutions hu- 
maines, certains atlribuant à l'État une foule d'établisse- 
ments qui proviennent de l'inilialive libre : les banques, les 
caisses d'épargne, les sociétés de secours mutuels, les assu- 
rances, les hôpitaux, les monts de piété, etc. 

Les moralistes me semblèrent céder fi une sentimentalité 
excessive, qui risque d'énerver la société et l'homme lui- 
même. Le sujet ne me parut donc ni épuisé, ni même, dans 
ses grandes lignes, suflisamment éclairé. 



I 



L'ÉTAT, LA SOCIETE ET L'INDIVIOL , H 

l,es paires les plus Tortes qui aient été écrites récemment 
sur co beau et vaste tbi^me sont dues i, Herbert Spencer et 
ù M. Tfline : le premier, qui, aprfis avoir tracé avec sa péné- 
tration incomparable, mais d'une manière épisodique, le 
caractère de l'État dans plusieurs de ses ouvrages ; Vlniro- 
Huction d la science sociale et les Essais de poHlri/ue, leur a 
consacré un petit volume lumineux : Vlntfividu contrei'Êlal, 
dont les titres de chapitres brillent comme des étoiles di- 
rectrices : VEstlavage futur, les Péchés des législateurs, la 
Grande superstition poliligue; le second, qui, avec son mer- 
veilleux talent de condensation, a trouvé le moyen, dans 
une étude sur la Formation de la franc;' contemporaine (t), 
d'écrire, presque comme un hors-d'œuvre, en deux ou trois 
pages, la philosophie de la division des fonctions sociales 
el du r61e de l'Étal. 

Hais Herbert Spencer el Taine n'ont éclairé le sujet que 
de très haut. Leur autorité peut être méconnue de ceux 
qui n'admettent d'autres arguments que les faits et les 
chiffres. Hs peuvent 6tre accusés de parti pris ou d'idéo- 
logie, le premier surtout. 

J'ai donc cru que l'on pouvait reprendre l'étude de l'État 
et de sa mission. La plupart des réOexions que je vais sou- 
raeltre aux lecteurs sont antérieures au dernier livre d'Her- 
bert Spencer. Elles ont formé la matière de mon cours 
du Collège de France dans l'année 1883-1884. Je les avais 
reunies, jç les ai revues; Pexpérience des années récentes 
m'en a confirmé la vérité ; je les appuie sur de nouveaux 
exemples. 

C'est de l'État moderne que je vais m'occuper, tel que 
l'a fait l'histoire, tel que l'ont transformé les découvertes et 



les applications des 



(I) Voir la Itevat ries nnur-MontUt rln i:, JnnTicr ISSJ. 




4 L'ÉTAT MODEKNE ET SES FO^CT10NS, 

11 e^t des qucslions qui ne peuvenl resler dans le domnine 
do l'absolu et qui comportent nécessairement une pari de 
relatif el de contingent. « L'Éliit en soi » ressemble assez à 
" l'homme en soi », abstraction que l'esprit le plus délié a 
dû la peine h. saisir, qui ne lui apparaît que comme une 
ombre pile aux contours indécis, 

C'est des nations civilisées que je traite : je sais qu'il esl 
parFois de mode de faire peu de cas de la civilisation. Dès 
le commencement de ce siècle, Fourier montrait un dédain 
inépuisable pour ce qu'il appelait " les civilisés » ; c'était, 
selon lui, une catégorie près de disparaître, qui allait pro- 
chainement rejoindre dans la tombe les deux catégories 
sociales antérieures, >< les barbares >< et >' les sauvages ». 

Aujourd'hui, parmi les écrivains qui se piquent de plus 
de rigueur que Fourier, il en est beaucoup aussi qui pren- 
nent la civilisation pour cible de leurs critiques ou de leurs 
sarcasmes. Dans une étude fort distinguée sur le grund 
théoricien libéral, Benjamin Constant, ne parlail-on pas 
dernièrement, dans une grande revue (1), du >< travail de 
désagrégation sociale désigné sous le nom de civilisation » '.* 
Voilà des jugements bien sévères. 

Nous tenons, quant à nous, que cette civilisation qu'on 
qualilic aussi rudement a ses mérites, qu'elle a fait au 
genre humain un lit plus commode el plus doux que celui 
dont il s'est jamais trouvé en possession depuis qu'il a 
conscience de lui-même. 

En dehors des Ticlions naïves, comme les Salente ou 
les Icarie, l'imaginalion n'arrive pas à se figurer avec net- 
teté une contexture sociale qui diffère essentiellement de 
celle d'aujourd'hui. Des astronomes laconlent que, dans 
certaines planètes qu'on suppose pouvoir être habitées, Mars 

ff juin 188*. Be-ijamin 



I 



L'ETAT. LA SOCIÉTÉ KT L'INHIVini'. 5 

enlro autres, il se prodiiil en quelques années des trans- 
formations extraordinaires : on dirait que des habitants y 
ont creusé des canaux gigantesques, et les fantaisistes vont 
jusqu'à attribuer & leurs ingénieurs nno capacité qui àé- 
passerait de beaucoup celle des nfitres. Il est possible que 
tout cela se voie dans la planète Mars. 

Sur notre pauvre terre, nous jouissons d'une situation 
modeste, qui a l'avantage de s'être si ngu lit'' rement amélio- 
rée, pour le bien-être de tous, depuis un siècle, depuis dix, 
depuis vingt. Il a fallu leselforls successifs de deux ou trois 
cents générations d'bommes pour nous procurer celte faci- 
lité relative d'existence, cette liberté morale, civile et poli- 
tique, cet essor de nos sciences et de nos découvertes, cette 
transmisiion et celte rénovation incessante des lettres et 
des arts. 

Des esprits superbes nous aTlIrment que ce patrimoine 
est maigre et méprisable, que l'bumanité no saurait plusse 
résigner IL l'accroître lentement à l'avenir par les moyens 
mfttnes qui l'ont constitué dans le passé. Ils soutiennent 
qae l'initiative individuelle, mère de Ions ces progrès, a fait 
ion temps ; qu'il faut constituer un grand organe central, 
qui, à lui seul, absorbe et dirige tout; qu'une énorme roue 
motrice, substituée à des milliers de petits rouages inégau-x 
et lodiJpendants, produira des effets inlinimont plus puis- 
sants et plus nipides ; qu'ainsi la richesse de l'humanité 
sera décuplée et qu<t la justice régnera enlin sur cotte terre. 

Toutes ces promesses nous laissent sceptique. Nous nous 
rappelons ces Dis de famille frivoles et présomptueux qui, 
ayant béritt! d'une fortune laborieusement et patiemment 
acquise, méprisent les vertus modestes qui l'ont édiûée, 
et courent, pour l'accroître davantage, par des voies plus 
rapides, les aventures. Xous savons qu'il suffit de quelques 
instants d'imprudence pour compromettre ou pour dûlniire 




6 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

une richesse que des années ou des siècles ont eu de la 
peine à édifier. 

Nous nous demandons si les nations contemporaines, 
avec rinsolent dédain qu*on veut leur inspirer pour les 
sociétés libres et Tinitiative personnelle, avec la conception 
confuse qu*on leur enseigne du rôle de FÉtat, ne courent 
pas, elles aussi, une dangereuse aventure. L*examen des 
faits, aussi bien que Fanalyse des idées, va nous permettre 
d'en juger. 



CHAPITRE H 



VICISSITL'DES BECKNTES HE LA CflNCEPTlON OE L'ÉTAT. 



I 



La coDCfptioD de l'État chei les Ih^oricieng du xvm' siècle et de la R6- 
tolution rraoQaise, pagp 7. — Les BxngÉrolioni, le nihilianie gouvtr- 
ntmentat, pnge S. 

Cames diverses quioDlronlrîbuJiMondre le rAlede l'État; lagrnnde 
Indiittrk. la vapeur, le régime parlementaire, lu philasophie puii- 
Ul^lcte. pagp 'J. 

Drux parltHoni d'une eileusiou modérée du rdlc de l'Ëlat : .Michel 
Chctnlier et Sluarl Mill, page 10, — La théorie exci-'Mive des allri- 
butiuni de l'État : uuo furiuiilc de Gambetta, page I!. — \ja théori- 
cien belge : Ëtuile de Lnveleye, page 13. — L'upiDioa doctrinale en 
Aile nufn e ; Lo rem vonStelu, Wagner, Schietno, Bluotschli, page 15. 
— L'Ëlat ■ proputeir ■>, page 17. 



La doclrine qui prévalaiL, parmi les penseuFE et les 
hommes publics, dans la seconde partie du siËcle dernier 
et pendant la première de celui-ci. était peu favorable à 
l'extension des attributions de l'Élat. Le xvui'" siftcle nous 
avait l£gut' diiïérenles formules célùbres sur lesquelles ont 
TËcii deux ou trois générations : » Ne pas trop gouverner », 
ditail d'Argenson; « laisser faire et laisser passer «, écrivait 
Gournay: « propriété, sûreté, liberté, voilil tout l'ordre so- 
cial », pensait Mercier de la Ilivière; et le sémillant abbé 
Galiani accentuait davantage : Il inondo va da se, a le monde 
va toutieul. >> 

La révolution française, malgré ses brutalités, ses em- 
portements, l'action bruyante et sanglante de l'État, ne fut 
pai en principe contraire h ces idées. Si elle s'y montra par- 
foi» inlldi'le, cumnif dans It^s lois sur le maximum, c'étaient 




8 L'ÉTAT MODERNE liT SES FONCTIONS, 

des dérogations pratiques qu'on pouvait attribuer aux 
circonstances. La propriété privée absolue, la liberté indi- 
viduelle, civile ou industrielle, illimitée, faisaient partie de 
ses fameux Droits de l'homme. Elle était si jalouse de l'in- 
dépendance de l'individu que, par crainte de la voir com- 
promise, elle voulut supprimer tous les corps intermédiaires 
et en empêcher à jamais la reconstitution. En cela elle 
allait contre son idéal : elle diminuait la personne humaine 
qu'elle prétendait fortifier. 

En Allemagne régnait alors en généra! la môme doctrine : 
le philosophe Kanl, surtout ce lin politique Guillaume de 
Ilumholdt, concevaient l'individu comme le principal, sinon 
l'unique moteur du progrès social. L'État leur apparaissait 
comme un simple appareil de conservation et de coordination. 

Plus tard, dans l'Europe occidentale du moins, les disci- 
ples, comme toujours, exagérèrent la pensée des maîtres. 
Certains en vinrent k tenir un langage ridicule et niais. 
Uuelques-uns représentèrent l'État comme un « mal néces- 
saire ; " on vit surgir une formule nouvelle, anonyme, 
croyons-nous, celle de « l'État ulci're ». Quoique les noms 
de Jean-Baptiste Say, Dunoyer, Bastiat, protégeassent en- 
core la doctrine du xvm" siècle, les exagérations que nous 
venons de dire lui nuisaient. 

Quelques hommes commencèrent Ji s'élever contre 
l'abslenlion systématique qu'elle recommandait aux pou- 
voirs publics: on lui donna un nom fâcheux, celui de " nihi- 
lisme gouvernemental, » Il se trouva cependant des éco- 
nomistes, Joseph fiarnier, par exemple, qui accentuèrent 
encore davantage leur déliance à l'endroit de l'Étal, et qui, 
mSme en matière de monnaie, lui contestaient un rûle actif. 

11 se produisait à ce moment, dans la société, quelques 
phénomènes qui tendaient h. accroître l'action de l'État. 
I,n çrande industrie, qui se constituait avec d'énormes 





I 



L'ETAT. LA SOCIÉTÉ ET L'INDIVIDI. U 

aggloméra lions d'ouvriers, les chemins de Ter qui s'ébau- 
cliaienl, ne pouvaient laisser l'Élat ciimpIMemcnl iadiiïérent. 

]| avait un certaic rôle à joncr en présence de ces forces 
nouvelles. Il fallait qu'il les aidAt ou qu'il les surveillât, ne 
fût-ce que dans une très polîte mesure. P;ii- la nature m&me 
des choses, l'abslention absolue lui était interdite. L'établis- 
sement de voies ferrées rendait indispensable le recours à 
l'eipropriation pour cause d'utilité publique. Il se rencontre 
encore, on doit le dire, quelques adversaires de ce genre 
d'expropriation, comme de toute autre, M. de Motinari, par 
ciemple; mais leur opposition peut passer pour une simple 
curiosité doctrinale. 

Ces vastes usines qui se constituaient, on ne pouvait y 

les enfants de sept ou huit ans travailler douze, 

OH quatorze heures par jour. Certaines de ces fabri- 

aoalevaient, en outre, au point de vue de In salubrité 

la sécurité publiques, des questions qui rendaient de 

nooreaux ri''glements nécessaires. 

Ainsi celte force nouvelle, la vapeur, qui allait tant déve- 
lopper l'esprit d'entreprise de l'homme, forçait l'Ëtal h 
sorlir lui-même de l'abstention qu'il gardait, depuis un 
denii-siécle, dans les questions industrielles. ^ 

En même temps, le progrès moral et intellectuel des ou- 
vrietu manuels et des classes les moins fortunées commençait 
& occuper les législateurs. Le régime parlementaire, l'exleu- 
sionde la presse, le suffrage de plus en plus étendu, puis, 
vers le milieu de ce siècle, le vote universel, donnèrent des 
arfcaocs sonores et puissants tm\ doléances des humbles. 

il apparut ù tous ceux qui soutTraiunt do la dureté de la 
\iu que les pouvoirs publics, sous la forme du gouverne- 
ment central et des autorités locales, devaient être d'abord 
leun protecleurs, puis leurs alliés t-t leurs collaborateurs, 
enfln leur» serviteurs et leurs escliives. 




10 l/ÉTAT HODIiRNE ET SES FONCTIONS. 

La philosophie panthéiste qui régna vers le miHeu de ce 
siècle tendit également à répandre le culte de ce Grand Tout 
qui s'nppelle l'Élat, On y vit la force génératrice qui pouvait 
façonner la société suivant un certain idéal (1). 

Les merveilles qui s'accomplissaient dans le monde indus- 
triel inspirËrent, par la séduction de l'annlogie, la croyance 
qu'une rénovation analogue, aussi prompte et aussi pro- 
fonde, pourrait, sous la direction de l'État, s'effectuer dans 
le monde social. 

Sous l'inHuence de tous ces facteurs divers, les uns de 
l'ordre industriel, d'autres de l'ordre politique, d'autres 
encore de l'ordre philosophique, on vit la notion do l'État 
commencer à se transformer dans beaucoup d'esprits. Une 
protestation s'éleva contre le « nihilisme gouvernemental u 
et contre « les économistes anarchistes ». 

En France et en Angleterre, elle resta d'abord dans des 
limites raisonnables. Les noms de deux hommes y sont 
surtout associés, qui n'ont pas déserté la science écono- 
mique, mais qui, au contraire, l'ont illustrée : Michel Che- 
valier et Stuarl Mill; tous deux esprits précis, pénétrants, 
en mfime temps que cœurs généreux, portés ù l'enthou- 
siasme et h l'optimisme, 

Michel Chevalier voulait faire h l'État une part con- 
sidérable dans le progrès social : n J'ai à cœur de com- 
battre, disait-il, des préjugés qui Étaient fort accrédités 
il y a quelques années, et qui n'ont pas cessé de compter 
une nombreuse clientèle, préjugés en vertu desquels 
le gouvernement devrait, non pas seulement en fait de 
travaux publics, mais d'une manière générale, se réduire 
vis-H-vis do In société h des fonctions de surveillance 



(I) On 



1 puH L-lODUË qu» le célèbre philosophe altcmanil H^ge 
protagoaUles de l'Élat cuiiçu coinine rfrorinalciir et 
guide de b sociûtC'. 



L'ÉTAT. LA SOCIÉTÉ ET L'INDIVIDL*. H 

el demeurer étranger à l'action, lui qui, cependanl, comme 
«on nom rindique, est appelé il tenir le gouvernail,.. En 
fait, une réaction s'opère dnns les meilleurs esprits: dans 
les théories d'économie sociale qui prennent Taveur, le pou- 
voir cesse d'Ctre considéré comme un ennemi naturel; 
il apparaît de plus en plus comme un inTaligable et bien- 
Taisant auxiliaire, comme un tuLélaire appui. On reconnaît 
qu'il est appelé h diriger la société vers le bien et h la 
préserver du mal, h. Être le promoteur actif et intelligent 
des améliorations publiques, sans prétendre au monopolo 
do cotte belle attribution ((). » 

Le dernier membre de phrase vient heureusement cor- 
rijfer ca qu'il y a d'excessiT dans le reste de cet exposé. 
Quand il écrivait ces lignes, Michel Chevalier restait un par- 
tisan déterminé de l'initiative privée el ne se doutait pas 
du joug auquel, au bout de trente ou quarante ans, on i'at- 
laît assujettir. 

De mfime Stuart Mill : le monde n'a pas connu de défen- 
Eour plus persévérant et plus séduisant de la liberté. Il y 
Bvail cependant, au Tond de son être, une tendance au 
socialisme, que parfois il réprimait mal et qui de temps h 
autre l'entraînait. On la retrouve dans mille endroits de ses 
. écrits; mais il n'y cède jamais sans retour ol sans lutte. 

S'il admet que n l'action du gouvernement (2) peut être 

0/ Uiehi'l ClKivalir>r, Coui-g d'éeonomif poUli'/uf, tamp il, G> tcron. 

|3) Od noua p>-nnpltra iln reiuurquer que )p mot île <> gniiverDenient •, 
\ «loploy^ Ici par Stuart Mllt. <lïuip« uue Toute it'illusîoiii qu'entretieni 
I l'amplol linbltuAl ilti root < l'Ëtnt >. Lo gouvenii'mFnt vA un Mrs coo- 
I tnl, l'ÊtBl im •^trn abitnit. A quelque parti que l'on nppnrtiemie, comme 
I dtojMi ou coiiiu»^ auJRl, uD (ait Iq« imperrentlons, Ic^ <l£tduu et Ini 
I tImi du • gouteraeinnat *. Au conlroire, l'Étnt flAiit coui;u cummc no 
I Un Idéal, on le pare dn toutei Itu quallléi que l'ou rSvo et on le àé- 
kponiUr de toulrs le» taibl^met que l'on hait. On BoguiTaît beauconp, 
liupoiot divur ileU,pr^dsiun dMldâft et dn la idrclé des applications, 
Ift tàraptoeer «auvent le firnie ■ d'État - por le trrme di- - gouverne- 



12 i.'état modehm; et ses fonctions. 

nécessaire, à défaut de celle des particuliers, lors même que 
celte-ci serait plus convenable •>, il s'empresse de recon- 
naître l'importance de cultiver les habitudes d'action col- 
lective volontaire ; il ajoute que « le laisser faire est la r&gle 
générale n. 

Passant de la doctrine à rapplicalion, il écrit que l'exagé- 
ration des attributions du gouvernement est commune en 
théorie et en pratique cbez les nations du continent, tandis 
que la tendance contraire a jusqu'ici prévalu dans la Grande- 
Bretagne. 

On s'aperçoit que ces passages de Stuart Mill datent de 
trente années au moins; depuis lors, l'administration et la 
législation britanniques se sont montrées singulièrement 
envahissantes et intrusives dans une foule de domaines jus- 
que-là réservés h l'initiative privée, les manufactures, les 
écoles, l'hygiène, etc. 

La réaction purement doctrinale que Michel Chevalier 
en France et Stuart Mill en Angleterre dirigeaient contre te 
système de non-intervention de l'État ne comportait pas 
de dangers immédiats. Ces deux publicistes auraient été les 
premiers à combattre les exagérations de ceux qui, au tieu 
de faire du gouvernement un auxiliaire de l'inilialive privée, 
l'en auraient fait l'adversaire. 

DéjJi, en France, d'autres écrivains d'un inégal renom 
allaient beaucoup plus loin et commençaient h grandir 
l'État aux dépens de l'homme : Dupont- White, Jules Duval, 
Horn. Le premier surtout, qui avait le plus d'accès auprès 
du grand public, proTossait pour l'initialive privée un indi- 
cible mépris. 11 soutenait que « les individus, avec leur aspi- 
ration au bien-iHre. ne portent pas en eux le principe du 
progrès ". 

C'est, semblc-l-il, laformulei^ui rallie aujourd'hui autour 
d'elle le plus d'adhérents, les uns systématiques, les autres 



I 



L'ETAT, LA SOCIÉTK ET I/INQlVlllV. Vi 

iocoDtcienb. Kllc a envahi la philosophie coiilemporaine : 
pIIo se reflète dans les thèses de la plus grande partie de la 
presse : elle est conrusémenl au fond de la pensÉe de la plu- 
part de nos législateurs ; elle s'échappe en termes variés et 
relenlissanlà de la bouche des orateurs célèbres : <> Un gou- 
vernement doit être avant tout un moteur du progrès, un 
organe de l'opinion publique, un prolecteur de tous les 
droiU légitimes et un inilialeur de tontes les énergies qui 
constituent le génie national. » C'est celte tilche immense 
qu'assignait à l'Ktat le tdbnn célèbre qui a lancé dans la 
voie oïl elle court en trébuchant la troisième république (I). 

De nouveaux théoriciens ont surgi pour détaillera l'infini 
cette pensée présomptueuse. On la retrouve, il csL vrai, plu- 
tôt à l'étranger qu'en France, 

En Belgique, un écrivain inciair, M. Énille de Laveleyc, 
quoique avec certaines réserves encore, se prononce net- 
tement en faveur d'une considérable extension des attribu- 
tion» do l'Ëtal. Il ne se contente pas de dire, ce i|ue les 
économistes anarchistes seraient les seuls h contester, que 
rttal n'est pas uniquement un organe de conservation, une 
garantie d'ordre, qu'il est aussi un instrnmeuL nécessaire du 
progrès. Il lui donne pour mission de » fuirc régner la justice » : 
mais faire régner la justice ne signifie pas, dans le sens de 
l'école nouvelle, faire respecter les conventions ; c'est pour- 
suivre la réalisation d'un certain idéal, c'est modifier les 
convenlions pour atteindre cet idéal particulier que conçoit 
l'VAil ou le groupe de personnes au pouvoir qui représen- 
tât mouontanéflient l'Etat. 

Ed Angleterre, le principal peu!tuur, le plus indépendant, 
celai qui voit le plus les choses dans leur ensemble et sou^ 
leurs multiples aspects, Herbert ïipencer, reste plus que ja- 



(i) DlKoun de liunbetiA à B«tlevilU <■ 



a 



U L'ETAT MODEllNE ET SES FONCTIOMS. 

mais l'adversaire de l'Iitat intrusif; et, avec celle vaillance 
d'expression qui le caraclérise, il écrit que la machine offi- 
cielle est lente, fiêle, prodigue, corrompue (1). Non content de 
l'affirmer, il accumule les exemples pour le démonlrcr. Mais 
df^jà quelques hommes appartenant en principe à la même 
direction générale d'idées, Huxley notamment, inclinent 
TEFs un grand rôle réTormateur conOé à l'État (â). 

C'est surtout en Allemagne que la doctrine nouvelle se 
répand. On s'y trouve en pleine idolâtrie de l'État. Bien des 
causes y concourent : de vieilles traditions historiques ; une 
tendance naturelle il la philosophie allemande ; le désir citez 
les économistes d'innover sans grands frais d'imagination et 
de former une école nationale en opposition à l'école an- 
glaise et h l'école française ; enflu le prestige des triomphes 
de la monarchie prussienne, la plus étonnante machine ad- 
ministrative qui ait jamais existé. 

Aussi dans quelle sorte d'extase tomhent les écrivains alle- 
mands quand il s'agit de l'État ! ce sont plutôt des cris d'ad- 
miration et d'adoration qui leur échappent que des raison- 
nements ou des déliiiitions. 

M. Loreny. von Slein écrit que « l'État est la communauté 
des hommes élevée à une personnalité autonome et agissant 
par elle-m&me. L'Ktat est la plus haute forme delà person- 
nalité... La lllche de l'État est idéalement indclinie (3)... u 

(J) Essaiâ du politique, pages 28 à 36. 

(1) 11 serait injuste de ae pu» nommer ici iea efforts d'uue assoda- 
lioii privÉH, ta Liberty and properly defence Lear/ue, pour ooiiibaltre Is 
socintisnio (l'Élut qui ga^n') tant ilu terrain en Auglctetri'. Celle ligue 
a, dcpiiie quelquPB annécfl, mulliplié les opuscules instruclifa contre les 
usurpations du parlement dans l'ordre de la vie civile ou commerciale. 

\i) n tier t-laat iit die îur telbalandigen untl setbstliiUigen PerâOn- 
licUlieil er/itibtne Gejtieinschaft dei- Menscken... Wù- rrhennen den Slaat 
■ils die liôcliste Form dtr Peraonlichkeit an... Fùi' dièse Forderung (del 
S'aaii} giebt ci an sich keïne Grenze, und die dureb sie genetîte Aiifgabe 
des Staals iil daker eine begrif/liih uriendliclie. v Loreuï vou Sicin, 
Lehrburch der FinamieUieiucha/t, S* Cdition, pages 2 et 6. 



L'ETAT, LA SOCIETE El L'HOLVIDl'. IH 

i\. Lorpni voD Slein est Viennois; on conçoit que M. \Va- 
F:nor, de Berlin, plac6 plus près <Je la manifeslalion la plus 
brilluiile de THlat actif et puissnnt, ne lémoigno pas d'un 
moindre enthonsiasme. La tâche immense de rÊlal sa di- 
vise, ponr lui. en deux parties, dont chacune apparaît pres- 
que comme illimilde : la mission de justice {/leriitzweck 
lifs Staats) et la mission de civilisation [CuUwzweck des 
SlaaU). 

Par cette mission do justice, il ne faut pas entendre le 
simple service de sécurité matciielic, mais des fonctions 
multiples, variées, incommensuruiilement plus étendues 
el susceptibles chaque jour de développement nouveau. 
M. Wagner y comprend ce que M. Stein appelle >' l'idée so- 
ciale ", die sociale Idée, qui doit pénétrer l'État moderno. 
Cette idée sociale concerne surtout l'élévation de la classe 
inférieure. 

Alors interviennent des distinctions métaphysiques: il faut 
distinguer dans cette personnalité suprême que nous appe- 
lons l'Étal sa volonté, der Wille, qui est le pouvoir régle- 
mentaire, et son action, die Thùligkeît. 

H. Scba^rfle, le plus ingénieux des économistes allemands, 
celui dont les écrits commencent à être le plus admirés, de- 
puis (870, par toute la nouvelle clientèle scientiliqiio de l'AI- 
lEma^ne, les italiens, dans une moindre mesure les Espa- 
gnols et les Portugais, M. Scha^flle, un instant ministre du 
commerce de l'empire autrichien, consacre quatre gros vo- 
lâmes à analyser tous les organes et toutes les fondions du 
corps social, comme si c'était un corps réel en chair et on 
oi, et nous représente gravement que. dans ce corps so- 
cial ainsi minutieusement décrit, l'Ëlat représente le cer- 
veau . 

Les écmains que nous venons de citer, cependant, ne sont 
pM dw tbéoriciens pun, des philosophes on de nuageux 




Iti 1,'ETAT MUDEHNE ET SliS FUN'CTlONS. 

jurisconsiiUes; ils s'occupiiiit dii matières pratiques, de 
fiiiRiiCGs nolamment. Leurs études sur le budget et sur les 
imp6ts auraient dû retenir un peu leur exaltation. Que sera- 
ce de ceux qui planent dans des sphères encore supérieures 
el qui n'attachent jamais leurs regards t ces choses viles, 
l'équilibre des recettes et des dépenses, l;i gfine des contri- 
buables, les Trais de poursuite, etc.? lis dogmatiseront ou 
pontifieront en l'honneur de cette grande idole, l'Klat, en- 
core plus librement. 

<' Le but véritable et direct de l'État, dira Bluiitschli, c'est 
le développement des facultés de la nation, le perfection- 
nemenl de sa vie, son achèvement par une marche progres- 
sive, qui ne se mette pas en contradiction avecles destinée!^ 
do l'humanité, devoir moral et politique sous-entcndu. " 
La clarté n'illumine pas tout ce morceau ni tous ceux qu'on 
y pourrait joindre. Mais les actes d'invocation à une puis- 
sance supérieure et mystérieuse, ce qu'est l'Ktat pour ces 
écrivains allemands, s'accommodent fort bien du manque 
de précision. 

Un seul homme ù peu près chez nos voisins est resté 
ferme dans la défense des libertés individuelles et de l'ini- 
tiative privée, homme d'une érudition sans exemple el d'une 
incomparable netteté, Roscher, dont les universités alle- 
mandes célèbrent ces jours-ci le doctoral cinquantenaire. 
Mais c'est un vétéran que l'on honore et dont on oublie les 
leçons. 

Comment s'étonner que l'Allemagne soit devenue la terre 
classique du socialisme quand ses savants entretiennent et 
propagent avec une si infatigable vigilance le culte de l'État 
à la tâche inOnie, Aufgalie begrifflicli unendliche? 

Les idées enfantent les faits. De toules parts, en Europe, 
les parlements, les conseils provinciaux, les municipalités 
se sont pénétrés, tanlùl avec réilexion, plus souvent avec 



L'ÉTAT, LA SOCIÉTÉ ET L'INDlVlDU. 1* 

inconscience, de la doctrine que nous venons d'exposer : les 
pouvoirs publics, à tous degrés, doivent être les grands di- 
recteurs et promoteurs de la civilisation. 

Un préfet, imbu de philosophie, avec lequel je conférais 
il y a quelques années, me disait des habitants d'une ville 
révolutionnaire du Midi : « Ils sont propulsifs ». Ce mot de 
" propulsifs », il le prononçait avec onction et révérence. 

Il convient maintenant, aux yeux des sages du jour et aux 
yeux de la foule, que TEtat soit« propulsif ». Il ne suffit pas 
qu*il soit le gouvernail; on veut encore qu*il devienne Thé- 
lice. 11 s'y efforce, sous sa triple manifestation de pouvoir 
central, de pouvoir provincial et de pouvoir municipal. Nos 
budgets, tous nos budgets, ceux des communes et des pro- 
vinces ou des départements, comme ceux de TÉtat, en por- 
tent la trace. 



CHAPITRE III 

LA CONCEPTION NOUVELLE DE L'ÉTAT ET LES BUDGETS 
NATIONAUX OU LOCAUX. 

L'impulsion donnée ù la machine politico-aiJiiiiuistrntLTc n'a èti^ eau tpnue 
qne parlsBlimites financières, page 18. —La Irinilf de i'Élal : pouvoir 
cenlral, pouvoir provincial et pouvoir mnnicipol, page 18. — La paix 
armée n'est pns la seule caune des embarras financiers des Ëlal9 ino- 
derneg. page 11). — OËvetoppcmeat Énorme des dépensea dee services 
lion militaires, page 19. — Les dépenses des pouvoira locaux se sont 
tout aussi accrues que celles du pouvoir central, exemple de l'An- 
gleterre, page ÎO. — Exemple de l'Ilalio, page ïO. — Exemple de la 
France, page 31. — Exemple des Ëtals-tlnis, page 33. — L<>s divers 
points de vue auxquels peut Être appréciée l'eilension des altrlbii- 
lions de l'État, page 34. — L'État reste le seul dieu du moudc mo- 
derne, page 2B. 



Pendant que, dans l'ordre des idées, un grand nombre 
d'écrivains abandonnaient l'ancienne conception de l'Élat 
réduit à des attributions simples el peu nombreuses, tous 
les pays de l'iiliiropc, aussi bien la Grande-Bretagne que les 
nations du continent, se mellaiont à Taire ingérer l'Élat 
dans une foule de IfLches et de services dont jusque-là il 
ï'élait abstenu. 

C'est depuis quinze ans surtout que cette impulsion a clé 
donnée à la machine politico-administrative. On peut dire 
qu'elle n'a été contenue que par les limites (inanciÊres. 

Partout le développement inconsidéré des attributions de 
l'Etat, danssa trinilé de pouvoircentral, pouvoir provincial et 
pouvoir municipal, a été, au même degré que les armements 
militaires, la cause de la gène desQnances et de l'écrasement 



L'ÉTAT. LA SOCIÉTÉ ET L'INDIVIDL'. 19 

économique des peuples européens ; d'autre part, la gène des 
liiiances a élé le seul obslacio à une extension ultérieure des 
attributions de l'Ëtat. N'étnit que tous les services publics 
dont l'Ktal se charge exigent une dotation pécuniaire, et que 
les finances d'un pays ne sont pas indéllniment extensibles, 
on verrait la plupart des Étais du continent empiéter beau- . 
coup plus encore qu'ils ne le Tont sur le domaine jusque-là 
réservé aux associations libres. 

Le déticit des budgets est le seul frein aux ambitions et 
aux envahissements de l'Etat contemporain. Mais, plus ou 
moins contenu dans son action, il prend sa revanche par un 
exercice de plus en plus Étendu de sa volonté, c'est-à-dire 
de $oa pouvoir râglemenlairo, qui, lui, est gratuit ou à 
peu près. 

On a pris l'habitude de rejeter sur la paix armée, sur les 
découvertes qui transforment incessamment l'outillage ma- 
ritime et militaire, la responsabilité des charges et des àéR- 
cil» des peuples de l'Kurope. C'est ne voir qu'une des deux 
causes du mal. 

S'il eu était ainsi, les budgets seuls du pouvoir central se 
seraient considérablement accrus; tout au contraire, les 
biidgoU locaut, ceux des provinces ou départements et ceux 
des communes ont encore plus démesurément grossi, et, 
avec leur prodigieuse enflure, se trouvent plus t l'étroit que 
les budgets nationaux. Dans ces derniers aussi, la part des 
services non militaires s'est singulièrement développée. 

Il résulte des statistiques prises sur les documents ofllciels 
(]ue les dispenses des services civils en Angleterre atteignaient 
seulement I.Tâl.noO livres sterling en 1817, et se sont éle- 
tée» graduellement ù 2,507,000 livres en 1837, à 7,237.000 lî- 
rre» en 1837, à 8,181,000 livres en 1867, ù 13,333,000 livres 
en 1877, et onlin h 16 millions de livres en chilTres ronds en 
1880, soil approximativement, à ces diverses dates, 63 mil- 



I 



3 



20 L'ÉTAT MnDKÎlNE ET SES FONCTIONS, 

lions de francs, puis 180 millions, 213 millions 335 millions, 
el enfin 400 millions de francs ; de IftiT à 1880. les dépenses 
des services civils ont donc sextuplé; depuis 1867 seulement, 
elles onl presque doublé. 

Un changement dans la Terme des stalistiquesbrilanniques 
ne m'a pas permis de poursuivre la comparaison après 1880; 
mais on peut estimer, d'après certains indices, qu'il s'e>t 
produit une augmentation nouvelle d'au moins 10 pour 100 
de 1880 à 1888. 

Les budgets locaux portent les marques beaucoup plus 
évidentes des inévitables oITcts de la nouvelle conception 
qu'on se fait de l'Étal. Donnons la première place !i un pays 
qui ne mérite plus son ancien renom d'être l'adversaire de 
l'intrusion gouvernementale, la Grande-Bretagne. 

En 1868, les localités du Royaume-Uni, comtés, bourgs 
ou paroisses, ne puisaient i!t l'impAt ou h l'emprunt qu'une 
somme de 913 millions de francs, chiffre déjà bien respec- 
table, et qui eût fait frémir M. Robert de MoliI ou MM. Fisco 
et Van der Slrîelen, évaluant, il y a trente ou quarante ans, 
à 312 millions de francs le montant des taxes locales directes 
dans l'Angleterre proprement dite et le pays de Galles. En 
1873, les localités britanniques n'ont encore besoin que de 
1,023 millions de francs, dont 337 millions proviennent 
d'emprunts. Mais, en 1884, ces voraces administrations lo- 
cales demandent 1,568 millions de francs à l'impAl, à quel- 
ques industries municipales ou à l'empl'unl, dont 1 milliard 
92 millions de francs pour les deux premières sources de 
recettes et 476 millions pour la dernière. Ainsi, dans ce court 
laps de temps de seize ans, les besoins des localités britan- 
niques ont augmenté des trois quarts environ. 

Le continent ne reste pas en arriÈre de l'Angleterre. Les 
budgets des provinces italiennes, qui ne s'élevaient qu'à 
41 millions de francs en 1865. sont montés à 83 millions 



L'ÉTAT, LA SOCIETE ET L'INDIVIDU. 21 

en 1875 et à lia millions en 1884. Les budgets communaux 
italiens, qui n'atteignaient que 2GA millions en 18G3, mon- 
tent h 397 millions on 1874 el ;\ r>l!l millions en 1885. 

En France, il est plus diflicile de faire un compte d'en- 
semble, nos statistiques locales étant fort défectueuses. 
Voici, cependant, quelques données. Les dépense.s de la 
ville de Paris ont passé par les étapes suivantes : 23 millions 
de Tranca en 1813, soit 37 francs par habitant; 32 millions 
à la Qn de la Itestauration, soit 43 francs par lËle. L'économe 
régime de Louis- Philippe ne rhangea rien ikcettcpioportion; 
en 1850, le budget parisien se représentait encore avec une 
charge de 44 francs par habitant. Le régime impéi-ial, qui 
reût Paris, adoptait en 1869 un budget parisien de 168 mil- 
lions pour I.HUU.UOU habitants, soit 94 francs par tête. 
En 1887, pour un peu plus de 2.300,000 âmes, le budget 
parisien monte à 257 millions, soit 109 francs par habitant. 

Les humbles budgets de nos petites communes témoi- 
gnent d'un accroissemet beaucoup plus rapide. Qu'on en 
juge par les chiffres qui suivent : en 1803, les cenlimes addi- 
tionnels locaux aux contributions directes ne produisaient 
que 57 millions de francs; on leur demande 20G millions 
en 1864, 243 millions en 1869, 309 millions en 1878, enilii 
354 millions en 1868. L'augmentation est ainsi de 320 pour 100 
depuis le cunimencemint du siècle, et de près de 50 pour 1(X> 
depuis 1869. D'aulre part, le rendement des octrois, qui n'é- 
Uîl que de 44 millions en 1823, de 65 millions en 1843, de 
141 millions en 1862, atteint 277 millions en 1887 . 

Ajoutai qu'on menace les localités de toutes sortes d'au- 
tres dépenses nouvelles obligatoires. Une faule de projets 
attentatoires à leur liberté et à leur bourse sont en l'air et 
en train de se condenser pour " promouvoir la civilisation », 

IJu'on ne vienne donc pas soutenir que les chargus mili- 
taires sont l'unique cause des soulTrances des coulrîbuables. 



I 



k. 



28 L'ETAT MODERNE Eï 3ES FONCTIONS. 

Ces charges militaires n'onl en rion jusqu'ici grevé les bud- 
gets locaux, qui pèsent si lourdement sur une agriculture 
appauvrie et une propriéld dépréciée. 

On voudra peut-être nous otTiir une consolation en nous 
signalant un phénomène analogue, mais dans une bien 
moindre mesure, aux Étals-Unis d'Amérique. 11 se produit 
dans ce pays cette remarquable coïncidence que, si les dettes 
de la nation, des États et des comtés diminuent, celles des 
municipalités augmentent. Depuis 1870, la dette fédérale a 
diminuéde42 pour 100,celle des différents États de 25 pour 100, 
celle des comtés de 8 pour 100; celle des municipalités, au 
contraire, a doublé. L'ensemble dos dettes locales (Etals, 
territoires, comtés et municipalités), qui montait h SG8 mil- 
lions 1/2 de dollars (4,3o0 millions de fr. en chilFres ronds) 
en 1870, atteint l.OoG millions de dollars (3,300 millions de 
francs) en 188G. Elle esl presque aussi élevée que la dette 
fédérale portant intérêt, qui ne montait plus, en I8S0, qu'à 
1,146 millions de dollars (5,7o0 millions de francs). 

Néanmoins, on voit l'énorme différence des États-Unis 
et de l'Europe. La gestion des municipalités peut, dans le 
premier pays, être lâche, prodigue, mal contrôlée; il ne 
semble pas, d'apros ces résultats, que, d'une façon géné- 
rale du moins, elle s'abandonne aux idées systématiques 
d'intrusion et de bouleversement qui dominent les muni- 
cipalités européennes. En tout cas, la gestion prudente de 
la fédération, de la plupart des États et des comtés, dans 
la grande Union américaine, sert de contrepoids aux excès 
municipaux. 

Tout autre est la pratique européenne, celle du continent 
surtout. Une autre preuve que les armements terrestres et 
maritimes sont loin d'être seuls responsables des souffrances 
économiques des nations du vieux monde, c'est la débauche 
de travaux publics mal étudiés, mal dirigés, mal utilisés, 



à 



, L'ETAT. LA SOCIÉTÉ ET L'INDIVIDU. 



£3 



I 



L 



qui a sévi partout depuis quinze ans. Laissons de côté l'Ai- 
lemaKne, qui a puisé àes ressources particulières dans nos 
5 tnilliai'ds, et qui, ayant un passé affranclii de dettes, pou* 
vaîtso permettre plus de largeur dans les dépenses. Voici 
la France, avec son fameux plan t'ieycinet, qui s'est grevée 
de pr65 de 100 millions de Trancs de garanties d'intérêts 
envers les compagnies de chemins de Ter, et qui, pour an- 
nuités diverses ou pour payements d'emprunts alTectés 
directement h des travaux, la plupart improductifs, paye 
chaque année au moins une autre centaine de millions. 

Nous jouissons encore, pour nos inventions les plus mau- 
vaises, d'un don singulier de propagande. La folie Freycinet 
u fait le tour de l'Europe, trouvant partout des imitateurs : 
l'AutTiche et la Hongrie, deux pays besoigneux. s'en sont 
inspirés et s'épuisent en voies ferrÉes concurrentes les unes 
aux autres, exjiloitées avec des tarifs insuffisants. D'autres 
pays plus besoigneux encore s'appliquent h la même lâche : 
rK.^pagne, qui semble ne plus vouloir laisser prospérer une 
ligne de chemin de fer privée; dans le courant de cette 
année encore, l'ilalie. dont l'agriculture souO're et les finan- 
ces languissent; le Portugal, la petite Grèce, d'autres 
encore. 

Tout petit prince veut avoir des pages : les pages aujour- 
d'hui, c'est UD lot complet de fonctionnaires hiérarchisés, 
■pédalisés dans tous les services que l'imagination des lé- 
gislateurs peut inventer, justiliant leur existence et leurs 
Iraitements par des travaux, dos règlements redondants et 
et surabondants. Les peuples civilisés ne s'en tiennent pas, 
en eOet, à l'honnête naïveté des barbares. On me contait 
récemment h Tunis que , avant notre occupation, le bey, sur 
la recommandation du consul français, avait engagé un ou 
detixdenos ingénieurs: seulement il ne leur faisait rien faire, 
M contentant, ce qui était une grande marque d'estime, de 



94 L'ËTAT MODERNE KT SES FONCTIONS, 

leur payer régulière ment leurs émolumenls. Un jour, l'in- 
génieur en chef vexé de n'avoir aucune besogne, va trouver 
le premier ministre et demande qu'on l'emploie sérieuse- 
ment : " Tu touches ton traitement, de quoi te plains-tu? •> 
lui répoud l'autre. 

Cette réplique n'était peut-être pas une sottise; combien 
gagneraient les nations moderoes si, ik beaucoup de toutes 
ces couches sans cesse nouvelles de fonctionnaires, on se 
contentait de payer des traitements sans leur demander au- 
cun labeur! 

Cette universelle tendance, dans notre Europe inquièle, h. 
l'extension constante des attributions de l'État, peut être 
appréciée et jugée i bien des points de vue. 

Il ne faut pas une rare perspicacité pour se préoccuper de 
son effet immédiat et pratique sur les finances publiques, où 
elle ne laisse plus subsister aucune clarté, aucune méthode, 
dont elle compromet mâme la probité, dont elle Tait pour le 
peuple un instrument d'oppression, ime cause de gène pro- 
fonde et croissante. 

Il faut déjà jouir d'un peu plus de pénétration pour en 
démêler les conséquences politiques, en partie prochaines, 
en partie différées et lointaines. On commence à discerner 
l'inévitable influence de l'extension des attributions de l'Ëtal 
sur le gouvernement représentatif ot sur les libertés publi- 
ques ; l'espérienco est en train de démontrer que la complète 
liberté politique ne peut se maintenir que chez un peuple 
où le rôle de l'État n'est pas démesurément étendu, et où 
une faible partie seulement de la nation est engagée dans 
les liens rigides du fonctionnarisme. 

Cette tendance peut être appréciée enfin — et c'est la 
question la plus grave — au point de vue de la vitalité et de 
l'énergie nationales, du développement des forces tant indi- 
viduelles que collectives, du maintien ou de l'amélioration 



J 



L'ÉTAT, LA SOCIÉTÉ ET L'INDIVIDU. io 

des conditions qui rendent le progrès social facile et sûr. 
Avant de nous livrer à cette étude, il convient de dissiper 
certains préjugés au sujet de TEtat et de rechercher briève- 
ment quelle est Tessence, quelle est Torigine, quelles sont 
les capacités ou les faiblesses de cet être mystérieux dont 
tant de prétendus sages prononcent le nom avec adoration, 
que tous les hommes invoquent, que tous se disputent, et 
qui semble être le seul dieu auquel le monde moderne 
veuille garder respect et conflance. 



CHAPITRE IV 

DIFFÉRENCE FONDAMENTALE ENTRE L'ÉTAT ET L\ SOCIÉTÉ. 

Les erreurs prJncip.iles sur la nature <le I'ËIdI, page IH. — La première 
erreur repose sur de fausses compnraisotis pliyaiologiqu^s : le livre 
de SchKfIle, page ST. — Absurdité de la Ihèse que l'Élal est au 
corps siiciol r^p que le cerveau est an corps humain, page S8. — L'Ëlat 
cgi un or^Bnisme mis duus la main de certains tiomnie». page S9. 

11 ne faut pas conrondre l'Ëlat et la sticiété, ni opposer l'individu seul 
à t'Ëtal, page 30. — La BociL^të est plus vaste et plus Téconde que 
l'État, page 3i. — ^'o^lb^e iuruti îles groupements soei uni, page 31. 
— L'homme est un Btre qui a, par nature, le goût de rnasociallon va- 
rlËe, page 3!. — L'Individu isolé n'existe pns. piige 33. — Nombre 
prodigieux d'assodatious auxquoll(^» appartient l'individu civitiaé, 
page 3!. — Lo phéuomÈiia do n l'iulerd^puniianee », page 33. 

Tous les besoins collectifs ne sont pas nécessairement du ressort île 
l'Ëlal, page 3i. — Erreur qui consiste à croire que. en dehors de 
l'Élal, 00 ne peut rien crËer qui ne soit iuspii'é par l'intfrËt pergoDool, 
page 34. — Méprise d'Adam Smilb à ce sujet et du la plupart des 
économistes, page 3â. — Conception incomplète des mours auxquels 
obëit l'individu, page 35. — 11 est faux que ta personne humaine soit 
uniquement conduite par l'intérêt personnel, pnge Hl). — Vnriêtë de» 
mubilcs auxquels cède l'individu civilisé : genre rardiif de sport qui 
a<: répand en création d'ulilllé générale, pugi> 37. — ExouipWs de 
ce sport philanthropique, page 3S. 



Pour ne pas trébucher à cliaquo pas dans cel examen, il 
faul d'abord faire litière de deux erreurs fondamenlales, 
l'une qui repose sur de prélcntieuses comparaisons physio- 
logiques, l'uuli'e qui provient d'une uhservulion superlicielle 
et conTond l"lilat avec la sociale. 

On sait quel attrait les pliysiologisles, avec leurs intéres- 
santes découvertes, exercent sur toutes les autres classes 
de savants. Beaucoup d'écrivains sur la pliilosophie, sur les 



L-ÉTaT. la SOCiETE ET L'INDIVIDU. 27 

sciences sociales, éprouvant quelque embarras à renouveler 
une Rialîëre déjà vieille, se sont avisés que des comparaisons 
physiologiques pourraient ieuf ûlre d'un grand secours. 

L'un de ceux qui ont le plus donné dans celte méthode 
est uii Allemand, Tort distingué d'ailleurs, dont les écrits 
ont exercé une singulière séduction dans beaucoup de pays, 
M. &cli£effle. Sous le titre de Bau und Leben lies Socialen 
Airpm (Structure et vie du corps social] , il a consacré qua- 
tre énormes volumes à des comparaisons anatomîques, phy- 
siologiques, biologiques et psychologiques entre la société 
et la personne humaine considérée dans son corps et dans 
son lime. 11 y a dans tout ce travail de comparaison une 
prodigieuse ingéniosité d'esprit. Malheureusement, le résul- 
tat n'est pas en proportion de l'elTort. 

Nous ne voyons pas ce que l'on gagne en netteté il nous 
parler de a la pathologie et de la thérapeutique de la Ta- 
mille o par exemple, de >• la morphologie », de « la mem- 
brure sociale de la technique », die sociale Gliederung der 
Tteknik, etc. L'esprit Dëcbit accablé sous le poids de toutes 

Ices analogies et des divisions, subdivisions inlinîcs, aux- 
quelles elles donnent lieu. 
Nous laisserions de côté, comme une gageure curieuse, 
tout cet immense assemblage de comparaisons entre la so- 
eUlë et le corps humain, s'il u'en résultait de lAcheuses 
•rreurs qui se répandent partout et que l'on Unit par accep- 
t«r sans contrAle. 

C'est ainsi qu'on est arrivé à dire que t'iîtat est au corps 
social ce qu'est le cerveau au corps humain. Cette image, 
qui se détache au milieu de beaucoup d'autres plus compli- 
quées, reste dans l'esprit : on s'y habitue, et h la longue on 
le conduit comme si elle était vraie. M. SchiefUe ayant fait 
école, d'autres ont surenchéri sur lui. Admire/, où l'on arrive 
avec c«s comparaisons. Voici comment s'exprime un auteur 



k. 



28 L'ÉTAT MOOERHE ET SES FONCTIONS. 

récent sur les Tonctions de l'Élat : « La société est un orga- 
nisme, un ensemble de fonctions, d'organes, d'unités vivan- 
tes. L'iinilé, la cellule sociale, ou, pour parler un langage 
plus scientifique, le protoplasma, est ici l'homme... Nous 
retrouvons dans la société les mêmes distinctions que dans 
l'individu en ce qui concerne les fonctions, les organes et 
l'appareil d'organes, ,. Ce que le cerveau est pour l'orga- 
nisme individuel, .l'État, le gouvernement, l'est pour la so- 
ciété : un appareil de coordination, de direction, de dépense, 
alimenté par des organes de nutrition. » 

Nous arrêterons ici cet exposé. On pourrait citer beau- 
coup d'autres images du même genre. Bluntschlî disait que, 
dans la société, l'État représente l'organe mâle et l'Église 
l'organe femelle. Beaucoup plus ingénieux, Proudhon com- 
parait l'État ou la société k la matrice, qui est naturellement 
inféconde, mais qui développe les germes qu'on lui a con- 
liës, et l'initiative privée à l'organe mâle. 

Toutes ces assimilations physiologiques sont des jeux 
d'esprit plus ou moins réussis. Elles embrouillent beau- 
coup plus qu'elles n'éclairent. Celle qui représente l'État 
comme le cerveau du corps social est non seulement fausse, 
mais nuisible; elle est un non-sens; elle conduirait à une 
subordination absolue des individus à l'État. 

On aura beau citer des passages de Goethe pour prouver 
que l'individu n'est pas unité, mais variété, on ne parviendra 
pas à prouver l'exactitude de toutes ces analogies. 

Il n'y a aucune comparaison possible entre les cellules 
du corps humain n'ayant qu'une vie végétative ou méca- 
nique, et les individus qui sont des êtres intellectuels, mo- 
raux et libres. Dans le corps humain, le système nerveux et 
particulièrement le cerveau sont les seuls centres de volonté 
et de pensée. Le pied ni la main ne pensent ni ne 
veulent. Dans la société, chaque individu est aussi bien 



L'ÉTAT. LA SOniETÉ ET L"INi)|VI0r. 



29 



doué (le pensée, de moralité, de prévojanco que l'iùlal. 

L'Élat peut, sans doule, avoir, à un moment dëleroiiné, 
pluid'iDtelligence, plu^ de prudence, plus de capacité que 
lel ou tel individu; il n'a pas celle siipériorilé nécessairc- 
menl et par nature. M. de Stein a beau dire que l'État est 
la plus haute Torme de la personnalité : ce n'est qu'une 
personnalité dérivi^e, qui emprunte à d'autres Ions ses 
moyens. Cette conception de l'État, la plus haute person- 
nalité qui soit, correspond beaucoup plus â l'idée de l'an- 
eton État théocratique on monarchique absolu, ou tout 
an moins de l'Étal monarchique prus&ien, à peine atteint 
(lu tiros représenlalif, qu'ù l'État parlementaire moderne, 
l'Étal électif, soit bonrgoois, soit démocratique. 

En fait, l'expérience prouve que l'État est un organisme 
mi» dans la m.-iin de certains hommes, que l'État ne pense 
pM et ne veut pas par lui-môme, qu'il pense et qu'il vent 
leiilement par la pensée et la volonté des hommes qui dé- 
lienneot l'organisme. Il n'y a rien ta d'analogue au cerveau. 
Ces hommes, se succédant et s'éliminant plus ou moins 
rapidement, qui détiennent l'État, qui parlent en son nom, 
ordonoeot en son nom, agissent en son nom, n'ont pas une 
autre structure physique ou mentale que celle des autres 
hommes, lis ne jouissent d'aucune supÉriorité naturelle. 
innée ou incnlqui^e par la prolession même. 

Le* lonclioRs d'État n'illuminent pas nécessairement 
rinlelligence, et n'épurent pas nécessairement les cœurs. 
L'É{{Iise peut enseigner qu'un homme Taible, revMu du 
sacerdoce, ett transformé et jouit de grâces divines. La 
Mciété démocratique ne peut prétendre que les individus 
porté* au pouvoir, et qcii sont l'Éiat légiférant et agissant, 
bénéAcienl do grAces spéciales d'aucune sorte. Elle n'oserait 
^^_- alléguer que l'Esprit saint descend sur eux. 
^^H L'absurdité de toutes ces comparnisons physiologiques. 



I 



:si) L'ÉTAT MODEH>E ET SES FONCTIONS, 

quanti un y cbercbo luilie chose que d'ingénieuses et vagues 
illusLralions, saute aux yeux de tout homme instruit. La 
matière du cerveau est une autre matière que celle du pied 
ou de la main : les éléments en sont tous différents : la 
rameuse substance grise, qui lui donne sa capacitd direc- 
trice et intellectuelle, est tout autre que la substance des 
membres. Au contraire, les molécules qui forment l'Etal 
concret et dirigeant ne sont pas d'une autre nature qœ les 
autres molécules sociales. 

L'I'Uat est. sans doute, un appareil régulateur et de coor- 
dination pour certaines Tondions essentielles. Mais ce n'est 
pas dans la société l'organe unique, ni même l'organe prin- 
cipal et supérieur, de la pensée et du mouvement. Il faut 
donc traiter comme une fantaisie, disons mieux, comme 
une niaiserie, cette allégation que l'État est au corps social 
ce que le cerveau est à l'individu. 

•" Une autre erreur, qui est tout aussi répandue et non 
moins nuisible, consiste à confondre l'État avec la société. 
Certains philosophes s'en rendent coupables, et le vulgaire 
les suit. Ces deux termes sont, cependant, loin d'Être syno- 
nymes. 

On oppose, en général, l'État h l'individu, comme s'il n'y 
avait entre ces deux forces aucune organisation intermé- 
diaire. On croirait, d'après certains théoriciens, que, d'un 
côté, on trouve 40 ou SO millions d'hommes isolés, dispersés, 
n'ayant entre eux aucun lien, incapables de combinaisons 
spontanées, d'une action commune volontaire, d'une coopé- 
ration libre en vue d'objets dépassant la puissance de chacun 
d'eux, et que, de l'autre cûté, en face de toute celle pous- 
sière sans fixité, se trouve l'État, la seule for^e qui puisse 
grouper toutes ces molécules pensantes et leur donner de 
la cohésion. On oQre alors à l'humanité le choix entre l'in- 
vasion de l'état dans toutes les branches de la vie écono- 



L'ÉTAT. r.A SOCIETE ET L'INDIVIOr. 31 

mîqne i^t les niDuvemenls .simplement instinctifs, les clîorls 
réputés incohérents, de 40 on 50 millions d'hommes, agis- 
sant chacun pour soi, sans concert, sans entente et s'igno- 
rant les uns les autres. 

Rien n'est plus faux que celte conception. Toute rbisloire 
la coDtredit, et le présent encore plus que le passé. Il ne 
but pas coorondre le milieu social ambiant, l'air libre, lu 
société se mouvant spontanément, créant sans cesse, avec 
anu fécondité inépuisable, des combinaisons diverses, et 
cet appareil de coercition qui s'appelle l'État. 

La société et l'Klat sont clioses différentes. Il n'y a p;is 
seulement dans la société l'ijtal, d'une part, et l'individu, 
de l'autre : il est puéril d'opposer l'action de celui-là à lu 
I tcnle action de celui-ci. On trouve d'abord la famille, qui 
[ Ml un premier groupe, ayant une e-tislence bien caracté- 
risée, ctqui dépasse celle de l'individu. 

On rencontre, en outre, un nombre illimité d'autres 
groupements, les uns stables, les autres variables, les uns 
formés par la naliiro ou la coutume, d'autres constitués 
. p»T UD concert établi, d'autres encore dus au hasard des 
I nnconlres. Les combinaisons suivant lesquelles s'unissent, 
I «'«griygcnt, puis se quittent et s'isolent les personnes liii- 
maines, sont au moins aussi nombreuses et aussi compli- 
quées que celles que la chimie peut constater et cataloguer 
pour les molécules purement matérielles. 
A c6lé de la force collective organisée politiquement, 
l procédant par injonction et pur contrainte, qui est l'Élal, il 
■urgit de toutes parts d'autres forces collectives spontanées, 
chacune faite en vue d'un but déterminé et précis, chacune 
agissant avec des degrés variables, quelquefois très intenses, 
d'énergie, en dehors de toute coercition. Ces forces collec- 
tive», ce sont les diverses associations qui répondent ft un 
■entiment ou à un intérêt, à un besoin ou à une illuaion, 




J2 L'ETAT MOriERNE ET SES FONCTIONS, 

les assouialiolis religieuses, les associations philanthropiques, 
les sociétés civiles, commerci^iles, financières. Elles Toison- 
nenl; la s6ve n'en est jamais épuisée. 

L'homme est un être riiii a, par nature, le goût de l'asso- 
ciatiiin, non pas de l'association fixe, imposée, immuable, 
rigide, lui prenant toute son existence, comme l'associalion 
innée des abeilles, ou des fourmis, ou des castors, mais de 
l'association souple, vaiiablu, sous toutes les formes. Ce 
goût de nalure, l'éducation et l'expérience l'ont encore 
développé chez l'homme. La plupart des associations an- 
ciennes, comme les Églises, subsistent, et chaque jour voyant 
créer des associations nouvelles, leur nombre finit par défier 
tout calcul. 

Vous parlez de l'individu isolé, mais où l'apercevez -vous, 
l'individu isolé? Je vois des groupements de tout ordre et 
de tout genre, groupements de personnes et groupements 
de capitaux ; je vois, en dehors de tout État, 300 millions 
d'hommes dans une seule église: je vois en dehors de tout 
budget national, des sociétés libres, disposant par milliers 
de plusieurs dizaines de millions, par centaines de plusieurs 
centaines de millions, par dizaines de plusieurs milliards, 
J'aperçois ce que l'on est convenu d'appeler les grandes 
œuvres de la civilisation contemporaine : ce sont, pour les 
trois quarts, sinon pour les neuf dixièmes, toutes ces collec- 
tivités, ne disposant d'aucune force coercitive, qui les ont 
elTectuées. 

Moi qui écris ces lignes, vous qui les lisez, faisons le 
compte, si nous le pouvons, des groupements dont nous 
faisons partie, de toutes les sociétés auxquelles nous appar- 
tenons de cœur, d'esprit ou de corps, de toutes celles aux- 
quelles nous donnons périodiquement une parcelle de notre 
temps ou une parcelle de notre avoir ; comptons, si noua le 
pouvons, le nombre d'hommes auxquels, en vertu d'un lien 



L ET*T, LA SOCIETE tT LllNOIVIDC. 33 

spécial d'association libre, nous pouvons dnnner le nom. 
soil de confrère, soit de collègue. 

La vie de chacun de nous est enlacée dans ce réseau pro- 
dt^eiix de combinaisons, pour des desseins divers qui con- 
CBmeiit notre proTession, notre fortune, nos opinions, nos 
goûls, nos délassements, notre conception générale du 
monde et nos conceptions particulières des arts, des lettres, 
dos sciences, de l'éducation, de la politique, du soulagement 
d'aulrai, etc. Que d'occasions de se réunir, de disserter, de 
sfi concerter, d'agir en commun I Qu'étaient tes repas obli- 
gés des Sparliates, les fj/mposia, à c&lé de tous ces ban- 
quets périodiques ou occasionnels qui viennent à chaque 
instant réunir les hommes de prolessions. d'opinion.^, de 
situations sociales diverses, la merveilleuse féconditi* de 
l'aMOciation privée faisant que l'on a toujours un point 
de contact, un terrain commun avec la plupart des autres 
bommes? 
Certains penseurs contemporains ont inventé un mot par- 
' ticulier, passablenieril barbare, pour désigner ces enchaîne- 
ments multiples et librement consentis des individus les uns 
diix autres; ils appellent cela Vintej-dépendftnre, el ils nous 
parlent avec émotion des progri-scroissantsde ce phénomène. 
Qu'on ne dise pas que l'ouvrier ou le paysan échappe à 
toutes ces combinaisons : lui aussi, presque toujours du 
inoîiia, fait partie d'une société de secours mutuels, d'une 
tion industrielle ou agricole, d'un syndicat quel- 
lUlre que, s'il a quelque avoir, ce qui est général 
rtle riche terre de France, il appartient encore i une 
' demf-douiainc de sociétés commerciales et financières. 
TouB les besoins collectifs ne sontdonc pas nécessairement 
maine de l'Ëtal. Que les philosophes daignent ne plus 
l'psrler de cette abstraction, l'individu isolé; qu'ils ne 
ItmaDdent pas, ain»i qu'ils le font parfois avec une 



34 L-ET\T MODEH.NIC ET SES FONCTIONS. 

émouvanLe nuïvelâ, commenL on aurait des banques, des 
caisses d'épargne, deâ hôpitaux, des monts de piété. eLc, si 
rÊtal ne daignait pas user de son pouvoir coercitif pour 
créer ces inslilulions. 

Nous nous trouvons ici en présence d'une troisième 
erreur. Aucun homme raisonnable ne peut nier qu'entre 
l'individu et l'État, il n'existe, il ne se constitue k chaque 
instant un nombre indéfini el croissant d'associations inter- 
médiaires, beaucoup tellement vivacos, tellement durables 
et tellement vastes, que l'État finit par en élrejjiloux el par 
en prendre peur. Ceux (jui le représentent formulent alors 
celte sentence qu'il ne doit pas y avoir d'État dans l'Etal, 
sentence absurde; car, ce qui caractérise l'Étal, c'est le 
pouvoir coercitif; ce qui caractérise les associations spon- 
tanées, c'est le simple pouvoir persuasif; à moins donc que 
l'État ne commette la faute de déléguer à cerlaines asso- 
cialions une partie de son pouvoir coercitif, on n'est jamais 
exposé à ce qu'il y ait un État dans l'État. 

L'erreur que nous visons eu ce moment consiste à croire 
que, en dehors de l'Élut, on ne peut rien créer qui ne soit 
inspiré par l'intérêt personnel sous la forme d'intérôt pécu- 
niaire. Les économistes et le plus grand d'enlre eux, Adam 
Smilh, se sont rendus coupables de celle méprise : « La troi- 
sième fonction de l'État, dit Smith, consiste à ériger et à 
entretenir certains établissements utiles au public, qu'il 
n'est jamais dans l'intérêt d'un individu ou d'un petit nom- 
bre de créer ou d'entretenir pour leur compte, par la raison 
que les dépenses qu'occasionnent ces établissements sur- 
passeraient les avantages que pourraient en retirer les par- 
ticuliers qui en feraient les frais. » 

Cette proposition d'Adam Smîtli est exagérée ; la concep- 
tion qu'il se fait des motifs auxquels obéit l'individu est 
incomplète. Les économistes se la sont appropriée en géaé- 



L'ÉTAT, LA SOCIÉTÉ IvT L'INDIVIDI'. 'JS 

rai, et leur bon renom en a souirert. Ih ont mutilé l'homme. 
U est faut ({ue la personne humaine soil uniquement 
conduite par l'intérfit personnel, ou du moins par la forme 
la plu.f grossière de cet intérêt, l'intérêt pécuniaire. Certes, 
«jital & lutter contre tant d'obstacles à sa conservaLion et à 
son bien-être, l'homme obéit principalement à un mobile 
qui est le principal, le plus habituel, le plus constant, le plus 
intense : l'intérêt personnel, qui, dans nos sociétés repo- 
sant sur l'échange des produits, prend la forme de l'intérêt 
pécuniaire. 

Mais, au fur et à mesure surtout que la civilisation se 
développe et que la richesse s'accrott, l'intérêt pécuniaire 
n'absorbe plus l'homme tout entier, ou du moins n'absorbe 
pas cDlièrcment tous les hommes. D'autres mobiles coexis- 
tent avec lui, so développent peut-être avec le temps plus 
que lui : les convictions religieuses, l'espoir en une autre 
vie, le ferme propos de la mériter par de bonnes actions, ou 
flimpletnent la sympathie, le plaisir de s'ennoblir aux yeux 
de ses concitoyens ou à ses propres yeux, le goût de se dis- 
tinguer, de Taire parler de soi, la recherche de certains hon- 
neurs électifs ou autres, une sorte de luxe se portant sur 
la raoralisation, l'éducalioD, le soulagement d'autrui, j'allais 
presque dire un genre raftiné de sporl qui so répand en créa- 
lion d'établissements d'utilité générale ; il y a là toute une 
variété de sentiments, très nuancés dans leur degré de dé- 
oinléreBsemenl, mais concourant tous au même but : Taire 
profiter la société d'une partie du superllu des individus. 
C'est donc tin des grands torts de beaucoup d'économiste! 
de réduire la mobile de l'actioa individuelle à l'intérêt pé- 
cuniaire. 

tes individus, soit par leur action isolée, soil surtout par 
l«ur contribution à des sociétés libres, ont dans tous les 
temps créé une foule d'établissements qui n'avaient pas 




38 L'ÉTAT MODERNE ET hES FONCTIONF. 

pour objet de donner un revenu : ils le fonl aujourd'hui en- 
core, peul-6tre plus que jamais. Toutes les anciennes fon- 
dations religieuses ont eu ce[l« origine ; ce n'est pas au 
cliristiiinisme qu'en échoit le monopole, quoique cetle reli- 
gion, plus que toute autre, enseigne l'iiniour du prochain. 
Allez dans les pays musulmans : voyez quelle énormité de 
biens, sous la dénomination de wakoufs ou de tt-akfs en 
Turquie et en Egypte, sous celle de habbous en Tunisie, ont 
été destinés par les particuliers à la satisfaction, soit des 
besoins moraux de l'humanité, soit des besoins physiques 
de ceux qui souffrent. A Tunis, par exemple, ces hahbuiifi 
abondent. Ils possèdent une part considérable de la ré- 
gence. Quelques-uns ont une charmante légende : on me 
montre un pnils au milieu d'une solitude, et l'on me dit : 
Une princesse arabe passa jadis par là, elle y souffrit de la 
soif; rentrée chej! elle, elle donne des fonds pour que ceux 
qui viendraient à passer dans le même endroit n'éprouvent 
pas le même tourment. 

Croit-on que dans nos sociétés industrielles, où la foi s'est 
peut-être émoussée, ces habitudes de largesse aient disparu, 
ces sentiments altruistes, comme dit Spencer, n'existent 
plus? Il faudrait, pour le croire, avoir les yeux fermés. 
M. d'Uaussonville et M. Maxime Du Camp nous ont raconté 
toutes les œuvres si diverses qu'a fondées Paris blcnfaisai)/. 
Ce n'est pas seulement par les institutions charitables que 
se manifeste la puissance de ce mobile d'action individuelle. 
Plus la richesse s'accroît, plus les grandes fortunes se for- 
ment, plus il s'en échappe des parcelles qui, réunies, devien- 
nent des trésors, pour fonder des établissements désinté- 
ressés. Les millionnairea américains donnent des millions 
de dollars pour dps universités; d'autres consacrent 10, 15, 
20 millions de francs ou davantage à construire des maisons 
011 les ouvriers aient un home confortable. 



L'ÉTAT, LA SOCIÉTÉ ET LINOIVIDU. 37 

Ici, lel philanthrope crée un musée ^1); telle veuve, en 
rbonneur de son mari, entreprend ft Paris, à Gènes, ailleurs 
encore, un ensemble de travaux qui atteint ou dépasse 
SO millions de francs (2). Tel manufacturier, enclin à l'uto- 
pie, consacre une grande fortune à fonder et à doter ce qu'il 
appelle un « palais social u ou » le fumilistère (3) ». Des 
écoles spéciales surgissent, que l'Klat. toujours lent et in- 
habile \ se faire une volonté, n'osait pas instituer; des 
oboles particulières seules les défrayent (4). Nos grands 
établissements scienliliques manquent d'instrumeuts per- 
fectionnés: tel grand financier tes leur fournit; le mémo 
crée un observatoire (ô). 

Voilil quelques exemples ; mais derrière ces dons, ariato- 
craliques par leur importance, que de dons plébéiens, et 
comme toutes ces menues monnaies, émanant librement du 
tout le moade,dépassentles donations les plus considérables! 
Nous avons délruit, croyons-nous, trois erreurs sur l'État 
et l'individu : il est faux (jue l'État soit au corps social ce 
que le cerveau est au corps humain ; il est faux que l'indi- 
vidu et l'État se trouvent seuls en présence, la société créant 
i fécondité merveilleuse un nombre incommensura- 
ble d'associations libres et intermédiaires; il est faux que 
l'individu obéisse à un seul mobile d'action. l'intérSt pécu- 
niaire ; l'homme privé suit aussi une autre tendance qui le 
pousse h s'occuper, en dehors de tout intérêt matériel, des 
bw oios collectifs ou des soufTrances d'uuirui. Lu destruction 
t trois erreurs si répandues va nous aider à démêler 
t l'État et ce que doit être son rùle. 



il) H. OuiiuHi. 

fSi M" U ducliesM lie Ualiera. 
(I) H. Godla. <!• Qaif. 

ni Un p«ut cilvr recule Lu Uarliuièn- à Lyuii, 1» coun Bitniber(tcr 
t f»ri*. l'Ëcnlr litire tli-ii nciuLMi (loliliquen vt tiien il'aulni. 
{hl V. Bapbafl BlKhnffsbrim. 



CHAPITRE V 

DÉFINlTiÛN DE L'ÉTAT. — LA GENÈSE DE SES FONCTIONS. 

Les humbles commeitceineiils de l'Ëtnt, page 38. — Les deux fonctions 
primilivea ; organe directeur de la triliu coolre l'flranger, organe 
d'un droi coiitumier élémenlnire, pagi' 3B. — Troisième fonction, 
poslâneure : contribution au dË vélo ppe ment social, pnge S9. 

L'organisme de l'État est essentiellement Goercilif : la double eoD' 
atrintc des lois et des impCts; pouvoir légieiatir ou réglementaire et 
pouvoir Dsca], page 40. — L'État se maniteste aux peuples civilisés 
BOUS la forme d'une trinité : autorité nationale, ootoritA provinciale, 
uutorité municipale, page 41. 

Genèse des fonctions de l'État, page 41. — Des allribulions qui 
semblent aujourd'hui inbârentes à l'État lui sont tardivement échues, 
exempte du âervico de sécurité iolérieiire, page 41. — La plasticité 
sociale tait oailre spontanément les organes qui sont indispensables 
k la, société, page 43. — Un léger degré d'ioBécurilÉ vaut encore 
mieux qu'un eicés de réglemeotation, page 43. 

C'est le principe de la division du travail qui a Investi déflnilive- 
ment l'Ëlat de diverses rouctioue jusque-là remplies par les groupe- 
ments spontanés et libres, page 44. — Parfois la plasticité de la so- 
ciété réagit contre les fautes de l'État eu abandonnant ses organes pour 
retourner à d'autres qu'elle crée spontanément, page 45, — La plupart 
des lois n'ont été à. l'origbe que des consécrations de coutumes nées 
instinctivement, page 45. — Le droit commercial a une origine toute 
privée, page 45. — Nombre d'entreprises qui semblent répugner à 
l'initiative privée et qui oot été itccumpiies par elle avec éclat, 
page 40. — Historiquement les associalioDs libres ont prâté leur con- 
cours à l'État pour des services dévolus à ce dernier; les fermiers 
d'impôts, pnge 48. 

L'Etat est absolument dépourvu de l'esprit d'invention, pngp 40. 
— Presque tous les progrés humains se rapportent h des « individua- 
lités sans mandat ", page 4D. — Toute collecllvité hiérarchique est 
incapable d'esprit d'invention, page 40. — Exemples divers de k 
stérilité d'inveation de l'État, page 50. — L'Étal est un organe critique, 
un organe de coordination, do généralisation, de vulgarisation, 
page 53. ~ L'État n'est pas la plus haute personnalité, page hi. — 
L'Etal est surtout un organe de conservation, page 5t. 

Qu'est-ce qae l'Élal? Question assez embarrassante à ré- 



L'ÉTAT, LA SOCIÉTÉ ET L'INDlVlDr. S'J 

soudre. Oa connaît lu belle conrérence de M. Renan sur ce 
thème : Qu'est-ce qu'une nation ? La nature et l'essence de 
ri^tnt ne sont pas moins dirQciles h. démêler. 

il ne faut pas chercher la réponse dans une conception 
purement philosophique. L'examen seul des faits bislotî- 
qiies. de l'évolution humaine, l'élude attentive chez les di- 
vers peuples de la façon dont vil, se meut el progresse la 
société, peuvent permettre de discerner avec quelque net- 
teté t'État concret, très diTcrs, d'ailleurs, suivant les pays 
el tuivaal les temps. 

Comme pour toutes les choses humaines, les commence- 
ments de l'État sont bien humbles. Dans le passé le plus 
reculé, l'Etat, c'est l'organe directeur de la tribu se défen- 
dant contre l'étranger; c'est aussi l'organe d'un certain droit 
élémentaire, d'un ensemble de rb^Ws simples, tradilion- 
oelles, coulumiêres, pour le maintien des rapports sociaux. 
Lo service de défense à l'extérieur, celui de la justice au 
dedans, voilii les deux fonctions absolument essentielles, 
irréductibles, de l'Ëtat. Dieu me garde de dire qu'elles 
Euffisonl h un peuple civilisé, comme certains économistes 
forcenés l'ont prêché longtemps] On verra dans le courant 
de ce» r-Uide» que, pour empocher l'État de se disperser à 
rialini, je ne lui fais pas moins une large part. 

Les deux services que je viens d'indiquer sont, toutefois, 

les seuls sans lesquels on ne peut concevoir l'État comme 

etislant. Chacun d'eux, le second surtout, celui de justice, 

|p Rtehtszivefk des Allemands, est, d'ailleurs, susceptible do 

singulières extensions, d'un détail chaque jour accru, de 

tlches qui llnii^sent par devenir énormes. 

Au fur et & mesure que la société s'émancipe, se com- 

^H^ plique et s'agrandit, qu'elle quitte la sauvagerie pour la 

^^1 barbarie, puis celle-ci pour la civilisation, une autre mission 

^^^ Bnit par échoir \ l'État, c'est de contribuer, suivant sa na- 



i 



iO 



L ETAT MODEHNE KT SES FONCTIONS, 
forces, Eans empiéter aucunement sur les autres 



ture et 

forces ni en gêner l'action, au perfectionnement de la vie 
nationale, à ce développement de richesse ou de bien-èlre, 
de moralitâ et d'inlellectualité que les modernes appeik'nt 
le progrès. C'est ici qu'on court le risque d'étranges exagé- 
rations. 

Nous parlons d'une contribution, d'un concours, d'une 
aide, nullement d'une direction, d'une impulsion, d'une 
absorption, L'État qui joue un rôle principal, quand il s'agit 
de la défense de la société contre l'étranger ou du maintien 
de la paix entre les citoyens, ne joue plus qu'un rôle 
accessoire lorsqu'il s'agit de l'amélioration des conditions 
sociales. Mais, si accessoire qu'il soit, ce rûle reste impor- 
tant, et très peu de gouvernements savent convenablement 
s'en acquitter. 

L'État concret, tel que nous le voyons fonctionner dans 
tous les paj-s. est un organisme qui se manifeste par deux 
caractères essentiels, qu'il possède toujours et qu'il est seul 
à posséder : le pouvoir d'imposer par voie de contrainte il 
tous les habitants d'un territoire l'observation d'injonctions 
connues sous le nom de lois ou de règlements administratifs; 
le pouvoir, en outre, do lever, également par voie de con- 
trainte, sur les habitants du territoire, des sommes dont 
il a la libre disposition. 

L'organisme de l'Étal est donc essentiellement coerciUr : 
la contrainte se manifeste sous deux formes, les lois et les 
impûts. Le pouvoir législatif ou réglementaire et le pouvoir 
fiscal, l'un et l'autre accompagnés de contrainte, soit effec- 
tive, soit éventuelle, c'est là ce qui distingue l'État. 

Que l'organisme qui possède ces pouvoirs soit central ou 
qu'il soit local, c'est toujours l'État. Les autorités provin- 
ciales, les autorités municipales, détenant, par délégation 
ou par transmission lointaine, le pouvoir réglementaire et 



I 
I 



L'ETAT. 1.A SOCIÉTÉ ET I/INDIVILIU. 41 

le pouTOir fiscal, soDt tout aussi bien l'Ëlat que l'organtame 
ceatral. 

L'État se inanireste, chez la généralité des peuples civili- 
sas, sous la Torme d'une trinité: te<: autorités natinnales, les 
autorités provinciales et les autorités municipales. Aussi, 
i-n étudiant le rôle et la mission de l'Ktat, doit-on tout aussi 
bien parler des provinces et des municipiilités que du gouver- 
nement national. Les abus aujourd'hui sont peul-ôtre encore 
plus criants de la pari de la manifestation la plus humble 
de l'État, la commune, que de la part de la manifestation 
sup'lrieure, le gouverne ment. 

Quelle est la légitime et l'utile sphère d'action des pou- 
voirs publics de toute nature, c'est-à-dire de ceux qui ont 
la contrainte à leur service? c'est ce que nous cherchons à 
discerner. Si l'on ne peut répondre à cette question par une 
formuli? absolument générale et simple, il est possible, en 
étudiant les divers services sociaux dans leurdéveloppement 
historique et dan« leur situation présente, d'indiquer quel- 
ques-unes des limites que l'État, sous ses trois formes, doit 
rcfpecter. 

Les aultinrs s'épuisenl à indiquer li priori les fonctions 
eisentielles et les fonctions facultatives de l'État. La plupart 
(le e«s classifications sont arbitraires. 

Il est impossible d'arriver th<.^ariquement & une démarca- 
lioD fixe entre la sphère de l'État et celle des sociétés libres 
ou des individus. Les deux sphères se pénètrent souvent 
l'une l'autre, et elles se déplacent. 

L'bistoire et l'expérience prouvent que, ii travers lus âges, 
des fonctions qui sont aujourd'hui considérées comme faî- 
uDt partie de l'essence même do l'État lui sont tardivement 
échues, que, tout au moins, elles ont été remplies partielle- 
Ofint pendant longtemps par des particuliers et les associa- 
tiont qu'ils formaient. La société est un être plastique, qui 



i 



42 L'ÉTAT MODERNE ET SES fON'CTIONS. 

jouil d'une merveilleuse facililé à s'adapter au milieu, à 
créer les orjranes qui sont indispensables à sa conservation 
ou à son progrès. On ne peut considérer comme fausse la 
doctrine d'Herbert Spencer, que toute institution conve- 
nable pour l'accomplissement des Tonctions sociales collec- 
tives éclfit spontanément. Cette pensée semble vraie dans 
une très large mesure, quand la société est abandonnéeù sa 
plasticité naturelle et qu'elle n'est pas ticrasée par la force 
autoritaire, par l'appareil de contrainte qu'on nomme 

nïtat. 

Quoi de plus naturel que d'idenliBer le service de sécu- 
rité avec lu notion de l'Étal? L'expérience prouve, cepen- 
dant, que des sociétés ont pu vivre, même se développer et 
grandir, imparrailement et lentement, il est vrai, sans que 
l'État se souciât beaucoup de la sécurité ou qu'il eût les 
moyens de la procurer a» pays, L'insécurité est, sans doute, 
un mal terrible, le plus décourageant pour l'homme : avec 
l'insécurité, il n'existe plus aucun rapport certain, parfois 
aucun rapport probable, entre les efforts ou les sacriDccs 
des hommes et la On pour laquelle ils consentent à ces sa- 
crifices et font CCS cfTorls. On ne sait plus si au semeur ap- 
partiendra la moisson. Non seulement le travail el l'écono- 
mie cessent d'Ûtre des moyens sûrs d'acquérir, mais la vio- 
lence en devient un plus sûr. 

La plasticité de la société, dans les temps anciens ou dans 
les temps troublés, résistait ù ce mal. On se mettait sous lu 
protection d'un brigand, plus loyal que d'autres; on faisait 
avec lui un abonnement, De U vient le grand rôle que jouÈ- 
rentles brigands dans les temps anciens et chez les peuples 
primitifs : certiiins d'entre eux étaient regardés, non plus 
comme des dévastateurs, mais comme des protecteurs. Les 
grands hommes de l'antiquité grecque et de presque toutes 
les antiquités sont souvent des brigands réguliers, corrects. 



I 

I 



L'fiTJkT, L\ SOCIETE RT L'INDlVini'. « 

Qdèlos h leur parole. Au moyen ûge, on retrouve fréquem- 
ment une situation analogue. Les petits propriétaires d'al- 
leus cherchent un appui en se plaçant sous le patronage de 
seigneurs plus puissants et deviennent, soit leurs vassaux, 
soit même leurs serfs, par choi<c. 

Au commencement des temps motlernes, ces sortes d'or- 
gantsxUons libres et spontanées, en dehors de l'État, pour 
pmcurer aux hommes une sécurité relative, n'ont pas en- 
tièrement disparu. En Espagne, l'association célèbre, la 
■aiiile llermandad, qui finit par être odieuse et ridicule. 
mais qui. dans les premiers temps de son existence, rendit 
des «ervices précieux; en Flandre, en Italie, les sociétés de 
métiers 011 antres, avaient souvent le m&me objet : procurer 
! la sécurité, soit à leurs membres, soit .iu public. 
Ces combinaisons des 9gea primitifs ou troublés laissent 
encore certaines traces : en An^ileterre et aux États-Unis, 
les conslables spéciaux, dans le Far-West américain surtout 
les lyncheun, sont les héritiers intermittents de toutes ces 
attocialiona libres faites en vue de la sécurité. 

Ainsi, mfime ce premier besoin, tout à fait élémentaire, 
qui nous parait aujourd'hui ne pouvoir être satisfait que par 
l'inlonrention directe et ininterrompue de l'Étiit, a pu l'être 
lutrefois par des procédés moins commodes, dans une mc- 
>ur« moins compli^te, par l'action des particuliers ou des 
■ociélés libres. 

L'insécurité est pour une société une cause de lenteur 

dans fon développement; elle ne la fait pas nécessairement 

rétrograder. L'oppression seule amène inévitablement le rc- 

t. Si \e* pachas turcs et lo personnel qu'ils commandent 

conlontaicnt de protéger médiocrement les vies et les 

», si, du moins, ils n'étaient pas assujettis à des rhange- 

lU fréquents et qu'ils pussent mettre quelque régula- 

dsns leurs exactions, la Turquie ne dépérirait pa«. 



ii l.'ETAT MODEIINF. ET SES FONCTIONS, 

dépérissement est dû à l'aclion, non seulement brutale, 
mais épuisante, d'oppresseurs instables. La simple insécu- 
rité aurait des elTets moins (;rnves. 

Il ne faut, certes, pas en conclure que, dans les sociétés 
modernes, le premier devoir de l'État ne doive pas être de 
garantir la sécurité ; mais il est utile d'indiquer que, dans le 
cours de l'iiistoirc, la plasticité de la société a pu. pour la 
salisraction relative de ce besoin primordial, suppléer l'ioer- 
lie de l'Etal par des organisations spéciales qu'elle créait 
spontanément. 11 est bon aussi d'ajouler que, même dans le 
temps présent, pour un très grand nombre de transactions, 
un léger degré d'insécurité vaut encore mieux qu'un excès 
de réglemenlalion. 

Ce qui a investi définitivement l'État, d'une manière 
constante et exclusive, de ce service de la sécurité, c'est le 
principe de la division du travail. 

L'économie politique a singulièrement éclairé toute l'his- 
toire humaine et même l'histoire naturelle, quand elle a 
donné tant de relief, sous la plume d'Adam Smilti, au prin- 
cipe de la division du travail. C'est ce grand principe éco- 
ijumique qui a constitué successivement ta plupart des 
fonctions de l'Etat. 

Une foule de tâches, que la société souple et libre ne se- 
rait pas incapable de remplir par elle-même, qu'elle a même 
remplies pendant des siècles, sont échues graduellement à 
l'ï^tat, parce qu'il peut s'en acquitter mieux, plus économi- 
quement, plus complètement, avec moins de frais et d'ef- 
forts. 

Ainsi, telle ou telle fonction spéciale et détinilive s'est 
constituée avec netteté, s'est détachée de la société pour 
échoir à l'État, quand les conditions modîtiées de celle-là et 
de celui-ci ont fait qu'il devenait plus expédient que telle ou 
telle t&che fût exercée par une force générale coercitive que 



I.ET»T. LA SOCIETE ET LlNniVinC. i'^ 

I par des forces particulières el inlermitlenles. Ceux qui, sur 

I tes confins du Far-\V'est, lyncbent les criminels, n'ont ni le 

nps, ni les conditions d'espril nécessaires pour s'acquitter 

toujours convenablement de leur lâche; des juges permn- 

nents valent mieux. De même pour les constable» spéciaux, 

pour les pompiers volontaires, pour ces balayeurs spontanés 

que ToD voit encore à Londres; dos escouades moins nom- 

j fare'ises, mais permanentes, de gens professionnels, rem- 

[ pli^sent mieux ces offices. 

C'est donc le principe de la division du travail qui. in- 
I consciemment appliqué, a Tait passer h l'Ktat certaines 
fonctions que la société exeri;ait instinctivement et que 
IKlal organise avec réflexion. 

Cette sorle de dôpart qui se fait graduellement entre les 

attributions de l'Étiit et celles de la société libre a pour ob- 

I jet de laisser aux individus plus de temps pour leurs tlches 

\ privées, tout en >irgnnisant mieux certains services. Aussi 

doit-on considérer comme des esprits nUrogrades ceux qui 

nous proposent do revenir au jury civil, aux tribunaux 

d'arbitres; ft moins, toutefois, qu'on ne veuille voir dans ces 

teodancei une réacUon salutaire contre les abus que l'Étal 

I a introduits dans l'accomplissement des tAches dont il s'est 

I chargtï ; la plasticité de la société réagirait alors contre ces 

[ fautes de l'État en abandonnant les organes qu'il a insti- 

[ tué» pour retourner ù d'autres qu'elle crée spnntanémenl. 

On pourrait pousser très loin cet aperçu historique de la 
I genèse des fonctions de l'État. Ainsi, le pouvoir législatif 
[■ que l'Élat s'est attribué en certaines matières, comme les 
questions commerciales, no lui a pas toujours été dévolu : il 
ne lui est écbu que lard et par morceaux; il a été <l'abord 
exercé par les individus et les sociétés libres; la fécondilf^ 

L: i;yjj ,||, commerce avait découvert certains procédés 
lux. la lettre de change, le billet à ordre, bien d'aii- 



I 

I 

I 

■i 

v 

d 

I 



1 



iS L'ETAT MODtllMi liT SES FONCTiOKS. 

très encore, les marches à termes sous toutes leurs formes, 
les combinaisons à primes, etc.; h coutume avait réglé 
l'emploi de tous ces moyens; les usages commerciaux eu- 
rent ainsi une origine spontanée successive; l'Étal finit par 
y mettre la main, s'en emparer, les généraliser, les perfec- 
tionner parfois, souvent aussi les déformer. 

Il faut donc condamner la superiicialilé de ces philoso- 
phes qui.habilanl les nues et apercevant confusément sur 
cette terre l'Etat en possession de certains instruments, s'i- 
maginent que c'est lui qui les a créés, et jettent des cris de 
Jcrémie quand on leur parle de la fécondité d'invention des 
associations privées. 

Non seulement le droit commercial a cette origine spon- 
tanée, mais encore les agents généraux et protecteurs du 
commerce, les consuls, étaient d'abord les syndics de cer- 
taines communautés de négociants ; ils devinrent plus lard 
(les fonctionnaires publics; la juridiction commerciale a 
passé par les mêmes vicissitudes. 

Dans presque tous les ordres de l'activité humaine, on 
aperçoit des groupements libres d'individus se chargeant à 
l'origine d'organiser divers services d'intérêt général, que 
l'bltal ensuite, au bout do bien des siècles parfois, régu- 

Ainsi pour la viabilité : dans un intérêt militaire, les États, 
soit anciens, soit modernes, ont exécuté, avant le xviii" sii>- 
cle, quelques rares chaussées. Ils s'acquittaient par là non 
pas d'une fonction économique, mais d'une fonction straté- 
gique. Les associations privées faisaient te reste : les bacs, 
les ponts créés par ces confréries spéciales, qui, dans le 
Midi notamment, étaient appelées pontifir.es, les routes à 
péage en Angleterre et dans bien d'autres contrées, les ponts 
à péage aussi, instruments primitifs si l'on veut, mais qui 
ont de longtemps précédé les travaux publics accomplis au 



I 



L"ET*T. U SOCIETE ET LINDIVIDl. 47 

moyen d'impùls, les porls mêmes et les liocks, œuvres de 
compagnies, Tontlés et enlreteiiiis suivant le piincipe rigou- 
reusement commercial, toutes ces créations spontanément 
èdose» ont laissé encore aujourd'hui, surtout dans la 
G raniitt- Bretagne et, par un singiiliei' contraste, dans quel- 
ques pays primilifs, des traces inléressantes. La seule route 
qui existe en Syrie, celle de Beyrouth à Damas, est l'œuvre 
et la propriété, surQsammenl rémunératrice, d'une compa- 
gnie privée, d'une société Trani^aise. 

Des entreprises qui, par leur caractère encore plus émi- 
nemment désintéressé, semblent répugner ^ l'initiative pri- 
réc, ont cependant, bien des fois, été accomplies par elle 
avec un éclatant succès. Sluart Mill classait encore parmi 
le* œuvres qui revenaient de droit et de fait à l'Etat les ex- 
plorations scientillques. Pourrait-il se prononcer ainsi au- 
jourd'hui? Même il y a trente ans, il eût dû se montrer plus 
drconspcct. Il oubliait que le doyen et lu plus remarquable 
peut-ftlre dos voyageurs de l'Europe moderne, Marco Polo, 
était un flU et neveu de négociants, qui accompagna son 
pire et son oncle dans un voyage de commerce k la cour du 
grand khan des Mogols, et de là se répandit dans toute 
l'Aue. Il ignorait surtout notre incomparable Caillié, qui, 
■ans aucunes ressources et aucun appui, traversa, au début 
de ce siAcIe, le coin redoutable de l'Alrique nord-occiden- 
Ule, du Sénégal au Maroc, en passant par Tombouclou, 
luDroée hasardeuse qui ne Tut refaite qu'un demi-siècle 
aprift par un jeune voyageur allemand. 

SluartMill encore ne pouvait pressentir que la première 
traversée d'outre en outre de l'Arrique, de la mer des Indes 
à l'Atlantique, serait accomplie par un aventurier libre, qua 
subventionnèrent ces forces nouvelles, deux grands jour- 
naux, l'un américain, l'autre anglais. 

Dieu me garde de prétendre que l'Etat, en Espagne, ea 



a 



iR I.'ETAT MnQEIlNE ET SES FONCtlONS. 

Portugal, en Angleterre, en France, plus récemment aîl- 
lenrs, n'ait pas puissamment aidé aux voyages de décou- 
vertes et ù la prise de possession du monde I Ce que je veux 
démontrer, c'est que, parmi les attributions que certains 
théoriciens étourdis revendiquent pour lui comme un mono- 
pole, il en est beaucoup qui ont pu et qui peuvent encore 
être exercées de la Façon la plus heureuse par les groupe- 
ments libres, soit des bommes riches, soit des hommes ins> 
truits, soit des hommes dévoués, soit des hommes curieux, 
soit de ceux qui mettent en commun une parcelle de ri- 
chesse, de dévouement, d'instruction et de curiosité. 

Bien loin que l'État soit A l'origine de toutes les grandes 
œuvres d'olilité générale, on constate, au contraire, histo- 
riquement, que les associations libres ont constamment 
prôLé leur outillage à l'État pour les services les plus incon- 
testablement dévolus ft ce dernier. 

L'État pendant longtemps, beaucoup d'Élals môme au- 
jourd'hui, dans une certaine mesure encore l'État français, 
n'ont pas su ou ne savent pas faire rentrer leurs impôts. De 
là ces compagnies privées, ces fermes qui se chargeaient de 
recouvrer les contributions sous l'empire romain, dans la 
vieille France, sous nos yeux encore pour certaines taxes 
PU Espagne, en Houmanie, en Turquie, hier en Italie et en 
Kspagne, que dis-je! dans beaucoup de communes françai- 
ses, qui trouvent plus économique d'alfermor leurs droits 
d'octrois que de les percevoir elles-mêmes. 

L'exposé historique auquel nous nous sommes livré laisse 
sans doute subsister une grande diriicullé : puisque la plu- 
part des attributions, aujourd'hui considérées comme es- 
sentielles à l'Étal, ne lui ont pas appartenu primitivement, 
qu'elles sont restées longtemps dans la main de particuliers 
ou d'associations libres, qu'elles ne sont échues à l'État que 
graduellement par la lente application du principe de la 



I.ETAT, L\ SOCIETE ET [-■INDIVIDU. 40 

division du travail, b grande colleclivité, armée du pouvoir 
de contrainte, étant plus capable de les généraliser que les 
collectivités spontanées et variables qui ne possèdent 
que le pouvoir de persuasion, comment fixer, soit 
le présent, soit dans l'avenir, la limite des attributions 
del'KUt? Ce même exposé historique, cependant, va nous 
y aider eu nous faisant mieux connaître les caractères gé- 
néraux de l'État. 

La première observation dont il est impossible de n'élic 
pas pénétré, c'est que l'État usl absolument dépourvu de 
l'esprit d'invention. 

L'titat est une collectivité rigide, qui ne peut agir qu'un 
moyen d'un appareil compliqué, composé de rouages nom- 
breux, subordonnés les uns aux autres ; l'I-llat est une biérar- 
cbie, »oil aristocratique, soit bureaucratique, soit élective, 
où la pensée spontanée est assujettie, par la nature des 
cliosos, à un nombre prodigieux de contrAles, Une pareille 
machine ne peut rien inventer. 

L'Étal, en elU'l, n\i rien inventé et n'invente rien. Tons 
IcM progrés humains ou presque tous se rapportent à des 
noms propres, k ces hommes hors cadre que la principal 
ministre du second empire appelait « des individualités sans 
mandat. •> 

C'est pur " les individualités sans mandat » que le monde 
avance et se développe : ce sont ces sortes de prophètes ou 
d'inspirés qui représentent le ferment de la masse humaine, 
naturellement inerte. 

Toute collectivité hiérarchisée est, d'ailleurs, incapable 
d'invention. Toute la section do musique de l'Académie des 
beaux-artt ne ponrra produire une sonate acceptable; toute 

I celle de peinture, un tableau de mérite; un seul homme, 
Littréi a fait un dictionnaire de premier ordre bien avant 
les quarante de l'Académie française. 



l 

1 



50 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Qu'on ne dise pas que l'art et la science sont des œuvres 
personnelles et que les progrès sociaux sont des œuvres 
communes; rien n'est plus inexact. Les procédés sociaux 
nouveaux demandent ime spontanéité d'esprit et de cœur 
qui ne se rencontre que chez quelques hommes privilégiés. 
Ces hommes privilégiés sont doués du don de persuasion, 
non pas du don de persuader les sages, mais de celui de 
gagner les simples, les natures généreuses, parfois timides, 
disséminées dans la foule. Un homme d'initiative, parmi les 
iO millions d'habitants d'un pays, trouvera toujours quel- 
ques audicieux qui croiront en lui, le suivront, feront fortune 
avec lui ou se ruineront avec lui. Il perdrait sontemps à vou- 
loir convaincre ces bureaux hiérarchisés qui sont les lourds 
et nécessaires organes de ta pensée et de l'action de l'État. 

Aussi, voyez combien stérile, au point de vue de l'inven- 
tion, est cet être que certains étourdis représentent comme 
le cerveau de la société. L'État, tous les États, ont d'abord 
et par-dessus tout une vocation militaire : ils représentent 
avant tout la défense du pays. C'est donc les États, leurs 
fonctionnaires, qui devraient, semble-l-ll, faire la généralité 
des inventions et des applications relatives à la guerre, 
fk la marine, à la rapidité des communications. Il n'en est 



C'est il un moine, ce n'est pas à l'Etat, qu'on rapporte l'in- 
vention de la poudre à canon. Dans notre siècle, c'est un 
simple chimiste, appartenant au pays le plus pacifique de 
l'Europe, le Suédois Nobel, qui invente la dynamite. Michel 
Chevalier, en juillet 1870, attire l'attention du gouvernement 
impérial sur ce formidable explosif; pendant le second siège 
de Paris, M. Barbe, depuis ministre de l'agriculture, prie 
M. Thiers d'employer cette substance nouvelle; ces deux 
gouvernements, si dilTérents par les hommes et par les prin- 
cipes, ne prélent aucune attention à ces propositions. 



I 



L'ETAT. LA SOCltTE ET L'INUIVIDI'. SI 

II en va des découvertes de la marine comme de celles de 
la guerre: le marquis de Jouffroy, en 1776, fait naviguer 
5Ur le Donbs le preniier bateau à vapeui' : il demande des 
encoura^emenls au ministre Galonné, qui le repousse. Mau- 
vais ministre, dira-l-on ; mais, dans la série nombreuse des 
niinislres de lout pays, il s'en trouve au moins autant de 
mauvais ou de médiocres que de bons. C'est li un grand 
homme du moins, à un vrai grand homme. Napoléon, que, un 
quirt de si<)cle après, s'adresse Fulton, et ce grand homme 
d*Klat considère ses essais comme des enTanliUages. Si l'É- 
tat dédai^e la vapeur et est lent à l'appliquer, ce n'est 
pan lui non plus qui invente ou qui applique le premier 
rbélîce. L'inventeur Sauvage passe d'une maison de dettes 
dans une maison de Tous. 

four los communications publiques, il en est de même. 
Trois petits chemins de Ter fonctionnent en France, à la Un 
de la restauration, créés par l'inilialive privée, sans sub- 
vention d'aucune sorte: l'Étal met une dizaine d'années k 
discuter ïur le meilleur régime des voies terrées, el, par seii 
lurgiver»aUons, sus absurdes csigencea, il relarde d'autant, 
comme nous le montrerons plus tard, le développement du 
réseau Terré dans notre pays. 

La drague à couloir de M. Lavalley avait creusé depuis 
dit ans le canal de Suei, qu'on commençait à peine à l'in- 
Irixtuire dans les travaux de ports exécutés par l'État Tran- 
çau. Ni IrscSblea sous-marins, ni les percements d'isthmes, 
ni aucune des principales œuvres qui changent la Face du 
inonde, ne sont dus ù l'État ou aus États. 

Les téléphones se répandent dans toutes les administra* 
lions privées avant que l'Étal s'en occupe. Ensuite plusieurs 
ÉlaU los veulent conllsquur. Du mi^me. pour la lumière élec- 
trique dont, par ses niaises exigences, le conseil munici- 
palde l'ari» retarde dedix ans la propdgutiondanscelle ville. 




Sa L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

L'État moderne affecte une prédilection pour l'inslruc- 
tion : ce sont des particuliers qui créent l'École centrale 
des arts et manufactures; ce sont des industriels qui instî- 
tuent les écoles de commerce de Mulhouse, de Lyon, du 
Havre, 

L'État, dans un rare moment d'initiative, veut fonder une 
école d'administration; il n'y réussit pas. Un simple parti- 
culier crée l'École libre des sciences politiques, et lui ga- 
gne en quelques années, dans les deux mondes, une écla- 
tante renommée. 

L'État se lasse des anciens procédés d'instruction qu'il 
avait empruntés à une société privée, celles des jésuites, et 
il se prend d'engduemcnt pour l'œuvre d'une autre société 
privée, celle de l'École Monge; il veut aussitôt en généra- 
liser les principes sur tout le territoire. 

Ce n'est pas que nous voulions contester les services que 
l'État rend d'autre pari, les perfectionnements de détail que 
plusieurs de ses ingénieurs ou de ses savants introduisent ou 
répandent. Certes, l'État a à son service des hommes dis- 
tingués, des hommes éminents; la plupart, cependant, 
quand ils en ont l'occasion, préfèrent quitter l'administra- 
tion orUcielle où l'avancement est lent, pédantesque, ai^su- 
jptti au népotisme ou au gérontisme, pour entrer dans les 
entreprises privées, qui placent immédiatement les hommes 
au rang que leur assignent leurs talents et leurs mérites. 

Comment en serait-il autrement? L'esprit, comme dit 
l'Écriture, souffle où il veut. La sagesse moderne a traduit 
celle grande pensée par celte autre formule : Tout le monde 
a plus d'esprit que Voltaire. Ce n'est pas dans les cadres ré- 
guliers, prudemment combinés, que s'enferme l'esprit d'in- 
vention; il choisit dans la foule ceux dont il veut faire 
une élite. 

En disant que l'État manque essentiellement de la faculté 



I 



L-ETAT. U SOCIfiTK KT I/1NI)IV1DI', S:t 

rioreotioD et de l'aplilude à l'application prompte des dé- 
couvertes, nous n'avons pas l'intention de le dénigrer, de 
l'offrir en pâture aux sarcasmes. Nous consentons simple- 
ment sa nature, qui ;i des mérites dilTérenls, opposés. 

An point de vue social aussi, l'Klat ne sait rien découvrir : 
ni la lettre do change, uî le billet h. ordre, ni le chèque, ni 
les opérations multipliées des banques, ni le clearing honte, 
ni l«s ossuraDces, ni les caisses d'épargne, ni ces divers 
modes înjçénieux de salaire que l'on appelle participation 
aux lién^llccs, ni les sociétés coopératives, ne sortent de In 
pensée ou de l'action de l'bltat: toutes ces combinaisons in- 
génieuses surgissent du milieu social libre. 

Qu'est donc l'Ktat? Ce n'est pas un organe créateur, loin 
lie U. C'est un organe critique, un organe de généralisation, 
de coordination, de vulgarisation. Cest surtout un organe 
de conservation. 

L'État est un copiste, un amplificateur ; dans ses copies 
et ses adaptations des entreprises privées, il a bien des chan- 
ces de commettre quelques erreurs ou de multiplier à fin- 
Uni celles qui se trouvaient diias l'original dont il s'éprend. 

U intervient après les découvertes, et il peut alors leur 
prfiter un certain concours. Mais il peut aussi les étoufTer : 
dans t'inlervention de l'Klat, qui peut être parfois bienlai- 
•aote, il y a toujours i) craindre cet élément capricieux, 
brutal, accapareur, ce quia twminor ho. U possède, en elTet, 
un double pouvoir, qui est une terrible force, la contrainte 
légale et la contrainte fiscale. 

De ce que l'État est ainsi absolument destitué de la Ta- 
Cutté d'invention, de ce qu'il possède seulement, dans des 
iDMures très variables, l'esprit d'assimilation et de coordi- 
nation, il résulte que l'État ne peut être lo premier agent, 
U cause principale du progrès dans la société humaine; il 
ne saurait jouer le rAle que d'un auxiliaire, d'un agent de 




54 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

propagation, qui risque toutefois, par une présomption ma- 
ladroite, de se transformer en un agent de perturbation. 

Il descend ainsi du trône où on voulait l'élever. 

Il en résulte encore que l'État n'est pas la plus haute per- 
sonnalité, ainsi que le prétend M. de Stein; c'est la plus 
vaste personnalité, non la plus haute, puisque le plus mer- 
veilleux attribut de l'homme, l'invention, lui fait défaut. 

Avant d'entrer dans le détail des tâches dont s'occupe la 
trinité de l'État — pouvoir central, pouvoir provincial, pou- 
voir communal, — il nous a semblé utile de réfuter ces er- 
reurs et de poser ces principes. La mission de l'État en de- 
viendra plus claire. 



LIVRE II 



CARACTERES PARTICULIERS DE L'ËTAT MODERNE. 
SES FAJBLES3ES. - SON CHAHP NATUREL D'ACTION, 



CHAPITRE PREMIER 



«ATUHE DE L'ÉTAT MODEHNlî. — L'ÉTAT ÉLECTIF ET k 
PERSONNEL VARIABLE. 



L'tttt moderne et ucctiteotal ii(Tr« dei caractères particullera qui le dii- 
tlQgiioDt d« beaucoup d'ËUU anciens et de loua les Étals orieotnui, 
pago Ui. — L'Etat modorne rcpo«e sur la délégation temporaire de 
l'autaiité parcvux qui lu doivpiit aubir, pagc.îT. — IdOe quel» volonté 
du grand nombre (ail la loi, que Iob rorces gouvernementales doivent 
fin cmployéei daus l'intérOt dos claises laborieuses; dédain de la tra- 
dition, CABflance naire dans les ebai)|(R mental léglilatifi. page 58. 
— Le préjugé général cit coatre Ica mosurt audennei et lei ancicnueg 
iortltutiont. page 58. — Action décîtive qu'ont sur la direciion de 
l'Etat moderne les généraliona les plus Jeunes, pago 59. — Souinii- 
•Ion d«« p*res aux enfants, page 59. — L'expérience historique est 
loin lie l'éLre prononcée en faieur de relie orgaaisaUon, p.igu 00. 



Un appareil de coercition, soumettant tous les ciloyeni 

h U double conlrainle de U loi qui règle cei'laius actes de 

Icor vie et de l'impôt qui prélève une Torlû partie de leuri 

ressources; une machine, nécessairement compliquée en 

^^ proportion de l'extension et de la variété des tâches aux- 

^L quelles OD la destine, comprenant un nomhregëDiralement 

^^^ ffoisunt lie rounces siiperposé>4 on encbei&trés. ne pou- 



3 



r>ù l.'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

vant agir, sous peine de se détraquer, qu'avec lenteur et 
uniformité, voilà ce qu'est essentiellement l'État, dès que 
lu société a Tranchi les premières étapes delà barbarie. 

Nous avons reconnu que, par sa nature, cet organisme 
manque de l'un des plus beaux attributs qui soient échus à 
l'homme : l'esprit d'invention. 

Aussi l'État nous a-t-il apparu dans l'histoire comme 
ayant surtout pour objet la conservation de la société ; plus 
tard lui est incombée la généralisation graduelle et prudente 
de quelques règles ou de quelques procédés que découvre 
l'initiative des particuliers ou des associations libres, et qui, 
pour que la nation en relire tout le profit qu'elle en peut 
attendre, ont besoin du concours non seulement de la gé- 
néralité des habitants, mais de l'universalité. 

Cette seconde tâche comporte une réserve importante : 
comme la société humaine ne se développe et ne progresse 
que par l'esprit d'invention, et que ce don manque absolu- 
ment ft l'État, qu'il appartient en monopole à l'individu 
seul et aux groupements variés et infinis que forme libre- 
ment l'individu, l'Etat doit veiller avec un souci atlenliT, 
ininterrompu, à circonscrire son action propre, de sorte 
que, sauf les cas d'évidente nécessité, il ne porte aucune 
atteinte h l'énergie individuelle et à la liberté des associa- 
lions privées. 

J'ai dit que dans ces études je ne me propose pas de par- 
ler de l'État en soi, abstraction diriicilement saisissable. 
mais de l'État moderne. Je n'ai pas à rechercher ce qui 
convenait au temps de Lycurgue ou de Constantin, non plus 
qu'à m'occuper de la mission qui actuellement peut échoir 
h l'état chinois ou Ihibëtain. 

Sans doute, le fond de l'homme étant toujours le même, 
et les règles qui déterminent son activité ayant, sauf des 
différences d'intensité, partout la même nature, on peut 



I 
I 



ahactehes Particuliers m: i.'ktat modehsr. ht 
dire que la généralité des observations que suggère, quant 
i la sphère de son action, t'Elat moderne et occidental, 
pourraient, quoique à des degrés divers, s'appliquer i^ TÉ- 
lat ancien el à l'élat asiatique. Il est bon de se circonscrire, 
toutefois, dans l'espace et dans le temps. L'Élal moderne 
et ocddenlal ofTre des caractéristiques particulières qui le 
reodont tantôt plus qiialitiê et plus upte, tantût moins apte 
el moins qualifié pour certaines taches, 

One doit-on entendre par l'État moderne et occidental ? 
C'est l'État reposant principalement sur la délégation tem- 
poraire de raiilorité par ceux qui la doivent subir. C'est 
l'Étal électif et fk personnel variable. 

San; doute, dans tous les temps et h peu près dans tous 
les pays, l'élection a joué un certain rûle dans la constitu- 
tion lie l'État. Mais, pour l'Ktal moderne et occidental, il ne 
«'agit plus d'un rôle accessoire, subordonné, d'un simple 
contrôle ; le principe électif y a tout envahi et tout absorbé. 

Dans le vieux monde, la France et la Suisse, dans le 
nouveau-monde, lotis les États, sauf le Brésil, ^ont ceux 
qui présentent, de la façon la plus accentuée, ces traits 
propre* à l'Etat inodt'rno et occidental. Les autres pays ap- 
partenant à notre groupe de civilisation, la Russie seule 
esceptée, se trouvent dans des conditions, sinon identiques, 
du moins assez analogues : il existe chez certains d'entre 
eux quelque contrepoids au régime électif ; ce i^ont, tou- 
tefois, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, dans les 
KUls Scandinaves, on l'ortugal. en Espagne, en ItaUe, au 
Brésil, eu Autriche même, des contrepoids assez faibles et 

i n'eropécbunl pas le principe électif d'avoir la direction 
générale de la politique dans ces Etats. 

L'Allemagne, ou plutAt la Prusse, est placée aujourd'hui 
. des conditions difTérenles. Le principe électif y a été 
sériememenl contenu, plus encore par les événements et 



38 ■ I.'KTAT MOUEBNf: ET SES KUNCTIONS. 

pai- l'ascendant de certains hommes, exceptionnellemenT" 
bien doués et exceptionnellement heureus, que par les 
constitations. Celles-ci laissent la porte ouverte ;\ des aspi- 
rations qui nécessairement se feront jour tôt on tard el no 
pourront manquer d'obtenir quelque satisfaction. 

Quels que soient les rouages gouvernementaux, l'opinion 
publique, chez, tous les peuples chrétiens, obéit aujourd'hui 
aux mêmes impulsions générales: l'idée que la volonté du 
grand nombre Tait la loi, que les forces gouvernomenlales 
doivent être employées autant que possible à soulager les 
classes laborieuses, un certain dédain de la tradition, une 
confiance naïve dans les changements législatifs. Telle est 
l'atmosphère sociale où se meuvent les peuples modernes 
occidentaux. 

Le plus vieux poète latin dont des lambeaux d'ouvrages 
nous soient restés, Ennlus, pouvait écrire : 



Mnribiis . 



t Biu 






Aujourd'hui, bien peu de gens se soucient des mœurs an- 
tiques: le préjugé général est contre elles. Un réformateur 
social, M, Le Play, pouvait prêcher aux peuples contempo- 
rains de restituer à la vieillesse l'influence prédominante 
dans la vie publique. Je ne sais si cela serait désirable, mais 
il n'y a guère d'apparence que cette doctrine converlisse 
le* peuples. 

Il se rencontre, sans doute, dans la politique, quelques 
vieillards qui y tiennent une place éminente, naguère en 
France, àl'heure présente en Allemagne, en Angleterre et en 
Italie ; mais ce sont, d'ordinaire, des hommes au tempé- 
l'ament ardent et audacieux, qui, pur une de ces fantaisies 
que se permet parfois le grand âge, se font les serviteurs 
des idées de la génération la plus récente et sont souvent, 
à leur déclin, plus amoureux des nouveautés qu'ils ne l'é- 



CAHACTÉRES PAHTICULIERS Dl: L'KTAT MÙDEHNE. 39 

laîCDt dans leur jeunesse ou leur maturité. M. Gladstone en 



I 



fournit la preuve, peut-être aussi 

Les générations récentes ont, si 

l'État moderne, une action décii 

du poids de leurs sniïragcs : de ' 



tf. Thiers. 

ir la direction générale de 
ive ; elles pèsent d'abord 
ingt et un an à vingt-cinq 



uii, il y a en France !,400,tH)0 électeurs, et, en dêralquant 
ceux qui sont retenus dans les rangs de l'urmée, il reste 
encore I million déjeunes hommes, presque des adoles- 
cents, citoyens tous actifs, dont bien peu s'abstiennent, qui 
rorment le dixième du corps électoral inscrit, et le huitième 
tMiviron du corps électoral pratiquant. 

Ces générations nouvelles pèsent encore plus par leur 
influence : on sait que dans lu famille moderne, ce n'est 
pas en général le père qui dirige l'enfant adulte, mais ce 
dernier qui dirige le père (Ij ; si l'on lient compte, en ou- 
tre, de ce que, dans tous les pays, les partis politiques en 
lutte ne sont séparés que par un nombre assez restreint <ti.' 
suffrages, on en peut conclure que lu partie hi plus Jeune 
et II moins expérimentée de la nation se trouve, chez les 
peuples modernes, en possession réelle de la conduite des 
affaire». 

Je n'examine pas ici si cet étal de choses doit être consi- 
déré comme déllnitir. Il oflre quelques avantages et beau- 
coup d'inconvénients. 

11 eit difUcile do penser que cette organisation sera le ré- 
gime oti l'humanité fera son lit pour ne le plus changer. 
Uatre que les pouplesorieulnux, dont certains, notamment 
1m Chinois, semblent appelés îi faire prochainement leur 

il) 011« UOiUui-'v u>>t |>a« propre imiqueniRiit ù lu Fraoro et aux 
Euti-UlU* <l'Aui«riquii : ou la retrouve ut^iup mi Hu«#ie: ou pput t'eu 
caa*ailicr« parle runui liv Tourgataet, Pi'nn el h'nfanh ; l'iulear tut*e 
vajutqu'A rrpriMDler Gomine dMTipillarJB.cii n il ut 1 ratio» béate devaut 
l*ar*onbDti,tli)* humuion ilc qu.iraaii- .1 quaruiil<'-«in(( tu* apparie a an t 
i tm d»"p Hi-yèr on oioycnae. 




00 L'ÉTAT MODERNK tT SES FO^CTIO^S. 

enli'éo sur la scène de la politique universelle, obéif^seuL ù 
une conceplion toute dilTérenle de la vie sociale, l'étude de 
rhistoire ne fait pas augurer très favorabloment de l'organi- 
salion que nos pères ou nos grands-pères ont accueillie avec 
tant d'enthousiasme. 

Le passé paraît démontrer que leR rois ou les aristocraties 
font les Étals et que, abandonnés à eux-mêmes, les peu- 
ples lei défont. 

Je me garderai bien de faire des prévisions précises sur 
l'avenir. Mais il ne nie semiile pas invraisemblable que, 
après un temps forl long peut-être, des tUlonnemeuLs pé- 
nibles et des secousses diverses, les nations aux lerriloires 
très peuplés, entourées de voisins dangereux, reviennent aux 
grandes monarchies administratives, comme celle de l'an- 
cienne France, avec plus de contrôle et de contrepoids, ou 
piutùt comme la monarchie prussienne actuelle, ou encore 
comme l'empire romain dans ses beaux jours, qui durèrent 
bien deux siècles. 

Mais ce sont là des conjectures : voyons ce que l'État 
moderne, l'Ktat, plus ou moins électif et l'i personnel insta- 
ble, peut et doit faire pour la coiiseivalion des sociétés cl 
pour la civilisation. 

Comparons les vastes ambitions qu'on lui souffle aux 
moyens dont il dispose et aux résultats qu'il peut alteindre. 



CHAPITRE II 



IlO.SSEQfENCES DE LA NATUBE PAIITICULIERE Oli; L'ET\T 
MODERNE. 



I.'^l Diodcnie ««t lu [iroie successive île tous ke eugoueiueDb. pa^f 6Ï. 
~ L'Étal iDOil<>riu< ly'prfsente  sa plus biute puissance l'enROiiement 
mnmrntauè île Is 'niajorilé de Irt Dation, pagf^ G3. — Les diScrenle.* 
Mjrte* iI'rngouRUienI dont l'Ëtiit moderue peut Sire In proie, pogo 
M. — Lfs élections sont comme un<> phalogrdphîr iustaulance qui 
uinL 110 cheval uu galop et lu repréfteolc èleriiellemeut fcslopsul. 
pag« (1. — Lu légisklion, daui Ivs Etats moilvroca, eat, de oAcesiiité. 
prmiUM toujours outrée daus lu scuk <le l'nclinii ou dons le sens de 
Ia rAàcliuu, page Gf. 
te tvraituage pari «m en taire ; heureux effets de l'obslruclion el du 

Irtftrtndwn, pnge 64. 
L'État moilrron « pvii de suite dans les idée» et dans le personnel, 
pagp (la, — Le jiriarjpe : vicloribu* t/iolia, pag" OJ. — S'il fvite ce 
ptril. l'Étal tombe dans lu gfronloeratit, pngo 06. 
L'Etat moderne tuntique par d^finllion tattan d'ImparliallU, piir«- 
qull pst le goiireroeuieul d'un parti, |mgc 0*. — Le parti an pou- 
roir n'en a Jamais que la pouessiuu précaire, page OR. — Le pHucipi- 
de ta division du travail er4e la clanM des politiciens avec tous leurs 
•lc«a, p«ge 08. -* La possession précaire du pouvoir par le» dôton- 
Iffurt di< l'Ëlat mmleme leur donne une activitr) papillonne, page Qi>. 
— Effets aiMtlogue* pniduiU par les rleipotismes orieiilaux el par la 
démoeralle conteraporniDe : pillage des ressources publiques, page Cl). 
L'État moderne ii^ conçoit presque jamais le« intËrèls sociaux tous 
Isur lorme p^ulbétique, page 70. — Il est plus fensible aun intorAt* 
tmmfdiati.iuème secondaires, qu'à un grand intérêt éloigna, page 11. 
Le* (tinclioimaires do l'Ëtat n'oal ni le stimulant ni le freiu de l'in- 
tirèt ppnannel, pagi^ 71. — L'État est soustrait aux conditions de In 
coocurrcuc»'. page lî. — Hépoiise i l'objection de la concurninec vi- 
tale entre te» partis et entre les États, page 7Î. — Du prétendu droit 
Ar. aécMalon. page 73. — L'AmigmtiuD personnelle, page 7t. — tlotils 
trop oubliés lie modestie de l'Etal moderne, page 7i>. 
DC! 
consé 



Des caraclères généraux de l'Klat moderne découlent des 
conséqueoees graves. Il esl absurde que la plupart des 



63 L'ETAT MODERNE ET SES KONCTIOMS. 

gens qui trailent du rôle de l'Ëlat les passent sons silence. 

La premiÈre, c'esL que l'Étal moderne sortant, par des 
délégations k courle échéance, de la masse des citoyens, 
non seulement n'est pas en principe plus intelligent qu'eux, 
surtout que les plus éclairés d'entre eux, mais qu'il est 
assujetti à tous les préjugés successifs qui dominent le 
genre humain et qui l'entratnent : il est la proie tour àtour 
de tous les engouements. 

Bien plus, il est il chaque moment particulier en quelque 
sorte le résumé, l'accentuation, l'intensification du genre 
spécial d'engouement auquel était enclin le pays lors du 
plus récent renouvellement des pouvoirs publics, c'est-à- 
dire lors de ta dernière élection des chambres. 

Un n'a pas assez signalé ce caractère du l'État moderne : 
l'Ktal moderne e.vprime pour quatre ans ou pour cinq ans 
la volonté, non pas do l'universalité de la nation, mais de la 
simple majorité, souvent d'une majorité purement appa- 
rente ; bien plus, il exprime cette volonté telle qu'elle s'est 
manil'estée dans une période d'excitation et de lièvre. Les 
Élections iie sont pas précédées de jcilnes, de prières, de 
retraites ; elles ne se font pas dans le silence et dans la 
médilalioTi; mSme alors elles seraient déTectueuses, parce 
(|u'il est conforme à la nature humaine que les élections 
suionl toujours influencées par l'intrigue et par ce prestige 
dont jouissent les gens turbulents, les agités, les ambilieus, 
les politiciens professionnels auprès des âmes timides el 
molles qui forment, en définitive, la grande masse du corps 
électoral. Les éleclions se font dans le bruit, dans le va- 
carme, dans l'ahurissement. 

L'électeur moderne ressemble assez au pauvre diable que 
le sergent racoleur happait autrefois dans un carrefoui', 
qu'il grisait de promesses et de vin, et auquel il faisait si- 
gner un engagement pour l'armée. Ce sont les mêmes pro- 



I 



CaHACTEbES l'AElTl'UïtlEHS DE L'ETAT MODEUNE. fi:i 

cédés que Ton emploie. Ainsi l'État moderne lepréseiitc en 
i;énéral, t^levé !i sa plus haute puissanee, l'engouement mo- 
Rtentanédela majorité dp la nation. 

Or, il o'est aucun temps qui n'ait &es engouements : l'cn- 
(;oueniei)t de la Torce et de la répression, l'on^ouemout 
pour U liberté individuelle illimitée ; l'engouement pour les 
les Iraraux publics ou pour une nature particulière de Ira- 
vaux publics, les chemins de Ter, les canaux, les monn- 
mcnts: l'engouement pour la religion ; l'engouement contre 
la religion ; l'engouement pour l'instruction publique sous 
toutes lus Tormes ; l'engouement pour la tutelle et la régle- 
mentation ; l'engouement pour la liberté des échanges; 
l'engouement pour la restriction des échanges cl la protec- 
tion, etc. li est mille formes d'engouements divers auxquels 
«uccessivement cède une nation. 

Chacun de ces engouements, c'est-à-dire chacune de ces 
conceptions incomplètes ou excessives, olFre des périls pour 
la société, périls de toute nature. L'Ktal devrait prendre à 
lAcbe de résister à ces entraînements, <k ces caprices, de les 
dominer, de les contenir. Loin de là : par la nature même 
de «on origine, l'Ëtat moderne multiplie en quelque sorte et 
prolonge pendant quatre ans ou cinq uns un engouement 
momentané. 

L'£tat moderne représente la nation ù peu près comme 
la photographie instantanée représente un cheval qu'elle 
saisit «u galop et qui reste pour elle élernellemenl galopant. 

Aussi la législation chez les Htats modernes va-t-ellc pres- 
(|ue toujours plus loin qui' ne \c désirerait l'opinion publi- 
que, devenue rassi'e après l'excitation des élections. De là 
vient que souvent une chambre est suivie d'une antre qu'a- 
nime un esprit contraire ; ainsi s'expliquent également la con- 
tradiction fréquente, le démenti presque immédiat qu'en tout 
pays les élections partielles infligent aux élections générales. 




i 



6t L'ETAT M(1DE!^^E KT SKS FÛ^CTTO^'S. 

La législaLion dans les ÉtaU inoderncs esl, de loule néces- 
sité, presque toujours outrée, soit dans le sens da l'action, 
soil dans le sens de la réacUon. Les trois quarts du temps 
d'une législature sont employés à défaire ce qu'a fait la lé- 
gislature précédente ou l'avant-derniére. A cette intempé- 
rance et à cet excès de législation, il y a deux remèdes : le 
premier, c'est l'obstruction dans le sein du parlement; le 
second, c'est le référendum, ou la ratification par le corps 
électoral entier des lois importantes que les chambres vien- 
nent de voter. 

On n'appréciera jamais assez les énormes ser\ices que 
l'obstruction parlementaire rend aux nalions; elle assure 
leur repos et la continuité de leurs conditions d'exislence ; 
pour une bonne mesure peut-être dont elle retarde l'adop- 
tion, il en est neuf mauvaises ou inutiles qu'elle rejette dans 
les limbes. Le célèbre " massacre des innocents » auquel se 
livre, dans les derniers jours de la session, le parlement 
anglais, est le plus souvent la meilleure œuvre de la session. 
De même l'on aurait tort de se départir en France, comme 
un l'a proposé, de la pratique qui rend caduques toutes les 
propositions qui, ù l'expiration des pouvoirs d'un parlement, 
n'ont été votées que par une seule chambre. 

On a beaucoup parlé du n surmenage u scolaire, mais pas 
assez du " surmenage » parlementaire, qui est bien plus 
réeletplusdangereux. Contre le (I surmenage » scolaire, on 
a pour garantie ou pour refuge l'heureuse faculté d'inatten- 
tion dont jouissent les enfants; leur corps est présent à la 
classe, leur esprit en esl souvent absent; contre le « surme- 
nage 'I parlementaire, un a pour refuge et pour garantie 
l'heureuse obstruction, si calomniée, avec tous ses procédés, 
soit ingénieux, soit naïfs. Il faudrait, cependant, à une so- 
ciété démocratique qui veut 6lre sérieuse, uu autre frein, le 
rfferendum, ou la sanction populaire aux lois principales : le 



I 

I 
I 



•URALTtRKS l'AHTlCl'LieU? DE L'ÉTAT MODERNE. G5 

rrfrrtndum eal l'arme défensive que les sociétés doivent toii- 
joDra garder en réserve contre les entraînements de leurs 
mandataires irrévocables. 

Le premier grand vice de l'ËInt moderne, qui consiste en 
ra qu'il inlensiflc et prolonge pendant plusieurs années 
coméculives l'engouement ou l'entraînement que subissait 
le pays durant quelques jours, nous conduit \ une seconde 
Taiblcsse qui dérive de lu première. L'Étal moderne n'a pas 
une suite complète dans les idées, et il en a peu dans le 
personnel. 

Nous pouvons nous contenter, croyons-nous, d'énoncer 
cett« proposition sans qu'il soit bien nécessaire de la démon- 
trer. Tous les pouvoirs sortant d'élections qui se déjugent 
souvent, le personnel qui représente l'Etat est très variable- 
Plus le principe électif lient do place dans l'État, plus cette 
instabilité se fait jour. Autrefois elle n'atteignait que les 
fnloiftreset certaines hautes fonctions bien rémunérées; elle 
tend maintenant à pénétrer le corps administratif tout en- 
tier. La lutte politique, dans la plupart des pays, se livrant 
entre deux corps do doctrines sans doute, mais surtout en- 
tre deui armées de politiciens avides, la plupart sans res- 
sources et affamés, il en résulte que le triomphe de chaque 
camp doit amener une épuration générale. 

Plus h société approche du régime démocratique pur, 
plus cette instabilité s'accentue : elle Dnit par devenir une 
règle et trouver une formule. Quand l'un des présidents les 
plus fougueux des États-Unis, le général Jackson, pronou<;a 
le fameux mol Mctoiibus ipotia. aux vainqueurs les dépouil- 
les, il parlait une langue qui est comprise des politiciens 
des deux mondes, et qui tend ù devenir universelle. 

La France, sur ce point, se fait américaine. Pour ne citer 
({u'on peUt fait, qui est singuli6roment signiflcatif, en I88T. 
1 l'enterrement d'im haut fonctionnaire du ministère des 




66 L'ÉTAT MODEHNE ET SES FONCTIONS. 

flnances, l'un de ses collègues, bien connu d'ailleurs, 
prenait la parole en qualité de doyen, disait-il, des directeurs 
généraux du ministère: ce doyen avait <iuarantc-cinq ou 
quarante-six ans, sinon moins. Que de révocations ou de 
mises prématurées à la retraite n'avait-il pas fallu pour ame- 
ner ce décanat précoce! 

Les anciennes monarchies, ou même une monarchie con- 
temporaine autoritaire, comme celle de Prusse, sont dans 
de tout autres conditions. Lh on tombe plul6t dans la géron- 
tocratie. L'État, en effet, échappant, pour le recrutement de 
ses fonctionnaires, à ce choix éclairé, réfléchi, indépendant, 
auquel se livrent en général les particuliers pour les per- 
sonnes qu'ils emploient, il lui est difHcile d'éviter l'un de ces 
défauts : on lecaprice qui substitue cbaquejourde nouveaux 
venus, sans apprentissage, aux hommes expérimentés; ou 
une fixité qui fait de l'avancement à l'ancienneté la règle 
habituelle, qui décourage la plupart des natures d'élite, et 
qui maintient souvent au delà de leurs forces, dans de hauts 
postes, des personnages vieillis. Ce dernier inconvénient, 
toutefois, est moindre que le premier. 

Miens vaut encore, pour la bonne composition des servi- 
ces publics, que le fonctionnaire soit considéré comme le 
propriétaire de sa fonction; c'est le cas en Prusse, ou plutôt 
dans toute l'Allemagne. L'emploi une fois obtenu y est pos- 
sédé, sinon à vie, du moins pour une longue période fixée 
d'avance, sauf le cas très rare de fautes professionnelles évi- 
dentes (I). Le fonctionnaire prussien est à peu près aussi 
propriétaire de son rang et de son traitement, nous ne disons 
pas précisément de son poste, que l'offlcier français l'est de 



(1) Die Ernennung giebl, sofort oder [Ôftert) iiaeh einrr bKaltmmtea 
ProbeteU eiaen RtchUanapruch otifiia» klagloi vci-wallrlt Aint. be:. ouf 
deasen Besol'tiing [Geiiall), Ihiila die Lebemieit, theUs aiicii nur fùi- 
beilimmle langrre Ptriodai, elc. (Wftgncr, Fi'ianî-Hisjenir/ia/';, [, p.OB), 



CAHXCTËRES PARTICULIERS DE L'ÉTAT MODERNE. C: 

son grade. Même alors, il reste toujours le reproche de gé- 
ronlocratîe et de l' insu TU sauce des concours pour juger du 
mérite h l'entrée et aux divers échelons d'une carrière. 

Da l'instabilité du personnel de rb)t.at moderne, en dehors 
des monarchies fermement autoritaires, il résulte une cer- 
taine incohérence dans Taction de l'État, ou du moins une 
difflcullé H r^ire moiiToir la machine avec régularité, avec 
précision, avec souplesse, avec ménagement, de manière h 
)uj faire produire tout son elTet, sans lésion ni trouble pour 
personne. Pour la netteté de lu volonté et la continuité in- 
telligente de l'effort, rÉtul moderne reste ainsi Tort an-des- 
sou»des individus bien doués et des corporations bien con- 
dotles. 

Nous arrivons à un troisième déraut, qui est, à certains 
égards, le plus grave de tous, et qui, se mêlant aux autres, 
contribue à les développer et h les rendre plus nuisibles en- 
core. En théorie, l'Étatreprésenleruniversalitédes citoyens; 
l'Ëlat est donc théoriquement l'être impartial par excellence. 
Or, dans l'Étal moderne, cette impartialité est une pure 
illoiion ; elle n'existe pas, elle ne peut pas exister. Les mo- 
narchies absolues et incontestées peuvent prétendre à cet 
idéal de la souveraine imparliahté; il u'esl guère possible 
qu'clli-s l'atteignent complètement ; mais il n'y a rien dans 
lear constilntion même qui les en éloigne. Au contraire, 
conttjtutionnellement l'Ktat moderne, l'Étal reposant sur 
l'élection, ne peut pas être impartial : cela est contraire à 

■ %a définition même, puisqu'il est le gouvernement d'un 
parti. 
L'État, tel que le conçoivent aujourd'hui les peuples occi- 
denlaux, cit le mandataire réel, non pas de l'universalité 
des citoyens, mais de la simple majorité, en général d'une 
^^_ faible majorité, instantanée, momentanée, précaire, variable. 
^^H Non seulement c'est un parti au pouvoir, maïs un parti tou- 



I 
I 



68 



L'ETAT MOOERNE tT SKS TONCTIOMS. 



jours menacé par le parti livnl, craignanl toujours de per- 
dre ce pouvoir qu'il a difncilement conquis. Or, ce ne sont 
pas seulement des idées, des sentiments, ce sont aussi des 
intérêts qui, dans nos âpres sociétés contemporaines, peu- 
vent être favorisés par la possession du pouvoir. 

Un ministre célèbre, grand théoricien, disait un jour que 
la politique n'est pas l'œuvre des saints. Devançant cet aveu, 
l'ICcriture, toujours si merveilleusement perspicace, a assigné 
aux violents la conquête môme du ciel : violcnti rapinni U- 
lud. La violence dans les luttes politiques modernes se dis- 
simule le plus souvent sous la ruse et l'intrigue, mais la 
prirtialité reste. Elle est encore accrue par un des ellets de ce 
principe si actif, la division du travail et la spécialisation 
des proftissions. La conduite des alTaires d'État devient un 
métier, non pas gratuit; on vit de l'Etat, comme on vit de 
l'autel; mais il y a partout deux personnels rivaux, sinon 
trois ou quatre, qui se disputent celte pitance, l'un jeûnant 
pendant que l'autre se repaît, chacun ayant sa clientèle et 
tenu de la satisfaire. 

Ainsi, l'État moderne, que les philosophes elles abslrac- 
teurs considèrent comme la plus désintéressée de toutes les 
pursonnalités, est, en fait, voué à la partialité, à la partialité 
snns relâche. Quelques hommes d'État, d'un esprit élevé, 
d un cœur personnellement détaché des intérêts purement 
pécuniaires, peuvent essayer d'échapper à cette tendance ou 
de la modérer; ils n'y réussissent guère, ils sont obligés de 
faire de constants sacriliccs au parti qui les a portés et qui 
les soutient; s'ils ne sont pas partiaux par inclination, ils 
sont obligés de le devenir par lactique et avec résignation. 

Si l'on s'en tenait à la simple théorie, on croirait aussi 
que l'État est la personnalité la moins pressée qui soit, celle 
qui, pour l'exécutioD de ses volontés, a devant elle le temps le 
plus étendu, qui peut ne pas se hâter, faire tout avec mesure 



CAttACTBRES PAHTICliLIERS DH; l.'BTAT MODi^RNE. 69 
et arec poids. C'est encore là une erreur : les détenteurs de 
l'État tnodt^rnesonl des déten leurs précaires ; ils savent qu'ils 
n'auront que deux, trois on quatre ans, rarement sept ou 
huit, pour exécuter leurs plans, pour satisfaire leur parti. 
Des ministères de dix, quinze ou vingt années, comme ceux 
de Sully, de Richelieu, de Colbert, de Louvois, sont en 
dehors de leurs visées. Il faut qu'ils agissent vile, sans hésita- 
tion, sans repos, sinon le rival qui les talonne, le successeur 
présomplir, qui est l'ennemi, les surprendra, les renversera 
aTaot qu'ils aient rien fait. De là cette activité papillonne qui 
efllenro ioiit à la fois, qui s'étourdit de son perpétuel bour* 
donnement. 

On sait combien la possession précaire est fatale à une 
terre, à une entreprise; cette possession précaire a pour les 
Étais des inconvénients analogues, moindres, si l'on veut, 
quand est bornée U sphère d'action que la coutume ou les 
Ims ouvrent aux pouvoirs publics, mais énormes quand 
celte sphère d'actioa est étendue et qu'elle tend à devenir 
illimitée. 

Voyex comment des inslitutioas contraires en apparence, 
mais assez semblables au fond, conduisent à des résultats 
analogues. On sait que certaines monarchies de l'Orient ont 
des ministres qui changent à chaque instant : le désordre 
administra tir et le pillage du trésor en sont la conséquence. 
he* États modernes ont, eux aussi, un personnel variable, 
et qui tend chaque jour à le devenir davantage ; il en dérive 
les marnes effets : la dissolution administrative et le pillage 
des ressources publiques. 

Ce pillage, il est vrai, s'opère d'une autre manière, sui- 
vant ane méthode plus hypocrite, avec des formes plus 
douces, en général avec des formes légales. On s'approprie 
^H le bien de la communauté par des créations de places 
^^1 superflues, parla mise prématurée h la retraite de fonction- 



I 



7(1 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

naires parfaitement valides et capables. De \fl, en France, les 
100 millions d'augmentation du chiffre annnel des pensions 
depuis quinze ans; de là encore l'institution de 200.000 fonc- 
tionnaires nouveaux au moins, dans la môme période. Ainsi, 
malgré l'opposition des étiquettes gouvernementales, les 
intrigues elles caprices des despotes d'Orient, les intrigues 
et les caprices du corps électoral produisent des elîets 
de môme nature. 

Nous n'avons pas épuisé l'éniimération de tous les traits 
particuliers qui caractérisent l'Etal moderne et qui inQuent 
sur Ions ses actes. L'un de ces traits les moins connus, et 
dont les conséquences sont les plus graves, c'est la façon 
générale dont l'Étal moderne, l'État électif, conçoit les 
inlcrôls de la société, et dont il cherche par conséquent à 
les satisfaire. 

Par suite de son origine, qui est l'élection incessante, 
toujours dispuLée et à peu près indécise, 'l'État moderne ne 
conçoit presque jamais les intérêts sociaux sous leur forme 
synthétique ; il ne les aperçoit que morcelés, dans la situa- 
tion d'anlagontsmeles uns avec les autres. Il n'a, pour ainsi 
dire, jamais en vue que des intérêts particuliers; l'intérêt 
absolument collectif lui échappe, lise ligure, comme le vul- 
•gaire, que l'intérftl général n'est que la somme des divers 
intérêts particuliers, ce qui est une proposition d'ordinaire 
vraie, mais qui ne peut pas être toujours admise sans 
réserve. S'agil-il d'une des questions les plus débattups de 
notre temps, celle des relations douaniL-res avec rélranger? 
Chacun des intérêts particuliers engagés dans la protection, 
ou du moins qui s'y croient engagés {car ces intérêts parti- 
culiers se trompent souvent eux-mêmes et sont parfois la 
dupe d'apparences), frappera beaucoup plus l'Etat moderne 
que le stimulant général, le surcroît graduel de vitalité 
qu'un régime commercial libéral assurerait à l'ensemble du 



CARACTÈRES PARTICULIERS DE L'ETAT MODERNE. 71 

pays. De même pour les travaux publics, de même aussi 
pourl'inslructton, dem^me pour la Torce nationale. 

Ainsi qu'il est plus Trappe des intéiëU particuliers que de 
l'iatérCt synthétique de la nation. l'Etat moderne, par les 
mCmes raisons d'origine et de pouvoir précaire, est aussi 
plus sensible aux intérêts immédiats et présents qu'à un 
ialérèt plus grand, mais dilTéré ou lointain. En cela il est 
un contradiction avec une des plus importantes missions de 
l'Êlat, qui est de préserver l'avenir, môme l'avenir fort 
éloigné. 

Voici encore deux autres faiblesses qui, celles-ci, ne 
s'appliquent pas seulement ù l'État moderne, l'Etat éleclif, 
mail h tous les Étals. Au point de vue strictement proTes- 
«unnel, dans les œuvres teclinîquea qu'ils dirigent, les fonc- 
tionnaires publics n'ontni le stimulant ni le frein de riutéiét 
personnel. 

Dans les conditions habituelles où ils opèrent, ils se trou- 
vent, dans une certaine mesure, détachés de leur œuvre, 
ou (lu moinit de certaines des conséquences de leur œuvre. 
Sans doute, ils peuvent être animés de sentiments élevés, 
(te xèle pour le bien général ; mais ce zélé n'a pas cette 
sanction qui consiste dans le cunlre-coup immédiat et 
néceuaire des résultats pratiques de leurs travaux. L'hon- 
neur même, qui de tous les sentiments dont ils sont ins- 
pirés est 1^ plus hout et le plus efOcace, peut quelquefois 
le* Induire en faute. Ils prennent souvent le change sur le 
caract&ru de leur mission; ils cherchent le grand nu lieu 
de Totile, ce qui peut les dislin.i^uer et les honorer, au liiu 
des tâches vulgnircs et hanalcs qui conviennent au train 
de cbaqne jour, ils se placent, même pour des entreprises 
communes, à un point de vue esthétique qui conduit à un 
gaipillago de forces ; on le voit pour les routes, les chemins, 
les écoles. 



I 



k 



li L'ETAT MODERNE KT SES ruNCTlONS. 

J'arrive à la dernière des faiblesses de l'Étal, quel qu'il 
soit, moderne ou ancien, républicain ou monarchique, 
tempéré ou despotique. L'État est soustrait aux conditions 
de la concurrence, la plus énergique de toutes les forces 
sociales, celle qui tend le plus au perrectionoement de la 
Bociélé et de l'individu. 

Avec ce double pouvoir de contrainte légale et de con- 
trainte fiscale qui lui est dévolu, l'État, quand il agit sur 
le territoire de la nation, n'a pas à redouter qu'on le sup- 
plante, qu'on l'annule, qu'on le supprime. Étant une per- 
sonnalité sans rivale, puisqu'il est la seule de son espèce, 
il est à l'abri de celle éviction, de cet anéantissement, 
auxquels sontexpo^fSs les individus ou les associations libres 
qui remplissent mal ou mêdiocremenl leur tâche. 

On fera peut-être ici quelques objections : on dira que, 
si l'État, considéré in absfraclo, est soustrait à toute con- 
currence, les partis politiques qui se disputent l'État et qui 
le possèdent tour à tour sont, au contraire, dans la situation 
de concurrents constants et acharnés. Cela est vrai ; mais 
l'objection, pour n'être pas absolument dépourvue de 
portée, [j'en a qu'une insuffisante. Ces partis en lutle sont 
bien des critiques sévères les uns des aulres, des ennemis 
sans merci; mais, en dehors des idées générales qu'ils ser- 
vent et qui diffèrent, leurs procédés pratiques d'adminis- 
tration, leurs défauts qui tiennent fl leur nature, sont, avec 
quelque diversité d'intensité, à peu près les mêmes. 

Une autre objection plus fondée, c'est que la concurrence 
vitale existe pour l'État, sinon dans j'inlérieur même du 
chaque État, du moins dans ses relations avec les étals 
voisins; elle se manifeste môme de la façon la plus éner- 
gique, la plus dramatique, parla guerre, l'invasion, le dé- 
membrement ou l'annexion. Ici l'objection est exacte : la 
guerre est l'un des modes de la concurrence entre les États : 



CARACTERES l'AHTlCL'LlEHS DE [.'ÉTAT MOiiEHM;. Til 

il n'y a pas de doute que les peuples faibles, par vice d'or- 
ganisation on de direclion, par lâcheté, unt été dans le 
passé la proie îles peuples Torts: el, n'en déplaise Ù ceux 
qui rtvent la pais universelle, rien ne prouve qu'il en doive 
ûire autrement ù l'avenir. 

Hais ce mode de concurrence entre les peuples ne s'ap- 
plique pas à l'ensemble de l'activité des nations ; il concerne 
une manirestalion particulière de cette activilê, l'organisation 
militaire el rorganisalion politique, dont, en dépit des 
jugements superficiels, la première dépend essenliellement. 
Pui», c« genre de concurrence n'agit qu'?! diissez longs 
intervalles, qui n'ont pas une périodicité régulière; on 
l'oulillc. on le perd de vue: il n'a sur la plupart des esprits 
que cette Taible influence qu'exercent sur les natures peu 
prévoyantes les événements incertains et à échéance indé- 
terminée. 

Un puhliciste ingénieux a supposé qu'on pourrait un 
jour instituer entre les I^tata une concurrence permanente, 
palpable, toujours nglssunlo : il la voyait naître déjà, en 
l'absence même de l'hypothèse de guerre : « L'idée de sou- 
mtUre les guuvcrnements au régime de la concurrence, 
écrit M. de Molinari, est généralement encore regardée 
comme chimérique. Mais, sur ce pulnt, les faits devancent 
pfiot-ttru la théorie. Le droit de sécession, qui se fraye 
aujourd'hui son chemin dans le monde, aura pour coDsé- 
quence nécessaire l'i^lnblissement <le la libtrlé ite youveme- 
ment. Le Jour où ce droit sera reconnu el appliqué dans 
toute ion étendue naturelle, la roncuirence poUHifue servira 
du complément ft la concurrence agricole, industrielle et 
commerciale.!' El. plus loin, le spirituel auteur ajoute: 
> Pourquoi les monopoles politiques ne disparallraieut-ils 
pas à leur tour comme oont en train de disparaître les mo- 
nopole!' industriels et commercinux .' " 



CHAPITRE III 



COMPARAISON DE L'ETAT MODERNE ET DES SOCIETES 
ANONYMES. 



Allégation que les viens dp l'État modems sont auMÏ ceux des gociéUi 
anonymes qui aujourd'hui accaparent la production, page 77. — 
l'remitrc réponi<(' fi cptlp propoeilion : les enlrepriscB personnelles et 
les sociétés en nom collecUI uu en commandite tleunciil une grande 
place dans l'organiBation contemporaine, page 78. 

Les sociétés anonymeBdiCréreDtsiiigLiIlèreiDent, parlekirronslitulion, 
de l'Étal moderDe : ce ne sont pas des démocraties k persannet va- 
riable ; le suffrage y est censitaire. LeB sociétés anonymes pro^pérei 
BC tranarormenl en aristocraties ou en monarchies lempérëef, paga 
TU. — La permanence den personnes ei des tniditiouB esl la régie 
babiluelle des saciét6« onouyoïes, page 19. — Droit et lacilité de 
sécession pnur les mécontents, page 19. 

La bureaucratie des sociétés anonymes est plus souple el plus eFQ- 
cact> que celle de l'État, paf;u 80. — L'État moderne se placK rarement, 
pour le choix de ses ronclionnalrce, nu seul point de vue technique, 
page SI. — L'Élut moderne a la pn^tentiou que le ronctionnaire lui 
appartienne tout entier, aussi bien ses opinions politiques que son 
intelligence, page 81. —Plénitude de liberté, en dehors de la iphère 
proresBionnelle, tnissée aux employés des sociétés anonymes, page 
8!. — A la longue, le personnel de fonclionnaires de l'État moderne 
doit ôlrc intéricul' à celui des sociétés anonymes bien conduites, 
page 8!. 

Élasticité des sociétés anonymes prouvée par la pratique dos temps 
de crise ; l'organisme de l'État ne se prËle pas aux mêmes économies 
tiouilaines, page 83. — DifTérence de situallnn d'une assemblée gé- 
nérale d'actionnaires et d'un parlement électif relativement aux em- 
ployés et aux Trais généraux d'administratinn, page 83. ~ Le népo- 
tisme des sociétés anonymes est moins dangereux que celui de l'Ëlal 
moderne, parce que les hautes fonctions sont plus porrounenles dans 
les prem'U:res, page Si. 

Toute entreprise privée qui se relàcbe est bienlûl compromise ou 
éliminée : la réduction des dividendes ou la baisse des cours â la 
bourse est un avertissement bicu plus efficace pour les actionnaires 
qu'un simple déDcît budgétaire pour le Parlement, page Hli. 

Les conséquences des erreurs de» «uciétéx anuuymes ne portent que 



CABACTÊRES PAHTICCLIEHS nE L'El'AT MODEHNE. Il 

■ur (eus qui. HU muina par Dégligence. s'y sont auocièii le» coDSf- 
■lUPiiCira dei Erreur* de l'Ëlst ponnil même aurreux qui ie» ont dè- 
noDMri f:t cam battu es, page 8j. — Les erreurs de J'Étal sout <l>-i 
rmtin Ifltakt, erllei des tociélè« anoQf mes bodI prcsqu(< toujours 
IMrtialle». page HO, 

R^tBd g<!'U#ra)ci qui rigaltoul de ces coosidérntious, page HT. 

Lt rMpoDMhilité dn l'Ëtat pour tes fautes de aeiageol» eatloiijDurs 
pliiailIflIclleAmetIreenjeuquecelledesïociËlËsaDonyuies; cxpniples. 
p«ge HT. — La o^cossllè de cultiver les habitudes d'urtion collective 
llbr». pour (DainlRnir la louplegae du corps socinl, ne doit jamain Hre 






, page »!). 



Moda tuaiiiteux d'InOueoce dont jouît l'Élut ; 1' 
RetpaDMlilil^ ^iioroie qii'eado^se l'Elnl il<' ce 
nuigé iragîr toujours en grand, l'Ëtut imiltiplii- \f 
n fréquentes rians les essaU humains. pageUI, 



mpte, page ito. 



On dira que Cfit Taiblesses ou ces vices. les grandes ussn- 
cittioas libres, les soci6lés anonymes gigantesques, en sont 
affectée» au même degré que l'Éliil. 

OV>t lu pr£lentioii du socialisme conleniporain que, la 
production nVtanl plus possible qu'en grand, celle-ci 
échéant aux gros capitaux, qui. à leur tour, n'appartiennent 
qu'ik de* groupements d'individus, il ue peut plus ëlrc ques- 
Uon, dans le monde moderne, d'entreprises strictement in- 
dividuelle!', placée» directement lous l'œil du maître, mais 
walojnflfit d'entreprises collectives garées par des agents 
salariés qui sont peu inUressés aux résultats généraux de 
rouvre. 

J'ai montré dans mon ouvrage : le f'ulleclwistne. examen 
chiique du nouveau ioaaliime. combien ce raisonnement est 
exagéré; il pécbe doublement, d'abord parrafllrmation que 
loule production doit désormais se faire en grand, ensuite 
par ra«*tmilaUon, h bien des ifgards Factice, det> procédés 
d'ictioD des sociétés anonymes aux procédés d'action de 
TÉUL (I). 

\air uiuo ouvrage LtLallectiaituit, namtn erittifut 'tu nourrnii 
" — ^B'^llitnn i<',ulll«umln, Mlteuri. pusniiu et uotâmmeoi paRv) 




78 1.'ET\T moderne ET SES FONCTIONS. 

Sur le premier point, le mainlicn de la pelile el de la 
moyenne industrie concurremment avec la grande, dans la 
plupart des sphÈres des entreprises humaines, l'agriculture, 
le commerce de détail ou de gros, la fabrication de tous les 
produits qui n'exigent pas des moteurs d'une énorme puis- 
sance, je n'insisterai pas ici ; cela me conduinithors du su- 
jet. 11 est, au contraire, indispensable de montrer en quoi 
ks mélhodes rie conduite des sociétés anonymes, si vastes 
soient-elles, diflèrent des méthodes (jue suit nécessairement 
rÉtal. 

Les sociétés anonymes parlicipent, sans doute, dans une- 
mesure variable, des défauts de l'aclioo collective; elles 
n'ont pas toujours l'absolue unité de direction des entre- 
prises individuelles; ce n'est pas là, toutefois, leur principal 
vice, car les sociétés anonymes prospères sont presque 
toutes très concentrées; mais elles manquent, d'ordinaire, 
de la souplesse, de la r.ipidité de conception et d'exécution 
qui caractérisent les bonnes entreprises personnelles : elles 
font plus de place aux dépenses inutiles, à ce que l'on ap- 
pelle le coulage ; on va voir, cependant, que leur mode d'ac- 
tion difTÈre singulièrement de celui de l'Klat. 

En premier lieu, les sociétés anonymes ne sont pas des 
démocraties à personnel variable ; elles procèdent du suffrage 
censitaire, car, pour jouir même d'une seule voix dans les 
;issemblées, il faut posséder plusieurs milliers de francs 
d'actions; or, comme il est rare qu'une personne ait tous ses 
fonds dans la mfimeali'aire, on peut dire que, sauf quelques 
petites entreprises locales on populaires, les sociétés ano- 
nymes n'ont pour associés jouissant du droit de suITrage que 



ni7 il 3m ; voir aussi mou ouvrage : Essai sur la i-ëpartHion des richtsns 
el la iend-mce à une moiiitire înigalUé des cundUîons 1U°" ûdili'oD, Giiil- 
laiiuiin). parliruliËrenieDl le ctiapitre xii, coiisacrt' aux suciètËs ano- 
I]yiDei<, page» 314 a 339. 



CAHACTÊHES PARTICULIERS M L'ÉTAT MODERNE. :9 
des personnes possédant une certaine aisance el imbues de 
loules les idées pondérées, de toutes les habitudes d'otdre 
0t de paticDCG. que l'aisance confëre eng<^nfral. En nuire, 
les voix ncsecomptentpas dans les assemblées par teie, mais 
Jusqu'à une certaine limite, qui est assez élevée, en proportion 
de l'intérM que chaque associé possède dans lontreprise. 

De ces circonstances et d'autres encore, — le prestige 
qn'exrrccnt, duns une société de capitaux prospère, les fon- 
dateurs, la conOanco que sont portés à leur accorder les ac- 
tionnaires ayant en général d'autres besognes et étant dé- 
pourvus, — ce qui n'urriTe pas dans les élections politiques, 
— de toute passion, il résulte que les sociétés anonymes qui 
réussissent se transforment en fait à la longue eu aristocra- 
ties on en monarchies tempérées. 

Jetez les yeux sur les grandes associations de capitaux en 
Ffiince, en Angleterre el ailleurs, vous reconnaîtrez que la 
plupart ont une organisation aristocratique, quelques-unes 
presque monarchique. Ainsi, les (;randes sociétés anonymes, 
celles qui méritent surtout qu'on s'occnpe d'elles, sonl i^ 
Tabri des changements violents : elles professent pour la tra- 
dition, pour les régies établies, pour la continuité d'action, 
un respect qni forme tni singulier contraste avec les tendan- 
ces contraires dont l'tllat moderne est animé. 

Ce qni aide à cette permanence des personnes el des rè- 
gle» dans le» associations de capitaux, c'est la faculté qu'ont 
de Itts quitter les mécontents : ils peuvent k chaque instant, 
i(rAcp à ces marchés appelés bourses, se dessaisir de leurs 
titres et devenir étrangers & une entreprise qui ne leur pa- 
rait plus menée suivant les bons principes. Le droit de sé- 
cession est donc du l'applicalioD la plus facile pour les as!<o- 
riés des entreprisescollectives libres sous la forme anonyme. 
tandis qu'il e*t excessivement difficile ii exercer pour l'indt- 
vidodans l'État. 




3 



an LET^T MOnEHNE ET StS F0Nf:T10\S. 

La bureaucratie (tes ^ociélL's aiionymee, Jikns tes mains dp 
bons directeurs, est une bureaucratie beaucoup plus souple 
el beaucoup plus efficace que celle de l'État. Cela est incon- 
testable, et cela tient à plusieurs causes. Ayant un but tout 
à fait spécial, se trouvant dégagées de toutes les considéra- 
tions politiques ou religieuses, n'ayant pas à redouter le po- 
pulaire électoral, assurées, d'ailleurs, de l'appui de leurs 
actionnaires toutes les fois qu'elles proposeront une écono- 
mie, les sociétés anonymes jouissent d'une indépendance 
d'allures que l'Klal ne possède pas et ne peut pas pos- 
séder. 

On peut médire de la bureaucratie : il n'en est pas moin» 
vrai qu'elle est indispensable, et qu'il faut avoir l'esprit bieit 
étourdi pour réclamer il la fois, comme le font tant de gens, 
l'extension des attributions de l'Étal et la suppression ou In 
réduction de la bureaucratie. Celle des sociétés anonymes 
est à la fois plus cohérente, plus prompte, plus agile que 
celle de l'État. 

Rien d'abord ne gâne les sociétés dans le choix des direc- 
teurs et des chefs : l'État est gêné, en premier lieu, par la 
politique, qui lui dicte ou lui interdit certains choix, en- 
suite parles règles strictes que, pour éviter un favoritisme 
trop éhonlé, il a dû édicttr, pour l'entrée de certaines fonc- 
tions publiques, concours, grades, etc. 

N'a-t-on pas entendu quelles clameurs se sont élevées de- 
puis 1880 en France quand tel ministre, l'homme le plus 
populaire du pays cependant, prenait pour directeur des 
affaires politiques au ministère des affaires étrangères un 
homme rallié aux idées du jour, mais ayant eu autrefois des 
opinions contraires? De même, quand il s'agit de nommer 
un major général au ministère de la guerre et que l'on pro- 
nonce le nom d'un oflicter auquel on attribue la plus grande 
capacité professionnelle, mais qui passe pour avoir des idées 



CAH.lCTEBtS PAHTICLLIEHS DE l/ETAT MODERNK. 8t 

politiques dîlTéranl de celles qui soiil â In mode, n'y u-L-il 
pM un débordemeat de iiienaces et d'invectives qui arrête 
l* nomination? 

Du grand au petit, et avec des degrés divers d'intensité, il 
en est presque de même h. tous les échelons de l'organtsa- 
lion administrative de IKtat moderne, de l'État électif. L'É- 
tat sv place rarement, pour ses choix, au simple point de 
rue technique: il est toujours influencé plus ou moins par 
des considérations de parli. 

Il a la prétention que l'homme qui remplit un de ses em- 
plois lui appartienne lout entier; ce n'est pas seulement 
»on travail professionnel qu'il veut, c'est son concours en 
toute circonstance; il exige du fonctionnaire une conformité 
(^énérnle de manière de voirsur tous les siijetsavec celle que 
l'Klat professe dans le moment : fi peine consent-il h lui 
lajiser sa liberté d'appréciation dans les questions de belles- 
lettres ou de beanx-arts; mais il empiète sur ses opinions 
en matières religieuse, de philosophie ou d'éducation. 
Dans les grands centres, les fonctionnaires, cachés dans la 
foule, peuvent échapper h ce joug; iUy sont rivés dans les 
petites villes et dans les campagnes {i). 

il, Od «lil que, <'ii Fruiioc, Jepul» uue ilouiuioti il'aiiuOes, le joug que 
lilUI tut peter nur M» vmptuye» eit on ae peut plus louril. Dans bien 
■le* luc«Ut#ii, OD tlrmuiiJe In de^tililtioa iloa petits fonction tialrrs pnrce 
que leur* fi^maii'a font A la messe, à plus Torte roison quand il« ; voul 
eui-mîme*. i'retquo partout on tr^ Forci! A moltrc leurs enfaoU nux 
tculM ttlqu'i pulillqu», |pi)r enlevant U liberté île ht cDTojor aitx 
écoln co[>f[T'gin)ri«» privées. Ou leur interdit souvent In tréquentalloa 
de toi on tel cerdn. de tel ou tel café, l'aOltiatioa a tel on tel orpbi^aD 
AU moRlqnr. 

Btwi pla*. nu l«ur uriloune de »e rAjouir oiteusilili'UHUt dan» tellf 
«Il telle eitcaatlincx, comme en lôRioi(riie l'avl» luivuitt extrait du 
jMiroAl U r™pt. du lî luillrt ISS8 ■ 

■ LemialatrederagricullurH *lenl d'iidrei>*rr Inr.irrulsirf suivante aux 
dtran lanclioanatre* de «on dfpuleiueot : 
• Mooùaur, 

• \jtt foDCUoDDairf' de» divci-sR^ aJmliiiilralioii» <]iu dftpendunt du 



sa L'ÉTAT MOOEIt.NE ET SES KOSCTIONS. 

On peut admettre que cette sorte d'usiirpalionde l'État 
sur la liberté du fonclionnaire, en dehors de la sphère pro- 
fessionnelle, est poussée plus loin aujourd'hui qu'elle ne le 
sera plus tard : c'est une pure hypothèse : en supposant que 
l'État, qui n'a pas seulement en vue un but technique à at- 
teindre, mais qui ne se dépouille jamais complëlemenl de 
ses idées ou de ses préventions politiques et autres, puisse 
relâcher les liens dont il garrotte son personnel, il ne pourra 
jamais lui assurer la plénitude de liberté, en dehors de la 
sphère proressionnelle, que donnent au leur les sociétés 
privées. Celles-ci sont menées eji général par des gens d'af- 
faires, c'est-à-dire par des hommes qui naturellement ont 
peu d'inclination au fanatisme, ne se soucient guère de com- 
pliquer leur besogne en se mêlant de la vie privée et des 
fréquentations de leurs subordonnés. 

A la longue, personne n'aimant à Cire tenu en laisse et 
à subir cette sorte de dégradation, il en résuUe que le per- 
sonnel des sociétés libres se recrute parmi de meilleurs élé- 
ments, plus compétents, plus appropriés à la fonction, que 
le personnel de l'État. 

minUtère ilu l'agriculture n'igaorerit paa qu'ils tie doivent négliger uucune 
occasion de témoigner de leur dôvoueuient absolu à la République. 

" Je uaujpic qu'ils participeront largement à tniilee les manifestations 
(|ui auront pour but de donner le plus grand éclat à la Rie nationale 
du 11 juillet, et je vous prie de porter cette lettre a leur connaiSBancc. 

- Agréez, etc. 

" Le tniniatre de ragricuilure, 

" VriTTB. " 

Cela est écrit comme pnr Louis XIV, Ce morceau rappelle en outre la 
phrase d'un vaudeville biea counu l'Ours Kl le fâcha : « le premier qui . 
ne a'amuaera pas, dit le pacba, je lui ferai couper la lèle. « Ainsi le foDC- 
lionaaire, mèuie technique, doit toujours appartenir, aussi bien l'àme 
que l'intelligence et le corps, au « gouvernement qui le paye ". Jamais 
une société anonyme n'aurait i'onlrecuidance d'émi^ttro de semblables 
prétcnliona, ou elle ne trouverait bieutût plus à recruter son personnel. 
La sociËlë anonyme sauvegarde donc beaucoup plus la liberté indivi- 
duelle de SCS employés que l'État ne le fait pour les siens. Aussi flult- 
elle pur avoir un personnel d'employés bien supérieur. 



aBACTEHES l'AHTlCL'LlEllS liE L'tTAT MOUKHNE. 8:1 

La racutlé qu'ont los sociétés, et dont l'Ktat ne peut guère 
jouir, de faire porter leur choix pour les postes élevés sur les 
hummes qui paraissent les plus capables, on dehors de toute 
condition d'âge, de grade, de diplAme, n'est pas non plus 
un des minces avantages des sociétés libres. Le canal de 
Suez ne fut sauvé que par la drague à couloir de M. Laval- 
lev; niais, simple ingénieur civil, M. Lavalley n'aurait pu 
être placé parl'Ëtutàla tCle d'un service départemental ou 
à la direction d'un port, et, quant à sa drague. Il lui aurait 
fallu bien des années pour la faire adopter par tes conseils 
divcr» drs pODts et chaussées. 

Où se montre avec éclat l'élasticité des associations It- 
bres, c'est dans tes temps de crise. Il Tant alors plier les 
voiles, restreindre les dépenses, Les sociétés anonymes le 
peuvent et le font avec rapidité et sûreté : l'organisme de 
l'Étal no su prête guère à des réductions de ce genre. 

De IMSii ou I8H3 h 1888, les grandes compagnies de che- 
mlDS de fer, par exempte, émues de leurs moins-values de 
I recettes, s'ingénient it faire des économies, etetles arrivent 
& restreiodre leurs dépenses, l'une de 7 ou 8 millions par 
ma, l'autre de a ou C, toutes ensemble d'une quarantaine. 
EU«a n'engagent plus un seul employé nouveau, elles Tout 
nidMCCndre au rang de cbauiTenr des mécaniciens, A celui 
\ de simple auxiliaire des chauffeurs. Les sociétés de crédit 
L co font autant; plusieurs suppriment un grand nombre de 
[ leurs succursales inutiles, restreignent de moitié tes locaui 
[ qu'elles occupent. 

Ainsi, la déperdition des forces devient moindre, et les 
■ poor les sociétés anonymes produisent leur effet utile 
« eut de» elfels utiles) : celui d'une révision générale 
l'administration et de l'élagagc de tout ce qui est 
taperthi, parasite et morbide . 

L'État, surtout Vt.uil électif, est dans l'impossibilité d'agir 





84 I.*ÉTAT MOPEBNE F.T SES FONCTION?. 

de même. C'est à propos du hiidgel de l'Etat qu'a surgi la 
Ihéot'ie qu'il est incompressible. Il y a, du moins, de 
(îi'andes difficultés ù le comprimer. Tous ceux qui en vivent 
élanl électeurs usent, pour empêcher toute ri^duction, de 
leur force électorale, qui, parce que les appoints peuvent 
se Taire payer très cher, est parfois consiiiér.ible. Aussi voil- 
on les députés, même dans les lomps de déficit, demiuider 
des augmentations de traitements pour les employés de 
difl'érentes natures : cantonniers, facteurs, instituteurs, 
douaniers, etc. Jamais, dans une assemblée générale d'ac- 
tionnaires, les membres ne lirent des propositions de oe 
genre. 

S'agit-il de supprimer un (Hiiblissemerilcoftleiix et inutile, 
un tribunal sans affaires, une école sans élèves, un bureau 
de poste sans clientèle, l'opposition sera des plus vives. 
C'est que l'Elatou ceux qui parlent en son nom ne se pla- 
cent jamais au simple point de vue technique: de là son 
infériorité pour les tâphes professionnelles, qui peuvent être 
remplies it la fois par lui et piir des sociétés libres. 

On ponrrail reprocher i ces dernières associations d'avoir 
k'S défauts de leurs qualités : étant, nous l'avons dit, cons- 
tituées plus ou moins comme des aristocraties ou des mo- 
niiichies tempérées, elles peuvent se rendre coupables de 
favoritisme ou de négligence. 

Le népotisme n'est certes pas étranger aux sociétés bbres ; 
mais ses résultais y sont moins pernicieux, en général, que 
dansles administrations d'État. Précisément parce qu'il y a 
plus de permanence dans l'adminislration et la direclion 
des grandes associations de capitaux, que les chefs y sont 
à la fois peu nombreux et permanents, on ne voit pas ces 
couches diverses de favoris qui viennent se superposer les 
unes aux autres dans les administrations d'État, ii chaque 
changement de ministres ou de direction parlementaire. Le 



J 



C*BA<:TÊRES P\RTlCrMl'.HS !1E l/ETAT IIODKIINR. 83 

népotisme y est. en quelque sorte, plus endigué, parce qu'il 
n« te représente pas ft chaque instant par la succession ra- 
pide de ceui qui pourraient l'exercer. 

Quant à In négligence, à l'incurie, certes, il s'en ren- 
contre dans les sociétés anonymes comme partout. Mais ici 
&e présentent deux observalions importantes : la première, 
c'est que la concurrence est incessante pour les sociétés 
anonymes. 

Toute entreprise privée qui se relâche, alors qu'elle u'e^L 
pas constituée en monopole, s'achemine H une destruction 
rapide dont les directeurs et le public sont bicnlAt avertis. 
Les inventaires de On d'année, les dividendes qui se rédui- 
Mnl ou (|iii disparaissent, les cours des titres qui lléchissent, 
tant autant d'averlissemenls précis. La concurrence ne 
laisse pas un moment en repos la généralité des entreprises 
privées- Bagehot. dans son pénétrant ouvrage, Lombard- 
Slrttl, a montré d'une façon saisissante les avantages que 
délienoent, par exemple, à certains points de vue, pour lu 
hardiesse des opérations, les Jeunes maisons de banque re- 
latÎTemenl aux t;randes maisons plus anciennes, l/averlis- 
Mmenl que donnent aux administrateurs né;,'ligents les 
divers sympt&mesque nous venons d'indiquerest autrement 

■ énergique et précis que les vagues embarras d'un budget 
d'État; l'émotion causée parmi les actionnaires est bien 
plus forte que celle que les contribuables ressentent des 
diUcit'i. 

Il peut arriver, toutefois, qu'une direction ou une adrni- 
nblratlon privée incapable ne se laisse pis sufllsammcnt 

■ ttimulcr par la concurrence : l'entreprise mal conduite Unit 
par Atre i^lioiinée; ce n'est qu'une affaire de temps. 
La routine absolue, n<>u plus que le gaspillage persislunl, 
ne peuvenl se prolonger indc-llniment dans une entreprise I 

libre. C'est it courte échéance la mort [xiur l'entreprise, la I 



80 l,'ÉT\T MODEIINE tT SEi^ KÛNCTIONS. 

perle pour les associés. Du moins, celte perte ne lorabe- 
Uelle que sur ceux qui ont eu foi dims l'œuvre, non pas sur 
ie public en générai. On a monté à grands fracas de publi- 
cilé telle ou telle entreprise de travaux : beaucoup de gens 
ou perspicaces ou prudents l'ont considérée comme trop 
aléatoire, ils n'ont pas eu confiance dans la direction ; ils se 
sont abstenus; la perle ne les toucbe pas; c'est justice. 
Ceux qui supportent la perte, ce sont les hommes qui, par 
légèreté, par avidité, n'ont pas voulu se contenter des place- 
ments simples et sûrs, et, se lançant dans l'aléa, n'ont pas 
eu assez de discernement pour bien juger d'une affuire 
chanceuse ; ils sont à plaindre, mais ils avaient commis une 
imprudence. 

Au contraire, l'État entreprend contre tout bon sens un 
plan extravagant de travaux publics; je vois la folie, je la 
dénonce à l'avance ; beaucoup d'autres hommes en font 
autant, mais ils ne sont pas en majorité : '.i milliards ou 
A milliards sont gaspillés dans des œuvres improductives, 
et nous les sages, les prévoyants, nous voyons nos budgets 
particuliers grevés d'un surcroît d'impôt de plusieurs dizaines 
de francs par an, ou de plusieurs centaines ou mSme de 
plusieurs milliers, suivant no.<> fortunes, pour des entre- 
prises contre lesquelles nous avons protesté, tes sachant 
insensées. On dira que c'est là une application du principe 
de la solidarité nationale, mais il est aisé de prévenir la dure 
clinique application de ce principe, en laissant aux entre- 
prises libres ces œuvres contestées el sur lesquelles l'opi- 
nion publique se divise. 

Les erreurs de l'État sont toujours des erreurs totales, 
j'entends par lu que, l'action de l'État s'étendant par voie de 
contrainte légale et de contrainte liscale à tout le territoire 
el à tous les habitants, nul ne peut échapper aus résultats 
des fautes qu'il commel, Les erreurs des sociéti^ anonymes, 



aRACTÉRES PARTICULIERS DE L'ÉTAT MODERNE. f-T 

au contraire, sont des erreurs paitielles ou n'ont que des 
etTels partiels; les consfqiiences directos n'en sont subies 
que par ceux qui s'y sont associés ; les hommes perspicaces 
OQ prudents n*en souffrent pas ou en souffrent peu. 

Ajoutons que, plusieurs sociétés anonymes en général 
se disputant, dans chaque branche d'industrie, le rnSme 
champ d'action, il est rare que tontes commettent à la fois 
la infmc Taule; la rivalité même qui les anime fait qu'elles 
ne suivent pas exactement les mêmes méthodes et ne prali- 
<)urnt pas au même moment les mêmes procédés. L'État, 
au contraire, qui ne peut agir que d'une façon nniforme, 
inlensilie nécessairement et porte au maximum les engoue- 
ments, les eotrainements, les partis più, quand l'esprit 
pablic y dispose. 

Des explications qui précèdent, il nous semble ressortir 
clairement les règles suivantes : 

En vertu de sa supériorité an point de vue de la con- 
n>ption, d« l'iavention, de l'aptitude aux modiCcatioas fré- 
quentes, aux expérimentations variées, l'action individuelle 
doil être, à prioti, préférée & celle de l'État pour toute entre- 
prise susceptible de rémunération. 

Ccis ne veut pas dire que certains grands services dont 
au doit désirer, ik un point de vue de civilisation générale, 
qa'ils embrassent absolument tout le territoire, comme les 
postes ou les télégraphes, ne doivent p.is être exercées pjir 
i'i'ML Encore, pour les lélégniphes du moins, ce monopole 
de l'État a-t-îl des inconvénients considérables : le secret des 
Utégrammes est beaucoup moins gardé par l'État que par 
l«i »ociétés privées; on a vu, dans ces derniers mois, en 
France, des plaintes très graves h ce sujet s'élever de partis 
politiques divers. La responsabilité pécuniaire de l'admints- 
Iralion télégraphique do l'État, pour ses erreurs et pour ses 
fautes, n'oxislc p.is. Chaque papier télégraphique en France 



88 I-'ETAT MOnEElNE KT aEP KOSHTIOVS. 

prend soin de nous avertir que, en vertu de la loi, l'admi- 
nistialion félégraphique est irresponsable. Elle peut, par 
une erreur de transmission, causer un préjudice de plusieurs 
milliers de Francs ou de dizaines de mille francs à un parLi- 
culier, et elle se refuse h accorder une réparation quel- 
conque. Des arrêts des cours lui ont reconnu cette immu- 
nité abusive pour des dépêches relatives à des opérations 
de bourse. ■ 

Placé en face d'une administration d'État, l'individn se 
heurte toujours à une bureaucratie hautaine, plus ou moins 
irresponsable, ù des lois qui dérogent au droit commun, à 
des juridictions particulières et plus ou moins partiales. 
Aussi l'on ne saurait rendre trop rares les exceptions à la 
règle qui recommande de conlier h, l'action individuelle les 
services, quels qu'ils soient, susceptibles de rémunération. 

L'association volontaire, les sociétés libres, de toute taille 
et de toute forme, en vertu de la flexibilité dont elles 
jouissent, de la rapidité aux adaptations successives, de la 
part plus grande qu'elles font !i l'intérêt personnel, à l'inno- 
vation, de leur responsabilité mieux définie à l'égard de 
leur clientèle, de la concurrence aussi qu'elles subissent et 
qui les stimule, doivent être préférées ù l'État pour tous les 
services qui sont susceptibles d'être défrayés tant par celui- 
ci que par cclles-lii. 

L'État étant un organisme d'autorité qui use ou menaco 
de contrainte, toutes les l'ois que l'on peut parvenir à des 
résultats h peu près équivalents par lu voie de la liberté, 
cette dernière doit avoir la préférence. 

Alors mCme que l'on euncevrail que l'État put, dans cer- 
taines circonstances, momentanément, organiser un service 
d'une manière plus générale, peut-Slre plus complète, que 
les sociétés libres, ce ne serait pas une raison sufQsante 
pour se prononcer en faveur de l'action de l'Elat- C'est ici. 



I 



CARACTÈRES l'ARTICIlLIEUS IIF. L'ETAT MODEnNK, 89 

«n effet, qu*il importe de s'élever à une vue synthétique de 
U société, au lieu do n'en considérer que les partie»! isolées 
l't coRiine au microscope. La liberté, les entreprises privées, 
les habitudes d'actioo collective volontaire, contiennent en 
effet des germes de vie et de progrès qui ont une importance 
générale bien supérieur? pour le milieu social au simple 
perfectionnement technique de tel ou tel détail secondaire. 

Il n'importe pas seulement d'atteindre dans le temps pré- 
sent et avec rapidité tels ou tels résultats matériels, sous le 
rapport de l'assurance par exemple ou de l'assistance, il 
faut encore conservera toutes les Forces sociales, autant que 
posùble,une certaine énergie et spontanéité de mouvements. 
Va homme n'a pas seulement h se préoccuper de l'exécution 
de M tàcbc de chaque jour; il doit aussi veiller à ce que tous 
set orf(«nes. tous ses muscles, tous ses aerff> restent dispo- 
nCblC». aptes ù l'action, h ce qu'aucun ne s'atrophie, de 
fafon qu'il ne puisse plus en retrouver l'usage au moment 
oit il lui serait nécessaire. 

Dfl mêRie pour les sociélôs humaines : mieux vaut que la 
fie etrinitiatiro soienldiRuses dans tout le corps social que 
d'ftire concentrées dans un seul ori^ane qui dispose d'un 
pouvoir iullni de contrainte et d'un pouvoir iaQni de taxation. 

Outre la contrainte législative, outre la taxation, qui osl 
ime autre forme de la contrainte, l'Ktat jouit d'un autre 
moyen d'influence sur la société : l'exemple. C'est U un 
mode il'aclion qui soulève moins de critiques que les deux 
«aire» ; il ne laisse pas que d'Otre insidieux et, quand l'État 
ne met pas à l'exercer une suprême discrétion, de jeter une 
perturbation funeste dans les relations sociales. 

Cette puissance des exemples donnés par l'État grandit 
chaque jour : l'action indirecte de l'État, en dehors de:4 in- 
Jooclions législatives, on dehors aussi de la levée des 
impAts, est il certains égards plii> sensible dans tes sociétés 



k. 



M 



L'ÉTAT MUUERNi; ET SES FONCTIONS. 



modernes que dans les anciennes. L'homme a toujours été 
porté à l'imitation : la foule a toujours eu les yeux levés 
vers ceuï qui occupent des positions éininentes, pour re- 
produire dans sa vie journalière et commune quelques-uns 
des traits de leur conduite. 

Mais ce n'est pas là le secret de l'autorité toute nouvelle 
dos exemples donnt^s par l'État. C'est que l'État moderne est 
devenu le plus grand consommateur, le plus grand faiseur 
de commandes, le plus grand ic employeur de travail » qui 
soit dans une nation. Pour les besoins de la défense natio- 
nale, c'est-à-dire de ces deux formidables et progressives 
industries, la guerre et la marine ; pour les travaux publics 
gigantesques dont sa trinilé de pouvoir central, pouvoir 
provincial et pouvoir municipal s'est chargée à l'excôs; 
pour tous ces services qu'il a plus ou moins accaparés, 
postes, télégraphes, éducation, etc., l'Etat dépense en 
France, déduction faite des intérêts des dettes nationales et 
locales, .') milliards à 3 milliards 1/2 par an, à l'ordinaire et 
à l'extraordinaire (un extraordinaire permanent); c'est cer- 
tainement plus du dixième de l'ensemble des dépenses pu- 
bliques et privées, de tous les citoyens, et ce sont les dé- 
penses les plus ostensibles, celles qui frappent le plus les 
yeux. Si l'Étal se met à décider que dans ses ateliers on ne 
travaillera plus que huit ou neuf heures, s'il impose à ses 
fournisseurs l'observance de la même durée de la journée; 
si, par voie de simples règlements intérieurs, il lui plaît 
d'édicter que certaines combinaisons plus ou moins nou- 
velles et plus ou moins conlesiées, comme la participation 
aux bénéfices ou la coopération, devrontëtre pratiquées par 
toutes les maisons industrielles qui sont en rapport avec 
lui: s'il fixe pour les ouvriers qu'il occupe ou pour ceux des 
aleliers auxquels il fait des commandes un taux de salaire 
qui dilTère de celui qui est en usage : il est clair que ces 



CVIlACTÊnES PABTICL'LIliHS DF. L'ETAT MODERNE- 91 

etemples de la part d'un coDsommateur aussi gigantesque, 
(l'un client au^si prépondérant, auront un poids énorme 
dans l'ensemble de la nation. 

Les Tantaisios et les caprices de l'État, alors même qu'ils 
ne reTèlcnt pus la forme d'injonctions générales, do lois, 9e 
répercutent ainsi avec une intensité profonde dans tout le 
corps »oci»', Ces e^iemples de l'État, donnés avec beaucoup 
de discrétion et de réOexion, peuvent parfois être utiles ; il 
y » plus de chance qu'ils soient perturbateurs. 

L'ttiil, quand il se prend ainsi à fournir des modèles au,^ 
particuliers, des types d'organisations qu'il croit progres- 
sives, endosse, souvent h la légère, une responsabilUé très 
grave : d'abord il n'agit pas avec des ressources qui lui sont 
propres, mais avec des ressources dérivées, prélevées sur 
autrui, de sorte que. m^me lorsqu'elle est iibsenle en appa- 
reoce, la contrainte fiscale se trouve toujours au bout de ces 
rspériences ; ensuite, il ne jouit pas d'une liberté complète, 
d'une absolue indépendance de jugeuienl, parce que le joug 
électoral et tontes les servitudes mentales qui en découlent 
piwnt. sans en excepter un instant, sur ceux qui représeu- 
teat l'Ëtat moderne. Eolln, obligé d'agir toujours en grand 
et avec uniformité, il multiplie les erreurs qui sont si fré- 
quentes dans les essais humains. 



LIVRE III 

LES F0NCTI0K5 ESSENTIELLES DE L'ËTAT. SA MISSION DE 
SECURITE ET DE JUSTICE, DE LEGISLATION ET DE CON- 
SERVATION GENERALE. 



CflAPlTnE l'RKMlER 

COt'P B'ŒtL GESEKAt SUK LES tONCTlONS liE L'ÉTAT DANS 
SES RAPPORTS AVEC SA NATURE. 



L>< (uur.tluan ik- l'Étal il^rivi'Ul <li! sa riutui-u uiî-iu*', |mi;iv 'M —■ L'ËUl 
■I nlHloa il« pourToir nui: bosoins comniuus île li iialiop : Ailtirencc 
rnlrR l*> tiaaoïii* cnmaiim* et les besoins fc^ntraux, page 1)4. 

L'Eut rat, par ftxcollcuce, le il^QuiiMiur dur droilt et <lag i-espon- 
MLlIit^* Juridique*, pagn 1U. 

L'£tmt, jMM^Mit leul U perpÉluil£, dujt Être le (léTitiKuur dvi iut^- 
rïla perpflueU roiitre l'iinprtirofBilce île» loUrèls pr^seuU, p«ge Oâ. 

L'Etat e*t le protecteur naturel dei fitre* rtiblu* : diBicullè* et 
oolralDeuii*iit« qu« coinporle rette ddImiod, page 115, 

I.'Ëtal p<<i)t, ru outre, prAler un concours aconssoire au ilûveluppe- 
iii«Dl Ai>* (Tuvro* IndlvldnnllM cODstltiiuot la nlvillsatloo progreMivn : 
ptctli «t iviiLitiiius (tVnTfthiMnmnntA qui peuvent n^suItiT du celle ta- 

eillt-, pagn M. 

Impn«lhiliii> de Sinr, par une ri-g\e Ihterïque. Ie« limites que doil 
ciMnporter ce caucoiira aux u^uvres civilÎMiriciM : uâcewitA Je t'nn 
tenir a l'eïpi^riBDce ; un oicts d'ubaleotiou dn l'Étal eu celte mati^ru 
1^1 lUoin* uuiiildc. à Dotre ^tapc du uvilisalion, qu'un eKi:èi d'îu- 
Inisioi). pai(e9T. 



Uni> llche énorme, une tâche mSme croissante, d'une Ta- 
(.-on absolue, sinon rcixtive, iucoiDbe cependant & l'Etat. Il 



04 L'ET\T MUDEll.NE ET SES KONCTIONS. 

n'esl pas exact, coinme l'a écrit un philosopbc (1), que 
11 l'État doit travailler à se rendre inutile et préparer sa dé- 
mission «. 

Il doit seulement éviter de se disperser et de s'éparpiller, 
ce qui est tout différent ; il doit s'imposer aussi des règles de 
modestie et de circonspection, comme le font les particuliers 
sagacus, avec d'autant plus de soin m6me que les fautes 
d'un homme privé ne pèsent guère que sur lui, tandis que 
les fautes do l'Etat pèsent surtout sur autrui, c'est-à-dire 
sur tous les individus, non seulement en tant que membres 
de la collectivité, mais en tant que personnes isolées. 

Les fonctions essentielles de l'Étal dérivent de sa nature 
même. L'un des caractères de l'iitat, c'est de représenter 
l'universalité du territoire et l'universalité des habitants 
d'un pays, c'est d'avoir une pensée et une action qui, au 
besoin avec le secours de la contrainte, se font partout 
obéir; il en résulte que l'iîtat est chargé de pourvoir aux 
besoins communs de la nation, c'est-à-dire à ceux qui ne 
peuvent être satisfaits convenablement sous le régime de 
l'initiative individuelle, qui réclament le concours absolu et 
préalable de tous les citoyens. 

On a distingué avec raison les besoins communs et les 
besoins généraux. Les besoins généraux sont ceux qui exis- 
tent pour tout le monde, comme de boire, manger, se di- 
vertir; les individus ou les groupements libres et souples 
qu'ils constituent à leur gré peuvent parfaitement y pour- 
voir. Les besoins communs sont ceux qui ne peuvent être 
complÈlement satisfaits que par l'action de la communauté 
même, parce que toute opposition individuelle, fût-elle li- 
mitée, y fait obstacle : ainsi la sécurité, la préservation 
contre certaines maladies contagieuses, le service de la jus- 



|1) M. Jules SimoQ. 



SEHVICKS UE SECL'RITE F.T llE Jl'STlCE. K 

lice. L'nppaieil ohligii taire, coerciliT, est ici de tigiiour. Si 
l'Ktnt ne s'en chargeait pas, il faiidrail que des particuliers 
ou des sociéléii privées le constituassent, empiriquement, 
parliellement, insurtisamment. 

Une certaine intervention dans l.i préparation, sinon dans 
l'exécution des travaux publics, rentre aussi dans les be- 
soins communs do la nation ; je veux parler de l'exercice du 
droit d'expropriation, qui ne peut Cire conlié qu'à lÉlat. 

On a souvent confondu, A tort, les besoins généraux, re- 
Ictrant de l'iaitialive privée, et les besoins communs, rete- 
nnl, par leur nature, de la communauté. C'est une Taule de 
ce lirenre que l'on commettait, il y a quelques années, dans 
ri^lat de Zurich, quand on consultai! le peuple pour la 
constiliiLion en monopole du commerce des grains. Lesélec- 
leun znrichois, souvent mal inspirés, eurent le bon sens de 
' rcpou»ter aux deux tiers des suiïrages cette proposition so- 
cialista. Le socialisme consiste proprement à dépouiller 
rindiiidu d'une partie des Tonctions qui lui appartiennent 
nalarellcmcnt pour les conférer à l'Ëlal. 

De lOHs les besoins communs d'une nation ou même de 
l'humanité, celui du justice est, après celui de sécurité, le 
plat considérable. Sécurité et justice ne sont pas identiques. 
Le second terme est beaucoup plus vaste. 

L'État est. par essence, le délinisscur des droits et des 
responsabilités juridiques; c'est un r6le énorme qui lui in- 
coubc; nous verrons dans quel esprit, par quelle méthode, 
I avec quelle prudence, il s'en doit acquitter. 

Un autre caractère de l't^lal. c'est qu'il possède la perpé- 
tuité, ou qu'il est censé la posséder. [1 dure des séries de 
siècles II doit donc représenter les intérêts perpétuels et 
le* sauTegarder contre l'impréToyance des intérêts présents. 
C'est une des fonctions les plus importantes de l'État. 

L'Individu, on plutôt un grand nombre d'individus, les 



L. 



H 



L ETAT MnnER^E ET SES FONCTIOSS. 



moins prévoyants, ceux qui se possèdent le moins eux- 
mêmes, cèdent souvent à la tenlalion des jouissances immé- 
diates, et leur sacrifient un bien-être futur. Quand ils ne se 
lèsent ainsi qu'eux-mêmes, l'État n'a pas en général à in- 
tervenir. Mais quand ils détériorent les conditions générales 
d'existence de la nation dans l'avenir, l'État manque ft son 
évidente mission en s'absteniint. 

L'Ktat représentant ainsi la perpétuité, divers devoirs 
nombreux en découlent pour lui, parfois d'action, plus sou- 
vent de contrôle. II est fort rare que l'Ktat moderne s'en 
acquitte bien. Cependant, il a supprimé, souvent par jalou- 
sie, la plupart des grandes corporations durables qui autre- 
fois suppléaient S son abstention. 

L'État est le gardien naturel, le protecteur îles élres fai- 
bles qui sont destitués d'appui. C'est un devoir auquel l'Ëtiit 
moderne n'a aucune tendance à se dérober. 11 tend même 
à s'en exagérer l'étendue. 11 n'est pas tenu de procurer le 
bonheur universel. Cette mission de l'État comporte des dîf- 
ticultés très grandes d'application; quand on y m6lo une 
sentimentalité excessive, quand on perd de vue la nature des 
cboses qui veut que chacun soit responsable de ses fai- 
blesses et en souffre, on risque d'énerver la société et de la 
rendre moins apte au progrès. 

L'État cnGn, dans une mesure très variable, suivant les 
temps, les lieux, peut prêter un concours accessoire, se- 
condaire, au développement des œuvres diverses qui com- 
posent la civilisation et qui émanent de l'initiative indivi- 
duelle ou des groupements libres d'individus. 

Il n'écbappera pas au lecteur que, tandis que les prt- 
ruières fonctions que nous venons d'indiquer, la sécurité, la 
conservation des conditions favorables du milieu physique 
où se meut la nation, sont susceptibles de beaucoup de pré- 
cision et de netteté, les deux dernières, au contraire, la pro- 



SERVICES DE SÉCURITÉ ET DE JUSTICE. 0* 

tecUon dos faibles, le concours accessoire donné aux œuvres 
civilisatrices, ne peuvent être déterminées avec la même ri- 
gueur. Il y a là une part d'appréciation variable, et c*est sur- 
tout de ce côté que TÉtat, dans sa trinité de pouvoir central, 
de pouvoir provincial et de pouvoir local, se livre à des en- 
vahissements qui le font sortir de son rôle. 

Un examen rapide des divers services dont les Etats mo- 
dernes se sont encombrés pourra seul, en Tabsence d*une 
règle théorique absolue, impossible à formuler, faire pres- 
sentir les limites que doit observer TÉtat. Au degré de ci- 
vilisation où nous sommes parvenus, plus menacés de dé- 
choir par une contrainte gouvernementale étroite que de 
rester en arrière par Tinertie individuelle, un excès d'absten- 
tion offre beaucoup moins de périls qu'un excès d'intrusion. 



CHAPITRE 11 



LK SERVICE UE SÉCURITÉ. 



La sécurité collective 
La première a touji 
de l'Étal, page 98. 



: la. Dation k\ la sËcuril£ privée Je l'individu. — 
8 été considérée romme la ronction primordiili' 
Le gouvernement est toujours apparu d'aboril 
comme un appareil militaire et diplomatique, pnge 09. 

L'Ëlat moderne, c'est-i-dire l'Ëtat Ëloctit et Qottant, semble compro- 
mettre b la longue la force de cet appareil militaire et diplomatique 
qui reste eesentiel aux nations, page DU. 

L'Ëtat moderne offre des garanties médiocres pour la dÉfenae mSuic 
de la nation, page 110, — Espéraocee superfidelleH en la paix perpé- 
tuelle, soit au dehors, soit au dedans ; raison» de querelles qui sub- 
sisleni page 101. 

La sécorité pour les particuliers ne vient qu'après la sécurité pour 
la nation elle-même : développement, en inlenaiië et en précision, 
des services de sécurité intérieure, page t02. 

Extensions récentes da service de sécurité, page 103. — Problèmes 
très délicats qu'elles CDuporteal : service des épidémies, service pé- 
nitentiaire, page 103. — Lo service de sécurité tend à revenir, par 
certains pointe, à la barbarie primitive, page 105. 

L'État moderne, courbé soua la servitude électorale, n'est pas tou- 
jours dans d'excellentes conditions pour garantir complètement la 
sécurité des bieus, sinon des personnes, page iOO, 



La première l'onction de l'Etat, c'est de garantir la sécu- 
rité : la sécurité collective de la nation, la sécunlë parLicu- 
liÈre de l'individu et de ses droits. 

Sur ce point, il n'y a pas de conteslalion de principe. 
L'application prête à plus de diriicultés. 

M y a, comme je viens de le dire, deu.v sortes de sécurité, 
l'une contre tout danger extérieur, l'autre contre les désor- 
dres intestins. La première a été considérée de tout temps 
comme In lâche la plus essenlielle ile l'Élat. Il importe, en 



SERVICES DE SÉCUniTË ET UE JUSTICE, 
f effet, par-dessus tout, que la nation vive, conserve ses It- 
[ inttes, ne soit assujettie à aucune oppression, à aucun Iri- 
I but ris-i-vis de l'étranger, qu'en outre elle ait une surQsante 
[ conlianve dans l'organisation de ses forces pour n'Être dis- 
[ traite de ses tAcbes quotidiennes par aucune panique. 

C'est pourquoi le gouvernement est toujours apparu aux 
I pPuplG» comme étant d'aljord un appareil militaire eldiplo- 
[ malique. 

Quelques nations jeunes, placées dans des conditions spé- 
I dilvs qui ne seront peuUëtre pas éternelles, les États-Unis 
I d'Amérique, par exemple, n'ayant pas de voisins, semblent 
) iciiappcr A cette destinée commune des nations. Il serait 
Uméraire de dire que ce sera pour toujours. Ces pays jouis- 
trni, en ce moment, par ces circonstances d'origine, de cet 
inappréciable avantage de pouvoir consacrer moins d'efforts, 
s d'esprit de suite, à leur armée, à leur marine, à leur 
k> diplomatie. Cotte exception ne doit pas nous parMtre un 
t modèle. Il serait fou de notre part de prétendre la copier (1). 
■ Toui Caqui, dans la constitution de l'i^Hal, porte atteinte 
Ision de» forces nationales, à leur préparation l'u 
• de paix, à la continuité des vues dans l'armement et 
[|BS la dir«cUon poliLique extérieure, doit être considéré 
comme contraire à la notion même de l'État, comme péril- 
leux pour U nation. 

Il semble mulbeureuscmeut que l'État moderne, c'est-à- 
dire rÉtat électif à outrance, sans réserve, sans contre- 



t iiMap«(V>ltilf')t <L[ia<Io8iintcar6»Dls ilu goUTonirineut umAricAiD, 
Liinaïaiit daai In pri-mier nii'siagi! Ou aouvenu pr^^siiltiiil. M. DarrUsun. 
c leadauce • prnodni ud« part plus f;nmtli' aui dilTi^reuleii «ffiire» 
i ooaornii'iil uun wukiuvul 1« uuuveau luuuila, mais l'aiicifu. UD 
»*riiii> un pcuchaDt analogue dans lu« culonlfia aii>tralieun*>*. Oit 
' "rrrur ila coaaiJtr*rcMHictvléa]«une> comaie arrivera* ud état 
•-^.iKiiiutloa d^ânllirti : ftllotaoot oncorcit l'itge d« l'rnfuice ou iIr 
l-Actcurti : IwiT uiaturiu Im rcuilra beaucoup plu» aiial«fu** iuk 



100 L'ÉTAT MGDKHNE ET SES FONCTIONS, 

poids, l'ÉlaL iiicesï animent variable dans son personnel, dans 
ses inslitulions, dans ses idées générales, dans ses concep - 
lions tecliniques, l'État se concevant lui-môme comme « im 
provisoire perpétuel ", l'État reniant toute tradition, l'Etal 
se proclamant un parvenu, plaçanl sottement son entrée 
dans le monde à cent ans en arrière, au lieu de vingt siè- 
cles, comme il le pourrait et le devrait, il semble qu'un pa- 
reil Etat, précaire, flottant, toujours eu mutation, compro- 
mette singulièrement la lorce, sinon dès le premier jour, du 
moins à la longue, de cet appareil militaire el diplomatique, 
dont la faiblesse pourrait le livrer en proie aux appétits des 
peuples rivaux, 

Au lieu d'un ministre de la guerre en dix ou <[uinze ans et 
d'un major général, ayez-en vingt successifs; au lieu de 
choisir les généraux pour leurs connaissances profession. 
nclles, prenez-les pour leurs opinions, soit politiques, soit 
religieuses, soit philosophiques; au lieu de considérer le re- 
crutement de l'armée pour le maximum de force qu'il peut 
conférer au pays, avec le minimum de perturbation dans les 
carrières civiles essentielles, faites-le dépendre de rancunes 
électorales, de Ilatteries pour de vils préjugés populaires; 
ayez un jour un ministre de la marine qui méprise les cui- 
rassés, s'éprend des torpilleurs et veut couvrir la mer de 
ces derniers; le lendemain, un autre ministre qui dédaigne 
les torpilleurs et ne veut plus entendre parler que de cuiras- 
sés; supprimez de votre politique extérieure toute tradition 
et tout plan; au lieu d'un homme réfléchi, circonspect, mais 
ferme en ses desseins, soyez, au point de vue extérieur, 
comme une femme capricieuse, mobile, à qui personne 
n'ose se lier, il est clair que vous ne remplirez pas la func- 
lion de l'Klat au point de vue de la sécurité (1). 



I 



SERVICES DB SECURITË BT DB lUSTICR. lOt 

C'est un aveu triste à Taire, l'Étal moderne offre des ga- 
rtnties médiocres pour la défense mGme de la nation (1). 
Certains esprits en prennent leur parti en se disant i[ue, 
tous les États devant tfitou tard se moderniser et se livrer 
pieds et poings liés au régime électoral absolu, les condi- 
tions seront les mêmes pour tous et que rinfériorité n'exis- 
tera plus pour aucun. 

Ce raisonnement ne serait qu'à moitié juste : il faudrait 
eDCoro tenir compte du tempérament des peuples, de ce 
qu'on appelle la lourdeur de certains, qui n'est que cir- 
conspection, patience, persévérance, esprit de suite; ceux- 
lil useraient pcut-êlre du rë|;ime électif pur en le rendant 
mains mobile et moins vnriable. Or, ce n'est jamais ni aux 
peuples ni aux hommes légers que le monde a appartenu ; 
c'est  cenx qui savent concevoir en silence el suivre de 
longs desseins. 
D'autres trouvent leur consolation dans celle espérance 
i le* conditions de l'Iiiimanité vont changer soudain. On 
l'a connue batailleuse pendant les quarante ou cinquante 
siècles de son existence consciente; comme si tes lois de 
l'babitude n'existaient plus, elle va en un clin d'œil se faire 

■««atamiip >iir Si^doD q<ti ne Tul décidée que par la cralnUi que le re- 
tonr 'le rarm^e noiin Pnrl» y provoquât de* troubles ; de l'antre part, la 
r^oliiUon du 1 «'[ilfinhrc, c>st-i-dire la d^etrucUon dn Kouveruenicnl 
au momciit mi^nw où H nfll été le plus indispemablc riue toute la naliou 
ulour dn lui. L'a peuple qui abandanne aea cht^h. nu niiitueat 
in ilè*a*trei, *r priva dn» princIpaJe» chances do réparer ses Ërhcc». 
Or, Il »I tlnguliéreaient difllclle à l'Ëtat repuasot tur l'tlefllon da an 
pM ttn Jol* en pleine frisi' ^l en plein dJ^«arroi nii prrmier revcr» 
•èrieui. 

117 L'Eut moil>*rne, où le principe électif n'a presque pas da coutre- 
poiib. d#*Klupp^ dans \r' proporUon* lo* plui exuli^rantes, l'abus des 
rMomoiaiidaUiiiis, en re qui eonconie rnruife, pour les congés, les per- 
nlMlnlis, lus rxRiiiptiiiDs de serTics, eic. Leti cbob tcchniquci ont la 

ChuitraDdc diRli'ull'S t rMsti^r nu torrent de dduandes dont le* aecnblen t 
• «^notauri, dlïpiit^s, mairns, etc. Le* niialstpcs. qui n'ont oi slabitllé 
ni iod(p«adsni:e, sont en gi^niral plus ou moin* forcis da ta prAter à 
cette progrs'sicr dtïorgiinÎMllon. 



102 L'ETAT MODERNIi ET SES FONCTIONS. 

paciHque à tout jamais. Le vieux diclon : Homo homini lu- 
pus va se transformer, sans transilion, en celui-ci : ffo}no 
homini ovis. 

Cette prévoyante sagesse pourrait bien anticiper de toute 
une série de siècles sur l'avenir. Les raisons de querelles 
survivent, quoi qu'on en dise, entre les peuples modernes : 
questions de frontières, questions de commerce mal com- 
prises, questions d'infiltration des étrangers d'un pays dans 
un autre et du régime qui leur est fait, questions de den- 
sité inégale de population et de diversité de richesse des 
territoires (1). 

Puis, à l'intérieur même, le frémissement des appétits 
des diverses classes sociales, leurs ambitions pour une vie 
large et oisive, les convoitises qu'excite le pouvoir, voilà 
bien des raisons, ce semble, pour qu'on ne regarde pas 
comme suranné l'appareil militaire dont le maintien et l'af- 
fermissement ont été longtemps considérés comme la prin- 
cipale fonction de l'État. 

La sécurité pour les particuliers et leurs droits ne vient 
qu'au second rang, après la sécurité pour la nation elle- 
même. Ce service s'est singulii'rement développé cbez les 
peuples modernes. Il est inQniment plus vaste qu'on ne le 
suppose au premier coup d'œil. 11 s'accroît en întensiti^eten 
précision; il varie, en outre, h, l'infini. 



(1) Ces deux dernlËres question» peuvent, à. la loague, preadro une 
graude acuité. Les peuples riche» ont In pr^teutioudegëDer l 'immigrât ion 
provenant dea pnys pauvres, de mellrc tlee inxes sur lea êtrongers et 
de les assujettir à des rormsiités plus au moins vexaloires. Il ; a là un 
péril sérieux, qui se manirestera surtout le jour où, le nouvenii mond» 
étant pluB densement peuplé, une plus forte partie do l'excédeul. i\a 
population des contrées prolifiques se dirigera vers les contrées ricbes 
â population moins dense. Si l'on veut empËcher cette inDllratinn, on 
risque de foire reparaître les niigrationn eu grandes masses ï inaîa 
armée. De mfime, si un pajs riche uc sait pas s'assimiler par les bons 
traitements et la naturalisai ion les étrangers pauvres qui nilluent daaa 
son sein. Les motifs de querelles abondant de ce cûlé. 



sEHVICKS DE SÉCURITÉ ET DE JUSTICE. 103 

Eu tant qu'intensité, on peut juger par les quelques chif- 
fres qui suivent de la diversité de;; elTorts faits à diverses 
époques. Au milieu du xvi" siècle, en 1339, le guel de 
Paris se composait d'une compagnie, comprenant 20 gér- 
ants & cheval et iO à pied. Sous Henri II, en 1559, il s'était 
tiéveloppé et comptait 240 hommes, dont 32 à cheval. Il se 
compose, sous Colbert, do 120 cavaliers et 160 Tanlassins ; 
nous Louis XV, en 1771, le nombre des premiers s'élève à 
no el celui des seconds îl 870. Aujourd'hui, d'après les 
comptes de la ville de Paris, les divers services de sécurité 
municipale occupent plus de 10,000 hommes, gardiens delà 
paix, gardes municipaux, pompiers, etc. C'est onze Tois plus 
igu'Ala lin du xviu' sii''cle; la population a, il est vrai, un 
peu plus que quadruplé. 

La loi économique que, avec le développement de la po- 
pulation, chaque service devient moins coûteux, n'a pas 
trouvé ici d'application. Elle a été tenue en échec par deux 
autres lois : l'une, que plus une agglomération humaine est 
vaste, plus les tentations aux crimes et aux délits et les 
facilité» d'en accomplir s'accroissent; l'autre, que, plus la 
population est civilisée, policée, plus elle devient exigeante 
dans ten rartlnements, s'irritant contre chaque trouhU', 
chaque retard, chaque gène, que les peuples primitifs sup- 
portent avec impassibilité. 

Le service dtt la sécurité s'est également beaucoup accru 
en variété : il s'élend ù une foule d'objets autres que la 
protection immédiate des personnes et des biens. Il se fait 
souvent préventif et s'elforce d'éloigner les dangers com- 
mun*, comme les épidémies; il prend des précautions de 
tnule sorte. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, certaines 
nations péchant de ce cAté par négligence, d'autres par un 
txeia d'intrusion, par de^ règles qui reposent sur dos obser- 
vations inrompIMcs ou Irnp promptemcnl gêné m Usées. Ci* 




ser- I 

1 



im L'ETAT MùUEIlNi; LT SES KONCTIONS. 

nous entraînerait dans un délai! infini. Nou3 trouverons 
l'occasion de revenir plus lard sur quelques-unes des fautes 
ou quelques-uns des abus de l'Ëlal (pouvoir central ou pou- 
voir municipal] en cette maliëre. La fonction de sécurilé 
générale dont est chargée TKtat entraîne, dans Tapplicalion, 
des problèmes dont la solution est singulièrement délicate ; 
celle du régime pénitentiaire, par e^cemple, celle aussi de la 
déportation des criminels. 

Depuis que l'on a abandonné la pratique sauvage des an- 
ciennes civilisations, qui, allant au plus pressé, se conten- 
taient de tuer les coupables ou de les enfermer, sans plus 
s'occuper d'eux, l'État se trouve en présence des questions 
les plus complexes et les plus embarrassantes. Au Maroc 
encore et dans la plupart des pays musulmans, on jette les 
criminels en prison, quand on ne leur coupe pas la tète, et 
dans les geûlea infectes où Ton les lient, on ne se charge 
même pas de les nourrir, ce soin revenant à leur famille : 
dans le même pays encore et dans d'autres fort éloignés, 
comme la CLine, on les laisse parfois en liberté, mais on leur 
coupe quelque membre, ou l'on les met dans des entraves, 
dans une cangue, et ils s'en vont mendiant, incapables de 
nuire, mais incapables aussi de travailler. 

Nos sociétés civilisées, qui, par un sentiment élevé d'hu- 
manité, veulent traiter avec charité les criminels, pourvoir 
convenablement iï leurs besoins, leur procurer du travail, 
les moraliser même, assument avec raison, à l'honneur de 
notre civilisation, une lâche des plus délicates. La plupart, 
touletûis, n'y apportent qu'un soin distrait, les gouverne- 
ments étant absorbés par d'autres objets qui sont moins de 
leur compétence. 

On conçoit, ainsi, comment le service de sécurilé qui 
incombe à l'Élat s'est développé, non seulement depuis 
dis on vingt siècles, mais même depuis cinquante ans. A 



iKIlVlCBS DK SECL'HITE ET DE JrSTlCE. t"5 

constilérer comme type la nation qui a passé longtemps 
pour la plus économe, la Grande-Brelapne, les dispenses de 
U magUlraliire, de la police et des prisons [iaïf nnrl jusiice) 
c demandaient an ponvoir central que 5 millions de Tmocs 
Kjn 1617. 8 millions ifi en 1837 : on les voit soudainement 
l«b»orb«r 62.500,000 francs en 1837. puis 80 millions eu 1867, 
(lu miUioDs en 1877. et enfin, en chiffres ronds, 200 mil- 
loDs du francs en 1887. 
Certains indices, toutefois, semblent di^monlrer que ce 
u-vice lie sécurité, qui a tellement gagné en étendue et en 
iblAnsîté chez les peuples modernes. soulTre par certains 
lAtés, subit des atteintes qui pourraient être graves, qu'il 
ntl il revenir, par certains points, ù la barbarie primitive. 
dirait, par exemple, Richelieu, le proscripteur des 
Ull, revenant en ce monde, il contemplait sou succes- 
nmier ministre en exercice, et le ministre de la 
B la veille, en train de se couper la gorge, sous l'œil 
complaisant du directeur de la i^ûretë générale faisant le 
piel pour écarter la police ? 

Qae diraient aussi nos anciens jurisconsultes s'ils assis- 

Uîeat à tous ces extraordinaires acquittements de gens qui 

te tuent ou se blessent sous le prétexte que, étant époux ou 

amants ou rivaux, ou bien encore ayant quelque motif de 

raneuno et de baine. leurs démêlés échappent à la justice 

de* hommes? 

^1 Que pense raient- ils de cette théorie, que tout coupable, 

^Bhnt an malade, a droit h de l'intérêt et h des soins, non b. 

^Hm châtiment? 

^V Quelle idée auraient également de nos progrès nos anciens 
^■Bntinistrateurs, ^'ils voyaient dans chaque foule et dans 
Hnuque bagarre des individus sortir de leur poche un revol- 
ver, s'en sen-ir ou en menacer, tëmoignanl ainsi que des 
classes entières de citoyens sont loujonri clande'ilinemenl 



k. 



106 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

armées, ce qui est peut-être pire que deTôtre ouvertemeat ? 
Notre civilisation, qui a bien des raisons de s*enorgueilIir, en 
aurait beaucoup aussi d*ôtre modeste : le civilisé, même 
occidental, laisse, à mainte occasion où il s'oublie, reparaî- 
tre le barbare. 

Si des villes on passait aux campagnes, on verrait aussi s*y 
épanouir le maraudage impuni, sinon protégé, presque 
toléré, témoignant, en tout cas, que, au point de vue de la 
sécurité purement matérielle, on est loin d'approcher de la 
perfection. 

A ce point de vue, TÉtat moderne, engagé dans les liens 
électoraux, courbé sous le joug électoral perpétuel, ne jouit 
que d'une médiocre liberté et franchise d'allures. C'est là un 
mal secondaire et auquel, si agaçant qu'il soit, on peut se 
résigner, car il n'entame pas profondément le corps social. 



CHAPITRE m 

L'fiTAT ÛHGANK DU DROIT. — CARACTÈRE ET LIMITES 
T)E CETTE FONCTION. 



L'Eut est. pttFciicetlence. In ikfliiiai(!i)r ilri droiU ol de» rcaponaaliiliu'-i 
iuridlqiU!», page 108. — Erreurs de la plupart des hommes politiques 
H de* publïcUleï lur la nulure de celle mission, page 108. — L'ÉLil 
li« crif pu In droit, page tUt. 

L'anctenae coocaption des lois : une r^gle Qie durable, faisanl oppii- 
«illon A l'arbitrai», poite 108. — La théorie de Bosauet et de Fèni-lon 
Ml moins husn que celle de Bentbam. page 100. 

L« lot ne er^e aucun droit; elln recnnnall le droit, le définit et le 
unnlloDne, pugn 109. — Comme le languie, cuoimc l'échunge, le droit 
natt «poDtitnément. page 109. — La coutume précède partout \e droit 
'^rit, patt<' 1 10. — Ûtmt écrit, le droit eit toujours eu mouvement, 
p«r laJiiritprudeQCOqui «'inspire graduellement des usages aauvcaiii 
<■! de* DAc«uit^s nouvelles, pige llfl. — Le légiiilalciir on vient qu'en 
dernier li«u pour «onctioiiner et préciter, page 110. 

GnafcM de qupIquM droits : le droit de propriété, page lit, — 
tloannenl la propriété de la maiaon et ds l'enclos a précédé celle des 
Irrrai arables, page I 11. — Comment l'inégalité de la richesse mobi- 
titn ■ m roriiiUH de l'Inégalité de la propriété Foncière, page il!. 
— La date obteura ilee transformationit do la propriété collective ei> 
propriété* privé*» prouve que ce n'est pas la loi qui a créé le droit d" 
propriAtr, page I ti. 

Parinnt |p bit lostinctit et inconscient a précédé la loi, poge 113. -~ 
Lsfoiplr de la propriété littéraire et artistique et de la propriété ile^ 
iavFoÛon*. page 113. — llémunslration que ces droits existent avant 
toute loi, l'ciercicn SPiitemput en e»t entravé, page I \i. 

Braucaup de droit» naturels, comuie celui de prêter a intérêt, ont 
•10 lutter contre le législateur pendant des séries de siècles et ont 
Irinmphé il» sa réitstauci< obstinée, page 115. 

Nécessité de raniener te législateur û la modestie, page IIS. 

Admirable iléHnlUoa de la loi, de Huntesquieu, page 11&. — Rétu- 
lolloD de* otiJectloM i ce sujet, page I lU. — Il y a dans la nainre des 
choses une tronirquisorit du légitlaleiirMoi^de auccession, d'ImpOts, 
•In* marima d'intértta ou dn pris, nie, pngii 1 10. 

Préonmption de l'Hat moderue et dn» parlements permanents, 
page lltt. — La plasticili' sociale allénun le* effet» de» fanlaide* légit- 
latik-cs. pag<r 11)1. 



108 L'ETAT MODEHNE ET SES KUNCTIONS. 

Les erreurs sur la mission de justice de l'i'tat et l'espiTi 
dans lequel il la doit remplir peuvent avoir une infinie gra- 
vité, La justice se rattache îi la sêcuritË, mais elle en est 
(lislincte, 

L'État, avons-nous dit, est par excellence le déflnisseur 
des droits et des responsabilités juridiques : c'est la fonction 
la plus baute, la plus intellectuelle qui lui soit ëchue. 

11 importe de bien s'entendre sur le caractère et les li- 
mites de cette mission. La plupart des publicistes la con- 
çoivent mal; la plupart des Étals l'accomplissent plus mal 
encore. 

La question est de savoir ce que fait réellement l'État 
qiiand il Tail une loi réglant les rapports de la vie civile ou 
commerciale. Agit-il en 6lre omnipotent, infaillible, créant 
le droit? Certains théologiens enseignent que le mal est ce 
qui est contraire à la volonté de Dieu. L'injuste est-il 
simplement ce qui est contraire à la volonté de l'État? 
Le juste est-il tout ce qui^est conforme à cette volonté? 
Celte façon de raisonner est contraire à la nature des cho- 
ses, à la nature des hommes, h tout le développement his- 
torique des sociétés humaines. 

Il importe d'étudier comment s'est constitué le droit. 

Les publicistes anciens et les modernes, jusqu'à la fin du 
XVII" siècle, concevaient surtout la loi comme une rôgle 
fixe, sinon absolument immuable, du moins durable, for- 
mant opposition à l'arbitraire. C'est ainsi que Bossuet décri- 
vait un Etat " où personne n'est sujet que de la loi et ofi la 
loi est plus puissante que les hommes ». La Salente do Fé- 
nelon abonde en actes de révérence pour les lois ainsi con- 
çues, qui dominent les rois aussi bien que les peuples. 
GfAce à ces règles permanentes, les citoyens ou les sujets 
jouissaient de la certitude dans leur sphère d'action : quelles 
que fussent les fantaisies de leurs souverains ou de 1 ur 



I 

I 



1.ETAT riRGA.NE DU nilOlT. lOO 

admiotstraleurs. ils entrevoyaient certains droits qui de- 
Tsifiat leur être conservés, des catégoHes d'actes qu'il était 
iaipossiblc de leur interdire. 

relte façon de concevoir la loi manqnait, certes, de pré- 
riiion : elle se taisait sur les origines: elle était cependant 
liraucoup plus juste que celte de certains publîcisles ou 
lliéoricicns plus modernes, Bentham entre autres. Ce der- 
nier n*a-t-il pas écrit que le gouvernement remplit son rOle 
' en créant des droits qu'il contre aux individus, droits de 
sécurîlë pour les personnes, droit de protection pour leur 
honneur, droits de propriété, etc. ? « En vérité, les vues de 
Bos*aet et de Fénelon, quoique incon)pIèles, valaient mille 
Toit mieux que celles de cet empirique. Beaucoup de j'uris- 
contuttcs s'en vont encore répétant que la loi crée lu pro- 
priété, par exemple. On institue je ne sais quel droit divin 
des peuples ou de ta majorité variable des peuples qui est 
plus dangereux, purce que ses prétentions sont encore plus 
absolues, que l'ancien droit divin des rois. 

Une analyse eiacte témoigne que la loi ne crée aucun 
droit: elle reconnaît le droit, elle le définit, elle te sanc- 
tionne, elle le précise et surtout elle en régie l'exercice et 
les rapports avec les iiutres droits. 

im Aiifang war die Tfiat ! dit Faust dans son monologue. 
Au commencement on trouve l'jicte, l'acte inslinctir. toute 
une répétition d'actes plus ou moins uniformes, qui cons- 
tituent une série en se développant, en se précisant. Ces 
«des ne se renouvellent, ne se perpétuent, ne s'élendenl 
que parce qu'ils sont conformes aux nécessités de la vie 
bamaine et de la vie sociale. 

Comme le langage, comme l'échange, le droit naît sponla- 
uément par le développement d'embryons successifs. 

Le langage, lu syntaxe même, ont précédé les grammai- 
riens ; l'échange et toutes ses applications ont devancé les 




110 L'ÉTAT MOBliKNli liT SES KOMCTIONS, 

économistes; le droil a précédé les législateurs. Si. pour le 
développement tiuniiiiii, il eùL fallu attendre les décisions 
vucillantes, incertaines, conlradietoires, de la raison raison- 
nante, l'humamté, après tant de siècles, ne se sérail guère 
élevée iiu-dessus de ranimalité. 

Aussi, c'est la coutume d'abord qui, nou pas crée le droit, 
mais le constate et le sanctionne. Partout le droit non écrit, 
non formulé, a devancé le droit écrit. Les premiers législa- 
teurs ne sont, en quelque sorte, que des scribes qui recueil- 
lent et metlenl en ordre des coutumes sorties graduelle- 
ment du sentiment populaire ou plutôt de la nécessité des 
choses. Ils s'en réfèrent toujours aux mores mnjorum. L'idée 
d'innoverne leur vient pas. Le fameux mot de réforme, qui 
aujourd'hui fait sottement tourner tant de tètes, leur est 
inconnu. 

Une fois lixé par l'écriture, par des textes précis et concis, 
le droit continue cependant à être en mouvement et eu 
développement. Mais ici encore, pour tout analyste exact, 
l'initiative ne vient pas du législateur. Vous avez partout un 
droit prétorien, une jurisprudence qui graduellement se 
superpose au droit écrit le fait dévier, le corrige, l'amplifie : 
or, ce droit prétorien, c'est pour certaines espèces particu- 
lières, soit nouvelles, soit modiUées par les circonstances et 
le milieu social, l'application graduelle des règles qu'exige 
la nature des choses transformée. Ce droit prétorien lui- 
même ne fait guère que copier les usages nouvellement éta- 
blis ; le législateur arrive en dernier lieu pour une suprême 
sanction. 

Voulez-vous que nous assistions à la genèse de quelques 
droits, et vous verrez combien il est faux que ce soit la loi 
qui les crée. On a dit, par exemple, quec't;stla loi qui crée 
le droit de propriété : il n'est pas de proposition plus frivole 
et plus contraire À l'bisloire. 



L'tTAT (iHGANt OV DHdlT. III 

i'û roonlré dans mou ouvrage sur le Colkclimsme par 

(|uelB Utonnements le droit de propriété privée s'est dégagé 

I dr 1a propriété collective (1). Dès qu'un peuple est passé du 

I régime pastoral au régime agricole, les demeures deviennent 

1 Dxes : chaque ménage e&l propriétaire de sa hutte ou mai- 

■ son «t souvent d'un petit enclos y attenant. Cette propriété 
I primitive, c'est la nature même qui la recommande et qui 
IriDdiiiuo à l'homme, la promiscuité lui étant anlipathtqne. 

En dehors de cette cbétive maison et de cet enclos, tout 
[le reste du territoire est commun; mais il comprend deux 
I parties distinctes : celle qui entoure le village et qui sert ù 

■ h culture ; celle qui e>t plus éloignée, qui reste inculte ou 
B'e«t alTectée qu'au pacage. 

La première Torme bien une propriété collective, mais 

^divise : on la répartit par lots tous les ans d'ahord, puis à 

k inlenalles de plus en plus éloignés, entre les habi- 

mis. Ce qui tend à donner à la possession précaire des 

■|ol3 une durée de plus en plus longue, à espacer par con- 

rséqnentde plus en plus le partage, c'est la nécessité même 

d'une culture qui se perfectionne. En un an on ne peut 

donner A In terre que bien peu de Taçons; en deux on fera 

ditantagp, puis en trois, puis en quatre. C'est ainsi qu'il 

arrive que, dans le mir russe, les partages parfois ne se 

foat plus que tous les dix-huit ans. Tous ces lots sont égaux 

k l'origine et tirés au sort; mais les moyens d'exploitation 

desbabitants deviennent bientâl inégaux : l'un est acharné 

•a IrâTBit, bnhile, prévoyant, il fait de bonnes récoltes, il 

(1} On trouviira <lani mou ColUvIivimie, rxamen cnltijue du aouvtau 
w (t**^'^'ti*x>'GiiMlauniiii, tSIS). pagMTl t 30ù, [I('«d#veloppo- 
a ManHoB «ur Itta originel et la coDitituUon do la pmprîâtt cbrji 
If pe aille*. 

Dani uxoa l'r^cia d'^conomit i/alitigut.yail-guleaieulmoairé coiutoviit 
a *D cooiUiue imliirHlItmerit (le« ilrtiîl» noiivcmix de propriflA, l'appli- 
cttunt A (IMS objeli lui matériel», lui marques de tabrïqne, le* pruduciioii» 
Utlïtairrg, etc., au Fur cl à mutur« que la citiliMlJua *« pcrrecHODOi:. 



H2 [.ETAT MOUEHNE ET SES FONCTIONS, 

se conslilue des réserves de blé, de fourriigea, il entretient 
bien ses animaux ; l'autre est indolent et vit au jour le jour ; 
bientôt il n'a plus même de bté pour la semence, ses ani- 
maux dépérissent ou disparaissent, il se trouve sans aucun 
moyen de culture : à quoi lui servirait son lot, puisqu'il ne 
pourrait le cultiver? il se voit obligé d'en céder la jouîssanci; 
à son voisin et de donner également sa personne ù gages. 
Bientât la coutume sanctionne tous ces arrangements et 
décide que ceux qui n'ont pas de moyens de culture sufti- 
sants ne seront pas admis au partage. 

Ainsi l'inégalité de la richesse mobilière, provenant du 
travail et de l'épargne, détermine à la longue l'inégalité de 
la tenure foncière, 11 se crée graduellement ce que les 
paysans du mir russe appellent « les familles fortes » et 
" les familles faiblfs »: les premiiires qui accroissent leurs 
lots, les secondes qui finissent par s'en trouver privées et 
ne sont désbéritées que parce qu'elles ont été incapables de 
faire valoir leur part de l'héritage collectif. Les générations 
passent sur tous ces faits, les consolidant, les généralisant; 
les partages, devenant de moins en moins fréquents, s'opé- 
rant entre un nombre de plus en plus restreint de familles, 
finissent par disparaître complëtemenL, par avoir pour com- 
pensation quelque impôt nu quelque redevance. 

La date de ces transformations reste obscure, précisé- 
ment parce qu'aucun texte de loi, d'ordinaire, ne les a 
elfecluées. 

Dans la seconde partie du domaine collectif, celle qui 
est située loin du village, des faits analogues constituent 
la propriété privée, Quelques hommes entreprenants pré- 
lèvent, sans opposition de personne, car personne n'a 
d'intérêt sérieux à s'y opposer, quelque parcelle dans ce 
territoire surabondant; ils la travaillent, la fécondent, l'en- 
closent : l'exemple est suivi : tout le monde en profite. 



L'ETAT UHl.AMi ll!i DHOIT. 



Ma 



I 



même ces ramilles faibles dont je pailais, qui, n'ayant pas 
su farder leurs instruments de travail, parviennent à se 
donner en service et, sur une production accrue, à obtenir 
des gages ou plus assurés ou plus élevés. 

Cette (;enèse de la propriété privée, elle est parraitenient 
indiquée, non seulement par l'élude attentive des textes 
itncieus et des chartes du moyen âge, mais beaucoup plus 
encore par l'examen de ce qui s'est passé, sous les yeux des 
Anglais, dans beaucoup de districts de l'Inde, cL de l'évolu- 
tion dont on est témoin encore aujourd'hui dans le mir 
russe et dan» la deaa (collectivité) javanaise (I). 

Partout le Tait instinctif, inconscient, généralisé, a précédé 
U loi. 

En voulei-vous d'autres exemples? La propriété littéraire 
ou artistique, U propriété des inventions : certes, ce sont 
U, suivant beaucoup d'observateurs frivoles, des créations 
absolues de la loi; sans elle, dit-on, aucun de ces droits 
n'existerait. Si, ils e.\isteraient tous, parce qu'ils sont con- 
formes à la nature des choses : seulement, l'exercice en se- 
rait entravé. 

Il n'est p.is besoin i]ue la loi édicté qu'un auteur est pro- 
priétaire de son manuscrit et le peut vendre h. qui il lui 
plaira, pour que, en fait, tout écrivain soit libre de disposer 
de sa chose et ait quelque facilité pour y réussir, au moins 
en partie. Au siËcIo dernier, il y a deux siècles, un auteur 
en renom pouvait vendre son manuscrit quelques milliers de 
francs à un libraire; celui-ci l'imprimait en cachette, la 
lirait i un grand nombre d'exemplaires et le lançait dans le 
publie- Sans doute, d'autres libraires pouvaient en foire 



Il ouvru)!-' sur le CoUeclieiimr, J'xï élu>iié avec qualquei 
J«UiU l> Mir ruiic. ta Drtia Jargnaiw, lr>f AHmemtrii et autru àibri* 
dt 1* propri*!* primiUTE, el je croU avoir aorrigt At' obwrvtUoD* 
lBMIBf>l^t"* ">■ crrnn^n qui nnl couri 4 v* ■u]*!. 




114 L'ÉTAT MODERME ET SES FONCTIONS. 

des conlrefaçons que la loi ne punissait pas. Mais le pre- 
mier détenteur du manuscrit avait l'avance sur tous les 
autres, une avance de plusieurs mois (car il faut du temps 
pour publier un ouvrage); en outre, les concurrents tard- 
venus devaient hésiter, sauf pour des ouvrages tout à Tait 
reclierchés, h se lancer dans de grands frais quand le 
libraire ayant traité avec l'auteur aurait épuisé la premlËrc 
vogue, qui est de beaucoup la plus abondante. 

Ainsi, la propriété littéraire existe avant toute loi; seule- 
ment, sans le secours de la loi, l'exercice de ce droit est en- 
travé, il n'est que partiellement productif. 

De même pour la propriété des inventions; elle est bien 
avant la loi, pour une certaine durée du moins, dans la na- 
ture des choses et dans le sentiment des peuples. M, de 
Molinari, dans son récit de voyage au Canada, nous fait 
connaître un singulier précédent de la propriété des inven- 
tions. Quand un sauvage, nous dit-il, a découvert un ter- 
rier, il le marque d'un certain signe, et personne ne vient 
lui disputer le droit exclusif de prendre les animaux qui s'y 
peuvent trouver. 

Le propriétaire d'une invention mécanique ou chimique 
peut en garder le secret pendant quelque temps, l'appli- 
quer en silence, faire le mystère autour d'elle; cela le gène 
sans doute, mais il peut néanmoins ainsi en tirer un cer- 
tain parti, quelquefois un parti considérable. Ce droit, c'est 
la nature qui le lui a dévolu ; mais l'exercice eu est précaire, 
sujet à troubles, comme le serait, pour celui qui a semé, le 
droit de récolter, si aucune force n'arrêtait les maraudeurs. 

Ëtait-it nécessaire que la loi proclamât chose vénale une 
clientèle commerciale pour que pût se produire le droit 
et même le fait de vendre ces clientèles ? En aucune façon : 
des milliers de transactions de ce genre se sont exécutées 
avant que le législateur y ait pensé. 



J 



L'ÉTAT ORGANE DU DH01T. 115 

Aajotird'hiii encore un mendiaTit vend ou loue sa place, 
quand elle est bonne, el qu'il renonce H l'occuper. Aucun 
IrilMrnal ne lui confère ce pouvoir. Mais le droit du premier 
occupant est si général, si conTormc à h nuLure humaine, 
à la nature des choses, h la paix sociale, qu'on en retrouve 
(tes applications tout à fait imprévues en l'absence de toute 
sanction Mgale. 

Croit'On encore que c'est la loi qui a créé les marques 
de Tahrique el le prestige qui s'y attache? Non ; seulement 
\fs fabricants étaient obligés, pour éviter la contrefaçon, de 
multiplier et de modiilor, en «'entendant avec leurs princi- 
paux clients, leurs signes conventionnels. 

Croit-on aussi que c'est la loi qui a créé le prêt à intérêt, 
quand les trois quarts des législateurs se sont acharnés & le 
profcrire on ù le mutiler? H a survécu & toutes les pros- 
criptions, parce qu'il est conforme aux nécessités du déve- 
loppement humain. 

Il en est de même pour tous les droits, 11 faut ramener à 
la modestie cet homme présomptueux el vain que l'on 
appelle le législateur : il ne crée pas le droit, il en ri^glu 
l'exercice; il n'a aucune puissance créatrice; il ne possède 
qn'un« force régulatrice, qui, malheureusement, dans des 
mains étourdies, se transforme en un immense pouvoir de 
perturbation. La foi absolue en la raison raisonnante est 
l'une des plus funestes suporï'titions que le xviii° siècle nous 
^tguées. 

pmêfflO siècle, cependant, avait trouvé la vraie défluition 
Il loi. Elle est admirable, elle incarne loule la sagesse 
ïé^kUlive, cette magistrale parole : u Les loi^t, daniî la signi- 
ftcation la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui 
dérivent de la nature des choses, n 

J'ai été furt étonné qu'un écrivain aussi judicieux etaussi 
sagaco ijue M. Sorel en ait méconnu, dans son étude sur 




H fi l'ÊTAT MODERNE ET àES FONCTIONS. 

Montesquieu, toule la prol'ondeur, loule l'exaclitiide, et 
j'ajoute toute la netteté. Il trouve que cette Tormule est n la 
plus vague et la plus générale de toutes; m la plus générale, 
oui, mais non pas la plus vague ; je serais tenté de dire la 
plus précise. « C'est une formule d'algèbre, dit M. Sorel, 
elle ne s'adapte qu'à une grande distance et assez indis- 
tinctement aux lois politiques et aux lois civiles. » Tout 
autre est mon avis. 

Je ne m'occupe ici que des lois civiles, la formule de Mon- 
tesquieu S'y adapte merveilleusement. Le législateur, par 
exemple, engage pendant des siècles, sur toute la surface 
de la terre, une lutte contre l'intérêt du capital; ce n'est 
pas l'intérêt, c'est le législateur qui est réduit à capituler. 

De infime, non seulement pendant la révolution, mais 
auparavant, au xviii' siècle, en France, en Angleterre, on 
fait des lois ou des arrêtés pour établir le maximum du 
prix des marchandises ou du prix des loyers (il y a bien des 
arrCts du parlement de Paris en ce sens), et ta nature des 
choses fait violence au législateur. Un décret gouverne- 
mental, en 1848, non abrogé depuis, interdit le raarchiin- 
dage, c'est-à-dire les sous-entreprises morcelées par un 
entrepreneur général ; le marchandage se dissimule, mais il 
persiste. 

Aujourd'hui encore, on parle de supprimer plusieurs de- 
grés de succession. La chambre peut-être votera cette me- 
sure; un ministre des Hnances naïf inscrira au budget un 
certain nombre de millions comme produit probable de la 
confiscation qu'il projette. Mais le droit de succession est 
inhérent à la nature de l'homme, à l'empreinte personnelle 
qu'il lient h avoir et à laisser sur les choses, aux liens 
d'affection que crée en général la communauté d'ancËlres, 
de nom, la persistance des relations; le testament déjouera 
les projets du ministre; au lieu de quelques dizair 



J 



L'ETAT OHUWE DU UROIT. 117 

millions par année, la voracité irréfléchie de l'État ne re- 
cueillera que quelques dizaines de mille francs (1). 

Il) Il a vit Iri's Bouveiil questiou eo France ilu tu suppression d'un 
c«rt*iii nombro de degrés siiccesBoriiux pour l'héritage ab intestat. 
Oirm députés ont Tnit <lppiiis 1880 îles proposition» dans ce ncaa, et 
rn ISU.M.PpytrBl.minisIre dea Goanoes, préparait un projet de loi à 
c> «uJeL On s'imugianil trouver ainsi, les nus diraient 30. les antres SO 
à aO million* qui re viendra leal nnnuettement à l'Étal. Si l'on en vient à 
voler an Jour de aeniblalileîi mesures, on éprouvera de vives et promptes 

Si cetlalnri législations, comme lu uûlre, bornent au doiiiiime degré, 
ce qui Fsl très éloigné, eut les cousins germains ue sont qu'au quatrième 
J^gré, le* «urcesalous ait intmlul. ce n'ost pas qu'eite-i admettent qu'eu 
aucun caa la «uccession dévolue û l'Ëlul vaille mieux que la succesEion 
dévolue à des particuliers; c'est par une raison purement pratique et 
qai tient aux rnndilions de la vie moderne. On a pensé que dans nos 
•odété* mouïeuieulées où tes diplacoments sont rréqiieuts, où les Ta- 
mille* ne rcst''nl guère perpétuellement 4 leur lieu •roriginc. la parenté 
tu deit du douiiimc def;ré devient en général fort incertaine, qu'elle 
ni *n|elt« à contestation, h procès et que, dans ce cas, les successions, 
quand aucun Icstamcnl n'est intervenu, ne sont, d'ordinaire, que la 
rauH) ito litiges innxlricables qui absorbent tout l'actif. Voilà la nùson, 
la leule, qui » dicté notre législatioa. C'est en quelque sorie un conseil 
qu'adresse le CoAb aui personnes n'airnot que des parents excessivement 
Ûaignés iIe faire un tnitanteni pour éviter que leur héritage soit dévoré 
pv ie* gens d'affaires. 

Ce n'est pas dons une pensée de lucre personnel que l'Etal a fixé celte 
lointaine lîmiti- du douiièine degré; en faîi, celte limitatiao ne lui 
appitrte que très peu de profit; les sucoessions et) désbérence qui échoient 
t l'Ëtat sont luaigiilUantea. En I8«e,elles se sont élevéesiI,S10.Si9 francs 
pour »n liudgi'l de plu* de 1 oiilliArds. Encore ilolt-on dire que eus 
3,&îO,M9 (rancs provieiuent d'un nombre conudérable de toutes petites 
«UccCMlons. Il sutOt qu'il y en ail cinq ou six mille par an de quelques 
MUtainr* de traur^s pour former ci- maigre total. C'est ainsi qun l'on 
voit, chaque trimestre ou chaque semestre, le Journal officiel publier 
k montant des dépAtt aux Caisses d'épargne qui ont été abuudonnts. 
H a'ea trouve J«> quantités, dont la plupurt s'élèvent soit a quelques 
eimtiauw. soit i quelques traucs, 1res pru altetgriuut ou dépassant 
U fratiM. Au-dessous di' ce chilTri*. il est bleu des hommes dont la vie 
«st nouvemenlép et qui. changeant de lieu, de métier, passant pur 
' Itudas diverses, oublient de retirer les quelques francs, parfois 
t les quelques centimes qu'ils ont dans une caisse d'épargne 
Uaiadéi que la somiUo est importante, soit pour un dépôt i 
I. sait pour un actif mobilier ou en valeurs, le mourant s'en 
•ourlent et. A niuius que la mort ne U Misiise soudain en pleiue «ontd 
•l en pleine activité, il aime mieux léguer son avoir soit i un parsnt 
MoigDt, suit ù <iu ami, soit ^i un d'iui "«tique, soit à une aturp- de bien- 




118 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

S'agit-il d'impâls dont le législateur veut faire un instru- 
ment d'égalisation des conditions? le phénomène de la ré- 

foisance on de charité ; tes tortunes privées ont horreur de l'imperaon- 
Dalitf; ellea n'aiment pas à s'y perdre; ellcafonl tous leurs elTorts pour 
y échapper : or, l'Ëtat, ce grand ËUt modorne de 40 millions d'àines. 
de 60 millions, de 100 millions, de 31)0 mitiioas même, Eiiivant les cs", 
c'est l'i m personnalité par excellence. 

Si l'on veut juger de la faible relation qui existe entre les successions 
en diahërcDce dont profite l'État et les succeesions qui sont dévolues n 
des étrangers, le calcul est Tacile à faire. Le Bulletin de ila(iiilii/tie et 
de ligUlalion comparée du Miniatire des finances (tome II de 1887, pages 
14a-U7 et 1S8-1S9) nous en rourait tes moyens. En I88fl, l'ensemble des 
successions dévolues à des personnes non parentes s'est élevé â!!0 mil- 
lions, S1,D^Q francs; or, les sticcessious en déshérence dont l'Étiit a pro- 
fité n'ont monté qu'à 2,570,94D francs, soit 1,15 p. 100 environ du total 
des successions entre étrangers. Dans la même année IS3G, les succes- 
sions au delà du quatrième degré jusqu'au douzième (or, reaiurquex 
qu'il n'est question de supprimer le droit successoral qu'au delà du 
sixième degré) n'ont monté qu'à 10S,T36,t3(J francs. En appliquant a cet 
ordre de succession la même proporlion de déshérences qu'aux succes- 
sions entre étrangers, on volt que l'État hériterait seulemeut, par la 
suppression du droit successoral ab intestat, de 1,U0,000 francs environ 

La suppression de plusieurs degrés successoraux serait une ccnvre de 
brutalité, mats aussi de naïveté. Ce n'est pas le tout que de vouloir 
couflsquer les biens, il faut encore rendre la confiscation inévitable ; or, 
le testament ouvre une porte par laquelle passeraient toutes les for- 
tunes privées pour échapper à l'Ëtat, et quand môme le testament 
serait interdit, le placement à fonds perdu supprimerait en fuit l'héré- 
dité de l'Ëtat. 

Voici pour l'année lass comment se sont réparties en France les va- 
leurs Bucceseor.-tIe9 et les droits fiscaux dont elles ont été grevées. 



Degrés de parc 



Taui da di'oi 



l-ËUL 



l» En ligne directe l.!0 0/0 

a» Entra époux 3.7â — 

S° En ligne collatérale ; entre 
frères et sœurs, oncles et tan- 
tes, neveux et nièces 8. 12S — 

4° Entre grands-oncles, grand'- 
tantes, pelis-noveux, petites- 
nièces, cousins germains.... H. Ta — 

5« Eolre parents au delà du 
quatrième degré jusqu'au 
douilÈme 10 ■ — 



3I4.3a9.21G GD.làS.SGI 



102,"3fi.4ïO 10.Î13.54* 



L'ETAT ORGANE DU DROIT. 119 

percussion ou de ta diffusion des taxes vient déjouer ses 
efforis. Il y a, dans la nature des choses, une ironie qui se 
rit du législateur et se venge de ses atteintes. 

L'Ëtat moderne malheureusement, avec sa présomption 
de vainqueur électoral, de repi'ésenlant d'une majorité 
fiaichement formée, avec sa hâte de détenteur précaire du 
pouvoir, veut souvent Ignorer la nature des choses et la na- 
ture des hommes. 11 a établi, sous le nom de parlements 
pcroianeats, des usines de législation continue, travalllanl 
corotne les métiers continus de filature. Il jouit ainsi d'une 
^ande force perturbatrice. Heureusement l'obstruclion des 
oppositions parlementaires arrête souvent la vitesse de 
cette orgueilleuse machine. Heureusement aussi la plasticité 
sociale, plus ou moins entravée, finit par trouver des com- 
binaisons qui suppriment ou atténuent les eCTets des fantai- 
sie) législatives. 

C* EnUv p^rtoanc» non paren- 



II. ÎS 0/0 



Totaui.. 



.s.scK.îii.cas ne 



Il BppiTi ilc^ luut ccc^i 11UI7 lËlat. ii'il vcul «upprimer ilea ilegit» de 
ÉUcciuloiuD, D'en retirera aaeaa profil, k moine qu'il ne Bupprinie tga- 
Iraivnt la Iicullè Us tcilrr; uiânic slor* la plnccmeut A foads pcrilu, 
iju'on at pi-ot pBi «mpjcbiir. lui remil concurrence et, avec le teiupa, 
nriluirait la pari pr<?iii|ui! a n^aut. 



CHAPITRE IV 

FONCTION DE CONSERVATION GENÉBALE. 



Comme reprëaeutanl de la purpÉluilë sociale, l'Ëtat doit veiller A la 
conaervalion des candilions ginërules d'existence de la nalîoii, page 
isu. — Coiiservatiou du climat, du territoive cullivable, des richexBea 
Ddluroltea qui ne se reproduiseut paB, page I!i. — Dana cette tâche 
l'Etat peut être aidé par ïee particuliers ou les associations, maU il ue 
doit pas a'abslenir, page 121. 

Mcrreilles de U Hollande dons sa lutte contre les eaux, page 131. 

Exemples on Frauce de belles âtudes théoriques et de btum tra- 
vaux pratiques pour relte œuvre de conservation générale, pnga 131. 

La politique hydraulique est chez les peuples <U l'Europe à peiiie 
à son début, psge 12!. — Le rûle da l'Etat peut Élre coneidérable 
pour laconsLTvation ou le repeuplement deaforËls, page 123. — Son 
intervention en celte matière est beaucoup plus nécessaire dans les 
paya méridionaux que dans les septentrionaux, dans les pays démO' 
cratiquea que dans les pays aristocratiques, page 124. 

De rinlëriorité de la Fronce, relativement aux Étnla allemands, 
pour l'entretien des TorËta domaniales, page 13S. — L'Ëtat doit faire 
observer les loia sur la chasse et sur la pèche, et préserver d'une 
exploitation destructive les richesses naturelles qui ne se roprutluîseiit 
pas, page 12Ë. — lusuCQsance de l'État moderne pour l 'accomplisse - 
meni de cette tache importante, page 127. 



J'arrive à la troisième fonction de l'État, l'une des plus 
icnportantes et des moins bien remplies. Je ne ferai qu'en in- 
diquer les grandes lignes. 

L'État est le représentant de la perpétuité sociale, il doit 
veiller à ce que les conditions générales d'existence de la 
nation no se détériorent pas; c'est lii le minimum; ce qui 
vaudrait mieux encore, ce serait de les améliorer. 

Les conditions générales d'e.tistencc de la nation sont 
des conditions physiques et des conditions morales. Je ne 



I 



SEHVICK DR CONSERVATION r.E-NER\LE. 121 

parlerai en ce moment qtie des premières, qui sont moins 
sujettes à contestation. 

Elles consistent d'abord, autant que l'homme y peut 
réussir, dans le maintien ou l'amélioralion du climat, dans 
la conservation du territoire cullÏTable, dans la protection 
des richesses naturelles qui ne se reproduisent pas. Pour 
l'accomplisse ment de celte lâche multiple, qui est l'une de 
celles que le passé a le plus négligées, l'Ëtat doit lutter tanl&t 
contre certaines forces naturelles qui ne se laissent piis 
aisément conlrôler, tantôt contre la cupidité ou l'impré* 
voyance des générations actuelles. 

Maintenir intact le sol contre les fléaux de la nature qui 
sans cesse le menacent, c'est-à-dire, dans des contrées 
cumme l'Europe, protéger le littoral contre les envahi-se- 
ments de la mer, les terres intérieures contre les inonda- 
tions et les ravages des cours d'eau, préserver le pays de lu 
lécberesse par la conservation des ToréU, voilà des lâches 
qui n'incombent pas h l'Etat seul, mais pour lesquelles il a 
qualité. Il peut être aidé par les particuliers et les associa- 
tionx; il ne doit pas se résigner, touterois. à l'abstention. 

1^ ilultande a fait des merveilles dans sa lutte contre la 
mer. Tous les éléments de la nation y ont contribué : M. de 
Laveleye. grand partisan en général de l'intrusion de l'Élut, 
a exposé, dans son ouvrage sur V Agriculture belge, toutes 
les conquêtes agricoles que des particuliers entreprenants 
ont faites sur les Ilots dans les Flandres et en Néerlunde ; 
cet riches terres que l'on appelle de3 polders sonl des triom- 
phes de l'induittrie privée; mais il avait fallu auparavant 
que soit des syndicats libres de propriétaires de tout un 
district, soit plus généralement des communes ou des pro- 
vinces, construisissent des digues et lissent les ouvruges 
principaux. Le ministère des eaux est l'un des premiers 
départements ministériels de la Hollande. 




IS9 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Le profit acLucI ou prochain n'est pas toujours suffisant 
pour pousser les particuliers à l'action en cesmalîëree; puis, 
l'œuvre, pour être efficace, doit souvent s'étendre sur une 
surface considérable ; il faut parfois l'entente et le concours, 
non seulement d'un grand nombre d'babitants d'un district, 
mais de tous ou presque tous les délenteurs du sol dans ce 
district. Quand cette entente vient à manquer, l'intervention 
de l'État, soit sous la forme mitigée, soit sous la forme 
absolue, est justifiée. La France peut ^e vanter de quelques 
beaux travaux dans ce genre. L'inspecteur général des 
ponts-el-cliaussées Brémonlier trouva, vers la fin du xviii' 
siècle, le moyen de lixer les dunes du golfo de Gascogne 
entre la Gironde et t'Adour et les couvrit de fort belles 
furôts de pins, préservant ainsi les villages et les terres 
cultivées. Dans le courant de ce siècle un autre ingénieur 
du même corps, M. Chambrelent, sut faciliter l'écoulement 
des eaux dans les Landes, assainir le pays par do nouvelles 
plantations, de sorte que des terrains ont été gagnés sur des 
marécages et sont devenus productifs pour la nation. On 
peut citer quelques autres exemples soit d'études théoriques, 
soit de travaux pratiques entrepris par des fonctionnaires 
de l'État pour des œuvres de conservation générale. Un ingé- 
nieur public, M. Surrel, a publié notamment un fort beau 
livre sur iea torrents et a demandé le reboisement des 
Alpes. Son appel a amené le gouvernement à faire voler des 
lots et à prendre des mesures, incomplètes encore, pour re- 
boiser les montagnes et régulariser les eaux. 

On peut dire que la politique hydraulique est chez les 
peuples de l'Europe encore en enfance. Les cours d'eau doi- 
vent 6lre régularisés, endigués; jusqu'ici, on les a considérés 
principalement au point de vue de la circulation des mar- 
chandises. Il y a un autre intérêt, celui des irrigations, celui 
de la régularisation du débit, de la création de réservoirs el 



SERVICE DE CONSEnVATlUN GENËHaLE. Iâ3 

de fol-ces motrices. Oa peut, pur des travaux sagement con- 
duite, gagner à la fuis du terrain, de la sécurité et de l'eau. 
Le dessèchement des marais est aussi une des tAchcs 
dont l'État peut s'occuper, soit pour la concéder en la sur- 
veillant, soit pour l'exécuter lui-mOme. Les particuliers ne 
sont pas toujours impropres & cette tâche : ou &ait que le 
prince Torlonia vient de dessëcber en Italie le lac Pucîno, 
œuvre d'ostentation peut-être, appartenant à ce genre de 
tpari aristocratique, presque royal, dont je parlais ici dans 
on précédent chapitre. En Grèce, une compagnie française a 
de^^cbé le lac Copals. En Algérie, la grande compagnie 
minière de Mokta-el-lladid s'est chargée du dessèchement 
du lac Fcizara, près de BOne. L'ÉIat n'est donc pas seul h 
pouvoir exécuter ces grandes tdches; mais là oii l'initiative 
privée languit et où les ressources publi<iues abondent, il ne 
doit pas s'en désintéresser. 

Aux eaux se rattachent les forêts : c'est ici encore que le 
rfile du l'État peut rtre considérable. 

Partout oii l'homme s'établit, sous le régime pastoral ou 
au premier stage du développement agricole, il détruit les 
buis: il le fait d'abord dans un intérfitde sécurité, puis dans 
UD hitérét de saUibrîté, enDn par avidité, pour étendre les 
p4furages de se^ troupeaux ou pour vivifier avec les cendres 
l«s (erres qu'il ne sait pas amender. Ces destructions, pen- 
dant longtemps, n'ont que des inconvénients modiques, 
parce que, les bois couvrant presque tout le pays, on peut, 
sans troubler le régime des eaux, en restreindre l'étendue. 
Mais un jour arrive où il faut maintenir, particulièrement 
■or les plateaux et sur les pentes, les massifs qui ont sur- 
vécu, les restaurer même. Il no s'agit pas dans celte œuvre 
^^^ d'assurer des bois h la marine, ou d'empficher le bois de 
^^B renchérir, ou bien encore do faire participer l'État, c'est- 
^^M &-dtre indifectement tout le monde, aux bénéllces éventuels 



12i L'ETAT MUUEH.NE ET SES FONCTIONS. 

de la hausse du bois; ce sonl IH des considérations secon- 
daires. Il s'agil surtout de maintenir le ri^gime des eaux et 
les conditions climatologiques- 

L'intervenlion de l'ÉLat, représentant la perpétuité, est 
ici justifiée : elle est, toutefois, inégalement utile dans les 
diirérents pays, suivant diverses circonstances. Elle est plus 
essentielle dans les contrées méridionales que dans les tem- 
pérées ; elle est plus nécessaire dans les pays démocratiques 
que dans les pays aristocratiques, ou dans ceux qui comp- 
tent de nombreuses et fortes corporations. 

Piesque partout le paysan n'aime pas la forêt; dans le 
Midi, il n'aime pas l'arbre ; il n'a qu'une faible idée de l'uti- 
lité indirecte des choses. Les grandes et les moyennes pro- 
priétés, les parcs auxquels s'allaque la frivolité démocra- 
tique, rendent, à ce point de vue, de réels services ii la 
communauté; ce sont des réserves d'arbres, de gazon, 
a'humidilé, d'oiseaux. 

En Angleterre, grâce au climat, aux propriétés géantes, 
aux goûts des port, l'État peut se passer d'intervenir dans la 
régime des l'oréls et des eaux. Il y a là en quelque sorte une 
forél dilfuse et espacée sur tout le lerriLoIre. De même en 
Belgique ; il n'en est pas ainsi en France, ni en Espagne, ni 
en Italie, ni surtout en Afrique. 

L'intervention de l'Ktal dans le régime foresliei" repose 
sur de tout autres principes que son intervention dans la 
production agricole habilutille : ici, il n'a rien à faire, ou 
presque rien; là son rôle peut reposer sur des considéra- 
lions d'un ordre tout à fait général. Ce n'est pas pour accroî- 
tre la production présente, ni pour suggérer des méthodes 
nouvelles, ni pour guider l'agriculteur; l'Étal ne s'y enten- 
drait guère : c'est simplement pour opposer l'intérCt per- 
pétuel, universel, à l'intérêt immédiat et local. Ainsi le 
déboisement des Alpes nuit à la Provence toul entière. 



Service de cossehvation r.ENERuLE. ids 

Autrefois, l'nclion de l'État était beaucoup moins néces- 
saire dans ce service; plus nombreuses, les forfils se trou- 
vaient beaucoup mieux entretenues, a cause des corpora- 
tions, notamment des religieuses, qui ont plus en vue la 
perpétuité et pratiquent le détachement du temps présent; 
k cause aussi des préjugés nobiliaires qui, pour ta conser- 
vation de la chasse, préservaient les Toréts. 

Aujourd'hui, une grande partie de cette tAchc incombe à 
l'Klal, h rÉtiit central, non pas h la commune, souvent 
ignorante et imprévoyante. Ce n'est pas seulement en France, 
c'est au Canada, en Australie, an Brésil, qu'il en est ainsi. 

Si r£l.it français aménageait bien les t)H6,000 hectares de 
forêts domaniales, dont beaucoup, dans les circonscriptions 
de Cbambéry, Ajaccio, Gap, sont de simples terrains em- 
broussaillés, estimés à une valeur de 3(i0 francs, de ^0. 
de âiO francs par hectare en moyenne; s'il repeuplait d'ar- 
bres les pentes des montagnes; si, par un contrôle attentif, 
il forçait les communes à reconstituer les ),S3it,000 hecta- 
res de bois qu'elles possèdent, et à transformer en forêts 
une partie des 2,60ti,(XX) hectares de communaux incultes, 
pAtures ou garigues, indépendamment des 33S,OUO hectares 
communaux eu culturo qu'il pourrait laisser dans leur 
situation présente, l'État remplirait son nlile de représentant 
de la perpétuité nationale, il rendrait des services sérieux 
aux générations futures (1). De mfimc pour les lois sur lu 



0; LFtElatsalUmandi sv prtoctup«Dl hi-siiroup plus nav iil'Ii- Tuil la 
France do ta cotiMrvaliuii (1«« for^li. Au tuilUuD d'bpclarpf dp doi turttA 
douiuiialBi et à wt I,8(H>,U00 hpcl&r«> d« inftllucr'-B bois coinuiunaui. 
rAlUmigiie, doul If Irrrilolri- n'rsi quf d« 1 p. 100 envirou tuptirivur 
* celui de la (V^Dve, pont oppo«er 4 million* 431,000 lii>ctarp* <!« fortt" 
apparteuaiil aux Ël>il*, ï mllloni IIS.OOO liPcUir''» dr Imla romiiunniii 
f I no.uoo li»ctar«i «pptrlcnant bus i-ft\i*rt au aux earpnnillnns. nulT'' 
&JKi>,ouo hoctiirrii <]i>i «ont l« propritl^- il<: particulipr> (Voir notre 
Thtili df la fritncr 'Irt financM, (• <^ilitiun. lome 1. pagr |g\ 

Lit FruKT «t rAMi'inRitne pandaal loiigleinpa h pliaient, il'ailleur*. 



tS6 L'ETAT MODERNE ET SES FO.VCTIONS. 

chasse, sur la pÊche, non seulemenl lUiviale, mais maritime, 
pour la préservation de toutes ces richesses naturelles que 
l'homme épuise, l'État devrait avoir une prévoyante rigueur. 
Iteaucoup d'entre elles disparaissent, traquées et exploitées 
sans miséricorde : ici ce sont certaines espèces de poissons, 
là les oiseaux, ailleurs les baleines, dont il n'existe plus 
guère; ailleurs encore les éléphants avec leur ivoire, autre 

a lies points de viio différenls, un ce qui concerne les forais domanialeB. 
Chw nous on ne les considérait guère que comme unesource de revenu. 
Jusqu'^UD temps très proclie de nous, on ne s'occupuil que Tort peu de 
les améliorer, d(> repeupler les clairières, si nombrcuees surtout dans le 
iniili. Malgré que, i lo fin du second «cupire, on eût volé des lois pour 
k roboLseincDl, le crédit affecté à ces travaux en 1876 ne s'élevait qu'au 
chilTrc iulime de 1,11<3,UUU francs ; encore comprenuit-il des sutiveutions 
aux piirllcutii-rs, de Borte qu'il restait bien peu de chose pour les travaux 
A faire pur l'État. En ISIB, il est vrai, co crédit aété porté <i I.CSS.OOU fr., 
puie, en 1883, i. 3,{>aT,000 francs. 

Los États allemands oui fait, de tout lemps, de bien plus grands sa- 
crifices pour sauvegarder leurs richesses Torestières. 

Dans le duché de Bade, de ISSO à 1856, ou a semé ou planté !1,;6S ar- 
pents, c'est-à-dire environ 0,000 hectares, un millier d'iicolares par au ; 
la France, si elle opérait avec ta mËme activité, devrait semer ou planter 
3(l,iHHI ou 35,(K)U hectares annuellement : encore ce chiffre serait-il trop 
fuitile. Dans lo Wurtemberg de 1B30 ù 1832 on a planli^ ou semé com- 
plètement 37, 381 arpenls, environ 9,000 hectares, qui auparavant n'étaient 
pas en forêts, et l'on a amélioré 267,708 arpents, soit 70,000 hectares, 
c'est une moyenne de 410 hectares mis en forêts et 3,200 améliorés tous 
les ans : si l'on multiplie ces chittres par !i), ou verra ce que la France 
devrait taire. Bade, en 1870, a dépensé .S8,U0U Oorins, soit lïi,Oao ri'ancs 
L'U culture foresllére \WalJruUuren) ; la Bavière, dans la même année, 
3i>8,n00 Qorins, soit 059,000 Francs : la Francs a huit Cois la population 
et beaucoup plus de huit fois la richesse de la Bavière : elle devrait donc 
dépenser plus de h millions de francs pour la même destination : la 
Prusse propronient dite ,i consacré, en 1870, aux cultures foreatières et 
aux amélioraliona {Vermrlirung iind Einrichlutg] 814,000 thalers, soit 
u, 043. 000 francs : la même proportion, par rapport à notre population, 
exigerait de nous une dépense annuelle de i millions de frincs : or, les 
cultures forestières proprement dites no prélèvent pas sur notre budget 
pins de ! millions et demi ou 3 millions au plus. 

L'État démocratique, plus agité, à personnel plus variable, plus sou- 
mis aux influences élcctoralrs, d'ulguatit de mécontenter quelques 
villages ou quelques ftroupes d'usagers, ayant, d'aillcuri<, dans toute sa 
manière d'être, moins le sentiment du lointain avenir, reste fort en 
deçà des vieilles organisations administratives stables poui-cesgiaaduB 
œuvres de préieivation générale. 



SERVICE DE CflNSEnVATlON GENEHAt.t. 127 

p.irl la i^'iitU-pei'cba, autre part encore le qiiiD<|iiinii Oui, 
pour lu préservation de ces richesses exceptîoniiL'lles, VVAai 
H tin rôle conservatoire à jouer, car l'Ëlat, nous l'avons vu, 
est surtout un organe <le cûnservatiou. 

L'État moderne doit jouer ce rôle : esl-il bien préparé à le 
remplir? Itappelons-nous ce qu'est 1 Étal moderne : il est 
électif à tous les degrés, électiT pour de brèves périodes; il 
a la terreur do l'électeur, particuUèremeutdes électeurs re- 
muants, agités. 

Oue se passe- t-il sous nos yeux? Un ministre de l'agricul* 
turo (1) emploie son temps à détruire la belle ordonnance 
de Colbcrt surles eaux et forfits. Il disperse l'École de Nancy ; 
il accroît les tolérances pour le pacage, pour les droits 
usagers; il tond k faire do la forêt une proie pour les rive- 
rains: il annule lus procËs-verbaux ou défend d'en faire. Il 
transforme les gardes-généraux et les inspecteurs en agents 
politiques, c'est-ù-dire dépendants, dégradés, impuissanls. 
l'our la cliasse, pour la pécbe, sur tout le territoire, du 
grand au petit, on totëre les mêmes abus. 

L'Ktat trabit ainsi sa cause; il se fait l'associé, le complice, 
presr]ue le provocateur de ce pillage acliarné des richesses 
collectives. 

J'ai examiné dans ce livre trois des principales t&cbes de 
l'État, les trois plus incontestables; j'ai mis en présence 
de CCS tâches l'État moderne; je l'ai interrogé sans pas- 
sion, sans désir de le trouver co fauto, scrutant simple- 
ment les moyens d'action dont il dispose et l'esprit qui 
llnspire. 

J'ai TU que, distrait par d'autres soins d'ordre subalterne 
et frivole, l'Élat moderne s'acquitte assez mollement de sa 

(0 H. Vielle. Le mlnUlire de ce poKticInn n inomrf ce qn'tl a<lTi#Dt 
dei richeiM» oatiounlca quooU on m: pUcu uuiqusmeiit Ml point de vue 
Mccloral. 



iSfi L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

roncLion de séciiriLé; (ju'il porte, au conliaire, une activité 
confuse, déréglée, souvent perturbatrice, dans sa mission 
législative, qui consiste simplement à reconnaître les diffé- 
rents droits, à les sanctionner, à en régler l'exercice et les 
rapports réciproques, à délinir, il constater et généraliser 
les adaptations nouvelles que les variations du milieu social 
ont rendues nécessaires et qu'elles ont déjà etTectuées sous 
la forme d"usages libres. 

Enfin, quant à la lâcbe de conservation des conditions 
physiques du développement national, il ne m'a pas paru 
que l'Etat moderne s'en acquitt&t avec la lermeté et l'esprit 
de suite qui importe à l'avenir de la nation. Nous allons 
passer maintenant en revue les besognes multiples et acces- 
soires dont l'État moderne s'est chargé ou qu'il prétend 
accaparer. 



LIVRE IV 



LES THATAOX POBLICS, L'ÉTAT CENTRAL £T LES 
MUNICIPALITES. 



CHAPITRE PREMIER 

COUP I)'(E1L RETROSPECTIF SUR l& DËVELOPPEHENT 
DBS TRAVAUX PUBLICS. 

ImposiitiilUA i'itae rtgle ùie rt uoiveriellc pour rîDtervention de l'Ëlat 
en c«Ua mali^rc, page 130. — Les travaux publics pBciQques et les 
UavBUB publics luililalrea, pftie 130. 

CancUreB trt« divert de» Iravaui publfci : ceux de cooRRrrïtion 
giotral« ioconibent IncooteRlablemeol à l'État, page 110. — L'exécu- 
UoD p«nt en Blra dtlfguée à des particuliers ou à dea aziociatioai, 
P«g« Uf- 

Lo genm da travaux publica qui ponionnent le plui le* cooteoi' 
pareiii*. lea «iilrvpristfs itc vidbilitf , laUsoinnt prraiiue iudiJl£rcDt« 
Îm p«uplei oijcieii*, page 131. ~ La couslnicliuii de routes ou de 
cbemltu «t l'uno d«* applicalioa» les plus tardives du principe de la 
iHvUluQ du travail et do ctlui de la capilalisalioD, page 131. — L'uuge 
Je la bïte de BOiume reste à iatroiluire eur des immeniUéi de terri- 
toire*, page ISI. 

L«« dlrenrs phaiP* de l'art des conimunications se présentent en- 
eor* eucctHiveinenl & l' observateur qui paa^e d'un cooliDcat i un 
autre, page 133. — Les porteuri bumama, les caravaoes ou les con*oi« 
de mulets, le roulage a>:ctl^ré, la lofouiotire. p^ige 131. — Diffërencfl 
d« pris de revient du chicua de ce* transports, page t33. 

l^portioDs de la «iirrnce ite la plaaéle qui ne Jouîstcol que de l'im 
ilea notles ioUrU-ur* de commuDlcaliou, page 144. 

Ceit Is gucrru qui • Tait ouvrir lo> premiirea routes, et qui eo tall 
tocora contlruira dons Ici pajs barbares soumis aux Europiens, 
pago [31. — La voie ronidiuB, les routes des Alpea. le* chemin* de fer 
d« l'Aale cculralc, page Ut. — L'esprit se (smUiarisa graduellement 



I 



k. 



L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 



avec l'iilée que lea routea Bont un inslrument de paii, page 
Lca travaux publics ont successivement, pour les peuples 
objet d'iuilîiïéreuce, puis il'inlfrËt, ensuite d'eagouenient, 
passion, page 136. 



Après la sécurité et la justice, il semble que les Irnvanx 
publics constituent la fonction la plus essentielle de l'Élat. Il 

est certain qu'il ne peut complètement s'en abstenir; il'ne 
l'est pas moins qu'il y peut commettre de grands abus. 

Une règle précise, fixe, universelle, pour l'intervention de 
l'Élat en cette matière, ne se peut guère indiquer. L'obser- 
vation et l'espérience fondée sur l'histoire, sans fournir des 
formules exactes, suggèrent, toutefois, aux États judicieux 
la conduite qui, dans cet ordre d'entreprises, convient le 
mieux au bon aménagement des forces nationales. 

On peut diviser d'abord les travaux publics en deux 
grandes catégories : les pacifiques et les militaires. Pour ces 
derniers, Jl n'y a aucune contestation : la cbarge en incombe 
à l'État, c'est-à-dire h ce pouvoir général coercilif qui sou- 
met tout le territoire à la double contrainte de la loi et de 
l'impût. 

Ce ne sont pas les villes ou les districts fortiiiés qui doi- 
vent faire seuls les frais des forteresses et des ouvrages dé- 
fensifs; c'est aussi tout le pays qui est derrière eux et dont 
ils ferment l'accès. 

Quant aux travaux publics pacifiques, qui de beaucoup 
sont les plus nombreux, le caractère en est singulièrement 
varié et se prête à des solutions très diverses. 

Certaines œuvres appartiennent évidemment à la catégorie 
que nous désignions, dans le livre précédent, par la formule 
d'enli'eprises de conservation générale : ainsi les travaux de 
digues, de protection contre les inondations, les ouvrages 
purement déTensifs contre les dérèglements de la nature. 
Ils incombent en principe à lËlat sous l'une de ses trois 



LES TRAVAUX PUBLICS ET l-'ÉTAT. (31 

formes do pouvoir national, pouvoir provincial ou pouvoir 
communal. 

La plupart d'entre eux n'étant susceptibles d'aucune ré- 
munération directe, exigeant, en outre, le concours très 
malaisé à obtenir de tous les habitants on de tous les pro- 
priétaires d'un district, le pouvoir général coercitiT est le 
seul qui, d'ordinaire, s'en puisse charger. Mais il Taul, même 
ici. distinguer la question d'application de celle de principe : 
ces tâches élémentaires, qui incontestablement sont du ressurt 
de l'État, celui-ci peut, avec avantage, dans certaines cir- 
constances déterminées, en déléguer l'exécution à de sim- 
ples particuliers et à des associations libres. 

Sauf en quelques rares pays comme la Hollande, les tra- 
vaux dont je viens de parler ne tiennent qu'une place très 
secondaire dans l'activité nationale. Ce sont en général les 
voies de communication qui, chez les peuples modernes, ont 
accaparé le litre de travaux publics. 

De tout temps, sans doute, on s'est occupé de rendre le 
pays accessilile aux hommes et aux marchandises : les an- 
ciens n'ont pu se désintéresser des travaux de ports; ils y 
joignaient la rectiScation, parfois la canalisation de certains 
cours d'eau ; ils construisaient des ponts; quelques peuples 
de l'antiquité ont excellé aussi dans les grandes œuvres 
urbaines, les [tumains, par exemple, pour les égouts. 

Mais le genre de travaux publics qui passionne le plus nos 
contemporains, les entreprises de viabilité, laissait assez io- 
différeots les peuples de l'ancien temps. Ils n'avaient pas la 
CODCtplion exacte des résultats que, pour la richesse uatio- 
nnle et la facililé de la vie, l'on peut obtenir d'un bon ré- 
seau de voies de communication. 

On peut dire que la constniclion des routes et des chemins 
est l'un des produits les plus tardifs du principe de la divi- 
sion du travail, l'une des applications les plus récentes de 



132 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

l'idée de capitalisalion. La mer, les Qeuves, les rivières, 
l'étendue brute et inrorme des plaines, les clairières des fo- 
rêts, les sentiers élroils et mal frayés, voilà ce qui com- 
posa, pendant de très longues séries de siècle, l'appareil 
circulatoire des nations. 

Michel Clievalicr écrivait, il y a une quarantaine d'années, 
que la charrette était inconnue des neuf dixièmes de la 
planète. Encore ne disait-il pas assez : même l'usage de 
la bète de somme reste aujourd'hui à introduire sur des 
immensités de territoires beaucoup plus vastes que l'Eu- 
rope. 

Sans remonter, certes, à l'âge de pierre, en s'en tenant à 
la terre habitée du xix° siècle, les diverses phases de l'art des 
communications se présentent à l'observateur, qui passe 
d'un continent à un autre, exactement comme les llores des 
divers climats s'offrent successivement à l'ascensionniste dans 
les montagnes des tropiques. 

Voici d'abord l'énorme file des porteurs, chargés chacun 
d'une trentaine de kilogrammes sur la tète, processions in- 
terminables pour un mince bagage; les gravures des jour- 
naux géographiques illustrés ont rendu familiers ces cor- 
tèges encombrants de Stanley, de Brazzaetduleurs émules. 
Même des pays avancés en civilisation, comme l'Annam et 
le Tonkin, en dehors de la zone des voies navigables, en 
sont encore à ces pénibles et coûteux transports par les 
coolies. 

Puis vient la caravane de chameaux que l'on rencontre 
dans le nord de l'Afrique et dans les déserts de l'Asie, ou 
bien encore le délilé indéllni de plusieurs milliers de mulets 
qui est nécessaire à. la moindre de nos colonnes expédition- 
naires en Tunisie et dans le sud algérien; ensuite la lente 
pérégrination des pesantes et énormes voilures de roulage 
traînées avec des relais fréquents par cinq, six ou huit che- 



J 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 133 

Taux; enfin la locomotive aux grandes roues nccouplées re- 
morquant, sans effort, sur une surface presque absolument 
plane et exempte de toute courbe accentuée, cinquante 
wagons de dix tonnes chacun. 

Voilà, en s'en tenant à nos connaissances actuelles, les 
quatre procédés, successifs pour les nations civilisées, mais 
simultanés encore ou juxtaposés sur la surface du globe, 
qui représentent les quatre phases principales de l'art des 
communications. 

Et l'on ne saurait dire lequel des progrès a été le plus 
efllcace et le plus bienfaisant, la substitution de la bèie de 
somme au porteur humain, ou celle de la charrette au bai de 
la hèle de somme, ou celle toute récente du wagon sur la 
voie ferrée à la charrette perfectionnée. 

Un stalislicien exact et ingénieux, M. de Foville, a calculé 
que le transport d'une tonne de marchandises coûte en 
moyenne par des porteurs humains 3 fr. 33 par kilomètre, 
par bfite de somme, cheval ou mulet fr. 87, par chameau 
fr. 13 centimes, par le roulage ordinaire fr. 20 à fr. 23, 
par le roulage accéléré fr. 40 à fr. -iS; cnlln le tarif 
moyen des chemins de fer français est aujourd'hui infé- 
rieur & fr. 06(1). 

Encore ces prix, qui représentent des moyennes, ne sont- 
iU pas les prix extrêmes. Il est des voies ferrées en Améri- 
qae où le transport de la tonne de marchandises coûte moins 
de I centime 1/2 par kilomètre ; il est des contrées, comme 
naguère l'intérieur du Sénégal, avant le chemin de for du 
Haut- Fleuve, oi] le transport d'une tonne représentait plus deS 
ou 6 francs par kilomètre, C'est donc dans la proporlion pres- 
que de 1 h 1,000 que varie, sur notre globe, au moment 
présent, le prix du transport kilométrique des marchan- 

(I) La traniformalioH dtt maj/tni lit trantport tl tet emiiqueiut* éeo- 
nomiquu tl tociatt*. par A. de KotUIh (ISSO), page* il et luîvuite*. 



lU L'ÉTAT MODEBNE ET SES FONCTIONS, 

dises {!). Un cinquième peut-6lre de la planÈle altend en- 
core lasubsLiLulion de labCle desommeau porteur humain; 
trois autres cinquièmes de la planèle n'ont pas encore effec- 
tué le remplai:ennenl de la bfilo de somme par le chariot ; et, 
en dépit des 550,000 kllomèlres dechemins de fer dont s'enor- 
gueillit la civilisation occidentale, il n'y a pas, à l'heure ac- 
tuelle, un vingtième des localités du monde habile qui soit 
k la distance de moins d'une journée d'une voie Terrée. 

Nous disions que les chemins et les routes ont été une 
des applications les plus tardives de la notion de capitalisa- 
lion. Soustraire îi la production immédiate des bras et des 
et des moyens de consommation pour créer cet instrument 
d'une utilité aujourd'hui si évidente, la route, c'est une 
idée qui ne pouvait venir facilement à l'esprit des peuples 
primitifs. 

Comme dans bien d'autres cas, c'est la guerre ici qui a 
préparé l'avènement de l'art de la paix. C'est dans un inté- 
rêt stratégique qu'ont été faites les premières routes. Ces 
voies romaines, dont on retrouve et dont on admire les 
vestiges, avaient pour objet principal le passage facile des 
légions; leurs très grandes :pentes, qui étonnent nos ingé- 
nieurs, indiquent un très faible usage du chariot. 

Aujourd'hui encore, lu première œuvre d'une nation con- 
quérante dans un pays barliare, c'est, pour un intérêt mili- 

(1) Qiiniit aux durées de tinoaport, un colporteur De peul guère Taire 
en moyeauc que SU kilomètres par jour; un chameau peut faire 4(J ki- 
lomètres parjour pendant UD rnola cousËeutir; lesdeiiicnrroesca publics 
qui partaient deux foia par semaiDs de Paris pour Dijon et de Dijon 
pour Paria, vera 1G93, meltaieut buit Jours eu hiver et sept en été pour 
faire ces 7â lieues. Les diligences ou les messageries raeitaient de Tou- 
louse A Paris, huit jours eo ]7h:, cent dix heures en 1831, quatre-vingts 
heures en 1S4S. de Lyon il Paris cinq jours en 178!, quatre-vingt- 
quatre heures en 1832 et cinquante- cinq heures en ISla. Aujourd'hui 
pour les mêmes distances, par les trains les plus rapides, il ne faut que 
quatorze heures et anal heures reepeclivemeot (Voir Foville, oput cita- 
(um, pages 4 et suivanlea). 






t 



LES TRAVAUX PUDLICS ET L'ÉTAT. 135 

laire, la coiislruclion de roules. Nous l'avons fait, chez 
nous-mêmes, à la suite de guéries civiles, dans notre Ven- 
dée; nous le faisons dans notre Afrique, dans noire Indo- 
Chine. 

Les roules des Alpes, sous Napoléon 1", mËme les super- 
bes Toies carrossables de Louis XIV, noyaux de dos routes 
nationales acluclles, avaient tout aussi bien un intérêt de 
police qu'un intérêt de produclion. 

Le clteinin de fer de l'Asie centrale, construit par le gé- 
néral Anncokor, est le plus bel exemple contemporain de 
ces œuvres stratégiques tournant uu proQt do la civilisation 
universelle. 

L'Ëlat, cet organisme qui esl avant tout et qui restera 
toujours par-dessus tout un organisme militaire et diplo- 
matique, a donc créé l'embryon d'un réseau de routes sim- 
plement dans un intérêt de sécurité. La fonction économi- 
que ne lui apparaissait pas ; elle ne se dégageait pas de la 
fonction stratégique. 

Une fois ce premier elTort fait, l'État, que les nécessités 
militaires ne contraignaient plus, eut une tendance & se 
reposer. II se reposa longtemps. 

Mais la charrette avait été trouvée; le bienfait des roules 
se faisait sentir aux riverains et, de proche eu proche, aux 
habitants de l'intérieur. L'esprit se familiarisa avec l'idée 
que les routes sont un inslrumenl tout comme les outils ou 
les machines. 

D'autres progrès survinrent dans la locomotion : le plus 
récent et le plus soudainement ellicace, l'application de la 
vapeur, jeta l'enthousiasme dans les esprits. En même 
tvmps, sur ces voies de communication naturelles, la mer 
elles neuves, des bateaux chaque jour plus perfectionnés 
circulaienl ; mais plus longs, plus larges et plus profonda, 
ils ne s'accommodaient plus des simples criques, des petits 




136 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

havres tout faits par la nature, des cours d'eau au niveau 

changeant. 

Ainsi les travaux publics qui, sans avoir élé inconnus au 
moyen ûge, n'y avaient tenu qu'une place subordonnée, 
arrivaient gradueilemenl à prendre de l'importance aux 
yeux de la nation. A l'indifférence séculaire dont ils étaient 
l'objet succéda d'abord une faveur, puis un engouement, 
puis presque une passion. 

Comment se sont comporlés, en celte matières presque 
toute neuve,rËtat et les individus ouïes associations libres? 
Dans quelle mesure historiquement chacune de ces forces 
a-t-elle contribué aux progrès contemporains 7 Quel est le 
rôle qui échoit à chacune d'elles ? Sans nous arrêter à trop 
de détails, mais sans nous en tenir h des généralités vides, 
nous allons brièvement le rechercher. 



CHAPITRE II 



U PART DS L'ÉTAT. DES PARTICULIERS ET DES ASSO- 
CIATIONS DANS LES TRAVAUX PUBLICS. 



Le» IroU farmei «ons lesqucllea l'Élat peut intcrveoir dao* les IraTAUi 
puhlici : en UfoDl de son pouvoir rêglemeotaire, eu ancortlikiit un 
■itb>jile pËcuDÎairo, en preuaot l'nulrepriie mEine à son compte et 
■OUI sa direct ioD, page 138. — Le premier loode est iodisp entai) le pour 
preN^ue Iojb les travaux public* iinporUnla : le droit d'eiproprialiou, 
page 139. — Presque mute» les entrcpriecscontidèriblci août oLIigâea 
d'emprunter iioa partie du damalne public de l'Élftt el d'avoir aon 
■utorlaotioD, page 130. — Induence de l'ouvcrtum ou de l'élroiteue 
d'ctprit, de la boune ou de la mauvaise humeur des horamea au 
pouToir, pagB itu. 

AupoiDtdevuedelaréglemeDlaliondesenlrepriaead'intËrStcolleclir, 
l'Ëlat peut pfcher par sbaieotioa ou par eicèa, page lin. — Lea Ëtati- 
UqI* ont touTCDt péch^ par abatealion, dan» le régime dea chemina 
de fer; rèoclioa actuelle contre cette in diffère nce. page ttd. — En 
lYance on a presque toujourt pécbé par cxc^a, page 141. ~ Obitaclea 
artlBcieU qu'ajoute aux nombreux ob«tac1ea uatureU le ptdanliiiue 
admiaislratif, page Itl. 

L'Ëlat doit «'abstenir de taule Jaloiiaie od m&lTeillance à l'eDâroil 
dea «ociétéa privjea uu dea capilatiales, page Ml. — Le sucera dea 
aoclètéa ou des cspîtaliite* entreprenants proQte à l'Ëtati page Itt. 
— L'Ëlnt moderne est trop porté à la jalousie : incoavtnieuts de ce 
penchant en France, page H!. 

L'Ëtaldoil se garder du goût du monopote : lesFroDçalaaonlgranda 
monopoleurs, page Ifl. 

Pour la participation elTcctiTe de l'Élut aux Iruiaui pulilica ou 
leur gestion absolue p«rrÊlat, il est deux systime* opposas: Icajitfeina 
■ngto-aaioD et In «yaltme cootlneotal europien, ou plulAt In syattma 
allemand, page Ht. — Le premjers'en remet surtout aux pnrticuliara, 
aux asAiiciatioD* ou aux corporations tocolea ; le second fait jouer à 
r£lal le rCle prédominant, page 1)1. 

Ce ne sont pas aeiilemeul la de^rè el la nature de la civilisation qui 
détermineal le cboli autre ces deux Kfstime», page Ht. — La aoli- 
dariit universelle des capitaux et leur extrême aiol>ilil£ modiOeat lea 
condition* propret i chaque peuple, page Itt, 

Lot peuples, pourvus 1t* premier* el te plus largement de travaux 




i3e 

publics, s 



L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 



t qui ont eu le plus de cnuGance dans l'initiative libre 
ei se sont le mieux gardé:* de lu réglementation à outrance, page Ha. 

En Aaglclerre l'Etat central a généralement luivi une politique 
(l'abslenlLOD en matière de travaux putilict ; les pouvoirs locaux cèdent 
davantage è la tendance inlrusive, et l'État central doit parroia les 
modérer, page Hb. 

L'initialire privée en Angleterre a constitué un excellent réseau de 
routes à péage un demi-sîècie avant que la France ne possédât des 
chemins convenables, poge UG. — Exemples analogues pour les ca- 
naux créés par l'inîtialive privée eu Angleterre, po)je HS. — Exemple 
semblable pour tes ports, les bassins, cl pour les cbcmins de fer, 
même en Irlande, page US. 

Utilité pour un pays de grandes fortunes bien assises, page 149. ~ 
Néanmoins, même dans des pays égalilairea, les sociétés unonjmes 
peuvent remplacer les graudes Tortimea, page 150. 

Pratique des Ëtals-Unis pour les travaux publics, page l&O. 

RéaultulB généraux que l'on oliLient en laissant t'initiativo privée au 
premier rang : les divers travaux sont exécutés daiis leur ordre nalu- 
' rel, c'esl-â-dire suivant leur degré d'importance pour la communauté, 
page 151. — Le crédit pulilic est beaucoup mieux ménagé et les fonds 
publics se liennenl a des cours beaucoup plus élevés, page 153. — 
L'initiative privée évite plus les «éduclions de Vesihélisme et propor- 
lionne mieux l'inslruraent à l'usage auquel il est desliné, page IJ3. 
— Ce système conserve les habitudes d'action collective, pa^e 1S3. -~ 
En quoi il est plus conforme à l'équité, page ISS. — Le système con- 
traire amène, dans ja nation, un a tTai Misse ment général de la pré- 
voyance et du discernement, page 1S4. 

L'Élat, sous l'une de ses Irois formes de potivoir cenlral, 
pouvoir provincial ou pouvoir municipal, peut intervenir 
de Irois façons dans les travaux publics : 

i° En usant seulemenl de sa puissance réglementaire, 
par l'autorisation d'expropriation, par la reconnaissance 
comme personne morale do la société ou du syndicat entre- 
preoeur, par des faveurs, des charges ou des restrictions 
à l'exercice de l'industrie qui fait l'objet d'une concession 
ou d'une réglementation ; 

2» 11 peut aller plus loin : consentir à l'entreprise une par- 
ticipation pécuniaire, un subside une fois donné, ou une 
garantie plus ou moins déterminée, une sorte d'aval tout 
au moins comme celui que des commerçants riches et bien 
posés accordent, pour leur faciliter la crédit, à des contre- 






I 



LES TnWAUX l'UBLlCS ET L'ÉTAT. 139 

ns plus pauvres et moins connus, en qui ils ont confiance ; 

3" L'intervention de l'Élat, au lieu d'élre mitigée et ea 
quelque sorte auxili;iire, peut 6lre principale et aller jus- 
qu'à l'absorption : l'État peut se Taire directement entre- 
preneur et même exploitant; non seulement il peut cons- 
truire, mais gérer lui-même, les services dont it a constitué 
les éléments matériels : ce dernier mode d'action peut 
comprendre deux degrés, suivant que l'Etat admet une 
concurrence à ses propres entreprises ou qu'il les constitue 
en absolu monopole. 

Ces trois modes d'intervention ou d'action de l'État sont 
très inégaux el ont des résultats bien différents. 

Le premier peut être considéré comme indispensable, 
dans une certaine mesure, pour toutes les vastes entreprî- 
tes qui, à défaut de l'adhésion volontaire de groupes com- 
pactes d'individus, supposent la contrainte imposée aux 
récalcitrants. Il est mille cas oii une œuvre ne peut se pas- 
ser de l'expropriation pour cause d'utilité publique. I.e 
droit individuel, si respectable qu'il soil, ne peut tenir ab- 
■olumenl en échec un intérêt commun qui est évident et 
notable. 

D'autre part, la violence fait au droit individuel, dans 
l'intérCt commun, ne doit être qu'une mesure extrême h. 
laquelle on ne recourt que dans des cas tout h fait graves 
et pour une utilité qui n'est susceptible d'aucune contesta- 
lion sérieuse. 

Ce droit d'expropriation, l'État est le seul, en principe, à 
le posséder. Il en peut délé|;uer le délicat exercice à des 
syndicats de propriétaires ; encore doit-il apporter beau- 
coup da prudence dans cette délégation, exiger des condi- 
tions de majorité et de délais qui assurent que le droit in- 
divîdael ne sera pas légèrement sacriQé. 

n deliora de l'hypothèse que noua venons do faire, il en 




UO L'ÉTAT MODEnNE ET SES FONCTIONS. 

est une autre, dont la réalisation est également Tréquente, 
et qui juslille une réglemenlation de la part de l'Étal. 11 est 
rare qu'une grande entreprise de travaux publics n'ait pas 
besoin d'emprunter une partie du domaine de i'Élat, qu'elle 
ne soit pas ainsi, sous un certain aspect, son obligée et sa 
cliente. Il lui Taut donc faire appel à l'obligeance de l'État, 
par ronséquent se soumettre aux règlements qu'il plaira it 
celui-ci d'édicter. 

Il n'y a guère que les pays tout k fait neufs, sans popula- 
tion et sans voies de communication, où les grandes entre- 
prises libres échappent à cette nécessité. 

Ainsi, quoi qu'on fasse, l'État, dans les vieux pays sur- 
tout, a toujours un certain rôle i^ jouer dans les travaux 
publics; l'ouverture ou l'étroitesse d'esprit des hommes qui 
sont au pouvoir, leur bonne ou leur mauvaise humeur, in- 
fluent dans des proportions considérables sur le sort même 
des entreprises libres. 

Au point de vue de cette réglementation, on peut pécher 
par abstention ou par excès. Il semble que, jusqu'à ces 
dernières années, aux États-Unis d'Amérique, on ait péché 
par abstention, eu ne soumettant, par exemple, les conces- 
sions de chemins de fer à aucune limite de durée, en n'as- 
sujettissant à aucune surveillance, à aucun contrôle, à 
aucune règle, la gestion de ces compagnies, qui avaient eu 
besoin de l'État, cependant, pour constituer leur réseau 
gr&ce h l'expropriation publique, qui parfois, en outre, 
avaient reçu de lui des dons considérables de terres doma- 
niales. 

On réagit maintenant en Amérique contre cette absolue 
indiD'érence de l'État; la constitution d'une grande com- 
mission, comme celle qui, depuis une quinzaine d'années, 
fonctionne en Angleterre, pour établir et faire respecter par 
les compagnies de voies ferrées certaines règles de simple 



LES TRAVAUX PUBilCS ET LtTAT. Ul 

éqaité et de bonne harmonie, est un retour à l'une des na- 
turelles Tonctionsdc l'État. 

En France, au contraire, on a toujours péché par excès 
d'intrusion, en ne permettant pas aux particuliers qui sont 
d'accord entre eux de faire des entreprises d'utilité com- 
mune sans des Formalités, des délais considérables et des 
charges coûteuses ; en faisant payer trop cher aux sociétés 
l'usage de certaines parties du domaine public ; en régle- 
ment-ml, sans utilité, tous les détails de leur gestion; eu 
voulant tout prévoir pour elles, se substituer en quelque 
sorte à elles pour toute l'organisation et le maoiement de 
leurs entreprises. Le pédantisme administratif a ajouté des 
obstacles artificiels aux obstacles naturels déjà si nombreux 
que toute société doit surmonter pour prospérer. 

Il est deux ccueils surtout que l'État doit éviter dans ce 
premier mode de son intervention, qui consiste Si réglemen- 
ter les entreprises que l'on ne peut constituer sans son con- 
cours ou sa reconnaissance. 

11 doit s'abstenir de toute espèce de jalousie ou de malveil- 
laoca k l'endroit des sociétés ou des groupes de capitalistes. 
Pourquoi serait-il jaloux d'eus? Ils remplissent les t&ches 
auxquelles ils sont aptes et qui encombreraient l'État, le dé- 
tourneraient de ses fonctions essentielles, ou le ruineraient. 

Le succès des sociétés ou des groupes de capitalistes en- 
Iraprenants prolile h l'État; il en retire des avantages de 
toute sorte, pécuniaires et moraux. Ua État est d'autant 
plus Horissant, il a d'autant plus de crédit, que lus grandes 
entreprises privées y sont mieux assises. 

Supposcx h ces pnys pauvres : la Turquie, l'Espagne, une 
demi-douzaine ou une douzaine de sociétés priv<'es jouis- 
SADt d'une prosjiéiité incontestée, vous pouvci être sûr que 
l'entraînement de leur exemple transformerait te pays en un 
quart de siècle. 



142 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Les contrées riches elles-mêmes ne peuvent pas pb passer 
davantage du succès des sociÉlés privées bien conduites : 
l'Angleterre et les États-Unis d'Amérique lui doivent beau- 
coup de leur force. 

Malheureusement, l'État moderne jalouse, d'ordinaire, 
les sociétés libres. On a dit que la démocratie, c'est l'envie ; 
la définition est morose ; elle comporte beaucoup de vérité. 
La jalousie ou la malveillance des pouvoirs publics à l'en- 
droit des capitalistes et de leurs groupements est un Qéau 
pour un pays, une cause pour lui d'énormes pertes et de 
lenteur dans son développement. 

De même qu'un particulier doit, en général, être de 
bonne humeur pour réussir, de même un État doit Qtre de 
bonne humeur; sa mauvaise humeur entrave tout. 

On verra plus loin que l'étroitesse d'esprit et la jalousie 
des pouvoirs publics ont retardé de quinze ans dans notre 
France l'établissement des chemins de fer; ce sont les 
mêmes vices de caractère des mêmes pouvoirs qui font que 
la France actuelle prolite beaucoup moms que l'Angleterre, 
les États-Unis, l'Allemagne, la Belgique, la Hollande de 
toutes les découvertes récentes, que les tramways, les télé- 
phones, les entreprises d'électricité, mfime de gaz, sont 
moins répandues dans notre ricbe nation, et h pris beau- 
coup plus élevé, que partout ailleurs. 

Le second écueil que doit éviter l'Étal dans la réglementa- 
tion préliminaire des travaux publics qui ne peuvent se pas- 
ser absolument de lui, c'est le goût du monopole. 

Les Français sont grands monopoleurs. Leurs antécédents 
historiques et les tendances de leur esprit les y disposent. 

La centralisation séculaire et l'absence de particularisme 
local, uu penchant aussi pour l'uniformité, pour une sorte 
d'ordre plus apparent que réel, qui consiste dans la simili- 
tude des contours extérieurs, une conception bizarre et très 



J 



LES THAVADX PUBLICS ET L'ETAT. 143 

inexacte de la justice qui la conTond avec l'absolue égalité, 
tout cela incline le Français au monopole, car c'est par le 
monopole seulement qu'on peul obtenir ces prétendus 
avantages, aux dépens de biens beaucoup plus réels et plus 
importants : l'activité, la diversité, le progrès, le bas pris de 
revient. 

La jalousie des pouvoirs publics à l'endroit des sociétés 
libres et le goûl du monopole sont les deux fàcbeuses con- 
ditions morales où se trouve la France pour les entreprises 
d'uUlîté générale. 

Il serait superflu de se livrer à des réflexions plus pro- 
longées sur le premier mode d'intervention de l'Blat en 
matière do travaux publics, la réglementalioo. Le débat 
véritable, le plus contesté, porte surtout sur les deux autres 
modes : la participation pécuniaire de l'État aux travaux, 
et la gestion directe des travaux et des services par l'État. 

Celle question, si grave pour tout l'ensemble de la civili- 
sation, peut être étudiée, soiL au point de vue bîstorique. 
■oitau pointde vue théorique, llistoriqncnient, on se trouve 
en présence de deux pratiques contradictoires : le système 
del'Angleterre et des États-Unis d'Amérique, et le système 
continental européen, ou plus esacLemcnt le système 
allemand. 

Dans le premier, c'est aux particuliers, aux corporalions, 
tout an plus aux localités, qu'incombent les grandes œuvres 
de travaux publics : TËtat peut, sinon s'en désintéresser 
absolument, du moins n'y intervenir que dans une mesure 
Iréft restreinte, et, en général, plutdt par de simples avances 
remboursables qui font prodter les entreprises de la supé- 
riorité de son crédit que par des subventions, des garanties 
d'inlérèt ou une gestion directe. 

Le système continental européen, ou plus exactement, 
disons-nous, le système allemand, TaiL, au contraire, de 



144 L'ÉTAT KODEHNE ET SES FONCTIONS. 

l'État le grand organisateur, le grand melleur en œuvre, le 
grand exploitant de la plupart des travaux publics; les 
particuliers ou les corporations n'y interviennent que comme 
des auxiliaires. 

On dira peut-être que le choix entre ces deux systèmes 
dépend du degré et de la nature de civilisation du peuple, 
de la puissance de l'esprit d'association, de l'accumulation 
des capitaux dans le pays. Cette observation n'est exacte 
qu'en partie et au début. 

Il faut tenir compte, en efTet, d'un phénomène nouveau 
qui atténue toutes ces distinctions nationales : c'est la soli- 
darité universelle des capitaux et leur e.\trême mobilité 
d'un pays à l'autre. Ainsi, des pays pauvres, peu doués de 
l'esprit d'entreprise, comme naguère l'Autriche, l'Italie, 
l'Espagne, la Russie, ont pu, malgré l'inertie et le peu d'ai- 
sance de leurs nationaux, jouir d'abord du bienfait des 
chemins de fer sans une intervention de l'État. 

Si, plus tard, l'Élat est intervenu en Russie, en A utriche- 
Hongrie, en Italie, c'est par choix, non par nécessité. L'Es- 
pagne, oâ l'État s'est toujours maintenu dans une certaine 
réserve, se contentant d'allouer des subventions d'impor- 
tance médiocre, arrive, malgré sa faible population et le 
relief tourmenté de son territoire, S posséder presque autant 
de chemins de fer relativement que l'Italie. 

Cet exemple de l'Espngne est topique: ce sont d'abord 
des compagnies françaises, puis, concurremment avec 
celles-ci, des compagnies anglaises, enQn des compagnies 
tout à fait espagnoles, qui, instruites par les deux premières, 
se chargent de ces grandes œuvres. Sons le régime de soli- 
darité linanciëre et de rapide circulation des capitaux du 
monde entier, les iniluences intrinsèques de chaque pays 
perdent beaucoup de leur importance. 

Que la Turquie et que la Chine permettent seulement 



LES TRAVAUX PUBLICS ET LETAT. U5 

qu'on construise sur leurs lerrîloires des lignes Terrées, 
qu'elles y aident, non par des suljventions en argent, mais 
par quelques concessions connexes de mines inexploitées 
et de Toréls abandonnées, elles verront bienlût accourir 
d'Angleterre, di- France, de Ilollunde, de Belgique, d'Alle- 
magne, des Etats-Unis d'Amérique mÊme, des entrepre- 
neurs, des ingénieurs et des capitaux & foison. J'ai cité déjii 
le cas de la roule îk péa^e de Beyrouth à Damas construite 
pardes capitaux Trangatset les rémunérant convonablemenl. 

Ainsi, pour décider de l'entreprise et de l'exploitation des 
travaux publics par l'État ou les particuliers, il ne faut pas 
consulter scuWment les circonstances spéciales du pays, 
puisque les capitaux et les entrepreneurs sont toujours 
pHits k venir du dehors, pour peu qu'on leur ouvre la porte, 
produisant cette action singulièrement stimulante qui ré- 
lultedans un pays neuf, endormi ou pauvre, de tout afflux 
de capital étranger. Il y a là un phénomène analogue à celui 
de la transfusion du sang, mais sans aucun des dangers et 
des risques que cette dernière opération comporte. 

La question doit être décidée par des considérations plus 
générales. L'histoire, qui est l'expérience des dbUods, a 
d'abord ici un grand poids. 

Les peuples qui ont été, les premiers, le plus largement 
pourvus de travaux publics et oCi ces grandes œuvres offrent 
l'ot^anisation h la fuis la plus complète, la plus souple, I» 
plus perfectible, sont ceux qui ont montré le plus de con- 
flance dans la simple initiative privée et qui ont su la mieux 
&e garder de la réglementation & outrance. 

En Angleterre, l'abstention de l'Étal a été, jusqu'& ces 
derniers temps du moins, presque complète. Depuis quel- 
ques années, les tendances au socïahïma gouvernemental 
ont commencé d'envahir la nation anglaise. Néanmoins, le 
pouvoir central s'en est assez préservé. Il fait aujourd'hui 

10 



d 



JU L'ÉTAT MODERNE ET SES FOWCTIONS. 

des prêts aux localités ; mais ce sont de simples avances 
remboursables, non pas des subventions, ni mËme des ga- 
ranties d'intérêts. Le seul avantage de la méthode consiste 
à faire profiler les administrations locales de la supériorité 
du crédit niitional britannique. 

Les localités du Royaume-Uni ont cédé davantage aux 
séductions du socialisme administratif, en matière d'eaux, 
de gaz, d'électricité, L'État a dû intervenir, cette année 
encore (1888), pour refréner ou endiguer leurs empiéte- 
ments. Mais cette tendance, qui ne touche que les pouvoirs 
locaux et non le pouvoir national, est relativement récente. 

Si l'on considère les roules, les canaux, les chemins de 
fer, les docks et les ports, dans la Grande-Bretagne, on 
trouve à leur origine une initiative individuelle ou une 
initiative d'associations libres et de corporations; les loca- 
lités y ont joué aussi un certain rôle, mais généralement 
secondaire, simplement auxiliaire. 

Quant au pouvoir central, it est presque demeuré spec- 
tateur, se contentant d'accorder, quand cela était nécessaire, 
des fiills d'incorporation, de faire des chartes ou des 
cahiers des charges, la plupart assez larges pour qu'on s'y 
pût mouvoir à l'aise. 

\ On sait comment, en dehors des grandes routes straté- 
giques, les routes à péages, construites et administrées par 
des commissions ou des syndicats, ont constitué chez nos 
voisins un précieux réseau de viabihté cinquante ou soixante 
ans avant que l'Europe continentale jouit, par les sacrillces 
de l'Étal, du mSme bienfait (1). 

Cette organisation, sans doute, ne pouvait Être éternelle, 
le développement de l'industrie et l'extrôrae mobilité des 

(1) Il est inlÉressant do rappeler que dès le IroiaiÈme quart du 
iïii[' Biècle lj\ngleterro, grâce à ca âyelÈine, possédait un rÉaeaii fiirt 
ftendu (le chemins en au[flsa,ut ^tat do viabilité, taadis, au contraire. 



J 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. (47 

personnes et des marchandises dans le monde contempo- 
rain exigeant la gratuité des routes. Mais l'anticipation d'un 
demi-siècle dont la Grande-Bretagne a profité sous ce rap- 
port, relativement aux autres peuples d'Europe, a contri- 



I 



que la France avait Beuleuent quelques Bupprbe«routai,aiati tant voie* 
de moindre importancB. 

teittoa» la parole iiir ce point a Adam Smith qui avait loDgtemps 
r^uitê en Franc?. Se» obserrations aont curieuses i>u ce sens qii'ellei 
pfiuvent s'appliquer oujourd'liul 6, la conslmcUon des cbemina de fer 
et des port*. 

Voici comment Smith parle des roules à péages d'Angleterre : 

■ Lorsque les grandes routée, les ponts, les canaui, etc., sont ainsi 
construits et entretenus par le commercu mime qui se fait par leur 
inojen, alors ils ne peuvent être (tablls que dans les endroits où le 
oorainerc« a besoin d'eui. et par conséquent où il est \ propos de tes 
ooDstruire. La dépense de leur eoostructioo, leur grandeur, leur nia- 
gnillccnce, répondent nécessairement A ce que eu commerce peut 
saISre à pajer. Par conséquent. Ils sont nécessairement établis comme 
il est i propos de le faire. Dans ce cas il n'y aura pas moyen île Taire 
ouvrir une magnifique grande route dans iin pays désert, qui ne com- 
porte que peu ou gai de commerce, simplement parce qu'elle mènera 
a 11 maison de campagne ou au château de quelque graud seigneur 
auquel l'intendant cherche i faire sa cour. On ne s'avisera pas d'élever 
un large pont sur une rivière à un endroit oii personne ne passe, et 
seulement pour embellir la vue des fenêtres d'un palais voif>in, choses 
qui se voient quelquefois dans les provinces où leo travaux de eu genre 
sont payé* sur un autre revenu que celui payé par eux-mimes. 

■ Dan* les progrès dudcspotisme, l'autorité du pouvoir eié>'iiUr absorbe 
*ae«M«l Verne nt «elle de tout autre pouvoirde l'Etal, et s'empare de l'ad- 
iniolstratioa de toute* le* branches de revenu destinée* i quelque objet 

ÎiubUc. Néonoioins, en France, les grandes routes de poste, celle* qui 
aot la communication entre les graodes villes du royaume, sont, en 
ginf'ral, bien tenues, et dans quelques provinces elles sont même de 
iMaucoap au-dessus de la plupart de nos routes à barrières. Mai* ce 
quo nous appelons rhtmim itr travtrte, c'ost't-dlre la très majeure 
partie des chemin* du pays, sont totalement négligés, rt dans beaucoup 
d'endroit* sont absolument impraticables pour une forte voilure. En 
certains endroit* il est mémo dangereux de voyager a cheval, et pour 
y pasanr avec qiielqun sûreté, on ne peut guère se lier qu'A de* mu- 
lets, etc. • Adam Smilh, livre V, cliapitre 1. 

Arthur Tfoong, dans su» Vnytget en France, s'étend aussi sur le con- 
traste entre le* superbes route* royales en petit nombre et rabseucc 
ds tons chemins de petite cummunicatlan, taudis que, en Anglnti^rra. 
le* auociation*, *e rémunérant par do* pèag<ft, avalent amplement 
ponrru t cea demiire*. 




us L'ÉTAT MODËHKE ET SES FONCTIOMS. 

bué [à l'avance économique dont elle bénéficie encore sur 

les autres nalioDS. 

C'est l'inilialive de la liaule et opulente noblesse qui a 
doté également ce pnys d'un tissu de canaux, antérieur de 
beaucoup aux chemins de fer. Le duc de Brldgewaler, 
bientôt et longtemps suivi par une foule de ses pairs, a 
commencé, en 1758, cette canalisation du Uoyaume-Uni(l); 
en un demi-siècle ou trois quarts de siècle, des milliers de 
kilomètres de canaux étaient ainsi livrés à la circulation, 
grâce à celle sorte de sport aristocratique, humanitaire et 
mercantile à la fuis, dont les économiste», perdant de vue 
la réalité, ont si légèrement méconnu l'importance. 

On ne peut guère citer comme œuvre de l'ÉLat que le 
canal calédonien, considéré comme œuvre stratégique. 
parce qu'il était navigable aux frégates. 

La classe des marchands a pris sa revanche dans les entre- 
prises de ports et de docks, dont elle s'est presque unique- 
ment chargée, avec le concours parfois des corporations 
municipales, mais sans mendierpendantdes années, comme 
on le voit sans cesse chez nous, 20, 30, 40 ou 100 millions 
de la faveur du gouvernement central épuisé. 

Cette méthode anglaise a Uni par être appréciée des corps 
compétents français. Il y a cinq ou six ans, la chambre de 
commerce de Bordeaux faisait répandre une intéressante 
étude d'un ingénieur en chef, M. Pas loureau-Lab esse, qui 
recommandait la construction et l'entretien des ports 
sans subsides du pouvoir central, au moyen de droits lo- 
caux. 

Qand on en vint à la construction des chemins de fur 
dans la Grande-Bretagne, la haute aristocratie, qui avait 
fait preuve de tant de zèle pour la construction des canaux, 

(t) On pfut conRulter sur ce poiul : Miuha CttevallËr Cowt d'écono- 
mie politiijue, lomu II, 3'° leçou. 



J 



LES TRAVAUX PUULICS ET L'ETAT. 149 

fit à l'entreprise nouvelle une opposition acharnée. Mais 
tout le public se ligua contre elle ; et, avec une rapidité sans 
exemple en Europe, la Grande-Bretagne, sans aucun con- 
cours pécuniaire de l'Élat, se couvrit de près de 30,000 kilo- 
mèlros de chemins de fer. 

On crut un instant que l'Irlande ne pourrait attirer les 
capitaux, et que, si le gouvernement ne venait h son se- 
cours, l'Ile sœur, dans son dénûment, resterait privée de 
loute communication perfectionnée. Aussi la commission 
de 1R36 recommandait l'exécution des chemins irlandais 
par l'Étal. La chambre des communes vola alors des réso- 
lutions à cette lia, résolutions qui n'eurent d'ailleurs pas 
de suite. D'une brochure récente de M. Chamberlain, sur 
la question irlandaise, il résulte que les chemins irlandais 
ont été construits par l'initiative privée, et qu'ils ont reçu 
seulement du Trésor impérial des subventions montant en 
tout à 4 millions de livres sterling [100 millions do francs), 
sur lesquels 3 millions de livres (75 millions de francs] ont 
été remboursés. L'aide de l'État a donc été insigniHante. 
Aujourd'hui, l'Irlande doit à l'initiative privée, à peine un 
instant soutenue dans les conditions qui précèdent, environ 
4,300 ItiiomËlrcs de chemins de fer, ce qui, pour sa popula- 
tion de 4,850,000 habitants, représente une proportion un 
peu plus forte que celle de l'ensemble des chemins de fer 
français au total do notre population. 

On a cherché des raisons particulières à cette exécution 
do la plupart des travaux publics dans la Grande-Bretagne 
par les seules forces de l'initiative privée. On a parlé du 
caractère aristocratique de la société anglaise, des énormes 
richesses de la noblesse, des énormes richesses du com- 
merce. Nous ne méconnaissons certes pas que ce soient là 
de précieux avantages- 

C'est une erreur de croire que l'existence de grandes for- 



180 



L'ÉTAT MOUEHNE ET SES FONCTIONS. 



lunes bien assises soit un ma! pour un pays. On y trouve, 
au contraire, un inappréciable élément d'acliTlLë, d'inilia- 
live, et, dans une certaine mesure, de liberté. Un peuple 
qui veut être progressif ne peut guère se passer de fortunes 
concentrées. L'exemple de l'Angleterre et celui des États- 
Unis d'Amérique sont singulièrement probants. 

Elle est bien arriérée, la conception qu'un château fait 
tort aux chaumières qui l'entourent, qu'il vit aux dépens de 
celles-ci et les ruine; elle se rapporte à un état social et h 
une phase de la production toutdilTérentsdes ndlres. Mëcna 
les hommes sagaces d'Allemagne, le statisticien Sœtbeer, 
par exemple, vantent l'action stimulante et protectrice à la 
fois des grandes fortunes. Une agglomération de Lillipu- 
tiens ne fera jamais qu'une nation lilliputienne. 

Prenez un pays où la fortune soit presque uniformément 
répandue, où l'on ne rencontre presque pas de richesses 
concentrées, vousy aurez moins d'ouverture et de hardiesse 
d'esprit, moins d'initiative et de persévérance, moins de 
force et de souplesse d'organisation; il possédera moins ces 
conditions matérielles et morales qui facilitent ce que l'on 
appelle le progrès. 

Néanmoins, mfime dans les contrées où l'égalité est plus 
près d'être atteinte, l'organisme nouveau des sociétés ano- 
nymes, de la formation de gros capitaux au moyen de lii 
ju.xtaposition d'atomes inHnis d'épargne, peut, dans une 
certaine mesure, quoique incomplètement, compenser l'ac- 
tion des grandes fortunes. Ajoutez-y l'apport des capitaux 
du dehors, et vous comprendrez que toutes les nations 
soient beaucoup plus à même aujourd'hui qu'il y a un demi- 
siècle de réduire l'intervention utile de l'État dans les Ira- 
vaux publics. 

Les États-Unis ne démeolentpas l'exemple de l'Angleterre. 
On a fait valoir, il y a un demi-siècle, Michel Chevalier 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 151 

eolre autres, que l'absleiition des pouvoirs publics, en ma- 
lière de travaux d'utilité générale, n'y a pas élé aussi absolue 
qu'on le dit parfois. La défense de s'occuper de travaux pu- 
blics ne s'applique, écrit Michel Chevalier, dans ses belles 
Lettre* sur CAmerique du Nord, qu'au pouvoir fédéral, non 
aux ÉUits pat'liculiers. C'est déjà un grand point que la Té- 
déralion n'intervienne jamais que pour les eaux et lus ports. 

Quant aux Etats particuliers, dans le premier tiers de ce 
siècle, quelques-uns d'entre eux se sont occupés de la cons- 
tnicliou de canaux. Le canal Erié leur est dû ; mais, depuis 
cinquante ans, cette intervention des Étals a presque été 
abandonnée ; l'initiative privée s'c»t montrée tellement em- 
pressée et débordante qu'on a renoncé, soit à l'aider, soit 
à la contcDÎr, soit à la diriger; sauf des concessions de 
terres publiques aux compagnies de chemins de fer dans 
certains cas, on ne trouverait plus aux États-Unis de traces 
d'immixtion présente de lu fédération ou des Etats dans ce 
prodigieux mouvement de travaux qui a plus complètement 
et plus rapidement encore transformé le vieux continent 
que le nouveau. 

Les colonies anglaises d'Australie, il est vrai, en ce qui 
concerne la réserve de l'I^lat, ne suivent l'exemple ni de iu 
mère-patrie ni de leur puissante sœur aînée, la fédération 
américaine du Nord. A divers symptômes saisissants, on 
peut >e demander si les jeunes sociétés australiennes par- 
viendront à maintenir intact le dépût des traditions et des 
libertés britanniques. 

Les avanta;; es du système anglo-américain pour la con- 
ception, l'exécution et l'exploitation des travaux publics, 
méritent d'être signalés à notre continent qui suit une pra- 
tique si opposée. 

En laissant l'initiative privée au premier rang, on obtient 
les résultats suivants. Il est pourvu aux différents besoins 



^^^^ 



À 



iSa L'ÉT*T MOnERNK ET SES FONCTIONS. 

de la nation avec beaucoup plus d'ordre, suivant la hiérar- 
chie naturelle, c'est-a-dire le degré d'importance sociale 
des travaux ; les plus importants, au point de vue de l'en- 
semble de la société, sont, en effet, les plus rémunéra- 
teurs. 

Cela ne veut pas dire que toute œuvre utile à une nation 
doit, de toute nécessité, être immédiatement et directe- 
ment rémunératrice; mais celles qui n'offrent pas de rému- 
nération directe et immédiate sont évidemment moins 
utiles et moins opportunes que celles qui, dËs le premier 
jour, peuvent récompenser les capitaux employés. Les 
800 kilomètres de voie Terrée de Paris à Marseille offrent, 
pour le développement national, un intérêt bien supérieur 
à 2,000 ou 3,000 kilomètres de voie ferrée en Bretagne et en 
Auvergne ; 50 millions consacrés aux ports et aux docks dn 
Havre ou de Marseille importent autrement à la prospérité 
nationale que iOO millions éparpillés sur trente ou qua- 
rante criques secondaires. 

En mGme temps que cet avantage technique, qui est con- 
sidérable, OR obtient aussi pour le crédit de l'État un avan- 
tage financier correspondant. L'Ktat n'empruntant pas, son 
budget est moins chargé, assujetti à moins de fluclualions, 
son crédit est moins discuté. Ce qui fait l'énorme écart des 
cours entre les fonds consolidés britanniques et notre 
3 pour iOO français, ce n'est pas tant la supériorité de 
richesse ou d'épargne de la Grande-Bretagne, car les deux 
pays à ce point de vue se valent presque, ni même l'infé- 
riorité des risques politiques auxquels nos voisins sont 
assujettis, c'est surtout que la Grande-Bretagne, depuis 
trois quarts de siècle, a presque cessé d'emprunter; l'État 
français, au contraire, même en temps de paix, emprunte 
directement ou indirectement chaque année. Or les em- 
prunts publics répétés, annuels ou biennaux, si solide que 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 153 

soit le crédit d'un lUat, produisent sur lui une action, en 
quelque sorte mécaniijoe, déprimante. 

Un Iroisi^tnc avantage du système britannique, c'est que, 
l'intérêt personnel étant naturellement plus éveillé, cédant 
moins iinx séiliictions de l'eslbétisme, il y a bien des cbances 
pour que les dépenses soient plus proportionnées au but 
actuel et réel de l'entreprise (1). 

Un autre avanta);e, plus grand encore peut-être parce 
qu'il est plus général, consiste dans le maintien des habi- 
tudes de l'association libre, de l'esprit d'initiative qui, 
lonqu'on lui Terme son champ naturel d'action, finit par 
s'alanguir, et qu'on ne peut plus réveiller lorsqu'on aurait 
besoin de lui. 

Enfin, un dernier caractère du système britanno-améri- 
caîn est d'être beaucoup plus conforme à l'équité. Si des 
erreurs ont été commises dans la conception ou dans l'exé- 
cution des travaux, si l'on a cédé à des entraînements, 
commis des folies, chacun de ceux qui ont exalté l'entre- 
prise et s'y sont associés supporte le poids des mécomptes 
et des pertes en proportion de ses propres fautes ou de sa 
propre crédulité, puisque ni les actionnaires ni les oblîga- 
titires ne se recrutent par contrainte. 

Au contraire, si l'Élat fait des folies en matière de tra- 
vaux publics, même les citoyens sages et avisés les payent, 
puisque l'État dispose de la contrainte pour répartir sur 
mble des habitants la rançon de ses erreurs, 
itre l'iniquité qui en résulte, il en ressort aussi dans la 
un affaiblissement général de la prévoyance et du dJs- 
CÀmemenl. Un peuple oâ tous les citoyens qui épargnent et 
qui font des placements doivent eux-mêmes vérifier l'utilité 

(I) Od trouvera plui loin Ipag* 100) diveri eieioplcs do eotto diapro- 
potiioo entra l'ia^lrtimcnt «t l'usage doDt il doit tire, dani la plup«r> 
dM «Dlr«pri«i^* de l'ËUtt. 




k 



154 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

des entreprises auxquelles ils confient leurs fonds devient 
bientôt supérieur, en affaires et en sens pratique, à un 
peuple où les capitalistes, grands et petits, n*ont qu*à verser 
chaque année leurs épargnes à des emprunts d*État donl le 
service est assuré. 

Ainsi la méthode britannique offre à la fois des avantages 
techniques précieux et une conséquence générale singuliè- 
rement heureuse, celle de ne pas endormir les particuliers, 
de ne les point réduire au simple rôle d*épargnants purement 
passifs. 



CUAPITRE HI 



ESPHIT DIFFERENT DB L'ÉTAT ET DES ASSOCIATIONS A L'ÉGABD 
DES TRAVAUX PUBLICS. 



Difficulté d'apprécier d'avtuice l'utililË d'un travail public, page ifiC. — 
Le» deux lortct d'utilités, I'hdc directe et l'autre diffuse, page I5G. — 
Abaa IréqucDts dei arguiaenta reposant sur cette dcuxiioie sorte 
d'uLilité, page isn. ~ Exemple de ces abus en ce qui concerne la pr^' 
teoiiuo uùlité indirecte de certaines voit^e ferrées, page 1^6- — Le* 
compagnies et les particuliers le tiennent en garde contre loa calculs 
de cODiplaisance ; l'Élat n'y peut guère résister, page li>T- — Exemple 
■nalogue pour Ws localités, en ce qui concerne les cbeniins de terre, 
page lïs. — Autre exemple pour les porte, page IbS. — L'Élat mo- 
derne, dans SCS plans de travaux publics, a presque toujours l« ju- 
gement faussé par les considérations électorales, page 1^8. 

Idée qui lend à se répandre que toutes les parties du lerrilAire ont 
un droit égal aux travaux pulilics, page IbH. — Les travaux perdent 
leur caractère technique pour davonir une sorte d'teuvre du charité, 
page 150. 

L'uniformité des travaux publics procède du même principe, pag« 
leo. — Exemples du danger do cette uniformité, pugc 100. 

Êparpillement des traTaui publics eutreprli par r£tat. page IGI. — 
Proportion énorme de frai* gi^éraui cl de gaspillage qui en résulte, 
page Ifll. 

Tendance i. la gratuité de tous les services dont l'Élat se cbarge, 
page 10!. — Exemple de l'admiuitlratlon des posins, pogn lOt. 

Le contours dound sous la forme de «ubveutlons par l'ËUt central 
ftui localités pousse souvent à la prodigalité : exeoiplo do la Fronce, 
p«t« 160. — Il développe aussi la servilité électorale, page lUS. — 
Procédé tout durèrent suivi par rAngiclerro, page 1G8. 

L*atrophlo de l'iniUstive individuelle est, dans les moindres villages, 
te eotUé<]Uei)Ce du régime français des Lravtux publia», page \m. — 
Critique* adrcstées au système qui tait reposer les travaux publics 
rar le* particulien, les associations ou les localilés non subveniion- 
oées, paga 169. — Exagérallou ou faussulé de ces critiques, page 110. 
— Preuve que, même «ou* le régime de riniliatiie libre, les pays 
pauvre* n* sont pas corn pi éleuieot abandonnés, page ITI. — Examen 
du rrproche d'nnsrchin ou da monopuUsaliou adressé à l'inilialive 
libre, page 113 -~ ContrAIa discret et CXempI de Jalousie qui e*t lé- 
gitinia chei l'Étal, page 114. 



ise l'état moderne et ses fonctions. 

Oiiand on descend dans le détail, la supériorité du sys- 
lÈme anglo-américain, pourles travaux publics, ressort avec 
beaucoup de relief. 

Rien n'est plus malaisé que d'apprécier sùrementd'avance 
l'utilité d'un travail public. Pour les poris, pour les canaux, 
pour les cbeniins de Ter même, cette difficulté se présente. 

Il y a, dit-on, deux sortes d'utilités : l'une directe, rému- 
nératrice pour les. capitaux engagés; l'autre indirecte, qui 
n'est pas surfîsamment productrice pour indemniser les ca- 
pitaux, mais qui, étant en quelque sorte diffuse pour l'en- 
semble de la nation, profite largement à celle-ci. 

On a souvent abusé de celte distinction ingénieuse, qui 
contient une parcelle seulement de vérité. On a reproché aux 
capitalistes de ne vouloir se charger que des travaux de la 
première catégorie, ceux qui sont pécuniairement produc- 
tifs, et de négliger tous les autres qui n'ont qu'une utilité 
indirecte et diffuse. 

Les ministres et les députés, pour justifier leurs plans les 
plus extravaganis, ont fort insisté sur celte dernière. Un 
ingénieur, M. Bouffet, leur a fourni des arguments, en se 
livrant ii des calculs dont il a été Tait beaucoup d'abus. 

Une ligne ferrée peut, dit-on, être stérile pour les capitaux 
engagés et féconde pour l'Élal, à cause de la difl'érence entre 
les tarifs des chemins de fer et les frais de transport sur une 
roule de terre. Sur celle-ci, la tonne coûte & transporter 
fr. 25 ou fr. 28 par kilomètre : supposons une petite ligne 
de chemin de fer qui ne lui fait payer que Ofr. 08àûfr. 10; 
outre la somme que l'exploitant de la ligne aura encaissée, 
l'expéditeur ou le consommateur aura bénéficié deOfr. 15 
à Ofr. 20 par tonne et par kilomètre : c'est ce bénélice qui 
t'st occulte et qui n'entre pas en compte. Grlce à lui, l'utilité 
d'une voie ferrée serait souvent double ou triple do celle que 
ses recettes nettes semblent indiquer. Si la petite ligne ferrée 



LES THAVAUX PUBLICS ET L'ETAT. 131 

transporlo SO.OOO tonnes par kilomètre, à raison de fr. 03, 
elle De perçùit que 4,000 francs, recelle tout ù Tail insigni- 
Ûante, en y joignant celle des voyageurs, pour rémunérer le 
capital de coiialruction ; mais les expéditeurs ou les consom- 
mateurs auront prollté, en outre, affirme-t-on, do Ofr. 20 
par tonne et par kilomètre, soit de la différence entre Ofr. 08 
(tarir de la voie Terrée) et Ofr. 28, coût du transport sur la 
route de terre. Ainsi cotte petite ligne dédaignée, dont le 
trafic des marchandises ne produit que -i,000 (rancs bruts à 
l'exploitant, rapporterait en réalité 14,000 francs au pays. 

C'est par des raisonnements de ce genre que l'on a cher- 
ché à justifier toutes les folies faites en France et dans bien 
d'autres pays pour la construction prématurée de lignes 
ferrées actuellement superflues. On y ajoute encore des 
considérations sur le prétendu trafic que les lignes nouvelles 
apportent aux anciennes lignes. 

liais toute celte façon de raisonner est singulièrement 
exagérée et conduit aux résultats les plus inexacts. 

On suppose arbitrairement, contrairement même à tout 
bon sens, que tout le Iraflc d'une voie ferrée nouvelle est du 
trafic nouveau, détourné seulement des lignes de terre; 
c'est absolument faux dans un pays où le réseau des voies 
ferrées est déjà un peu serré : ce trafic, pour les deux tiers 
ou les trois quarts, est du traliceulevé aux lignes anciennes; 
bienloind'éti-e des afOuenls.beaucoupdeceslignes nouvelles, 
pendant très longtemps du moins, sont des concurrentes. 

U est donc très délicat d'apprécier l'utilité exacte de beau- 
coup de travaux publics : les particuliers, les compagnies 
non garanties ou non subventionnées, se tiennent en garde 
contre tous les calculs de complaisance, contre toutes les 
argumentations sophistiques. L'État, au contraire, qi 
toujours le goût de « faire grand o et qui est assiégé 
des solliciteurs de toute sorte, cËde avec empressement 



é par M 

ent & I 



ISS l'état moderne et ses fonctions. 

toutes les raisons captieuses qu'on lui donne pour excuser 
des œuvres dépourvues de toute utilité actuelle ou prochaine. 
\ Ce que nous venons de dire des chemins de fer vaut aussi 
des roules et des chemins de terre. 

Tout cbemin vicinal est-il utile? Oui, dans une certaine 
mesure, puisqu'il ajoute à la commodité des transports pour 
quelques personnes. Mais quand le chemin nouveau est pa- 
rallèle à un autre, quand il ne fait qu'abréger très faiblement 
la distance pour un petit nombre de propriétés, il ne vaut 
souvent pas la peine que les pouvoirs publics !e construisent 
et l'entretiennent (1). 

Dans nombre de départements de France, il y a eu, de- 
puis une dizaine d'années, un aussi grand gaspillage pour 
l'établissement de chemins vicinaux parallèles ou superflus 
que pour la construction de voies ferrées. 

A plus forte raison en est-il de raÈme des ports et. des ca- 
naux. Il est utile qu'un grand pays possède sur chaque mer 
un ou deux ports de premier rang parfaitement outillés; 
mais la nation, considérée dans son ensemble, n'a aucun 
intérêt à voir se multiplier indéfiniment les petits bavres 
insuffisamment aménagés. C'est pour elle un gaspillage à la 
fois de capitaux et de forces humaines. 

La multiplicité des ports est moins utile aujourd'hui 
qu'autrefois, parce que, avec le développement des voies de 
communication intérieure, le vù\e du cabotage tend à dimi- 
nuer. 

La difficulté pour l'État d'apprécier exactement l'utilité 
des travaux publics fait qu'il a une tendance à se décider 
par dos considérations politiques et électorales, d'oîi il 



' (1) Voir plus haut Janote do la page 147, où doue rapporlongropiaion 
siCrappaati^d'Ad^m^inUb. Les abus actuels oui, leururijjiae, DonduDB le 
diair de plaire k quelque grand aeigueur, mala dans celui de llaller et 
de satlsroire quelque Électeur inOuent, quelque politideo de marque. 



^r l-KS TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 159 

résulte à la fois un gaspillage des denicrspublJcs et uq &Cm- 
blissement des libertés réelles et pratiques de la nation. 

Ce défaut est encore accru par dilTérentes circonstances. 

Quand les travaux publics sont alimentés avec l'impfit on 
avec l'emprunt public, qui entraîne naturellement rimp6t à 
sa suite, il s'établit dans la nation et cbei les représentants 
mêmes de l'Étal le préjugé que tontes les parties du terri- 
toire, quelles que soient leur population, leur industrie, la 
ricbesse ou la misère de leur sol, ont un droit égal à l'asé- 
CutioD de ces travaux. 

Bien plus, il arrive mÈme bientôt qu'ion regarde comme un 
devoir de rF;tat de compenser les inégalités naturelles du 
relief et de la ferlilîté du sol en dotant avec plus de largesse 
certaines catégories de travaux dans les régions pauvres que 
dans les régions riches. 

Les travaux publics perdent ainsi leur caractère tccbni- 
que pour devenir une sorte d'œuvre de charité. 

On en trouve un exemple chez nous dans ce que l'on ap- 
pelle ■ le fonds commun » réparti entre les départements 
peu opulents. 

L'uniformité des travaux publics entrepris par l'État pro- 
cède du même principe. 

Dans un pays où c'est l'initiative libre qui se charge de ces 
entreprises, on proportionna toujours l'instrument au ré- 
sultat probable; on modifle la voie ferrée suivant le trafic 
espéré; on lui donne, floil moins de largeur, soit plus de 
pentes et plus de courbes; on réduit le nombre des trains 
jusqu'à UQ ou deux par jour. 

L'uniformité de l'admiatstration d'Étal se prSte mal h ces 
tempéraments et à ces modîflcations. Il a fallu lou; nos em- 
barras budgébiires pour introduire en France tardivement 
le* chemina de fer & voie étroite (1). 

(1} Une dei plui graaile* emura de radminiil ration eu ct> stm e*t 




IW 



L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 



De même jamais noire adoiinislralion centralisée n'admet 
moins de trois trains par jour dans chaque sens, dussent 
certains de ces trains, comme cela arrive parfois, ne ti'ans- 
porlerpas un seul voyageur. 

Le même vice se retrouve pour beaucoup de chemins vici- 
naux. Certaines contrées montagneuses sont mal desservies, 
uniquement parce que le corps des agents voyers, qui s'est 
mis à copier celui des ponts et chaussées, ne veut avoir que 
des chemins en quelque sorte parfaits, ayant une largeur 
ininima de 5 ù G mètres, comportant des ponts ou des pon- 
ceaux sur chaque petit tilet d'eau. 

Dans les pays, au contraire, comme les Ktats-Unis d'A- 
mérique, où l'initiative privée règne en maîtresse, de simples 
particuliers, des syndicats de propriétaires, des embryons 
de communes, s'entendront pour exécuter un chemin pro- • 
visoire de 3 mètres de large, sans aucun pouccau ni pont sur 
les ruisseaux et les torrents. On passera à gué; si un orage 
survient, la circulation sera suspendue pendant un jour, 
peut-être pendantliuitjours au plus; mais, tout le reste de 
l'année, voyageurs et marchandises passeront assez facile- 
ment. 

Ainsi, dans les pays où les pouvoirs publics ont tout acca- 
paré, on fera avec un môme capital beaucoup moins de kilo- 
mètres, soit de chemins de fer, soit de routes, on obtiendra 
des résultats beaucoup moins utiles que dans un puys qui a 
su entretenir leshubiludes d'initiative libre et d'association. 
Ce qui existe pour les chemins de terre eu Amérique s'y re- 
trouve aussi pour les chemins de fer. On sait que, dans la 
grande fédération, sauf les lignes maîtresses, la plupart des 



le cbemiQ do Ter à large voie de Batoa à Bîskra ; il Butlisait de In taire 
À voie étroite, et, ebds plus de dépense, on eût pu le pousser jusqu'à 
Touggoiirt. Jamais une entreprise privée ne se Beroit livrée à une sem- 
blable folie. 



LES TRAVAUX PCBLICS ET L'ÉTAT. 161 

Toips ferrées ont élé construites à la hâte, à 1res peu de Trais, 
en dehors de toute préoccupation de satisraire les yeux ou 
l'espril. Il est dinicile à l'Élat et à ses agents de se guérir da 
travers qui consiste à s'assujettir à une règle nuiforme et à ^ 
se laisser toujours dominer par le sentiment esthétique, le 
plus mortel ennemi des travaux puhlics rationnels. 

Un autre défaut encore de l'accaparement ou de la direc- 
tion des travaux publics par l'État, c'est réparpillenieril de 
ces derniers. L'État moderne surtout, l'État purement éiec- 
lir, étant sous le joug des exigences électorales, commence 
tout à la fois, c'est-à-dire qu'il n'achève rien qu'avec un 
temps inflni. En France, dans ces dernières années, on tra- 
vflillail simultanément £t soixante ou quatreivingts ports, de 
Nice h Port-Bou, de Saint-Jean-de-Lui à Douarnenez, et de 
ce point à Dunkerquc. On poursuivait avec une lenteur dé- 
sespéranle une centaine de lignes de chemins de fer. 

Les crédits disséminés sur ce nombre prodigieux de chan- 
tiers exigent une proportion éngrme de frais généraux rela- 
livemenLà la main-d'œuvre employée et au résultat obtenu. 
Les capitaux restent engagés dix ou quinze ans dans un tra- 
vail avant que celui-ci ne soit achevé, c'est-à-dire avant de 
produire un effet utile. Les ouvrages souvent se dégradent, 
et il faut les reprendre à nouveau (t). 

Un exemple des plus curieux do celle mt^lhodo de gaspil- 



[I)Od ■ vn eneorten man laso un exemplA dn cette nbiurdo ttiMbode. 
Dd mlnUtro il«a Iravoui publiai, qui atail fatU la première partie 
â» u Tic i dfnnncer ri t potinuivre leiahus, M. Tvn nujrol cet venu 
■ilppllcr la coinmliNoii du budjc^l, malgrA noa inronteftable* embarrat 
atiaacier*,derelBvcrdi) 143 â 160 million* l« crédit pour leacoDslructioo* 
de cheniioit de ttr. afln dn pouToIr Gommtno«r, nvoc c* IH millioui do 
plus, 17 liitDM uouvi>lle« «parplIlAra lur toutn la Fiance, oy.iot ctiterabla 
WS kltooitlrfa et devant coAtvr 1 17 milUuDi. On vpuI Ipr amorcer loutci 
k la fol*. Un* eoinpngiiii! privte, aftiMinlaveciea praprci Tundi, aurait 
porU <«■ rraiouKei aur deux Du iroia litnea aeulomvDt, afin de le* 
•cbever mpidrineiil. La coiouiiâiioii, abtUaant aui luviocililc* K 
da l'Ëlat tuodrme, a aalurrlleuicnt cAdt au vnu du mioltlre. 

Il 



163 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

lag;e, c'est le chemin de fer de Mazamet àBédnrieuz, dont 
l'inTraslrucliire esl Taite par l'Élat. Il a été comrtn;ncé avant 
la guerre de 1870; il n'a jamais été abandonné depuis lors; 
il n'est pas encore complètement livré à la circulation au 
moment où j'écris ces lignes (1889). On y aura travaillé, 
sans discontinuité, pendant vingt années. 

Sans prendre toujours un temps aussi phénoménal, la 
plupart des lignes entreprises par l'Ktat français ou sous sa 
direction exigent dix ou douze années pour leur construction. 
Dans les pays qui ont conservé les habitudes des entreprises 
privées, en Amérique et en Angleterre, un tronçon de voie 
ferrée est toujours livré au Iralîc trois ou quatre ans au plus 
tard après avoir été commencé. 

Les assemblées provinciales qui se chargent de Iravaus 
publics encourent, elles aussi, les reproches que je viens 
d'adresser à l'Ktat. J'écris ces lignes dans un des déparle- 
ments les plus riche* de France ; j'ouvre le compte rendu des 
délibérations du conseil général ; j'y vois qu'on travaille si- 
mullanémfnt ii la construction de vingt ou trente chemins 
d'iuiérêt commun ou de grande communication, et que cha- 
cun de ces chemins exige huit ou dix ans au moins pour 6tre 
terminé. 

La méthode suivie pour les entreprises d'État aboutit en- 
core, par cette raison, à la conséquence déjà signalée de 
réduire le résultat utile relativement h la somme em- 
ployée. 

Une autre circonstance essentielle, qui caractérise les en- 
treprises d'État, c'est la tendance à la gratuité de tous les 
services dont l'Élat se charge. 

Tout ce que perçoit l'Étal parait un impôt et une con- 
trainte, par.'C que, en effet, les sommes qu'il recueille d'or- 
dinaire rentrent pnr la contrainte et constituent des impôts. 
L'opinion Gnil ainsi par être complètement faussée sur la 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ËTAT. 163 

relation des recelles et des dépenses des services de t'État (1). 
Il en résulte que des travaux publics qui, naturellement 

(I) LVxempI* le plus trappanl de riaévilable teadnnce A lu gratuité 
da totia lea tL'rviccs de l'Élst, même quand il serait facile d'eu retirer, 
•■ni nuire aucunement au public, une rémuoéraliou légitime, est tourni 
par l'aduiinistralioa des poslea et dee l^Iigraphes. Ce serricc paraît 
merveilicuseineol pro«pire. si l'on ne lient compte que des rocelte» 
brutes ; mait «i l'on examine les dépenses qu'il coûte, toutes les df- 
peitMi, dont beaucoup ue sont pas inscrites au budget tnéme dei portes, 
OQ voit que le revenu net s'âvanouit complètemenL C'est uoe industrie 
que la nation exerce a perle. 

Si l'on l'en tient aux chiffres fournis par TadmintalratioD. en France, 
on voit que, dans l'année 18H7, les postes ont produit une recelte brute 
dfl H!,aiS,000 francs et les télégraphes une de SO.tas.'iOO francs D'autre 
part, les dépenses ofBdelles de ces deux services oui atteint dans la 
mïme année IlJ.IS^.Mtl francs. La recette nette serait donc uo peu 
inférieure à SS Diillions de francs et re prisent crait 92 p. 100 environ 
de la recette brute. Maïa ce n'est là qu'une apparence : en réalité, le 
service dci postca et des télégraphes ne fait pas ses trais. Quelques 
mois vont le démontrer. 

Les dépenses dont l'admiDiatration des postes et des télégraphes noua 
fournit le chiffre ne sont qu'une partie des dépenses. Alnsii. aucun 
intérêt n'jr Ogure pour le capital cngsgé; or, il jr a iùdpscaplt.iux con- 
sidérables : ceux des bOtels de» postes, ceux des installations des lignes 
télégraphiques, ceux du malfriel de toute sorte. Certiiocment, plusieurs 
centaines de millions ont été ainsi consacrées pur l'État dans cet outil- 
lage; ne mettons que 3U0 millions, ce qui est fort au-deMoiis de la 
réatllé, l'Étal ne compte aucun intérêt pour ce capital; s'il coinptail 
4 p. 100, soit B millions, les bénéfices nets apparents seraient réduits da 
3S raitlIoDs à 10. Lea localités, en outre, se sont chargées de beau- 
coup do dépenses nu da subventions, s>it pour la location des bureaux, 
soit pour le payement de certaines catégories de facteurs; il y aurait 
bieu «ncnre U 6 ou 7 millions à retrancher; le béaiDca net tomberait 
t !) millions. 

Unci lacune bien aulromeut importante, c'est celle des pensions de 
Tclmile de tout cet éourme personnel des postes el de* lélégraphes. Ca 
n'est pas aux frais généraux de ce service spécial, c'est au chapitre de 
la dette «ingéra tmluislère des Dnances) que Qgura celte dépense Au 
!■' décembre IRSI. la nombre des télègraphUlus el des posliers pea- 
•lonoâs s'élnvslt t ll,%i, celui des veuves ou de* orphollos de tonclion- 
nalrna de ces deux services atteignait l.luO, suit ensemble IS.G&I pen- 
dons postales ou télégraphiques pour une somme t>>iale de G,tIU,000 tt. 
Ajoutent cetta somme, comme c'est incontestablement n'gulier, aux 
dipenaes des postes et de* télégraphes, et le prétendu bénéOce de cette 
double admîn'Stration tombe au-de-^nus de II millions. 

Il y a une autre irH impnriaote déduction i taire, qui obsorbe bien 
au deli da ces b4n*Bces apparents. On sait que l'administratioD de* 




)64 L'ETAT MOUEHNE ET bES FONCTIONS. 

el légilimemenl, au grand avantage de la société, devraïen 
être i-émunéra leurs, cessent bientôt de donner une rémuné- 
ration dans la main du rÉtat. Culte tendance est d'autant 
plus accentuée que l'État repose davantage sur le principe 
électif el qu'il est pins incapable de résister aux pressions 
parlementaires ou aux pressions locales. 

Un des exemples de cet abandon des receltes les plus équi- 
tables, c'est la renonciation en France depuis sept ou huit 
ans aux droits de navigation sur les canaux, qui produisaient 
iiisément de 4 ù 5 millions de francs (1). 

postes, ea vertu du cabicr des cbarges, qo paye aucune reilcvance &ui 
Compagnies de dii^atcaj de Ter pour ses Iroosports : ce n'en est pas 
moins une dépense, aeulemeut elle va f;rossir un autre compte, celui 
île la garantie d' In 16 rSl parcxeiuple. Or, les grandes Compagnies portent, 
pour l'année 1884 (et depuis lors il j a eu accroissemeul de eue Frais), à 
Ml miltioDB SOS.OOU francn lu dépense des Iraasporls de l'administration 
postale et à 3,101,000 Irancs Ica sommes qu'elles supportPQt pour le 
service télËyrapliiqiie de l'Étal, soit ensemble 60 millions. Ainsi, le bé- 
néfice apparent des adminislrationa télégrapbiques et postales se trouve 
changé en une perte de iZ millions. 

Voilà l'ex.icte vérité : l'ËIat, bien loio d'y gagner, perd 43 millions 
fUr l'exploitutioD des postes et télégraphes. 

On objectera peut-être que l'ailministratlon a, coiouie contre-partie 
ru bénéfices, lacurreapondanccgraluite, tant postale que télégraphique, 
dont jouissent les fond ion o aires. Mais outre qu'il y a U un grand gas- 
pillage, ou ne peut évaluer à plus d'une vingtaine de millions de franc» 
celte franchise, suit un neuvième environ de l'unsemble des commu- 
nications totales. 

On dira Dupsi que les subventions auxpaquebole.qui montenl à 33 mil- 
lions environ, représentent en partie des dépenses politiques ou d'<;ncou- 
rogement géuéral du commerce ; soit, déduisons-en la moitié, ainsi que 
20 millions pour les franchises gouvernemea laies, il n'en demeure pas 
moins vrai qu'un des services qui, dans l'apiniou publique, est le plus 
productif pour l'État, ne tait pas ses frais et qu'il perd au moins une 
douuûne de millions. Or. sana entraver en rien le développement des 
relations postales et télégraphiques, on pourrait faire produire à cette 
sdminialriiLion un revenu net de lU p. liiO sur l'ensemble de ses re- 
cette tendance i lagraluilé ou plutût à l'onérosité des services de 
l'État te manifeste, d'ailleurs, a peu pris en loni pajs. Ainsi l'Ecoiio- 
u)û((de Londrehjee p'aignaiten 18SH quui'udmiuistration des télégraphes 
perdu oiiniicIlemeDt Q à 7 millions du Troncs sur le pi'ii, lieaucoup trop 
réduit, des dépêches qu'cllo Iran^mettuil auï journaux. 
(I) Nous entendons parler id non pas de droits destinés i, payer lin- 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ETAT. 165 

C'est un cadeau immériliJ dont l'Étal griitiDe les localités 
que ces canaux desservent, au grand détriment des autres 
contrées qui, n'ayant ni cours d'eau ni canaux, non seule- 
ment ne proQIent pas de la même faveur, maïs doivent 
niPnie contribuer au payement des Trais d'entretien de ces 
entreprises dont elles sont privées. L'Étal bouleverse ainsi 
les conditions naturelles do la concurrence. 

Dana une moindre mesure, cette observation s'applique A 
la gratuité des poils. Les droits de ports, tels qu'ils sont 
établis en Angleterre, font que les navires étrangers, qui font 
escale, participent à l'cnlretieD des travaux dont ils se ser- 
vent; ces droits empêchent ainsi l'armai eu r étranger de jouir 
d*une sorte de protection à rebours relativement à l'arma- 
teur national. 

En créant, en outre, une hiérarchie naturelle entre les 
ports, ils empf^chent la dissémination des travaux sur un 
nombre indéfini de criques; ils concentrent roulillage sur 
les points importants où il est le plus utile ù l'ensemble du 
pays et préviennent le gaspillage des capitaux. 

Les remarques que nous a suggérées l'accaparement des 
travaux publics par l'État sont vraies en principe pour tous 
les Étals sans exception; elles ont une inégale importance 
pratique suivant qu'il s'agit d'Étals organisés d'une façon 
stable, avec une forte administration, tout à fait indépen- 
dante des vicissitudes électorales, comme l'Étal prussien, 
ou bien, au contraire, d'Étals vacillants, flottants, dépen- 
dants, assujettis dans tout leur personnel il tous les caprices 



UtH el l'HinnniiVFninnt dM Mpitiiui CDgngJs ilniirt In conilriictioa de* 
canaui. quoiqu'il [ùt ju«tc <le lei récupArer *ur le traflc, quand oela 
(•t p«»ibk, mail ilat liiuplei Trait d'entreiien dca voies oaiigaLlci; il 
Mt abiurdo d» uv pu \e* pi-Tcrfolt >ur Ira mirchnudis» qui te i^rvent 
d« et» atoyriu do commiioiealiau. tl n'y a pu ici i» luAniPt rjltoo» 
d'immuoitè que pour 1e« route* ils (orro, uruir l« g^ue, le* emtMrra*, 
Im pertei de tempi, dont ■auffriraicnt lo* rolstioni. 



les L'ÉTAT MODER.NE ET SES FONCTIONS. 

des électeurs, comme les Élats reposant sur une base uni- 
quement élective. 

Il est clair que la puissante administration prussienne, 
uniquement dirigée par des vues techniques et par le suprême 
intérêt national, sait atténuer dans une certaine mesure, 
sans pouvoir les faire complètement disparaître, les vices 
que nous venons d'énumérer; l'État purement électif, au 
contraire, comme l'État français, les intensifie au plus haut 
degré. 

Une autre fâcheuse métbodedel'Étatfrançais consiste dans 
un singulier procédé de confusion de l'action du pouvoir cen- 
tral et de l'action des pouvoirs locaux en matière de travaux 
publics. 

Les localités rurales, àsavoir, les départements et les peti- 
tes communes, n'ayant en France que fort peu de ressour- 
ces, parce que l'État accapare pour son propre compte plus 
de la moitié des contributions directes, il en résulte qu'elles 
sont dépourvues des moyens d'effectuer par leurs propres 
forces des travaux de quelque importance. L'État leur alloue 
alors des subventions pour leurs chemins, pour leurs ponts, 
pour leurs Écoles. 

Ces subventions, il les faut solliciter pour les obtenir, du 
moins pour les obtenir vile; même lorsque la quote-part de 
l'Etat dans ces travaux est fixée d'après une proportion 
connue d'avance, le délai pour l'obtention n'est pas déter- 
miné, le classement ne se fait pas d'après l'ordre de date des 
demandes. 

Ainsi les localités, surtout les communes rur^es, sont 
toujours transformées en solliciteuses vis-ii-vis du pouvoir 
central. C'est un vasselage, plutôt même un servage, presque 
un esclavage, auquel elles sont rivées. La dépendance et la 
servitude électorales en ressortent. Il faut que ces commu- 
nes se montrent complaisantes, payent en services le pouvoir 



J 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 187 

MDtral des subvenlîonsqn'il vcul bien leur accorder; or ces 
services qui léinoignenl de la recoonnissunce des comniunes 
ou qui en fournissent des gages ne peuvent Être que des ser- 
vices électoraux. Le mécanisme théorique de l'État mo- 
derne, qui repose sur la liberté des éleclions, en est ainsi 
faussé. 

Avouée ou occulte, impudente ou Iijpocrile, la candida- 
ture omcielle, ou l'assujetlissenneiit des électeurs h l'endroit 
du pouvoir central, est une des conséqueuces inévitables du 
régime français des travaux publics. 

Quand même ontransporleraitaus autorités provinciales. 
en France aux conseils généraux, le pouvoir de répartir les 
subventions aux communes, on ne supprimerait pas ces in- 
convénients; on déplacerait seulement la servitude. C'est 
envers la majorité du conseil général que les communes 
devraient se montrer complaisantes, solliciteuses, humbles 
et dépendantes, sous peine d'être exclues des subventions, 
ou d'y être moins bien traitées, du moins, que les com- 
munes dociles. 

Ainsi, ce système, qui ne laisse pas aux localités assez de 
ressources pour sufllre seules & leurs dépenses essentielles, 
constitue un joug électoral d'une épouvantuble lourdeur. 

U a des inconvénients tecliniques qui ne sont pas moin- 
dres. Il pousse & un gat^pillage elTréné. L'État intervient 
dans certains travaux communaux dans des proportions qui 
TOol jusqu'à SU, 60 et même 80 p. lUO de la dépense, sui- 
vant 1b degré de richesse de la commune. Une petite com- 
mune rurale n'a qu'it s'imposer de 1,000 fr., pour que l'Etat 
lui en donne 4,000. 

L'énorme disproportion entre l'allocation de l'État, qui 
est considérée comme un don gratuit, et l'imposition locale, 
induit beaucoup de localités A entreprendre des œuvres mé- 
diocrement utiles, & exagérer du moin» la dépense. Etant 



168 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

donné le point de vue borné auquel se placent les paysans, 
beaucoup d'entre eux n'hÉsilent pas à voter un crédit de 
1,000 francs pour une dépense médiocrement juslifiée, 
quand ce crédit entraîne une subvention nationale de 
4,000 francs qui se répandra dans la communes en salaires, 
en acbat de terrains ou de matériaux. Servitude et gaspillage, 
voilù les résultats du régime français (i). 

Si l'on voulait revenir h un mode naturel, il faudrait cons- 
tituer aux pouvoirs locaux des ressources sérieuses, indé- 
pendantes, et renoncer absolument aux subventions du 
pouvoir central. 
(£, Si, pour ces subventions de toute nature, celui-ci dépense 
annuellement une centaine de millions, mieux vaudrait qu'il 
abandonnUt d'une manière permanente 100 millions du 
produit des quatre contributions directes. Son budget n'en 
souffrirait pas, puisque ce qu'il céderait d'une main, le pro- 
duit de certains impôts, il le retiendrait de l'autre, en n'ac- 
cordant plus de subventions. Les communes et les départe- 
ments seraient ainsi affranchis, les premières de leur double 

(I) L'Ëtnt central ca Angleterre luit bien dea prûts aux localités ; mais 
CB sont des prflts, noo des dona ou des aubsidcB, ce qui est tout Jiffé- 
reat. En général, le taux de l'intêrËt était de 3 et demi p. 100. Par suite 
da la bau«Be dea coosolidËa depuis I8S6 et la conversiOD du 3 p. tOO 
britannique en ! 3/i dans l'année lljSa, ca Uuï d'intÉrfit des prèU faîU 
par l'Ëlat aux adniinistralions locales a pu nu pourra Être diminué. 
Depuis 1B7I, date de la constitution du Local Giventmeiit Board Jus- 
qu'en 18B}, le montant des prèU consentis par l'État, pour les grands 
travaux d'hygiène publique et de satubrtlè, eux administrations locales 
soit urbaines, soit rurales, s'est élevé a !G,1GS,âiS liv. sterl. on {)70 mil- 
lions de francs. 

Quoique ce système de prMs puicae se jiisIlQer et qu'il n'ait pae les 
principaux ineonvénienta de notre système de subsides, on n'a pas 
InIsaË de constater que les locnliti^s anglaises ae tnisaaient entraîner h 
de» dèponaiis cïces'ives. Étudiant le rapport du Local Government 
Board pour IHH3-84, VEconomiat (do Londres) terminait ainsi ; i II est 
peu sogB de ruire des eaipnmts trop rapides et trop coiiaidf râbles, 
DtCme pour dea objols utiles. On doit modérer un laux d'occroiaaement 
d'après lequel la dette des localitËs est détenue quatre Cola cl demie 
plua forte qu'il y a quatorze ans. •• 



ï 



^^P LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ËTAT. 169 

wrvîtude i l'endroil du pouvoir central cl de rassemblée 
départemenlale., les seconds do leur servitude envers le pou- 
voir national. On rentrerait dans l'ordre; les responsabilités 
ne seraient plus déplacées. On y gagnerait au point de vue 
technique et Onancier : l'on y joindrait le bf^néllce inappré- 
ciable de conditions plus favorables il l'exercice de la liberté. 

On ne saurait dire il quelle atrophie de l'initiative indivi- 
duelle conduit le régime Traoçais des travaux publics. Habi- 
tuées h compter sur des subventions de la commune, du 
département ou du pouvoir central, les diverses agglomé- 
rations d'habitants, dans les campagnes surtout, ne savent 
plus rien entreprendre par elles-mêmes ni se mettre d'ac- 
cord sur rien. 

J'ai vu des villages de deux cents ou trois cents habitants, 
appartenant aune grande communedispersée, attendre pen- 
dant des années et solliciter humblement des secours pour 
une fontaine qui leur était indispensable, et que 200 ou 
300 francs, soit une contribution de 1 franc par tête, suffi- 
saient à mettre en bon état. 

J'en ai vu d'autres n'ayant qu'un seul chemin pour faire 
sortir leurs denrées et ne sachant pas se concerter, quand, 
avec une prciniiNrc dépense de 2,000 francs el 200 on 300 fp- 
d'entrotien par an, ils pouvaient rendre aisément viable cette 
seule voie dont ils disposaient. Je parle, cependant, de pays 
relativement riches, beaucoup plus aisés que la généralité 
des communes do France. 

11 est vrai que l'on adresse h l'initiative privile, en matière 
de travaux publics, certains reproches dont plusieurs peu- 
vent avoir quelque portée. Mais, oulre qu'on exagère les in- 
convénients qu'on lui impute, il est facile souvent d'obvier 
ft ceux qui sont réels par un contrAle qui n'a rien d'c:tcessir. 

La première do ces critiques, c'est que, en s'en tenant 
aux entreprises libres non subventionnées et non réglemcn- 




170 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

tées, les pays riches ou les quartiers riches sont seuls bien 
desservis. Ils posséderont plusieurs lignes concurrentes de 
chemins de fer ou de tramways ou d'omnibus, pendant que 
les pays ou les quartiers pauvres seraient délaissés. Ce serait 
là, dit-on, un manque à la justice et à la solidarité nationale. 

Ce raisonnement contient une sorte de pâtilion de prin- 
cipe. Il Taudrait prouver que la mission de l'Etat consiste en 
ce que des territoires, inégalement doués do la nature, iné- 
galement peuplés, Tussent également pourvus d'un outillage 
collectif perreclionnê. Or, c'est là un prétendu axiome dont 
rien ne démontre la justesse. 

Si l'État ne donne pas de subvention, il n'y a aucune in- 
justice à ce que les pay» riches soient mieux pourvus de 
voies de communication que les pays pauvres ; l'impût, en 
effet, n'aura servi à payer aucune partie de ces œuvres. 
Ensuite cette organisation, qui résulte de la liberté, est plus 
conforme à l'économie naturelle. Il est inutile de s'obstiner 
& vouloir maintenir le population dans les pays pauvres, où 
elle prospère moins que dans les pays riches. Les efforts 
qu'on y fait n'aboutissent pas ; parfois même, ils ont un 
résultat contraire k celui qu'on recherche. 

Le perfeclionnement prématuré des communications dans 
les districts médiocrement fertiles ou peu industriels, en y 
détruisant la vie patriarcale et en y rendant plus sensible la 
concurrence avec les pays mieux doués de la nature, a plu- . 
tôt aidé au dépeuplement de ces distiicts. 

En fùl-il autrement, de même qu'un propriétaire a plus 
d'avantage i porter l'effort do ses capitaux sur les meilleu- 
res terres, tant que celles-ci ne sont pas suffisamment amé- 
liorées, plutôt que de les disperser sur des terres médiocres 
ou arides, ainsi une nation tire beaucoup plus de profit de 
l'emploi de ses capitaux dans les districts les plus propices à 
l'agriculture Intensive et à l'industrie que de leur dissénii- 



LBS TRAVAUX PUBLICS ET t'ÉTAT. 171 

nation sur tous les poinls du lerrîloire, mfime sur ceux qui 
sont nalurellcinenl les plus îngrals. Quand cel omploi nalurel 
s'elTectue en dehors de toute conlrainle de l'Elat, c'est-à- 
dire en dehors de loiile ressource d'impOls ou d'emprunls 
publics, personne dans la nation ne peut se plaindre que 
r<Squilé soit lésée. 

Quelques personnes, accoulumées à l'arbitraire adminis- 
tratir, jugeront peut-être celle doclrine empreinte de dureté. 
Elles ne prennent pas garde que certaines circonslanccs 
naturelles en lempèrent Tapplicalion. L'expérience prouve, 
en elTet, que, mâme sans une inlervenlion acLive de l'Élat, 
les pays pauvres peuvent Cire lolérablemenl desservis. 

J'ai cita plus haul (voir page 140) l'exemple si topique de 
l'Irlande, qui, presque sans aucune aide gouvernemenlale, 
par l'action seule des sociëlés privées, possédait i,)GO kilo- 
niËtres do chemins de Ter en t886, soil 1 kilomèlrn par 
1,165 hahit.tnts, tandis que la France, après cinquante ans 
d'aclive inlervenlion gouvernementale dans la conslilullon 
de son réseau Terré, possède 33,500 kilomètres de lignes de 
fer, ou 1 kilomètre par 1,144 babilauts, situation presque 
analogue. 

Il ent aisé, en outre, il l'État, de même qu'aux municipa- 
lités, lors des concessions d'entreprises de travaux publics, 
<t« stipuler que, au delà d'un certain bénëQce assez élevé, la 
moitié des proQU nets supplémcDlaires sera employée à 
étendre le réseau des entreprises de chemins de fer, de gaz, 
d'éloclricité, de tramways, etc., uu h diminuer les tarifs. 

Ne le rit-il pas, que la concuirence qui existe entre les 
différentes sociétés libres et la jalousie qu'elles ont entre 
ellet, quand l'État no cherche pas à en restreindre le nom- 
bre, le goût des innovations qui lutte chez beaucoup deci.>s 
sociétés avec le strict intérêt pécuniaire, les porteraient à se 
charger d'un bon nombre de voies de jonction ou de raccor- 



na L'ÉTAT MODEBNK ET SES FONCTIONS. 

demont qui sont pour elles médiocrement utiles. Si l'État 
évitait de faire plier les compagnies sous le poids d'impôts 
écrasants, comme ceux qui existent en France sur le prix 
des places et les transports h grande vitesse, on obtiendrait 
beaucoup plus aisément de ces sociétés privées l'extension 
et la meilleure utilisation de leur réseau, 

En France, on semble s'Être proposé en tout de renverser 
l'ordre de choses naturel. L'État donne des subventions, 
sous la forme d'annuités, pour la construction des voies fer- 
rées nouvelles; il sert, en outre, des garanties d'intérêts qui 
montent, dans certaines années, Jusqu'à 80 ou lOO millions 
de francs. En revanche, il perçoit des taxes extravagantes, 
comme les 23 1/2 pour 100 sur le prix des places: il reçoit, 
en définitive, à peu près autant qu'il donne ; mais il se met 
loî-mème et les compagnies dans une situation confuse, 
donnant d'une main, prenant de l'autre, laissant la respon- 
sabilité des travaux, et en partie de l'exploitation, indécise 
et flottante. 

Quand on juge que l'initiative privée négligerait trop les 
districts pauvres, on omet une circonstance importante. 
L'État a, nous l'avons établi, une fonction stralégiquo et 
policière ; c'est même, avec l'organisation de la justice, le 
fond essentiel de sa mission ; or, pour que cette fonction soit 
bien remplie, il faut que. tout le pays, même dans les districts 
peu favorisés de la nature, soit doté, dans une certaine me- 
sure, des organes absolument essentiels de la civilisation 
contemporaine, comme les roules ; qu'aucun canton ne soit 
trop éloigné d'une ligne de chemin de fer; mais il s'agit ici 
seulement do quelques rares travaux qui doivent 6tre exé- 
cutés avec économie. II est facile de les mettre, sans excès, 
à la charge des compagnies privées, comme devant Être 
pourvus avec une partie de l'excédent des bénéfices que 
fournissent, en plus du taux normal dans le pays, les gran- 



LES TRAVAUX PUBLICS ET LÊTAT. iTi 

des œuvres maîtresses, toujours largement rémunâralrices. 

Un certain ordre d'activité de l'Ëlat proQle aussi aux pays 
nalurellemenl pauvres et fait qu'ils ne peuvent se plaindre 
d'eire désbérilés. J'ai dit que, parmi les devoirs qui inconi- 
benl k l'État, se trouve une mission de conservation gi^nérale 
des conditions physiques du pays ; celle mission consisle 
particuliëremeat dans l'entietien et l'amélioration des forSts 
et l'aménagenienl des eaux. 

Si l'Élal s'était toujours bien acquitté de celle t&cbe im- 
portante, les pays montagneux et les hauts plateaux, c'est- 
à-dire les contrées d'ordinaire les plus pauvres, seraient plus 
peuplés et plus prospères, sans qu'il Tût nécessaire d'y faire 
beaucoup d'uulres travaux publics artiOciels. 

Un autre reproche, parfois adressé A l'inilialivo privée, 
c'est que, fonctionnant en dehors do toute réglementa lion, 
elle constitue des monopoles particuliers intolérables. Il y a 
beaucoup d'exagération et une petite part de vérité dans 
cette assertion. Si la liberté est absolue, comme en Améri- 
que et en Angleterre, la concurrence devient en général 
effrénée, du moins dons les districts tuut & fait riches et 
pour les principaux parcours; il ne peut pas s'agir ici de 
monopole, mais plulàld'une certaine anarchie qui rend très 
instables el très variables les services, tout en leur conter- 
Taol l'avantage d'être ea général très progressifs et très peu 
cofilcos. 

Celle inilabilité et celte variabilité ont des inconvénieuti 
pour le public, quoique l'expérience prouve que ce sytlèmc 
examiné dans ton ensemble, n'est pasdéfavorabteau com- 

Imeree. Les ÉlaU-Cnis s'ensont accommodés, etjamai* ancao 
Tukee n'avouera que le régime contioeDUI européen des 
toÏM ferrées est préférable au régime américaÎD. 
Dm peuples plus rassis, toutefoi>, moins agités, moins 
iBTmenlfa de U fièvre des aflairef, moins babitués aux 



174 l'état MODEHNE ET SES FONCTIONS, 

changemenls continuels, se senliraient troublés des brus- 
ques et incessantes varia tiens, souvent arbitraires, auxquelles 
donne lieu l'exploitation des voies ferrées en Amérique. 
Hais, sans dépouillei- l'initiative privée de ses droits et de sa 
force, il est aisé d'y remédier. 

L'État, qui a délégué aus grandes entreprises de travaux 
publics un de ses droits régaliens dont elles n'auraient pu 
se passer, celui d'expropriation ou celui encore de l'usage 
de la voirie, ne sort pas de son rOle quand il les soumet, 
dans leur exploitation, à un contrôle discret, impartial, 
exempt de jalousie. C'est une question de mesure qui im- 
plique, de la part des pouvoirs publics, non seulement une 
stricte équité, mais une certaine bienveillance à l'endroit 
des sociélés privées. 

L'Angleterre et les Etats-Unis d'Amérique, en instituant 
une commission d'Étal pour le contrôle de l'exploitation 
des voies ferrées, se sont conformées h ce rôle. Quand on 
connaît l'esprit qui anime les pouvoirs et l'opinion de ces 
deux grands pays, on peut être assuré qu'ils rempliront ce 
devoir de contrôle avec plus de modération et d'impartialité 
qu'on ne le fait d'ordinaire sur le continent europÉen. 



CHAPITRE IV 

HÉSUMÉ niSTOBIQUB DU BOLE DE L'ETAT ET DES PABTICULIERS 
DANS LA CONSTITUTION DU RËSEAU DES CHEMINS DE FER ET 
DES COXKDNlCATtONS HAHITIHES A VAPEUR. 



tJtiUl^, «ammo illu^lralinD, d'examiner Im parts reapectives de l'État el 
des parliïulipra dans la Iran'lonnallon d«ts moj'pns de IranBporl au 
»!!• «lècle, pBgp ITfl. — L'hUloim de la vapaur el de» Toiea Torr^ei 
Uaooï^e du manque d'esprit d'inveoUoQ ft d'adaptation rapide chei 
I'fitaI,pagD i'S. 

&iiciRDDelé relative de« themin» de fer dam lei miau, page tTS. — 
L'apptiMtioD de la vapeur à la Incamotion l'est d'abord eiïeclaâe 
dani la naTÎgatioD, page 177. — Les dèdaiua de l'Ëlal, p ige ITT. 

Toute dfeau*erte se r(p&nd eurtout dam les para ub aiioadent 
l'eaprit d'assoeiatioD et les capitaux, page ITS. — Etabli uement lans 
■ucuoe subvenlioa de* premiiirei ligues d<) naTÏgalioa & vapeur, 
page ns. 

Prtiir oblnnlr le concouru do l'Étal rt une neuTre, il faul conTaincre 
toni la monde ou du moini la miijnril*; pi>ur une association priïr'e, 
il aunil de convaincre quelques fnthaugiastes, page 180. — L'Ëlal 
cet tiraiiger en Augloleire et va France aui premiert chemins de 
fer réguliers, page ISI. — Le* premiers cbcoiiDs de fer anglais, 
page 181. — Dftajl* aur la conslitullon du rfseau terra briLinnique, 
page 181. 

Le* d^bula des ckemin* de fer aux ÊLat«-Unis, page 181. — Le rt- 
■eau ferrt ami^rieain rtalise Ici Iroi^ condltlana îoi partantes : rapidilt 
de couKlrurtion, efflcacilé d'exploitation el bon marcbf, page ttb, 

Andennelfi des vole* ferries dans les mlnea française*, page ISS. 
— Le* premier* c^emin« de fer ouTerli au public «onl iIik, sous la 
Rtstauraiion, * l'Inillalive privée san* aucun? assistance, page IHO. — 
Trait* earaclAristiques de cet contre m ions, page IS'i. — Apri* ce* 
exeelient* débats la franc* mi Ui**e iitlar<l*ri pendant viust an* la 
coocenioD des voies ferries n'est presque plu* en France qu'un lujet 
de dlscuesion, page 189. — Les cinq ubstieles qui emp^cbirent les 
Chambre* de passer de la délibération à l'aciiuo. p.ige 190 — L'abu* 
d« la enntriiTene ; la chaîne f tEclorale ; le parti pris de t*oppo9iU<'0; 
la eralnle do l'jginUge et de la corruption ; ta lilouaie excessive île* 
droit* de r£tat, pngt IBO. — La Chaml>ra pendant dii an* resaembla 



176 



L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 



u falai entre deux bottes 



à l'Ane philosophique qui se laisse 
de roin, p»ge IJII. 

LeschargeBÉnoroiesaiiEes par les pouvoirs publics surl'exploilatiun 
des chemin» de ter; leur pITcI est le rclaril daoa la conalnicllon et 
l'iaFÉriorilè duos l'eiploilaliou, page ms. — Coup d'Œil sur tes parts 
reepectivca de l'Ëtatet de l'inilialive privée en Belgique, eu Allemague, 
en Aiilriclie, etc., page lUIi. — Exemples diicisifs do l'EEpagae et du 
Portugal, page SUl. 



Pour éclairer les rôles respectifs de l'initiative privée et de 
l'État dans les travauii publics, il peut être utile de jeter un 
coup d'œil sur la conslilulion (la l'industrie qui, depuis 
soixante années environ, a profondément changé les condi- 
tions économiques du monde civilisé ; jo veux parler des 
chemins de fer et de l'application de la vapeur à la loco- 
motion. 

Ces deux progrès, qui nous paraissent aujourd'hui con- 
nexes, se sont produils séparément et à des époques diffé- 
rentes. Us se sont complétés l'un l'autre et si bien unis 
qu'on les regarde presque comme inséparables. 

L'histoire des voies ferrées elde \:i vapeur témoigne hau- 
tement du manque d'espril d'invenlîon de l'État et de l'iné- 
puisable fécondité, au contraire, de l'initiative libre. 

Les chemins de fer sont beaucoup plus anciens qu'on ne 
pense. Un aventurier proposiiit récomment d'en célébrer 
le cinquantenaire : il raccourcissait de moitié leur kt^e. 

Bien longtemps avant que l'opinion publique générale en 
connût l'existence, ils fouctionnaienl sur beaucoup de 
points. Ce que nous appelons les tramways, les tramways 
à marchandises, qu'on ne connaît guère plus, ont vu le jour 
au dernier siècle, silencieusement, sans attirer l'attention, 
dans les districts houillers de la Grande-Bretagne. 

Dans une des nombreuses sessions où la chambre des dé- 
putés, sous le règne de Louis-Pbilippe, discuta, sans jamais 
aboutir, la quesiion de l'ëtublissemenl des voies ferrées, 



J 



I 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 177 

Arago avait déposé un rapport, en 1838, qui, à cûlê de beau- 
coup (l'erieiiis, contenait quelques observations frappantes. 
11 disait que « l'auteur inconnu » de la substitution du rou- 
lage ou du transport en voiture au transport à dos de che- 
val avait réduit par son invention le pris des transports au 
dixième du chiffre antérieur (1). 11 voyait une amélioration 
aussi importante dans le remplacement des empierrements 
des roules ordinaires par des bandes de fer sur lesquelles 
porteraient les roues des voitures. 11 avait calculé que, en 
atténuant ces résistances, « ces bandes ont en quelque 
sorte décuplé la force du cheval, celle du moins qui donne 
un résultat utile ». II ajoutait que le poids placé sur un wa- 
gon est centuple de celui que le cheval qui le truine peut 
porter sur sua dus. 

Ce qu'ignorait Arago, c'est combien la pratique avait de- 
rancé l'observation du savant. » Un auteur inconnu » avait 
introduit, dès le milieu du xvni* siècle, et peut-fitre même 
bien auparavant, l'usage des rails, — en bois il est vrai, — 
dass les exploitations œiaiâres britanniques pour le Irans* 
port de la bouille. 

Habile à inventer, l'industrie privée l'est également h pro- 
pager les inventions et à les perfectionner. En 17TG, on pose 
dao) une mine de Shefflelddea rails en fer que l'on croit les 
premiers de cette espèce. Ce procédé se développe et s'étend 
rapidement, grAce & l'esprit d'émulation et d'initiative des 
entreprises libres. Vers 18:20, on comptait, aux environs de 
Newcastle. GUO kilomî^tres de rails dans les galeries souter- 
raines ou à la fiuperflcie des mines. Les wagons arrivaient 
juiiqa'au bord do la Tyne et se vidaient deux-mémos dans 



(1) Anga«uc>Sriit beiUCoop.CoiDinooaiMDtleTair pluahaut(piKa 131), 
d'iprts loi calcul» de M. ds KofUlo, l« riduelion dai prit do tnntport, 
pêi U «nlxtituiion de U durreue an doi do cbenl el do mulet, q'cm que 
duM la prupartloQ do tfc I. 




178 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

les navires. A. l'autre extrÉmité de l'Angleterre, dans le pays 
de Galles, il existait à la même époque 400 icilomÈtres de 
voies ferrées desservant les houillères. Celait le tramway 
& marchandises; ce n'était pas encore le chemin de fer tel 
que Dous le concevons. 

L'application de la vapeur à la locomotion réussit plus tAt 
sur l'eau que sur terre. Oq connaît les essais, théorique- 
ment heureux, de notre marquis de Joudroy sur le Doubs, 
en 1776. L'invention française, comme la machine à coudre 
et comme tant d'autres de nos découvertes, nous revint' 
d'Amérique où elle s'acclimata, se perfectionna, sa déve- 
loppa, au point qu'on l'y crut indigène. 

C'est une histoire connue que celle des dédains de NapO' 
léon, représentant l'Etat moderne, pourFuUonen 1803. L'in- 
venteur évincé retourna dans son pays et, en 1807, traversa 
sur son bateau k vapeur le lac Éiiê. Le premier bateau bri- 
tannique du même genre fut construit, en 1811, par Bell; 
il était mû par une force de 4 chevaux, jaugeait 25 tonneaux 
et navigua sur la Clyde, entre Hctensborougb, Greenock et 
Glasgow. 

La navigation à vapeur parut d'abord faite pour les ri- 
vières, puis pour le cabotage, plus tard pour les transports 
de voyageurs, tout récemment ù peine pour les transports de 
marchandises à très grande dislance. 11 n'y a pas dix années 
que les transports à vapeur sont devenus un peu communs 
entre l'Europe et l'Australie, aussi bien par le Cap que par 
Suez. Un très grand développement de cette navigation 
s'effectua, vers 1820, sur les fleuves et les cfiles de l'Amé- 
rique. 

Toute découverte se répand surtout et d'abord dans les 
pays où abondent l'esprit d'association et les capitaux. Le 
premier facteur est encore, si l'on peut dire, plus important 
que la second ; aussi, comme rien n'y peut suppléer, y a-t-îl 
à l'entretenir un très grand intérêt social. 



LES THAVACX PUBLICS ET L'ETAT. ITS 

En 1835, on comptait aux KtatsUnis 130 bateaux à va- 
peur, dont quelques-uns de SOO cbevaiix; tous ensemble 
représentaient 10,000 tonneaux. On sait que la plus grande 
fortune individuelle du inonde civilisé, celle des Vanderbilt. 
se rattache, par ses origines, aux débuis de la navigation 
à vapeur, le premier Vanderbilt, celui qu'on appelle le com- 
modtire. ayant gagné dans ces entreprises, alors nouvelles 
et audacieuses, bon nombre de millions de dollars. 

La navigation h vapeur sur mer, un pou plus tardive, date 
de 1818. On garde encore le souvenir du navire Hob-Roy. 
traversant la mer d'Irlande, de fireenock à B^'lTast. Vers la 
OiAme époque, la Cily of Erlimburg, entre Leilh et Londres, 
ruisail d'un trait 630 kilomètres. De 1820 à 1825 s'établis- 
saient les premiers services réguliers, reliant, A tntvers la 
Manche, Dieppe et Brighton ou, à travers la mer du Nord, 
Rotterdam el l^ndres. 

La grande navigation s'inaugurait pour la vapeur en I62S, 
pariin voyage hardi qui rappelle celui de Vasco du Gama : 
lu steamer Enterpriit partit de Londres le IC août avec 
SI passagers, dont six Temmes, entra le 6 octobre au Cap, 
dû partit le 31, el le 9 décembre mouilla & Ciilculta, ayant 
parcouru 18,0u0 kilomètres en trois mois et vingl-quatre 
jours. 

Dans tous ces progrès, la part de l'Ëlal Tut mince et toute 
n£galive : l'administration britannique des postes décida 
qu'elle se servirait des navires & vapeur partout où il en 
eiiiteraît. 

L'application de la vapeur à la locomotion sur terre fut plus 
lont«. Comme pour la navigation, c'est en Franco aussi qu'on 
en fil les premiers essai», hïii composant lus célèbres vers : 
Sic vai aon vobU... lu pottu latin transcrivait la fortune 
dci Frani;ail. 

Eli 17Gy et en 1770, un ingénieur lorrain, Cugnol, essaya 




ISO L'ÉTAT MOBEflNE ET SES FONCTIONS. 

avec un succès relalif une BOrle de locomolive routière. 

Bachaumont en parle dans ses MémoU-es, et l'on peut voir 

cette machine à notre Conservatoire des arts et métiers. 

Au commencement de ce siècle, dans le pays de Galles, 

en 1S04, on reprît ces essais, lis n'eurent qu'un succès 

médiocre. 

De 1826 à 1833, l'opinion publique britannique s'éprit 
de ces tentatives et les multiplia. Un ingénieur, dont le 
nom fut alors célèbre, Gurney, institua un service régulier 
de locomotives routières pour les voyageurs. Vers 1831, une 
quarantaine de voitures fonctionnaient ainsi, ne faisant, 
d'ailleurs, que trois ou quatre lieues à l'heure- Loin de favo- 
riser ces commencements, le parlement porta un coup terri- 
ble à ces entreprises en mettant sur ces voitures une surtaxe 
excessivement élevée, par la raison, disait-il, qu'elles usaient 
plus les routes que les voitures ordinaires. Plus tard, on di- 
minua cette surtaxe; mais déjà les locomotives routières 
étaient en décadence. 

li fallait, pour réussir, combiner les rails et la vapeur. 
Dès 18H, George Stephenson le tentait dans une conces- 
sion houillère. Un membre de l'aristocratie britannique, 
lordRavensworth, faisait les frais de cet essai, qui excitait 
alors l'universelle moquerie. 

Une des raisons qui font que l'État est moins apte que l'in- 
dividu à seconder le progrès, c'est que, pour obtenir son con- 
cours, il faut convaincre tout le monde, ou du moins la ma- 
jorité des conseils techniques ; or, toute majorité a une pro- 
pension à la routine, du moins à la lenteur, aux précautions 
iuGnies qui lassent et déconcertent. Pour se gagner l'aide 
des capitalistes ou des sociétés libres, il suflil, au contraire, 
de convaincre ou de séduire quelques personnes, quelques 
esprits entreprenants, quelques joueurs même, ou, sur 
toute la surface d'un vaste pays, un grand nombre de per- 



J 



LES TBAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. t8( 

sonnes qui chacune apportent & l'entreprise nouvelle une 
contribution modeste. 

L'Étal est absolument étranger, aussi bien en Angleterre 
qu'en France, aux premiers chemins de fer réguliers. 

La première ligne ferrée da ce genre dans la Grande-Bre- 
tagne est celle de Stockton ii Darlington, d'une longueur de 
61 kilomètres, autorisée en 1821, ouverte en 1S25, revenant 
à un pris kilométrique de 430,000 francs et desservie d'a- 
bord par des chevaux. 

Mais la grande industrie des chemins de fer ne date vrai- 
ment que de la ligne de Liverpool à Manchester, concédée 
en 1826, inaugurée en 1830, ayant oO kilomètres de lon- 
gueur qu'on parcourait en une heure et demie. Elle avait 
coûté la somme énorme de 39 millions ou 800,000 franc» 
par kilomètre. Ainsi que les dépenses, les receltes, heureu- 
sement, dépassèrent de beaucoup les prévisions. 

L'impulsion était donnée et ne se ralentit pas. A la Gn de 
1830, l'Angleterre avait autorisé 5ti7 kilomètres de voies fer- 
rées, dont 279 étaient en exploitation; trois ans plus tard 
(1833), les kilomètres autorisés atteignaient le chiirrede963, 
et l'on en comptait356 exploités. 

C'était l'industrie privée seule qui non seulement avait 
donné l'élan, mais, sans aucune aide de l'État, tout exécuté. 
Le promoteur de toutes ces œuvres était un simple ouvrier 
ou contremaître, un selfmade man, comme disent les An- 
glais, un auloilidacte, comme on dit encore, QU de parents 
indigents, tour à tour conducteur de chevaux, suneillant de 
voies, raccommodant le soir les pendules et les montres, 
George Stcphenson, traité de visionnaire ou d'excentrique, 
et qui, dans presque aucun pays, n'aurait pu être ingénieur 
de l'État (!}. 



(1) 11 icroit superflu de «'étendre ici sur l'iiisl'ilre subiéqucole if» 



182 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Aux États-Unis comme dans la Grande-Bretagne, les che- 
mins de Ter procëdenL presque uniquement Ue l'iniLialivo 
privée. 



cheminB de fer en Anglelprrp, Ce sont les commcncemcnta surtout qui 
importent. 

Disons, cependant, que, de 1833 à 1830, 1o dévtiloppemeat des voies 
Terrées dans la tiraadp-Bretaguo Tut un peu plus lent. Le Parlement 
était médiocrement empressé; les grands propriétaires fonciersi, les lords, 
dont les voies nouvelles devaient eouper lea dumnines et qui voyaient 
là aussi B une concurrence pour les canaux où ils 6liiimt tort intéressés, 
firent longtemps une vive opposition nux concessions. Le formalisme 
parlementaire élait, d'ailleiirs, en dehors de tout parti pris, une cause 
de lenteur. Le projet de chemin de ter entre Loudres et Birmingham, 
devant avoir I8i) kilornÉIrea, Fut repoussé par la Chambre dus Lords 
enIH3^ et ncfui votd qu'en lS3ï; un peu plus tord, on concéda celui do 
Londres à Brighion. Au 1" janvier 183Q on cooipiuit Ifll kiluniétres 
ferrés exploités et l,âOO concédés. A partir de 1830 eut lieu ce que l'on 
a appelé la Raitwy Maiiia : les résultats des premières lignes ayant été 
favorables et l'opiaioD publique ee prononçant énergique ment, le Par- 
lement ne résista plus à l'enlhousinsnie général. Eu 1836 ou concÉdn 
I,â99 kilomètres devant coûter 573 millions. L'agiotage s'empara de 
toute la nation et pénétra jusque dans lea villages. L'immobilisation des 
capitaux ayant été rapide, il y eut une crise d'une certaine intensité. 
Dana les années suivantes, 1833 et I83U, on ne construisit plus qu'un 
peUt nombre de lignes, puis, à partir de 1810, le mouvement reprit 
toute son intensité. En 1S43 l'Angleterre possédait !,!JB9 kilomètres en 
exploitation, le chemin de Londres à Birmingham produisait 11 p. 100 
de revenu, d'autres lU ou T p. 100, la généralité & à G. Les deux plus 
anciennes voies, celles de Darlinglon àSIocklou et de Liverpool à Man- 
chester, rapporlaionl, l'une là p. 100, l'autre 10 p. 100. Il n'y avait que 
la cinquième partie du réseau exploité qui rournil moins de 4 p. 100. 
Ainsi la manid de IB3(i n'avait pas été si folle. C'est une prélenllon 
exagérée que de vouloir empêcher ces crises Mes résultats restent acquis; 
les actionnaires ne pouvant se recruter par contrainte, ils deviennent 
plus rares, quaud les entreprises cessent d'être lucralivea; le gouver- 
nement pourrait, en principe, essayer de les modérer; mais, d'ordinaire, 
il participe k l'illusion. 

En ISlâ sévit une nouvelle crise qu'on appelle la grande folie, greal 
mania. On en voyait les prodromes dès 1843, où lu Parleuient pas.^a 
34 lois relalives à la coDslruclion du chemins de fer; en mit, on vota 
tS lois du même ijcnre, autorisant la construction de 4,ni4 kilomètres. 
Ce fut une époque de grand agiotage ; mais les époques d'ugiotage 
semblent être périodiques et inévitables chez les nations civilisées : 
l'expérience seule pourra peut-être un jour les atténuer. Après )a mania 
de leiS, il y eut uue période d'assoupissement ; on n'autorisa plus que 
3G kilomètres en 1819 et 13 en 18Ù0. 

L'observation prouve que les gouvernements ee laisseut tout aussi 



J 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT, 183 

Le plus aDcien railway américain, long de 5 kilomètres à 
peine, apparaît, de 1823 h i828, dans le Massachusetts. Un 
autre, embrj'onnaire aussi, long de 30 kilomètres, fonc- 
tionne en Pensylvaiiie vers 1S29. La première ligne impor- 
l;inte, celle du Baltimore à l'Ohio, longue de 06 kilomètres, 
s'ouvre en 1832. Beaucoup de tronçons existaient déjà, et, 
depuis lors, les constructions se multiplient. 

En IS33, près du 1,200 kilomètres, trois fois plus qu'en 
Angleterre, étaient exploités dans l'Amérique du Nord, pays 
qui, à cette époque, possédait peu de capitaux; mais il sa- 
vait admirablement s'en servir, en les épargnant et en en 
tirant le maiiiiium d'utilité : le coût kilométrique ne dé- 
passait pas en moyenne 100,000 francs. 

Plus tard, et pendant une courte période, quelques-uns 
des États qui composent la fédération de rAraérique du 
Nord accordèrent quelques subventions aux entreprises de 
chemins de fer, l'État de New- York, par exemple, 31 mil- 
lions pour le railwayd'tludson.Qui'lques autres l'imitèrent: 
il en résulta du gaspillage, et même la suspension des paye- 
ments de plusieurs États, celui de Pensylvanie notamment. 
On revint bientôt de cette fAcbeuse pratique. Le gouver- 
nement fédéral s'interdit toute dotation en argent; il ne ee 
permit plus que des allocations de terres aux compagnies 
de voies ferrées, système bien moins dispendieux, plus jus- 

fcifn entraîner qiio Im parliculiers: cela eit arrivé à la Fronce avec la 
loUe frrjciuct, et aussi à l 'Au tri elle- Hongrie et a l'ilatie, à la Répu- 
blique Argeotiue. En tujt cas, il est prèf^niblo que l'on ail agi >Tec 
■rdeur que d'avoir ntlcoilii in <J AS ai ment, comme en France, par crainte 
de l'agiotage el par locertituile gouvernementale. Mieui Taul a<iui que 
Ica paiiieulior* qui participent t ces entratnenieDla eu lupportvot tel 
eoottqunnceB que l'entemblc des coulribuables. 

Le râteau anglais, con>triiit ainsi mus sacriQces Je l'État et avec un 
minimum de foruialitfs adminialralive», a gardt dans ion orgnnisatioQ 
tuie inceaiante tendance au progrfta qni In distingue avan loge usom eut 
de* rtMaui du cuntiaent, où la bureaucratie gouverDcmcnlole a plna 
d'IalliMace. 



4 



18i L'ÉTAT MODERNE ET SES FONGTlû:<S. 

tiflé dans un pays neuf, contre lequel, cependant, proleste 

aujourd'hui la plus grande partie de l'opinion américaine. 

Différents États, imitant la fédération, ont inscrit dans 
leurs constitutions un articio qui interdit à leurs législa- 
teurs de garantir des emprunts privés. 

Oq peut donc considérerle magnifique réseau des chemins 
de fer aux États-Unis comme la plus merveilleuse œuvre 
de l'initiative particulière, presque sans assistance publique, 
ou du moins avec un minimum d'assistance qui est en com- 
plète opposition avec la pratique du continent européen. 

Grâce à l'esprit d'association libre, plus fécond encore que 
la puissance des capitaux, à l'absence aussi de formalités 
vexatoires et dilatoires, le réseau ferré américain a toujours 
été en avance sur celui des autres nations et, depuis vingt 
ans, lia presque toujours équivalu, comme longueur kilo- 
métrique, à l'ensemble des lignes de tout le reste du monde. 
Il comprenait 14,500 kilomètres exploités en 1830, 4i),000 
en 1860, 83,000 en 1870, U8,000 en 1880, 203,000 en 1883, 
enfin 220,000 kilomètres en chiffres ronds en 1886. 

Malgré le prix plus élevé qu'en Europe de la main-d'œuvre, 
du Ter et, jusqu'à ces derniers temps du moins, des capi- 
taux, malgré aussi des procédés souvent condamnables de 
majoration du capital des lignes au profit des fondateurs 
ou des directeurs, les 200,000 kilomètres (123,152 milles) de 
voies ferrées qui existaient aux lOtats-Unis en 1884 n'avaient 
coûté, comme frais de construction et d'établissement, que 
la somme totale de 7 milliards 676 millions de dollars, soit 
moinsdeW milliards de francs, ce qui représente une dépense 
kilométrique de 38,400 dollars environ, ou 201,000 francs 
approximaUvement(l], moins des deux tiers du coût d'éta- 
blissement des chemins de fer français. 

(1) Slaiiitical alisiract of the Unitid States, 188C, pages 188 et 18". 



J 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 185 

"^ Le continent européen, entravé par les habitudes admi- 
nislralivea gouvernementales, par les lisières où l'on y a tou- 
jours tenu l'initiative individuelle, par la liaiidilâ et l'inex- 
périence de l'esprit d'association, ne pouvait que suivre d'un 
pas tardîTet pesant le uingnillriue exemple d'activité féconde 
que lui donnaient les grandes nations jouissant d'un régime 
civil traditionnellement libéral, l'Angleterre et les Êtats- 
Dnis. 

Ce dernier pays avait réalisé dans l'établissement de ses 
voies ferrées les trois conditions idéales : la rapidité, l'erii- 
cacilé, le bon marché (1). L'Angleterre avait obtenu la pre- 
mière et la seconde sans la dernière. 

Le continent européen, enveloppé dans les préjugés, le 
formalisme administratif, l'orgueil des pouvoirs publics, & la 
fois prétentieux, indêci» et envieux, était destiné à ne pou- 
voiratteindre dans la constitution de son réseau ferré ni la 
rapidité d'exécution, ni la complète efQcacité d'exploitation, 
ni le bon marché. 

11 serait superDu de nous attacher à un historique étendu. 
Quelques mots seulement, surtout sur la France, seront ici 
d'usage. 

Db 1830 à 1635, alors que la Grande-Bretagne et les États- 
Unis possédaient déj?t un ensemble de tronçons ferrés res- 
pectable, l'Autriche-Hungrie .ivait seulement (38 kilométras 
de cbomiu de fer. du Budweis à Linz. 

La Belgique, née de la veille, il est vrai, mais se perdant 



[I) Nnua n'ent«aiIniK pu cnalcBler Id qu'il n'y nil «u el qu'il o'j ail 
«ncoro lit grand) obua dam la cumluilo ÀaiiiidèrR ilo chemiiM de fer 
amAricaini. uolamuiviit le* majaraliuai des capitaux et en (|uo l'oo 
app«ll« le valrring. )1&ii 11 plupart de en vIm» goût pualjrivun t 
l'éttblitMDiDnt du rfacnu prlmordliil des chemin» de Ter. Ed oulre, il 
edt Ht abt de le* prtTcnir ou de le* modtmr, r.e que l'on commeuce 
i l'effarccr de taire, par quelque* loli InterdiBant les pratiqune con- 
damnable* et par un coutrAle diacret, eoui aucune participation dirocte 
da l'Êtal uu du* Ëtali ft la cunatituUon ou à l'eiploitatioa de* ligne*. 




186 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

en discussions oiseuses sur les mérites comparalifs de l'exé- 
culion par l'Élat ou par les compagnies, ne devait se mettre 
& l'œuvre qu'ù partir de 1835. 

La Prnsse et la Russie possédaient chacune un échantil- 
lon de chemin de fer, l'un de 26 kilomètres, l'autre de 28. 

Nation inlellecluellement active, individuellement hien 
douée, la France no pouvait attendre patiemment pour faire 
l'essai des voies ferrées que l'État daignSt s'y intéresser. 
Aussi est-elle au premier rang de celles qui ont adopté 
l'inslrument nouveau . L'initiative individuelle ne se montra 
ni paresseuse ni timide, et si les discussions des Chambres 
ne l'eussent pas arrËltie pendant prés de vingt ans, si les for- 
malilés administratives, si l<i Jalousie et l'étroitesse d'esprit 
des pouvoirs publics ne l'eussent pas condamnée ù l'inac- 
tion, noire pays, dix ou quinze ans plus tût, aurait joui des 
chemins de fer. 

Dès le comraencemenl du siècle et peut-Ctre auparavant, 
des voies £i rails se rencontraient en France, dans les houil- 
lères d'Anain et dans les mines de PouUaouen en Bretagne : 
U elles étaient de bois ; h. l'usine d'indret, à celle du Creu- 
sot, on en trouvait de fer. Diverses publications, en 1817 et 
en 1818, attiraient l'altenlion des industriels sur ces agen- 
cements, en recommandant l'imitation des voies ferrées an- 
glaises pour l'exploitation des mines de houille. 

Les concessionnaires des mines de la Loire eurent les pre- 
miers l'honneur d'inaugurer les voies ferrées régulières. 
Après une étude des voies fériées de Newcastle, M. Deaunîer 
traça le plan d'un chemin de for de 18 kilomètres entre 
Saint-Étienne et Ândrézieux. L'administration, n'attachant 
aucune importance à ces travaux, accorda la concession, 
sans aucune limite de durée, en 1823 (1). 

(1) Dans les paya neufs on les vieux pays qui se râveillenl, il peut 
lurgir des sutrepriscB analogues à celles qui virent le Jour à la fiu de U 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ETAT. I8T 

Quelques anoËes après, deux hommes dont le nom mérile 
d'filre retenu, comme celui des pionniers français en celte 
matière, MM. Séguin frËres. obtenaient en 1826 la conces- 
sion d'un chemin de Ter de Saiiil-Ellenne à Lyon, long de 
ST kilomètres. La France n'était donc guère en retard sur 
l'Angleterre et les États-Unis. 

Une troisième ligne fut concédée, en 1828, de Saint- 
Étienne à Roanne. 

Ces trois chemins de fer furent ouverts, l'un en 1828, le 
second en 1830, le troisième en 1834. Le chemin de fer 
d'Andrézieux à Saint-Étienne coula 113,000 francs parkilo- 
mMre, celui de Lyon ^ Sainl-Élicnne 334,000 francs, celui 
de Sainl-Élienne & Roanne 90,000 francs. 

Toutes ces entreprises furent bien conduites. Comme ré- 
sutlals Unanciers elles représentent les trois destinées qui 
se partagent les grandes œurres industrielles : le succès 
éclatant, le succès modeste et l'échec. 

C'est naturellement au chemin de Saint-Etienne & Lyon 
qu'est échu le succès hrillunL La propriété de celle ligne 
était divisée en actions de capital et en actions d'industrie 
ou d'apport, celles-ci n'ayant droit aux hénéQces qu'au delà 
de 4 pour 100, mais prélevant la moitié de ce qui escÉdait ce 
taux; quelquei années après l'ouverture il l'exploitation, 
l'action do capital recevait 7 1/2 pour 100 et l'action d'in- 
dustrie une somme presque triple de celle que touchait 
l'action de capital. Moins fortun<^, mais sufllsamment heu- 
reux encore, le chemin de Sainl-Ëtienne à Andrézieus ser- 
vit en moyenne 5 à <i pour 100 & ses actionnaires. La vic- 
time, dans ces trois premières lignes ferrées françaises, ce 

BeitaiiralioD: ainsi, en Al^f rie, lo petit chemin de fer inilustrict de DAne 
i Aîa Hokra (U UI.J, coDsIruit par )a SociAt£ de Jlulita el Ilkdid pour 
l'exploitation de sca mine*, eit ouvert auui au InBc public, do nicine 
pour un petit chemio du 1er CD voie d'eiécultoD dci mine* de Tatiorks, 
•D TuDitie, au port du infine Dom. 



k 



188 L'ÉTAT MODEB."<E ET SES FONCTIONS. 

fui celle de Saint-ÉUenne h Iloanne, qui n'a presque jamais 

risQ produit à ses ailleurs. 

Inauguré dans le disti'icl de la Loire, le mouvement s'é- 
lendait à l'eotour. En 1830, on concédait 28 kilomètres 
d'Épioiic au canal de Bourgogne. La région méditerranéenne 
s'animait. Dans les houillbres du Gard et de l'Hérault, on 
pensa de bonne heure aux chemins de fer. Un homme qui 
a laissé un grand nom dans l'histoire industrielle de ce 
temps, Paulin Talabot, songeait à tout un réseau de lignes 
ferrées dans ces départements du Midi, 

En 1833, l'on concédait le chemin de Ter d'Alaisà Beau- 
caire, c'est-à-dire au canal qui conduit à la mer. C'est la 
première ligne dont la concession fût temporaire, toutes les 
précédentes étant perpétuelles. La réalisation des chemins 
de fer du Gard et de l'Hérault ne devint définitive qu'en 
1837. 

A la fin de l'année 1833, la France possédait 75 kilomètres 
de chemins de fer en exploitation; 214 kilomètres étaient 
concédés, Les capitaux dépensés par les compagnies con- 
cessionnaires atteignaient 17 millions. Quant à l'État, con- 
traste instructif, il avait consacré à des études de projets de 
voies ferrées 102,600 francs sur une somme de 500,000 francs 
qu'une loi avait récemment mise à sa disposition. 

Toutes ces premières concessions avaient été accordées, 
prest[iie sans formalités, parle pouvoir exécutif, sans inter- 
vention de la loi. Les cahiers des charges étaient sommaires; 
ils pensaient aux tarifs des marchandises, non à ceux des 
voyageurs. Le gouvernement de la Restauration, chose cu- 
rieuse, agissait à l'américaine. 

Comment, après de si beaux débuts, dont n'eût rougi ni 
l'Angleterre ni l'Amérique, la France se laissa-t-eJle autant 
attarder? C'est une histoire intéressante, qui a bien des ap- 
plications au temps présent, qui éclaire tout ce qui se passe 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ETAT. 189 

sous nos yeux pour les tramways, les téléphones, l'électri- 
cité, et dont la répétition ininterrompue nous rend sembla- 
bles au colimaçon, à un colimaçon dissertant et discutant 



Ce qui caractérise les petite chemins de fer concédés ou 
exécutés en France sous la Restauration, ce sont les traits 
suivants : concessions perpétuelles, faites par décret, sans 
intervention des Chambres et sans sacrilices de rÊl;il. A la 
perpétuité on eût pu substituer la concession de quatre- 
vingt-dix- neuT ans ; on eût pu également faire intervenir les 
Chambres, même lorsqu'on n'imposait aucun sacrifice au 
pays; mais il eût fallu que ces assemblées délibérantes, pour 
aboutir, eussent été animées d'un esprit d'équitable bien- 
veillance envers les compagnies et qu'elles se fussent tou- 
jours placées, dans l'examen des concessions, au simple 
point de vue technique. 

11 n'en fut pas ainsi, et, pendant vingt ans, la construction 
des lignes ferrées ne fut guère en France qu'un sujet de dis- 
cussion. 

Ce n'est pas que le pays fût indifférent ou ignorant en 
cette matière; la presse s'en occupait avec ardeur; un bril- 
lant publiciste, Michel Chevalier, signalait, sans se lasser» 
les procédés anglais ou américains. Presque chaque année 
dans les Chambres on se livrait sur ce thème aux discussions 
les plus approfondies. Des savants comme Arago, des poètes 
comme Lamartine, animaient le débat en y mfilant tour à 
tour des éclats d'éloquence, des vues profondes et des pré- 
jugés enfantins. 

En 1837, en 183», en 1842, il se produisit un de ces déQIés 
de harangues dont on dit qu'elles honorent un parlement; 
mais tout se passait en paroles, et après ce Ho! de discours, 
l'opinion publique était plus confuse et plus indécise qu'au- 
paravant. 




190 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIOKS. 

11 semblait qu'un excès de raisonnement eùl rendu ia to* 
tonte miilade. 

Cinq obstiicles empêchaient de passer h l'action; nous les 
énumérons, car on les retrouve encore aujourd'hui a» tra- 
vers de la plupart des nouveautés industrielles qui ont he- 
sioii pour se produire, sinon absolument du concours de 
l'Êlat, du moins de son assentiment. 

Le premier obstacle était de nature doctrinale : i! consis- 
tait en d'interminables discussions pour savoir si l'on conûe- 
rail l'exécution des voies fen-éesà l'État ou aux compagnies. 
L'abus de la controverse, l'argumentation infinie sur les 
avantages et les inconvénients de l'une et l'autre solution, 
plongeaient les esprits dans une perplesité qui retardait 
d'une année à l'autre la décision ((). 

(1) Od peut CDUBuIler sur les dËbuU des chemins de Ter français l'ou- 
vriige très inlèrespant J'Andiganoe: Les chemins de fer aujourd'hui et 
dans ecnl ans, Paria, 1858. En 1837 le gouvernement avuil [iroposé uo 
projet ralionnol qui, s'il eût ét6 adopté, oût assuré la prompte oïécu- 
lloci du réseau : il voulait coaHar l'cxécutioa et l'exploilalion des oho- 
mluB de Ter ans Cumpogoies 9ou9 diverses Tormes, avec ou sans sub- 
vention du TriBor, par des CiiDcesaiona directes ou par di?8 adjudica- 
tions. Ou avait pris Judicieusement le terme de qualre-vingt-dix-oeuf 
BUS pour maximum de k durée des eoncessious; ou s'élait rèiervé 1& 
faculté de réviser les tarifs à l'expiration des trente premières années, 
et ensuite après chaque période de quinze ana. Tout cela Ëlait excellent; 
il eùl seulement fallu stipuler que les subvenlioDs étaient remboursables 
par un prélèvement de moitié sur les ijéuéflces au delï de 7 a 8 p. 100 
et mainlemr, même après ce rembouraemeut, une certaine parlicipalioa 
de l'État dans les bénéfices. 

Chose singulière, mais qui arrive pnrfois, le gouvernement de 1831 
sembla combattre lui-même ses projets qui élaiout bons. Le minietro 
des travaux publics, M. Martin du Nord, déclara qu'il était 1res porté à 
partager l'avis de ceux qui voulaient que les grandes lignes nppartia»- 
sent exclusivement à l'État. Le directeur des ponts el chaussées, M. L«- 
grand. chargé de soutenir tes projets en quallLè de commissaire du 
(;ouverae ment, les combatloit indjreclement. Il ne cachEiit pas qu'ilterait 
à d<>Birt^r que l'État pût se charger des grandes lignes qui devaient de- 
venir des insbumenU de la puissants /•al/lique. u Les grandes lignes de 
chemins de fer, diiail-il, sont de grandes rénea du gouven 
fauilrn.it que l'Étal pi\I les retenir dans sa m:iin; el si nous t 
seoti à conUer ces travaux à l'industrie particulière, c'est si 



I 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ETAT. Ifll 

Le second obstacle était de nature parlementaire et élec- 
torale. Il tenait aux intérêts locaux de chaque représentant 
et s'olTrait sous la forme de discussions Apres et sans cesse 
renouvelées (notamment en 1837 et en 1843) pour le classe- 
ment et la priorité des lignes h cxécuti-r, ponr la prérérence 
& donner au système d'une ligne unique dans chaque direc- 
tion ou au système des tronçons. 

Le troisième obstacle était do nature uniquement poli- 
tique : c'était le parti pris de l'opposition, quelle qu'elle fût, 
de repousser le système, que) qu'il fût, que proposait le 
gouvernement. En 1837, le ministère propose l'exécution 
des voies ferrées par les compagnies ; la rhamhre rejulte ce 
projet; en 1838, le ministère propose l'exécution par l'Élat; 
la Chambre repousse également ce projet opposé au pré- 
cédent. 

Un quatrième obstacle, que l'on voit aussi se dresser sur 
lii route de toutes les découvertes qui ont à obicnirde l'Élat 
un laisser passer, c'était une alfeclalion de puritanisme qui, 
feignant de croire toujours ou croyant réellement à l.i cor- 
ruption, à l'agiotnge, appréhendant de favoriser la spécula- 

dltioD Acrita dana la lui, qu'on Jour le gouTornemnat pourra rentrer 
dan* la puMcsalmi pleine >t nnllbi'B île eu gniiiil moyen île cuininuni- 
catiuo, H l'IuUrAt du pnjR lo ri^tiuinrt. • Ali»i le ftouvornrmniil coni- 
ballall presque hs propres projet*, lei(]ucla pourlattl éUieut Irét Judi> 

Eii i|i>hor* ilu ■ninial'TB on do en agi^nta, deux boinmci ajroal <une 
jtmidn vitualioti dao* k pay* ri daat la Cbauibru >u lirrèrrnl atre iidb 
ptirûttance tiitdtigulilv i en Uiiiinoi iiir \v* m^ritni ri'sprcur> Ju l'vié- 
euUon et de rsxpluîtaUuD par l'&Ut oa par le* cumpaBiilea : tou* daux 
■ppartcDuisDt t lopîDlon dtmacraliqite : Lamirlfu* d Aragu. L« pr«- 
minr «oultDalt l'i>ituiilli>n pnr l'Ëlat, la *orniid c«lla par Im coiiipaKfUa». 
L» uiaUiAnalklen voyait braiicoup plui jiiili: t\»o le potta. 

Eu tooi caa, ces caotrovcrses InteriiitiiubtES o' aboutissaient 4 aoouna 
dtcisliiii. 

La Chambre, ne lacbaot ae pranoDmr pendiol lout l« rt|nia de Lonia- 
Phllippe FDire les deux sjttcmes dn l'iiiAcutiua par lËIsI ou par Ih 
c«mp ■Kui'.'s, ri^ssainblait A l'aue philosophique i]ui se laissait mourir da 
titiui «utro dauK butlua da (oln, par euibarta* du cboix. 




191 L'ÉTAT MODERNE tT SES FONCTIONS, 

tion, les banquiers, les capiLalistes, finissait par écarter euc- 
cessivemenl toutes les solutions pratiques- 
Un cinquième obstacle enûn était de nature mi-partie 
(inancière, rai-partie administrative : on était tellement ja- 
loux des droits de l'État, qu'on voulait réduire les conces- 
sions à des périodes beaucoup trop courtes, imposer aux 
compagnies des charges trop lourdes; on leur laissait toutes 
les chances mauvaises de l'entreprise, en réservant 1 l'État 
toutes les chances favorables. Il en résulta que plusieurs so- 
ciétés sérieuses se retirèrent, et que celles qui acceptèrent 
des contrats périlleux effrayèrent par leur échec l'opinion 
publique et accrurent la pusillanimité des capitalistes. 

Il serait trop long d'entrer dans les détails de cette ins- 
tructive histoire. Qu'on s'y reporte et l'on aura la confirma- 
tion des observations qui précèdenUl). M. Martin du Nord, 
par exemple, voulait, dès le début, faire un plan général, ce 
qui est une chimère par toutes les contradictions qu'il sou- 
lève. Le principal était de commencer, fût-ce d'une fagon 
défectueuse. 

On limita les concessions à une durée très brève, ce qui 
rendit elTroyables les charges d'amortissement. Presque 
seule, la ligne d'Amiens £k Boulogne fut concédée pour la pé- 
riode raisonnable de cent ans; mais c'était une petite ligne. 
OnDxala durée de la concession ii quarante ans pour les 
chemins du Centre, à vingt-sept ans pour Orléans à Bor- 
deaux, à vingt-quatre ans et onze mois pour Creil à. Saint- 
Quentin, à quarante et un et quarante-quatre ans pour 
Tours à Nantes, à quarante-trois ans et demi pour Paris ù 
Strasbourg. 

Que pouvaient, en face de si courtes périodes, des sociétés 
de capitalistes? On leur interdisait les longs espoirs elles 



(Ij Voir le livre d'Andigaime, cil é plus haut. 






LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 103 

vastes pensées. Les courtes concessions étaient d'autant 
plus lourdes qu'il s'agissait de compagnies naissantes dont 
aucune n'avait de réseau productif. 

On leur imposait aussi de«i formalités, des cliaiges, des 
services (tratuits, qui faisaient beaucoup plus que compen- 
ser les subventions de l'État, quand l'État accordait des sub- 
ventions (1). 

(I> Oa ignore g^aânlemeDl quo l'Ëlal a imposé aux Compagnies iIp 
eh«mîa> tlafirl'eaucoupde lraD»porUgraluilB pour les sdintuislrotioas 
IiubliquM, Dotuiuiuenl celui <Ipb irri^aus posmiii qui oïl Irfis onfreui- 
1^ Bul'elin de ilaiàliluf tl d* légii/alioit comparée (publié par le mi- 
niittre dei flniniies'i ettimn ainsi qu'il suit (1" volume ilc 18M. pagu 151) 
Ibi proflii procuras à l'f.tat par te» chemina île Ter, ilu chef ilea ècono- 
mteirtaliiées relalivemeol aux prix de Iraiisporl* piiyfs par le public, 
CD lin : 5C.B6ri,&lin fr. puur IvB IrautporU puslaux ; aT,!TII,GI t fi\ puur 
l«* traiitporti' d>; CDitilalrns ou île marina; I,8.m.9II Tr. pour k* transporta 
do la guerre; RIO.Il'l tt. pour les traoïporla de l'ail mi iiistraliou des 
fluoncM (laboca, pnudrei, papier limbré, etc.J. Ëconotule lur les prix du 
commerre; I.Otl.nSK fr. pour le Iraasporl des prisonniers; SJl.bSI fr.; 
pour le trancport gratuit de* aKViils des contributions indirecteg H des 
douanea; l,iV4,5it Tr. pour l'admiDislralioD, par les cmployi^s des 
cuuipagiijes, des lignes liKgraphiqu"*'. soit eo tout I03,S17,89(I fr. de 
chargM imposées «uk compaguies & son profit pr<>pre par l'ÉlaL En 
supposant quo l'on taxe d'ciagératioa cette évaluntjoa qui e»l offi- 
cielle cl qu'on la rËduiie de 10 p. lOO. il reste établi que les charges 
indircelcs imposées aux compagnies par l'État rrani^als en dehors des 
impOti proprement dits seriisat d'au uiuiiuSO millinoa, soll de !.W)orr. 
par kiluuifrlre {le chilTre officiel de cet charges est du 3, MIS fr. p>r kilo- 
mHre]. Cela correspondrait k une subvention d'environ 1 milliards 
de frucs pour le rési<au. ou bien encore cela dt^pajise le chiffre moyen 
des garanllri d'inlArM avanctrs pnr l'Ëtat depuis vingt ans. 

La* gsna qui rfOichiiaent se rendent compte que d'aussi énormes 
ohuges, qui n'ont rieu de comparable en Anglelerre et aux États-Unis, 
ont été de nature à ralentir ûugulitremeut la construction du roseau 

L> ooSMMlon temporaire, puur quatre-vingt-dix-neuf ans. opposée 
é la eoneessIoD perp«luf Ile qui eri la système en vitiucur aux Ëtatt-Unia 
«t en AnKlelerre, est dé]A en sol une cauae it'latèriorlti pour l'exploila- 
(lOB présente du réseau français. 

• Les léglstnlrur* qui ont pria dss mpsurc* pour te retour flnal des 
chemins de l*r tntn^^ à l'État, dit Herbert Spcncrr iVladipidu conlrt 
tttat, page 17), u'ont jamais soDgi qu'il pourrait en r^tullor des faci- 
lités moindres pour le Irensportdes voyageurs. Ils n'ont pas prévu que 
le déair de ne pas déprécier la valenr d'une propriété devant éventuel- 
lement taire retour à l'Ëlat, cinpficheraît d'autoriser la créaUoo de 




104 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

On ne comprenait pas qu'il est singulièrement avan- 
tageux pour un pays, par l'émulalion et la confiance qui 
en résultenl, que les sociétés qui les premières y introdui- 
sent un genre nouveau et fécond d'entreprises soient récom- 
pensées de leur hardiesse par un brillant et rapide succès. 
Dans la situation d'esprit des membres du gouvernement et 
surtout des membres des chambres, l'exécution des grandes 
lignes, les plus productives, devait Être longtemps différée. 
L'initiative privée devait se contenter de petits tronçons 
suburbains, comme le petit chemin de fer de Paris au 
Pecq, concédé, en 1833, à M. Pereire, exécuté en deux ans, 
sur une longueur de 19 kilomètres, ou comme les deux li- 
gnes de Paris à Versailles encore, concédées en 1836, 
livrées à la circulation, l'une en 1839, l'autre en 1840. 

Ce fut un tort que d'autoriser, dès le début, celte con- 
currence. La ligne de Versailles (rive gauche) fut ruinée : 
l'infime revenu net qu'elle donnait oscillait entre !v. 43 et 
1 Iv. 84 p. 100 du capital engagé. Elle servit d'épouvantail 
aux capitalistes, Sans 6tro prospère, la ligne de Versailles 
(rive droite) était moins misérable, gagnant entre 2 fr. 21 et 
3 f. S4 p. 100 du capital. Beaucoup plus heureuse était cette 

lignes GonciirrDQtes, el que, Taule do concurrence, la locomolion sérail 
relelivenjent leolc, coùleuse el les trains moins fréqueats; car ta voya- 
geur anglais, comme Sir Thomas Farrer l'a dèmoutré récommant, a de 
grande avoDlages sur le ïojageur fruni^U sous le ruppurt de l'ùconomie, 
de la rapldiiË el de la (r£quence avec lesquelles il peut accomplir ses 
voyagea, n 

S'il y avait des raisons aêrieuBes pour borner à quatre-vingt-dix- 
neur ans la coaceBRion des «hemins de fer, malgré [es ioconvénienU 
actuels de cette limilalion de dur6e, du moins les charges indireetes 
«iCMsivee roiaca en Frauce sur les voies ferrËes, ainsi que les înipOts 
dérais onuables (aujourd'hui Ti p, 100 sur le prix des places des voya- 
geurs), n'avaient aucune excuse. 

Mieux eût valu que l'Ëlat ue donnât aucune subvention et qu'il us 
grevât pas autant le traQe. 

Hais le politicien dit pratique s'imagine que l'on peut taxer à ou* 
trance toute entreprise privée, sans en empêcher la oaissance ou le 
développement. 



us TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 



195 



dn Pecq, où le produit, par rapport ans frais d'élablisse- 
mcDt, variait entre 5,50 et 9 p. fOO. 

Il n'eût dépendu que du gouvernement que l'inilialiTe 
privée se chargeât, dès celle époque, de quelques grandes 
lignes, au lieu de ces infimes tronçons. 

La politique étroite, envieuse à l'égard des compagnies, 
avait presque arrêté le mouvement de construction des 
voies ferrées : au mois de janvier 1848, le bilan des cbe- 
mins de fer en France se bornait k 4,702 kilomètres con- 
cédés, dont 1,830 seulement exploités. Ils avaient coulé 
630 millions, donl G^ h peine avaient été fournis par le 
trésor : la recette brute kilométrique alteignaiL 45,000 francs, 
et la recette nette Sâ.OOO francs, représentant, en 1847, 
7,17 p. 100 du capital de premier établissement. 

C'est assez dire que si, dËs 1835, on avait su bien accueillir 
l'initiative privée, lui faire un sort équitable, lui accorder 
des concessions de longue durée, tout en se réservant un 
droit de rachal dans des conditions bienveillantes et une 
participation dans les bénêQces au delà de 8 ou 10 p. 100, 
la construction des chemins de fer en France, sans aucun 
sacrifice sérieux pour le trésor, c&l été avancée de vingt ans. 

Même aujourd'hui, le trésor ne fait, quoi qu'il en dise, 
pour les lignes ferrées, aucun sacrillce bien réel, puisque, 
s'il leur sert une centaine de millions de garanties d'intérêts 
ou d'annuités, il retire d'elles une somme plus que doubl6 
d'imp&ts ou de transports gratuits (1). 

On nous reprocberail peut-être de nous en tenir à la 
Franco pour le continent européen. Disons donc quelques 

(I) Noua «TOI» dit que Io« ■«rvlem gnilults OU lei tcoDomioi sur lei 
traniporb dr.i admioutrationa publiques rcprËmutoiout, «d IMt, uuo 
Mmme de )0!.g1T,H98 tr. 11 faut j Joindra Ici JupCta perçus »ur les 
cliemt» da ht ou aur luun Ulre*. Hiit ISS mUUuiii un IHMI, nniPraMa 
3T3 millioiu. Ci'llt! cbarga cal pluai|U(! doutilu ira cliargea corrnapoa- 
dantM daua la* pays las plus avaucéa, lus ËUla-Uaii el rAnglcterrc. 




196 l'état moderne ET SES FONXTIONS. 

mois de trois pays, placés dans des condiLioiis IrÈs dilTé- 
renles et où l'Élat joua un rôle important dans la cons- 
Iruclion des voies fériées; la Belgique, la Prusse et l'Au- 
triche. 

Quand on commençait de construire les chemins de fer 
en Europe, le petit État belge venait do se consLiluer en 
s'émancipanl de la Hollande. Le pays était propice à réta- 
blissement des voies ferrées: très peuplé, abondant en 
grandes villes, offrant une surface plane, sauf dans une pe- 
tite partie du territoire. Deux jeunes ingénieurs, MM. Si- 
mons et de Ridder, formèrent les premiers projets de voies 
ferrées. L'État belge, né d'hier, tenait à s'aflirmer, à mon- 
trer sa force, il était préoccupé delà question stratégique 
et nationale, craignant que les voies nouvelles ne tombas- 
sent aux mains de capitalistes hollandais de nation, ou 
orangistes d'opinion (1). Le premier ministre d'alors, repré- 

(l) M. Lehirdy de Bemilieu, député au Parlement belge, dans un 
rapport officiel tait, au iioeu de la «ectiun centrale, à ta Chambre des 
reprèseotants do Belgique, sur le budget des travaux publics pour 
l'aDDèe 1330, donne les rulsoos, toutes politique» et de circouEtaQce, 
qui SreQt cooslruire les principales li)jnes du réseau belge par l'ËLut. 
Voici comment il s'exprime : 

• Jusqu'en \SZb, en Belgique, le transport des choses et dca hommes, 
avait étË considËrë comme appartenant à l'activité individuelle, iaolËe 
ou combinée en associutioDS du diveracs (ormea ou oalurcs... 

•> En 1330 la mitte en exploitation, par une cooipagnie d'eutrcprensurs 
de transports au moyen de locomotives, d'un chomlu de Ter entre Li- 
verpool et Mancbesler fit ouvrir un nouveau champ et de nouveaux 
horizons ï cette iodustrie des transports... 

« Divers entrepreneurs ou Sociétés d'entrepreneurs proposaient au 
nouveau gouveruemcnt belge de se charger, moyennant p£age, de cons- 
truire divers chemins de ter et à'j organiser dus moyens de transport 
rapides et puissants, 

■ L'affranchissement de l'Escaut n'Était pas encore réalisé à cette 
époque, et les hommes politiques virent dans la nouvelle invenliou un 
moyen d'arriver â la couquëic de cet allronchisacmeal en le rendant 
moins indispensable. 

1 Moi» on croyait alors, comme on le croit encore aujourd'hui, que 
l'oxptoilutioa de cette industrie nouvelle devait constituer un monopole. 

1 A qui confier le monopole des chemiris de fer d'Ottende ou d'Anvtri 



I 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 197 

sentant le parti libéral, aux tendances centralisatrices ti- 
rées di! la Révolution française. M, Rogier, proposa l'exécu- 
tion par l'État. 

La lutte Tut vive dans le Parlement. Le projet Tut voté 
par 56 vois contre 28 h la Chambre des représentants, 
par 33 contre 8 au Sénat. Le réseau devait embrasser 46t ki- 
lomètres. On ne proscrivait pas complètement l'initiative 
privée : on caressait cette chimère, qui séduisait aussi, par 
intervalles, le gouvernement Trançais, que les lignes prin- 
cipales seraient construites par l'État et tes lignes secon- 
daires par l'industrie privée. On admettait que les tronçons 
concédés h des Compagnies particulières viendraient se 
souder au tronc primitif. 

Ce qui détermina ce modo d'action du gouvernement, 
ce fut donc le désir de jeter quelque prestige sur l'État 
belge si jeune encore, puis des considérations stratégiques 
qui, dans la situation contestée du royaume, faisaient im- 
pression sur les esprits, enfin l'admiration pour l'ancienne 
admîniotration impériale. 

En 1837 on élargit encore ce programme. C'est en vain 
que l'industrie privée avait oITiirt do se charger de la cons- 
tmclion des chemins de fer belges. Une association, dont la 
carrière a été et se trouve encore très brillante, la Société 
génératc {pedjf) pour favoriser riniluslrii- nationale, avait fait 
d'actires démarches pour qu'on l'admit & cette grande 

ON HkSn ? On ritqvait de te voir lomf-er aux moinM dn orangUlri. <jui 
tlaient Itt gnt$ caiiilaliilei tTalori. Le$ pah-iolei lU pouniiem admtllrt 
ettle potÊibitili tl la quetlion polîliqae décida la majorHf du tory» If- 
gittnHf, tontm» die arail Hindi U gauvtrnrmenl. A JfcrAter, doo •i'uI»- 
■nant l'eiAcutlan dm voiciii al «talions p&r le ftouTnmrincnl, mftli encore 
provitoircmcnt et àUlm il'Riptri^Dca, l'oipioitaUoa par mi ogcnU, aux 
tn\». rbqup* cl pïrita Aet conlritiuAliliui. • 

KouiauiprunUiaicainorceiiicaricUriiliquelltapnblic&lioiiiDUtiiléit: 
Sxiraï'i du BapporI de la CanuTiûnon il'enqiiite parlrmenloirt lur 
rttptmlaliim dtt cAtmint de ftr Halient (DiMitu, éditeur, 1S83). 



l 



198 l'état moderne ET SES FONCTIONS. 

œuvre. L'Élat voulut agir tout seul, au défaut du moins. 

Il pritliis meilleures lignes, qui furent d'un bon rapport. 
En 1833 il ouvrait la section de 20 kilomètres de Bruxelles 
à Malines, l'année suivante celle de 24 kilomètres de Ma- 
tines à Anvers. On continua les années d'après et, ù la lin 
de 1843, le réseau primitif pouvait être considéré comme 
achevé. 

C'est à coups d'emprunts naturellement que l'Étal avait 
construit ces voies. Les résultats financiers furent d'abord 
favorables. Les deus premières années fournirent des béné- 
fices. Mais après et pour douze ans le réseau d'État tomba 
en persistant déficit. Ce n'est qu'à partir de 1852 que les 
bénéfices revinrent. A la (in de 1831 le déficit total, con- 
sistant dans les insuflisances soit d'exploitation sur cer- 
taineslignes, soit des rentrées pourpayerrintérétel l'amortis- 
sement des capitaux engagés, montait à 31,606, U(JO francs 
depuis l'origine. 

Malgré les résultats favorables donnés depuis 18o!2, le dé- 
ficit accumulé restait encore de 10,300,000 francs en 1835; 
au 1" janvier I8G1, soit 23 ans après l'ouverture do la sec- 
tion de Bruxelles à Malines et 24 ans et demi après l'achè- 
vement de la voie de Bruxelles à Anvers, le déficit total, 
depuis l'origine, n'avait pas tout à fait disparu. Il s'élevait 
à 3,418,303 francs. Il est vrai que l'Élat belge avait la pré- 
tention d'amortir en 40 ou 50 ans. au lieu de 99 comme en 
France, les sommes empruntées pour la construction de 
son réseau; mais même en tenant compte de cette diffé- 
rence, l'opération faite par le gouvernement belge avait 
médiocrement réussi. 

Aussi, à partir de 1842, le système de la construction du 
réseau ferré par l'Etat perdit beaucoup de sa faveur auprès 
du public. On se mit alors à concéder des lignes à des par- 
ticuliers. La première qui fut l'objet d'une concession de ce 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ETAT. 199 

genre est celle d'Anvers à Gand par Suint-Nicolas, en vertu 
d'une loi du IG novembre 1812. Un réseau de Compugnies 
privées surgit donc en Belgique ù cùté du rëseau de l'Ëlat; 
mais celui-ci comprenait la plupart des lignes piincipales; 
il était ainsi dans des conditions de productivité supé- 
rieure (1). Aussi était-il dirOcile que les deux systèmes se 
maintinssent indéfiniment c6te à cAte. 

Cédant h l'esprit centralisateur, au désir peut-étro aussi 
d'olTrir des places à sa clientèle électorale, l'État belge 
agrandit son réseau par des rachats: en 1883 le réseau de 
l'État, se composant de presque toutes les lignes impor- 
tantes, comprenait 3,0-i3 kilomètres contre t,47l, apparte- 
nante des Compagnies privées : les recettes brutes par ki- 
lomètre des lignes de l'État atteignaient en moyenne 
iO,049 Trancs; celles des sociétés privées ne montaient par 
kilomètre qu'à 27,013 Trancs. Mais prenant une revanche 
éclatante, les Compagnies exploitaient leurs lignes, quoique 
plus défavorables, à 54,9 p. 100 des recettes brutes, tandis 
que l'Eut les exploitait ù CO p. 100 (2). 

Ce sont dos circonstances accidentelles, une situatioo 
d'esprit momentanée, qui ont Tait exécuter en Belgique les 
chemins de Ter par l'Etat. Ils eussent pu l'être aussi bien par 
l'iaduslric privée; il est probable que l'octroi de concessions 

(t) On K eoDvalaera de cette aupériorilë de iitualion du réseau de 
l'Eut ea (achant que te projet de 1834, conceroaDl h» eliemiDs à exi- 
culer par le gouveraeiu^Dt, preDoit Maliaes pour poiot ceolral el com- 
prenait quatre ligoea, te dirigeant l'une al'e>t, vun LouToin el Uège, une 
autre au nord ver* AnTen, une troisitme k l'oueit *er» Oatends par 
Gand et Bruges, une qualrif'me eoSu vera Bruxelles ; que ta Cbimbra 
dea rcprésonlnnU prolotig^a cea lignes jusqu'i la rronliëre de Pruaae et 
Jusqu'à la troolièro de Kraucv, et qu'elle d6dda une ligne uouvelle m 
randuit de Gond à noire truntifire par Couriray, un protoogement van 
Nanurellei frontières du Liaibourgct du Luxeinbourg,aiD*i que divan 
raccorde me ats. 

(I] Ou trouvera plus toin (|Mge 213) un tableau doonaut le rtsuittt 
de l'exploitation par l'État et de I'etploil«lion par le* compagnie* pour 
Im prlncipaui paya d'Europe. 




aOO L'ÉTAT MODERNE ET SES F0^CT10N5. 

à des sociéléa eût mieux valu. Bien des symptômes écono- 
miques le font penser. Au point de vue politique, l'État eût 
élé ainsi soustrait au joug des servitudes électorales. D'autre 
part, la llberlé politique eût élé mieux assurée ; au fur et à 
mesure qu'on approchera du suffrage universel et surtout 
quand on l'aura complètement atteint, on verra que la pos- 
session des chemins de fer par l'État et la main mise par le 
gouvernement sur des dizaines de milliers d'employés dans 
un petit pays, sur des centaines de mille dans un grand, 
faussent nécessiiirement les élections. 

Ce n'esl, certes, pas cette considération qui pouvait in- 
fluencer l'État prussien. Pays essentiellement militaire où, 
comme le disait le grand chancelier de l'ICmpire, chacun 
nait avec une tunique, la Prusse, ainsi d'ailleurs que beau- 
coup d'autres États allemands, était encore engagée dans 
les restes des liens de l'organisation féodale. L'État, de l'autre 
cûlé des Vosges, possède et exploite d'immenses domaines, 
non seulement des forôls, mais des terres arables, non seu- 
lement des salines, mais des mines de toutes sortes, mâme 
des hauts fourneaux. La richesse privée, les banques opu- 
lentes, les fortes et anciennes maisons de capitalistes étaient 
beaucoup plus rares alors en Prusse et en Allemagne que 
_ dans la France ou l'Angleterre du même temps. Néanmoins, 

^k il s'en faut que l'État prussien ou les Etats allemands aient 

^M exécuté directement toutes leurs voies ferrées. Près de la 

^M moitié fut concédée et construite par des Compagnies pri- 

^M vées, les unes subventionnées avec clause de partage des 

^1 bénéfices, les autres agissant avec leurs seuls capitaux. 

^M Depuis lors, le mouvement centraliste que M. de Bismarck 

^1 a imprimé à toute la machine allemande, l'a conduit à faire 

^M racheter par l'État la plupart des chemins appartenant h. 

^H des Compagnies privées. Mais c'est en raison d'un plan po- 

^H litique, non de considérations techniques. 



I 



LES TRAVAUX PUDLICS ET L'ETAT. 201 

Tout enti&re imprégnée îi celte époqm? de l'esprit alle- 
mand, l'Autriche crut devoir faire construire par l'État ses 
premières lignes Terrées ; ce fut aussi l'État qui les exploita ; 
mais les résultais furent manifeslement insuffisants. L'ex- 
ploitation, alors qu'il ne s'agissait que de grandes lignes 
maîtresses, ayant un trafic très intense, absorbait l'énorme 
proportion de 73 p. 100 des recelles brutes. En 1851 et les 
années suivantes, le ministre des finances, M. deBruck, dut 
céder le réseau do l'État ik deux puissantes Compagnies în- 
ternationales qui se constituèrent l'une sous le nom de So- 
ciété des chemins de fer autrichiens, l'autre sous celui de 
Société des chemins de fer du Sud de l'Autriche. La pre- 
mière versa au gouvernement 300 millions. Cet aveu de 
l'insufllsance de l'Klat h exploiter un réseau ferré étendu 
est loin d'filre le seul qu'enregistre l'histoire des chemins 
de fer. 

L'exemple de l'Italie, de l'Rspagne et du Portugal, pays 
tous trois pauvres alors, t'ius trois placés dans une situation 
politique défavorable soit par le morcellement du terri- 
toire en nombreuses principautés, soit par le mouvement 
révolutionnaire, témoigne que dans le monde moderne, 
avec la tendance cosmopolite des capitaux, l'État n'a qu'à 
donner sa sanclion, se montrer accueillant, équitable, 
pour que les grandes œuvres d'utilité publique naissent 
d'elles-mêmes. Ce qui retarda ta confection des chemins de 

Ifer italiens, ce fut seulement la jalousie et les appréhensions 
réactionnaires des petits gouvernements ; dés que ces obsta- 
cles furent lovés, on vit les capitaux étrangers affluer pour 
la construction des chemins romains. 
Si l'on considère l'Espagne, la situation d'anarchie inter- 
mittente et de discrédit linancler où se trouvait ce pays, eftt 
empêché pendant longtemps l'État de mener & bien la 
construction d'un réseau de chemins de fer. L'industrie 



202 L ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

privée, avec de modiques subventions, ouvrit en 1848 le 
tronçon de 28 kilomètres de Barcelone h Malaro. sur la 
ligne de Barcelone en France; en 1831 elle livra à Texploi- 
talion les 48 kilomètres de Madrid à Aranjuez sur la ligne 
de Madrid à Alicanle; en 1832 elle terminait 25 autres kilo- 
mètres, puis li6 en 18.)3, lUen 1834, 142 en 1833; en 1859 
on ouvrait 297 kilomètres, et dans la seule année 1860 on 
en livrait à la circulation le cbiEVre énorme de 7G3. L'Es- 
pagne avait, à celte date, 1,914 kilomètres ferrés en exploi- 
tation. En 18G3 elle jouissait de 4,835 kilomètres exploités. 

Dans ce pays où le sol est tourmenté, où les rivières débor- 
dent souvent, oîi la population est rare, ou les roules man- 
quaient alors, l'industrie privée, soutenue par de médiocres 
subventions gouvernementales, avait fait cette merveille. 
A la Un de 1882, l'Espagne possédait 7,G30 kilomètres ou- 
verts à l'exploitation, qui avaient coûté aux Compagnies, en 
actions ou en obligations, 1 milliard 74G millions de pié- 
cettes, et au gouvernement environ 5G9 millions de subven- 
tions, soit moins du quart de la dépense totale (1). 

On pourrait encore citer le Mexique, oit les Compagnies 
privées, malgré le discrédit de l'Étal, ont fait de 1870 à 
1889, plus de 10,000 kilomètres de cbemins de fer. 

Tels sont les gestes de l'initiative privée, des capitaux li- 
bres cherchant sur toute la surface du globe un point qu'ils 
puissent féconder. Un pays est-il riche, comme l'Angleterre, 
l'initiative privée s'y épanouit à l'aise et y sufdt aux lâches 
les plus énormes. Un pays est-il pauvre, comme l'Espagne, 



(1) La piécette vaut ud peu plus 
les gubVBDlioDs gouverne ai entales 
qu'ils ne s'appljqtieatpas iioiqucm 
la ÛD de 1S82, uiiiia aussi h quelque 
tioD à cette époque. Ces chiETrea a 
pitulatif iutitulÉ ; Msmoria sobre la. 



tranc. Les chiffres dunnfis pour 
:Ql un peu la réalité, parce 
7,C30 kiloaièlres exploités 4 
lignes encore en cours de oonslruc- 
Dt tirés du document oQlciel réca- 
pubikasiiel ISSl y ISSl en to 



I 



LES TRAVAUX PUBLICS ET L'ÉTAT. 203 

le Portugal, le Mexique, l'iDitiatiTe privée y vient da 
dehors ; avec de médiocres secours gouvernementaux, elle y 
crée des instruments de Iravail que le gouvernement seul 
ne serait parvenu à constituer qu'après plusieurs quarts de 
siècle. Puis cette initiative privée étrangère instruit, Torme, 
rend audacieux les habitants du pays. A càté des compa- 
gnies françaises ou 3nglai:>es, il s'est organisé depuis 1870 
des compagnies espagnoles, des compagnies portugaises. 
Les grandes œuvres, étrangères par l'origine, finissent par se 
nationaliser. Le crédit de l'État tend à se développer à la 
suite et à la Taveur du crédit des Compagnies privées (i). 
C'est celui-ci qui a remorqué celui-là. 

(1) Ce ph^Dom^oe pg| bien maDircste, nolnmmeot eu Eipagac et ea 
Portugal ; les obligatioot dei Corapagnies de chcmias do Ter de ces payi, 
dirigées par dci capitalistes élrniigvr*, out fini par habituer le publie 
eurupËun aux fuuda m6iue de l'ËUkt portugais et de l'Ëtat eipagodl. 



CHAPITRE V 

Dl L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE FEH PAR L'ÉTAT. 



L'Giplaitatloa des cbemias de fer par l'État ne s'eet pu encore faite nn 
grand par un gouverne tuent constitué démocratiquement, page 2U5. 
Lea arguments diiliictiFs invoquas en faveur de l'eiploitntion par 
l'État, page 306. — La conclusion 16gitiaie de ces argamenls, s'ils 
Étaient vrais, aernil ipulement de conférer à. l'État un droit de coDlrûle, 
page SOT. 

Il y B bien une tendance au monopole de fait dans l'industrie des 
chemins de for; mais cette tendance ne peut jamaU aboutir, de In 
part d'entreprises privéeii, Sun monopole absolu; exemples, page Î07. 

— Les deui méthodes, l'ancienne et la nouvelle, de pratiquer le com- 
merce ; celle-ci s'Impose nécessairement aux compagnies, page 30S. 

— L'État doit se réserver une certaine juridiction et un certain con- 
trôle sur les voies ferrées, page 300. 

Assimilation inexacte du service des voles ferrées i ceux de 1& poste 
et du télégraphe, page ÏOO. 

Argumenta déduclifs contre l'eiploitation par l'État; 1° L'État 
manque de plasticité pour une organisation embrassant une infinie 
variété de détails et exigeant des décisions promptes, page 211. -^ - - 
I" L'État moilerne tend à faire dégénérer l'exploitation des chemina 
de far en un instrument de pression et de corruptïou électorale, page 
ZI3. — 3° Tous les services d'État ont une tondance A la gratuité ; 
exemple des postes et télégraphes, page Îl4. — 4» Le crédit de l'État 
moderne a besoin do se ménager pour les circonalances exception- 
nelles, exemple des Étals-Unis et de l'Angleterre, page 315. — S' La 
rigidilé du budget d'État est Incompatible avec une exploitation aussi 
impliquée que celle des chemina de fer : un rapport parlementaire 
eu Belgique, page 316. — 6° Les responsabilité a pour retarda, avaries, 
accidents, sont beaucoup plus difUciles à faire valoir centre l'Élat que 
contre des compagnies privées, page 218. — 7» L'exploitation pap 
l'État met dans la main du gouvernement des centaines de mille 
employée et altire la sincérité et l'indépendance du corps électoral, 
page 219. 

Arguments purement ioductifs contre l'exploitation par l'Étal, page 
320. — Comparaison des retards, des accidents, des frais généraux 
dans les chemins allemauds exploités par l'État et dans ceux qu'ex- 
ploitent les compagnies privées, page 2!1. 



I 



L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE FER PAR L'ÉTAT. 805 

.les chemina île f^r J'Élal et des 
■8 pays d'Europe, page 7Î5, 

On a écril des milliers de Tolumes ou de brochures sur 
ce sujet : nous n'y consacrerons que quelques pages. L'ex- 
ploilatioii des voies Terrées par VËtal est un problème plus 
délicat et plus miporlant que celui de leur construction 
par l'État. Réellement, en eCet, VÉlat ne construit jamais, 
ou du moins presque jamais les chemins de Ter : ce sont 
des entrepreneurs qui construisent pour lui. Au contraire, 
l'Élalpeut directement exploiter. 

Que duil'on penser de l'exploitation gouveraenienlale ? On 
peut à ce sujet raisonner au point de vue déduclifou au 
point de vue inducliT, en tirant des conclusions de la notion 
même de l'État ou, au contraire, de l'expérience technique. 

Au point de vue inductif, on doit remarquer que, si vaste 
que semble au premier abord l'expérience de l'exploita- 
Lion des chemins de fer par l'iHtat, elle ne s'est pas faite jus- 
qu'ici dans les conditions qui sont habituelles ii une démo- 
cratie moderne. 

En dehors de quelques petits peuples du Nord, d'essais 
récents, incomplets ou abandonnés en Autriche-Hongrie et 
en Italie, l'exploitation des chemins de Ter par l'État s'est 
faite principalement dans deux pays, l'Allemagne, notam- 
ment la Prusse, et la Belgique. 

Ur, ni l'un ni l'autre ne sont dans les conditions d'orga- 
nisation de pouvoir démocratique qui constituent, à pro- 
prement parler, l'État moderne. 

£n Prusse, et dans les petits États allemands qui gravi- 
tent autour, le pouvoir est très Tortement constitué; il est 
indépendant du Parlement, sinon absolument pour la direc- 
tion générale de la politique, du moins pour le choix et la 
conduite du personnel administratif. Les ministres, surtout 
lo principal ministre, durent dix ou vingt ans en place ; les 




S06 L'ÉTAT MODEBNE ET SES FONCTIONS. 

fonctionnaires ne sont, i. aucun degré, dans la main des 
députés. 

Quant à la Belgique, elle se rapproche davantage de la 
vie démocratique ; elle en diffère, cependant, encore par 
deux points essentiels; elle n'est pas assujettie au suffrage 
universel : elle jouit d'une rebtive permanence ministérielle, 
les différents cabinets y durant cinq ou six années et les 
ministres y étant réellement, non pas seulement en appa- 
rence, les chefs de la majorité. 

Ces circonstances ne sont pas indifférentes : car, lors- 
qu'on parle de l'État, il peut s'agir de l'Étal autoritaire, pa- 
triarcal, traditionnel, comme la Prusse, od l'autorité est très 
forte, la machine administrative très solidement charpentée 
et très rigidement conduite ; ou bien du pouvoir parlemen- 
taire, censitaire, de la classe bourgeoise, avec ses qualités de 
prudence et de méthode, comme en Belgique; ou du pou- 
voir démocratique i personnel variable, à idées changeantes, 
aux brusques engouements, aux revirements soudains, 
comme en France et aux États-Unis d'Amérique. 

Suivant ces cas si différents, ces milieux si opposés, l'in- 
fluence de l'extension des attributions de l'État pourra sin- 
gulièrement varier. 

Au point de vue purement déduclif, voici les principaux 
arguments que l'on fournil en faveur de l'exploitation des 
chemins de fer par l'État : 

1° Les lignes ferrées constituent des monopoles de fait 
qui ne peuvent s'établir qu'au moyen d'une délégation de 
la puissance publique — le droit d'expropriation, et qui 
tiennent en leur pouvoir, non seulement le transport des 
personnes, mais encore, par le jeu des tarifs, les destinées 
des localités ; elles rentrent ainsi dans les attributions de 
l'État; 

2° Les compagnies privées qui poursuivent un but de 



l'exploitation des chemins de FEB PAH l'état. 207 
lucre persoQDel ne pourront jamais exploiler les lignes Ter- 
rées dans rinlérfit général; 

3° L'exploitation des lignes ferrées est un service colossal, 
qui gagne à être concentré, à 6tre uniformisé pour toute 
l'étendue du territoire et qui peut être aussi bien dirigé 
par l'État que le service des téli^grapbes et des postes. 

A ces arguments on doit répondre que, fussent-ils vrais, 
ce qui est au moins en partie contestable, la conclusion lé- 
gitime à en tirer, serait qu'il conviendrait, non pas néces- 
sairement de remettre l'exploitation des lignes ferrées dans 
les mains de l'Etat, mais de confier à l'Etat une surveil- 
lance et un contrôle sur la gestion des compagnies 
privées. 

Les trois arguments, d'ailleurs, pèchent du moins par 
l'exagération. 

En ce qui concerne le monopole de fait et inévitable 
qui écherrait avec le temps & chaque ligne ferrée, il n'y a 
là qu'une part de vérité. Sans doute il y a une tendance 
au monopole en ce sens que. le nombre des lignes dans une 
infime direction ne pouvant être indéfiniment accru, les 
compagnies qui desservent une mCme région peuvent finir 
par s'entendre et se coaliser. Quoique cette tendance existe, 
on ne peut dire, toutefois, qu'elle conduise à un monopole 
absolu. 

L'expérience de l'Angleterre, où plusieurs compagnies 
foDClionoent de la mCme ville h la m6me ville, celle mfime 
de la France, où six grandes compagnies ont chacune une 
région distincte, mais où cinq d'entre elles parlent de Paris et 
atioalitsenl i des ports, rivaux quoique éloignés, témoignent 
qu'iln'y ajamais une entente complète et permanente entre 
ces sociétés. Il subsiste toujours entre elles quelque rivalité ; 
l'émulation n'est pas absente, si faible que soit lo nombre 
des concurrents et si limitée même que puisse être la con- 




SOfl 



LTTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 



currence. On a vu des compagnies anglaises, comme celle du 
Midland, prendre l'inilialive tics réformes tes plus liariîies, 
comme l'adJoncLion des troisièmes classes <lans les trains les 
plus rapides, et imposer bientôt, par la Torce de l'exemple, 
la même mesure aux compagnies rivales (I), 

Ceux qui soutiennent que les compagnies do chemins de 
fer doivent arriver nécessairement avec le temps â une en- 
lente, qui fasse disparaître toute concurrence, ne Uenuent 
pas assez compte des divers mobiles auxquels obéissent les 
hommes. Nous avons déjà démontré (2) combien est borné 
le point de vue des économistes, qui ne reconnaissent dans 
rbomme qu'un seul mobile, l'intérêt pécuniaire. Les admi- 
nistrateurs des compagnies sont sensibles aussi à l'amour- 
propre, au désir de se distinguer, de se faire honneur, d'at- 
tirer sur soi l'allention, à i'esprit aussi de jalousie envers 
les administrateurs ou les chefs des sociétés de mSme ordre. 

Celle observation répond déjà en partie au second argu- 
ment qu'invoquent les partisans de l'exploitation des che- 
mins de fer par l'État, à savoir que les compagnies privées, 
poursuivant un but personnel, ne pourront exploiter que 
dans un intérêt privé. Ou oublie, d'ailleurs, que l'intérêt 
pi'ivé,quiconsisteà recueillir des dividendes, coïncide, en gé- 
néral, avec l'intérêt général qui est l'accroissement du trafic. 

11 y a deux méthodes de pratiquer le commerce et de faire 
desgains ; l'ancienne méthode, qui recherche surtout de gros 
gains sur de petites quantités et, en réduisant considérable- 
ment le volume dosopérations, n'aboutit qu'à un bénéfice total 
assez médiocre ; ta méthode moderne, fruit de l'expérience, 
qui se contente d'un petit gain sur chaque opération, mais 

(1] Il faut BÎgualer, ea outre, que lea compagaie» de cbcmins ont & 
luttor dans un Irèa gmnd nombre <ie cas contre lu 
eiBcace du cabotage pur mer et de la navigation e 
les canaux. 

(I) Voir plus haut lei piges 31 à 37. 



1. EXPLOITATION DES CHEMINS DE FEIl PAU L'ETAT. 209 
cberdie & multiplier les opérations autant que possible. 
C'est cello Oerniëre métlioile qui prévaut maintenant dans 
toutes les grandes admiaistralions privées. Elle a trouvé sa 
Tormule en France et en Angleterre: en France, elle s'ap- 
pelle a te gagne-petit •> , en Angleterre, elles s'est incarnée 
dans ce proverbe : « il vaut mieux travailler pour un million 
d'hommes que pour les millionnaires. » 

Ce qui reste vrai, c'est que l'industrie des voies Terrées, 
no pouvant se constituer qu'au moyen de l'octroi du droit 
régulier d'expropriation et par l'occupation do certaines 
parties du domaine public, étant, d'ailleurs, soustraite, par 
■fis conditions nécessaires d'existence, sinon & la concur- 
rence relative et restreinte, du moins & la concurrence ab- 
solue et indéllnie, ne doit pas être abandonnée, sans aucun 
conlrAle ni aucune surveillance, it des compagnies ou i^ des 
pAfticuliers. L'Blat doit se réserver une certaine juridiction 
élevée pour empûdicr les coalitions, les brusques change- 
ments de tarifs, comme il s'en produit aux Étals-Unis d'A- 
inârique, les inégalités de traitement imposées aux produc- 
teurs qui se trouvent dans des conditions similaires. Ce droit 
■upérienr de contrôle, l'État no doit pas s'en dessaisir; 
mais il n'en doit user qu'avec discrétion: une intervention 
intrusive et minutieuse de sa part dans le régime des voies 
ferrées oiïre bien plus d'inconvénients que d'avantages. 

Il reste un argument aux partisans de l'exploitation des 
chemins de fer par l'Ëtat, c'est l'assimilation du service des 
transports par voies ferrées au service de la poste et des té- 
Ié(;raphes. Puisque 1 État se charge do celui-ci dans tous les 
pays du monde, pourquoi n'entrcprendrait-il pas aussi le 
premier. La réponse ici est aisée : il n'y a aucune assinti- 
talion h éLililir, ni pour l'ampleur, ni pour la diversité des 
opérations, ni pour l'étendue des responsabilités, entre le 
service de la poste el du télégraphe, et celui du transport 



SIO L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

par chemins de fer. L'un représente en France une recette 
brûle de 180 h 190 inillinns de francs environ ; l'autre, une 
recette brute de 1,100 à 1,200 millions de francs. L'écart 
est encore plus considérable dans d'autres pays. Dans la 
Grande-Bretagne et l'Irlande, en 1883, le total des revenus 
de la poste et des télégraphes restait au-dessous de 950 mil- 
lions de francs fO, 341,004 liv. sterling) ; le produit brut des 
voies ferrées dans le môme pays atteignait alors environ 
1,800 millions de francs (71,062,270 liv. sterl.) (i). Ainsi 
le service des transports par voie de fer est six ou sept fois 
plus important, comme ensemble de recettes, que le service 
de la poste et des télégraphes. En Angleterre, l'écart serait 
encore plus grand. De ce que l'fttat s'acquitte passablement 
et sans de trop graves inconvénients sociaux d'un service 
relativement restreint, il est impossible de conclure qu'on 
lui en doive conlier un autre inGnimenl plus étendu. 

Là n'est pas la seule dilîérence. Le service des postes et 
des télégraphes est un service simple, élémentaire; les tarifs 
sont peu nombreux; ils peuvent être uniformes. Tout autre 
apparaît le service des transports des marchandises et des 
personnes ; il olîre une grande complication à la fois pour 
les recettes et pour les dépenses; ce n'est plus une entre- 
prise administrative, c'est une entreprise commerciale. Il 
ne peut y avoir d'uniformité de taxes, ni pour toutes les 
marchandises, ni pour toutes les directions. Il faut tenir 
compte que dans certaines circonstances on doit lutter 
contre la concurrence du cabotage, ou de la navigation in- 
térieure ou des voies ferrées d'un pays voisin. Il faut, sans 
cesse, tùter les goûts du public et les besoins de la consom- 
mation, pour les marchandises et pour les voyageurs en ce 
qui concerne les abonnements, les billets d'aller et de re- 



L'EXPLOITATION DKS CHEMINS DE FEH PAR L'ÉTaT. 211 
lour, les trains de plaisir. Il ne surfit pas d'attendre le tra- 
fic, il faut le chercher, le susciter, l'allirer. L'expérieuce 
prouve que la productivité d'une ligne ferrée dépend de 
toutes ces conditions. 

La partie des dépenses est aussi beaucoup plus compli- 
quée que pour les postes et les télégraphes. 11 faut vendre 
les vieux rails en temps opportun; il faut aussi en temps 
opportun commander les nouveaux, savoir pour les achats 
(le charbon, pour les machines, choisir le moment le meil- 
leur. L'Élat e«l fort empêtré pour ces besognes : sans cesse 
exposé au soupçon des partis, obligé d'assujettir tous ses 
enkployés h des conlrAlea multipliés, il se voit forcé de re- 
courir à des procédés d'une eflicacité médiocre : le système 
de l'adjudication pure et simple par exemple, dont les défauts 
sont aujourd'hui universellement reconnus, mais auquel une 
administration d'Etat ne saurait renoncer. On sait à combien 
de critiques donnent prise, eu tous lieux, les marchés pas- 
sés par l'Ktat pour la guerre, pour la marine; que serait-ce 
si l'on allait encore, surtout dans les pays démocratiques 
ou libéraux, à adminislratiou changeante, confier à l'État 
toutes les dépenses des voies ferrées qui atteignent celles de 
la guerre et de la marine réunies, mais qui ont un carac- 
tère encore plus variable et plus diversiGé' 

Ainisî tombant les arguments déiluctifs qu'invoquent les 
partisans de l'exploitation des chemins de fer par l'itlat; 
patsotis maintenant aux arguments déductifs des adversaires 
de ce régime. Les voici, les uns d'ordre économique ou tech- 
nique, les autres d'ordre politique, ce qui n'importe pas 
moins. <^s derniers se réfèrent & h nature de l'Klat et plus 
spécialement de l'État moderne que nous avons décrite 
d.ins les deux premiers livres de cet ouvrage. 

1* L'iètat n'a pas la plasticité, la souplesse nécessaire 
à uno organisation qui «mbrasse une inlluie variété de dé- 



SJ3 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

tails, qui exige des décisions proniples, une ceilaine liberté 
et beaucoup d'initiative laissées aux diirérents chefs de 
service et mâme à leurs sous-ordres. 

Les règles strictes auxquelles l'KlatnepeuL renoncer dans 
ses administrations, sans rendre immédiatement sa ges- 
tion suspecte el encourager les calomnies, le cunt l'Aie ilnan- 
cierleutet formaliste qui est une nécessité de son fonction- 
nement régulier, ne se prêtent pas aux lâches rjui sont très 
diversiûées, très complexes, qui n'olTrenl pas une unifor- 
mité presque absolue. 

Un journal belge, le Moniteur des Intérêts matériels, citait, 
il y a quelques années, les marchés malencontreux passés 
par l'administration des chemins de fer de l'ÉLat du 
royaume de Belgique, lors des grands mouvements dans 
les pris du fer et de l'acier en 1873-74. Par suite des len- 
teurs qu'imposent les règlements de l'Élat, cette adminis- 
tration avait acheté ses rails neufs à peu prts dans les plus 
hauts coiu-s et avait vendu ses vieux rails presque dans les 
cours les plus bas. La décision prompte, qui importe tant 
dans les alfaires commerciales, la confiance eu la capacité 
d'un seul homme technique, chef de sei'vice expérimenté, 
répugnent à l'organisme même de l'ELat (1). 



(1) Tous ces passagcB et ceux qui euivenl étaient écrits depuis long- 
temps dAja quand aous en STons trouvé la jusliScation ilaas le rapport 
fiiit A la Chambre des RepréieDlanlii da Belgique par M, Lcharily de 
Beaulieu, au nom de la Section centrale sur lu budget du minislËra 
des truvaux publics pour ISHO [on trouve ce rapport in extenso dan» la 
publicatinu iutilulèe : Extraits du rapport de ta Comniisaion d'enguilt 
parlemr'ilaire sur l'exploitation dm chemina de fer italiens, Dentu, édi- 
teur, 188!). 
Voici comment s'exprime M, Lehnrdy de Biîanliou : 
« Tout esl auormal dans l 'organisation dea transports aiti frais de 
l'État. Dans une entreprise particulière, ce sont ceux qui courent les 
risques qui gAreul, qui dirigent et C|Ui sont ri'sponsables. En Tait, per- 
sonne n'eal respùnsalile dant le lens juridique du mot, dans le systémedt 
l'adtninislralion par l'Étal. La seule respousabilitâ qui garantisse la 



LEXPLOITATIOS DES CHEMINS DE FER PAR LÉTAT. 213 
2° L'Élat moderno, qui apparlienl, d'une façon précaire, 
à lin pnrti, dont le personnel est changeant et sort des élBc> 
lions, serait forcément amené à transformer l'exploitation 
des voies Terrées en un instrument de pression on de cor- 
ruption électorale. 11 n'aurait aucune force pour résister à 
la multiplication des trains, à l'angmenlalion du nombre 
des employés, & la révocation des u mal pensants » et ù 
leur remplacement par d'autres. L'État moderne est pres- 
que complètement asservi aux considérations électorales, 
ce qui est une menace pour tous ses services; aussi impor- 
le-l-il qu*on lui en confie le moins possible (!]. 

pay», c'eti celle ilo l'bomme politique qui occupe monuntantmenl la 
mtnisl^re ilri Iravaiix public». 

• Il Insulte de Ift que ihm chemin» de Ter <le l'Ëtat sont dirigé», Bdmi- 
niitrt* el fi>iilr6lùii sdmiaiatrativetncDt, uii liva de l'élro comiticrdato- 
meut. De \i dei tiraille m «il la, des coiidila J'inl^rËli «vvc le public qui 
M traduiient san» ccmo od perle» de force et d'argiDt. 

■> Une s'IininiilriiUaii publique, bien que compoifa d'hnmntea luibile» 
«t éiDÎiii^nU dans Iniir ■p^ciolili, n'aura Jamais le flair commcrf lai que 
l'on acquiert daua le* lulle» iaceuaolea di l'iuilustrie nt du couimcreo 
priTè*. La Uticrti et la poucutr ila *e décider à l'iusloal leur fout dé- 
faut. 

• Lei «ource» d'inforDiation, d'ailleun, ne «ont pas ouu plui le» 
inAme», ul au»! tùre*. ni au«»i rapide», lie plu» nn n'un p(u nigœirr 
OBtc unt adminîilralîùn pul/ti^ue Comme apte un parltculitr, c'Mt !• 
nature mjuie dnachoM*. 

• S« uionlo (do l'admlniitratioD de l'ÉUI) de touloir tout régler, tout 
diriger de »v» caliiurla bien cbaulK» d« Drtiieltea, a tall taire plu» d'une 
thuiae niatiaïuvre au tnaUriet qui parfuk» eucoinbrait carliiue» Karo» 
ob II j avait jiUIhure. tauUi» qu'à quelque» lloue* de là le» voie» de 
cbargeiueut ^laieol vida». ■ 

(1) Nuu* crofon» devoir reproduire cDcorn ici quclquM ligue» du 
rapport fait au Parieini?Dl boigt', au noin de la Section centrale (corn- 
rUmIod du budget!, ,ia ISBO, par U. Lebardy de Dniiulleu. 

■ L» pertOQual ilc» chnniin» de for de l'Ëlal o»t Iwnucoup plu» nam- 
breul <-a rilion de l'élrndue de tf ligue» et du IraOc. que celui du» 
compagnlra paKiculiém tii*aul de» trauipurli plu» C'inaidérable». Il 
but loiller que «l'Iti- propurlîun eicidaute ue devienne pa» cicetilve. 
Trop »»uv»ut. le punoiinei de r£la( prend »e* aîio», arrivn trop tard, 
[urt avant Thrum et morigène le iiublic par-da»»u> le marché. 

■ La leudance de» aJinhilatraUoD» publiqua* e»t d'élargir >an> cei»R 
teun cadre* afin d'augneuUr le* cbanc«i d'avancement rapide. Pour 
juallder ce* tMaoïna de par*«DD«l nouveau, on multiplie oulr« meaure 




214 L'ÉTAT MODERNE ET SES FOKCTION'S. 

3' On remarque dans tous les services d'Elat «ne ten- 
dance à la gratuité. Les tarifs sont regardés comme des 
impôts. Le public eserce une pression des plus vives pour 
en obtenir la constante réduction ; la productivité financière 
nette des services de l'État va, sans cesse, en diminuant (1). 
L'État français et divers autres ont cru devoir supprimer 
déHnitivement tous les droits surlescanaus, mÈmeles droits 
légers servant simplement k en payer l'cnlretien. Maître 
des chemins de fer, l'Élat serait amené ù les exploiter d'une 
façon non rémunératrice. 11 rejetterait sur la communauté 
rmtér6l et l'amortissement des capilau:^ engagés, au lieu 
de les faire payer, comme la régularité el l'intérêt public 
l'exigent, aux voyageurs et aux marchandises (2). 

la EorrespoQiJauce Dt \a pnpcmese inutile, eupcrRue et cncombranle. 

H 1! y a lieu, dans l'opinioQ de la section centrale, d'appeler sérieu- 
Bernent l'allenllou de l'administration supërieure lur les moyens de 
râduire et de supprimer, daua tu plupart des cas, la correspondance 
entre les cbefe de service qui ont leurs bureaux dans le même bAlimenl 
ou dans la mËrae ville. « 

(0 Voir plus haut, page 163, lu noie conceruant le service des postes 
et des télégrapbes, qui a cessé d'être rémunérateur en France et dans 
divers autres paya. 

Une siïrie de tableaux publiés par lo Bulletin de statistique el de 
Ugislation comparée (de notre ministère des finances, snuée 1888, 
tome 1", pages U à 67] montre que, au dûveloppeuienl incessant des 
recettes brutes des postes et télégraphes, n'a correspondu depuis un 
certain nombre d'auuées aucun accroissemcot de ta recette nette. 

Voici, pareiemple, pourla France couliacnlale, le chiffre des recettes 
des dépenses et du produit net : 



lolalos. 



Dépontu. 
m,!3B.Î86: fr. 



13i,UI 



!,U87 



Ainsi dans ce laps de six années !e produit brut s'est accru de tS mit- 
lions el demi, et le produit net a diminué de pins de t million. 

Ce produit réputé net se trouve être, d'ailleurs, une simple apparence. 
Si l'on tenait compte des peosions de retraite qui out n olablemc a t aug- 
menté de IB8I à IBHIj et de diverses autres charges, directes ou indi- 
rectes que radiomislralion néglige de prendre en considération, on 
verrait que l'ailminislralion des postes et des télégraphes en France 
no paye paa ses frais. 

(!) M. Lehardy de Beaulieu, dans son rapport parlementaire, fait, il 



L'EXPLOITATION DES CIIEMINS DE FER PAR L'ÊTAÎ. SiB 
V L'État moderne a besoin de conserver son crédit intact 
pour les grandes circonstances, une guerre par exemple. 
Son crédit finit par s'aiïaiblir, par perdre du moins en ara- 
pleur, s'il lui Taul émellre constamment des titres. Or, 
l'exploitation des chemins de fer exige d'incessantes émis- 
■ions de titres pour l'achat du matériel, la pose des voies 
nouvelles, l'agrandissement des gares, etc. 

Une des raisons du crédit de premier ordre dont jouissent 
les gouvernements de l'.^ngleterre et des Étals-Unis, c'est 
que l'émission des titres nationaux est, dans ces deux pays, 
absolument suspendue, sauT des circonstances exception- 
□elles. Une des causes de la valeur, c'est la rareté de 
l'olTre, quand la demande est naturellement constimte. Or, 
indépendamment même de l'éclatante solvabilité des deux 
gouvernements dont nous parlons, cette extrême rareté de 
leurs émissions doit conduire £t des prix singulièrement 
élevés de leurs titres. Au contraire, des emprunts Tréquenls 



■ Il y ■ lieu, dit-Il, (l'««Unr au moyen de tDodiSer celte situation et 
de la rcnvcncr, c'c«l-a-dire du hire produire aux cheuiini de fvr un 
turpJna au Heu d'un ilt^atJI, sans s'arrêter à In Ihèoric aouveat (mite, 
mai* qui alleail eucure au j jaliOealioii, que l'État cxploilaul doit trui«- 
porlrr à prix coulant aiiua Tsire dii Li^aAQce*. 

■ NoutMVonsque li^ problintceitdiniclle etquerËlet e»t moins bien 
plac^ pour le ris<>udro que l'iDduslrie priv^. Lu lutirMs privés n'b^- 
teot pas a oltaqiirr lo Triisnr public dt* qa'ih eutrevoinut ud avaDlage, 
fU-ilinrtrtain, jin'<-airt rt monuRlan^. Ils n'bts Itérai cnl pas na momeot 
t lK>ine*erscr le* InterAls puliUquu les plus graTM st lus plus pernia- 
Dent* du pays, d^u* l'espuir, uifinio iacvrlHiii, d'uu profit iuimdJUt. 
Ceal M le graiid iuronv^uieiit et le gntid daDg^r de l'irifi;érei)ce de la 
force sociale duo* li'« «nlrf prises industrielles et comtuerci&les. 

• iM public atiribuc vnloDtinrs oui rhrmius do fer, postas pI t*li- 
ICnphei exploités par l'Elat. un carncl^re providealicl, tomme celui 
du aoleil ou drs raison*. Il ('inquièli! m jdiocrcinenl de* voici et majatu 
du celtn provideiico de créaliou buniune ; il murmure volouticn quand 
■Ile ne m plis pas i se* esiBcacet ou mima a les es 




216 L'fiTAT MODEllMi ET SES FONCTIONS, 

presque quotidiens, si justifiés qu'ils soient, exercent une" 
action mécanique déprlniante sur le crédit d'un gouverne- 
ment. En vain objecterait-on l'exemple de la Prusse: c'est 
peut-être une des causes qui maintient, à l'heure actuelle, 
le crédit prussien encore si distant du crédit anglais. Il y a 
aujourd'hui un grand écart entre les deux, le 3 1/2 prus- 
sien ne se cotant guËre plus haut que le 2 3/4 anglais. 

Les compagnies disposent, en outre, pour l'écoulement 
habituel de leurs obligations, de moyens auxquels l'État 
ne peut guère recourir. Elles les livrent peu à peu dans 
presque toutes les gares importantes de leur réseau, en 
faisant varier le, taux à chaque oscillaliou de la Bourse. 
L'organisation parlementaire de l'État, les contrôles finan- 
ciers superposés, la suspicion qui pèse toujours sur les 
ministres, les députés, ne permettent pas une action si 
rapide et une pareille souplesse à suivre toutes les oscilla- 
tions du marché des capitaux. 

5' L'exploitation d'une industrie aussi compliquée que 
celle des chemins de fer ne se prête pas à la rigidité du 
budget de l'État. Les résultats sont tellemenlinégaux d'une 
année à l'autre, l'engagement des dépenses déjoue telle- 
ment les prévisions, que toute l'organisation budgétaire en . 
éprouve une perturbation proFonde. L'État a besoin de re- 
cettes qui varient aussi peu que possible; il ne doit se 
charger que de dépenses qu'il est aisd d'estimer d'avance et 
dont il est facile de suivre le cours. L'État, en outre, ne peut 
dresser ses comptes aussi vite qu'une compagnie. Trois 
mois ou cinq mois après l'expiration de l'année, les grandes 
compagnies françaises, notamment celles du Nord, de 
l'Orléans, de Lyon qui exploitent jusqu'à 5, 6 ou 7,000 ki- 
lomètres de voies ferrées, peuvent communiquer à leurs 
actionnaires la situation et les résultats de l'exercice. L'ad- 
ministration française du réseau de l'État, quoiqu'on se soit 



L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE KER l'AH L'ETAT. 217 
efforcé de lii consliliier sur le palion do celles des grandes 
compagnies privées, est toujours, relaUvenient à celles-ci, 
pour l'arrêt des comptes, ea i-eLard de dix-huit mois ou 
deux ans (1). 

(1) Le* observatiiD» ilu raiiporlnur au Purlemeut belge, M. Lehardy 
de Beaulieu (voir le docuiuGiiI cité plut haut] viemieut encore sur ce 
point & l'appui de noire opiuiou : 

• Le budgel des travaux publics, dit le Tapporli^ur. cil déposé, sui- 
vant leR Taux de la loi, dix mois avant l'ouverture de l'eiercice et, 
bien qu'il ue soit jamais discuté, umeDdè et voté que pendaut le coum 
<1b l'cicrdce auquel il «'applique, et qun, pur coofifqucDl, les Tuils qui 
pcuveut motiver les iléponses soient en cours de développe ment, il 
arrive raniment que l'on n'ait pas l>esaiD, dans la session «uivnute, de 
modifler le* crédits volés, de les compléter ou de les augmenter, et, 
parrois m6iUF, de légaliser dus dépenses qui n'avuU'ot pas été prévues 
ou inscrites au budget. 

• Une jmeciltr tilualion »( ioîdrmmrnl anurmale tt tontran't aux 
priiieiim Ui ptui cfrtai">, pmtrrilt l'ar ta cunn'itaiii-ii pour te conIrSU 
du dépentei puhUquea. La Cour dt* nm'ptet eti oblige, ctMrairtment 
aux toi* lur la eomplatilili de l'Êlat, dappoin- tan viia lar un grand 
nombre de mandali dont la diptme n'nl /.at enixre voli» par lalegitla- 
lure. Le tiei i el parfiiu la moilié du budget des travaux public* eet tlt- 
penti ou engage tant que la ilipentt ail été réguUHtment uuloriiée. Il 
peut arriver ainsi que, daus des momenls ob des Incidenis politiques 
aminerainiit des rhaDgcmculs subits et imprévus d'adininistratlan, lus 
mloistrus les mieux intcnlinnné» pourraient se trouver eu présence de 
responsabilités imprévuos qu'il leur serait jmpossiDIe d'éviter ou do 
repousser. 

• La budget des travaux publics présente pourtant rn Delgiqu«, on 
ne peut se le dissimuler, des dirûcullés spéciales pour rentrer dans la 
r»gle strictement coDïtiluttoanelle. Cummenicalculi^r dix mois a l'avança 
laa nAcctiltée toujours imprévues, cou slaiu m eut variables, d'une eiploi- 
UUoD absolument commerciale et Industrielle, comme coIJh dr.s cbe- 
mini de (ar, des bateaiii a vapfiur. elc.T Comment auoDplir asaei 1m 
règles sévères et strictes d'un budget volé li l'avance pour y comprendrtt 
des dépcDSo, dont les éléments Varient, pour ainsi dire, a cbaque 
InatautT Prix, quantités, liiux. tous ka i>16ments coustitutits d'une éva- 
luation changent et se modiUoul sans cesse...... 

■ A ce propos, nous avons fait remarquer, dans le rapport de l'annèa 
dernière, l'écart ronsidérahie qui eiisluit entre le bilan du chemin de 
lar de CKtat et celui que uenliuaiia la situation du Trésor. Cet écoii 
était, i la fln lie l'etercice 1818, de BB.UI.OUI francs; il s'est eticora 

agrandi ils Bn de l'cierdc* suivant «t s'est élevé a Ht.OB&.IftS Noua 

poralatOM à croire qu'il vaudrait mieux que Ira deux admiulslrotluns 
se mistent d'accord pour établir 1 un moment donné uue Mtnation 
identique, acceptée do part el d'autre, d'accord avec laCourdescomptea, 



tl8 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

L'exploita lion àes cbeinins de fer par l'Ëtnt rompt néces- 
sairement tout l'organisme financier constilutionncl. 

6° Au point de vue juridique, ce ré^^ime n'a pas de 
moindres inconvénients, notamment la difficulté de faire 
valoir les responsabiiilës. Les particuliers ont à plaider con- 
tre i'Elat pour les avaries, les retards, les accidents. C'est 
pour eux une Rilualion plus défavorable que s'ils action- 
naient les compagnies. L'État est un plaideur, souvent 
prépondérant, qui parfois limite lui-même arbitrairement 
sa responsabilité (I). 

C'est ce qui est arrivé pour les télégraphes et les postes. 
Chaque dépêche télégraphique porte en France la mention 
d'une loi qui exonère l'État de toute responsabilité pour les 
erreurs dans la transmission des télégrammes. On a vu des 
procès dont le résultat a confirmé celte injustice. Quelque 
temps avant le fameux krach de 1882 un capitaliste lyon- 
nais, ayant télégraphié à un agent de change d'acheter 



raumiasant ainsi aux Chambres les garanlies d'un contrûlu qu'elles 
n'auraient plu» h vfriflcr > 

(1) Ici encore le rapporteur nu Parlement belge vient, par ses obaer- 
v&tioDS pratiques, conllraier nos remarques thd'oriques : •> Une partie 
importante et diCflcile de l'udmiaistratinti, dit-il, c'est ta responsabilité 
en cas de deelruction, de perte, d'avarie ou de soustraction ou vol da 
marchand isea. Le Code do commerce rend 1c voiturier respoosable de 
la marchandiae qui lui est confiée; Il uel tenu de la remettre au des- 
tinataire dans l'état où elle lui a été coanée ; c'est à lui fi Faire cons- 
tater cet état à la remise, s'il lui paraît qu'elle est endomioogëe ou 
avariée. 

■ L'Étal exploitant les chemins de fer a voulu et vtut encore le it 
traire à cette obligation du droit commun. Il a invoqué tout les prétextes 
pour s'en dégager. H fait, lui^iéme, sans le concours de la tégîilaluie 
ni des intéressés, des règlements et de) tarifs qui mettent tous le» riêquet 
à la charge du patilic, >,mif certaines indemnités parfois dérinoires et 
gu'il ne paye pas toujours de bonne grdce, après avoir essaya de s'y 
■ouslralre. u 

Suivent des développements sur les accldeuts de chemins de Ter et la 
nécessité pour l'État d'indeinaiser les victimes : ■■ lea Iribuuauï auglaia 
pl atuÉricaina sont très sévères pour toutes les sortes d'accidents, et ils 
allouent de fortes indemnités a 



L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE FEK PAR L'ETAT. 219 
pour lui 100 aclioiis d'une société dëtermiDée, l'emptoyé 
du télégraphe mil par inadvertance 1,000 actions, au Heu 
de 100; il en résulta une perte énotme que ni l'agent de 
change ni le capitaliste ne voulaient supporter; ils action- 
Dërent l'État; mais ils furent déboutés en vertu du texte de 
loi qui exonère l'Étal de toute i-esponsabililé pour los er- 
reun> dans la transmission des télégrammes. Au contraire, 
les compagnies de chemins de Ter, ayant inscrit sur leur 
bulletin de bagages que leur responsabilité est limitée à 
150 rrancs par malle perdue, croyaient pouvoir arguer de 
cette clause; mais les tribunaux ont maintes fois décidé 
qu'elle n'était pas valable. 

De même pour le transport des lettres chargées ou décla- 
rées les États ont parfois, au moyen de lois ou de règle- 
ments, réduit leur responsabilité à une somme déterminée, 
d'où il résulte que les linanciers, pour cette catégorie d'en- 
vois, recourent à des compagnies d'assurances privées qui 
leur donnent la sécurité que leur refuse l'État. 

Dans tous les services de l'État le particulier, quand il 
veut plaider ou se plaindre, risque de se heurter k l'éternel 
et universel : (Juia nominor leo. 

Entre l'État et les particuliers il n'y a pas de droit com- 
mun, les deux parties étant trop inégales et l'une d'elles, 
d'ailleurs, légiféraut, & elle toute seule, sur sa responsabilité 
envers l'autre. 

7* L'un des énormes inconvénients de l'exploitation des 
voies ferrées par l'État, c'est d'assujettir au joug ofllciel un 
nombre énorme d'cmpIoyiSs de toutes sortes, sans parler 
des fouroisseurs, etc. Puur un pays comme la Grande- 
Bretagne il s'agit d'environ 300,00U employés, en France 
de plus de 200,000, et le nombre va croissant. L'expérience 
prouve que dans tous les pays le gouvernement prétend 
contraindre ses employés k Aire dévoués corps et lime 



220 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

h sii poliliijiie. Celii est aussi vrai des Étals-Unis i 
l'Europe. Nul n'ignore que lorsque l'éleclion présidentielle 
amène un nouveau parti au Capitole, c'est un branle-bas 
général dans toutes les administrations de l'Union anaéri- 
caine. Jusiiiraux facteurs des postes sont remplacés. En 
France aucun gouvernement et beaucoup moins le régime 
républicain que tout autre, n'a reconnu à ses fonctionnai- 
res la liberté du vote et l'indépendance d'esprit (1). Moins 
un pays compte de fonctionnaires, plus il a de chances de 
conserver ce bien précieux, la liberté politique ; c'est le cas 
de l'Angleterre et des États-Unis. Quand, au contraire, le 
nombre des employés de l'État dépasse 5 à 6 p. 10!) du corps 
électoral, la liberté politique est bien compromise. Elle 
cesse d'exister quand les fonctionnaires de l'État forment 
10 p. 100 du nombre des électeurs. 

Nous avons passé en revue tous les arguments déductifs 
qui militent contre l'exploitation des chemins de fer par 
l'État. Il s'est trouvé que, quoiqu'ils fussent purement ra- 
tionnels, ils ont reçu, néanmoins déjà, comme on l'a vu par 
les nombreuses notes dont nous les avons appuyés, une 
conlirmation expêrimenlale. 

Arrivons aux arguments purement inductifs, à ceux qui 
sont directement tirés de l'exploitation des voies ferrées par 
divers États depuis cinquante ans, ta Belgique, l'Allemagne 
notamment. On trouve dans ce service d'État bien des 

(t) Od peut lire à ce aujot, comme munirastaLion curmt(se <le cet £tat 
d'eapril, lu circulaire Jo M. Victte, niinistre do l'agricullure, reproduite 
plus huut eu note, page 81. Ou peut aussi se rappeler t'èlraage rftt- 
Bannemeal doat on Tait taut d'abus que « les ronclio no sires doivent 
■outenir la gouvernement qui les paye », comme ai, en payant les toQc- 
Uoanaires, le gouveruement agiBBait iiitreiueat qu'eu eiinple inlermë- 
diaire qui dispose des fonds du public. Une circulaire do M. Yves 
G uyol, naguère dèputii radical, devenu miuiatra de» travaux publics, 
en date du !0 mal 1BS9, consacre la servitude des ingèiiieurs et du 
persunaeidps l'unis et Cbauasés àTËuard des préfets, agenU politiques 



L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE FER PAR L'ÉTAT. 321 
preuves qui sont en Taveiir de l'exploitalion privée; elles ne 
peuvent, cependant, alteinilre l'absolue certitude. ■Ae ma- 
nière h supprimer complètement l'opinion opposÉe. La rai- 
son en est que jamais deux lignes de ebemins de fer ne 
sont diiDS une situation tout à fait semblable, d'où les 
exploitations de deux réseaux même voisins ne sont pas, 
dans toute la rigiicnr du mot, comparables. C'est ce qui fait 
que l'on ne peut obletiir une évidence géométrique dans 
cette rechercha de la supériorité du système de l'exploita- 
tion par l'État ou de l'exploitation par l'industriQ privée. 
Mais pour les esprits qui ont l'habitude des questions d'af- 
faires, les faits qui ressortenl de la pratique des deux ré- 
gimes sont assez concluants pour ne comporter ancgne hé- 
si ta U on. 

Il ressi>rt, en effet, de toutes les comparaisons que l'exploi- 
tation par l'État est plus coûteuse; sur ce point, la contes- 
tation n'est pas possible ; elle semble, en outre, avoir moins 
de ponctualité et être plus sujette aux accidents. 

Parlons, d'abord, do ces deux derniers points, qui pour 
raient 6lre les plus controversés. 

D'après des tableaux publiés par un spécialiste bien connu 
en Allemagne, le D' Emile Sax ((], les chemins du fer prus- 
siens se divisent en trois catégories : ceux qui appartiennent 
& l'État, ceux qui, appartenant A des Compagnies, sont 
exploités par l'Était, cnQn ceux qui appartiennent t des 
Sociétés et sont exploités par elles. 

Lu rapidité moyenne des trains a toujours été un peu su- 
périeure sur les chemins exploités par les dimpaenies pri- 
vées que surles deux autres groupes. Les relurds, Vertpâiun- 
gen, étaient, relativement au nombre des trains, beaucoup 
moins fréquenta sur les chemins de fer exploités par les 



(1) Di* SUenba'inen, vun D' Bnil Soi, V/ira, 1)70. 



3 



222 L'ETAT MÛDEEINE KT SES FONCTIONS. 

Compagnies que sur les lignes appartenant aux Compagnies 
et esploitéiis par l'Elat. 11 est vrai que ces retanls étaient 
moindres encore snr tes ligaes môme appailenanl à l'Etat ; 
mais l'auteur, d'ailleurs fort impartial dans ses comparai- 
sons, Tait ressortir que c'est là une illusion, qui tient à ce 
que le réseau de l'État proprement dit avait une proportion 
de doubles voies deux fois plus forte que celle du fésueau des 
Compagnies. 

Les accidents de chemins de fer avaient Tait, en 1877, 
dans tout l'Empire d'Allemagne, 4,661 victimes, tant blessés 
que tués. Ce nombre, réparti entre les diverses catégories 
d'cKploitalion, représentait pour les cliemins de fer de 
l'État une victime par 17 kilomètres 68 de ligue et par 
3,894,000 essieux kilométriques {Ac/iskilomeUr) (1) ; pour les 
chemins de fer privés, une victime seulement par 26 kilo- 
mètres 49 de trains et par 4,911,000 essieux kilométri- 
ques, soit un avantage de â5 p. 100 en faveur des hgnes 
privées (2). 

L'exploitation plus économique des Compagnies privées 
ressort soit de l'examen des détails, soit de celui de l'ensem- 
ble. En ce qui concerne les frais généraux d'administration, 
d'après le D' Sux, pour les cinq années de la période 1873- 
1876, ils ont représenté en Prusse, sur les chemins de fer 
exploités par l'État, 7,74 p. 100 en moyenne du total des dé- 
penses, sur les lignes appartenant ii des Compaguies, mais 
exploitées parl'Élat, 7,5 p. 100 de ce mèrne montant, sur 
les lignes expioiiËes par les Compagnies, 5,14 seulement des 

(I) Oadoit eolendre pnr la, peDsonB-noiiB. uon pss ce que l'ûa appelle 
uu Inogace lechoique cd l''rniice les kilomËlrcs Irums, inftia ceux-ci mul- 
liplif^s par le nombre île voiliircB, ce qui est beaucoup plus exact, Cttr 
un IruîD peut se consiilucr d'un Dorobre 1res ini'gal de voitiireî. 

(ï) Le Bulletin de stathttque (de uolre oiiniâlËri! tie» Irnvnux pub1ic«1, 
dans 9u livraison do janvier 1SS4, indique, pour l'Aulriche-Hongric, 
une moindre pruporlloii d'uccideuts sur les lignes exploitées par les 
compagoiea que sur celles eiploiléea par l'Ëlat. 




L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE FER PAK L'ETAT. 223 
dépenses totales, soîl un tiers de mnjns : cppendant, les li- 
gnes privées de chaque Compagnie ayani en général une 
étendue, beaucoup moindre que les lignes de chaque direc- 
tion de l'État, la proportion des frais généraux eût dû fitre 
plus forte pour les premières (1). 

L'exploitation par l'État ahemand des lignes françaises de 
rAlsac8-Lorraine,coniiées, avantl870,ù notre Compagnie des 
chemins de fer de l'Est, a fourni immédiatement la preuve 
du renchérissement qu'occasionne le ri^gime de U gestion 
gouvernemenlale. En 1873, U recette brute kilométrique 
des 817 kilomètres ainsi cédés par la France à l'Allemagne 
s'est élevée à 40,â56 francs; la dépense kilométrique a at- 
teint 35,688 francs, laissant ainsi pour produit net la somme 
insigniliante de 4,5G8 francs seulement. Les frais absorbaient 
donc près de 90 p. 100. Sous la direction de la Compagnie 
de l'Est ils ne dépassaient pas 60 p. 100 et laissaient un pro- 
duit net près de quatre fois supérieur à celui que réalisa 
Vadministration gouvernumenlalo. En admettant que cer- 
taines considérations politiques aient relevé, dans les pre- 
miers temps de la cession de l'Alsace-Lorraine ft l'Allemagne, 
les frais d'exploitation, la supériorité, au point de vue de 
l'économie, de notre Compagnie de l'Est n'en demeure pas 
moins évidente. 

Les document» sont, en ce sens, parfaitement concor- 
dants. 

D'après dn.i tahleaux publiés par M. Maurice ^htck {Êcoho- 
mille fronçait du IS avril 1876], les frais d'exploitation des 
diemins de fer do l'État seraient toujours supérieurs en 
Allemagne aux frais d'exploitation des lignes qu'exploitent 
les compagnies privt^es. 

Un tableau 1res initruclif, qui a été dressé et nous est 

(t) Pour loua cas d^taîti cl li»ur«iip il'iiittr-*, voir Oit Sitnbahnen, 
loa D' Emile Sax, Dotaminaot pagM 161 & ÈM. 



824 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

communiqué par M, l'ingénieur en ciief Cheysson sur les 
résultais des HilTérenls réseaux exploilés en Europe soit par 
les.États, soit par les Compagnies, démontre que l'exploita- 
tion des Etats donne un moindre revenu net proportionnel- 
lement h la recette brute. Sans doute, il est divers éléments 
qui inDuent sur la proportion du revenu net et dont il est 
diritcile de so rendre un compte absolument exact : tarifica- 
tion, nature des niarcbandises transportées, intensité du 
trafic; néanmoins, il semble bien ressortir du tableau qui 
suit que l'exploitation par l'État oll're plus de dangers linan- 
eiers que d'avantages. Ajoutons que les gouvernements alle- 
mands, dans ces derniers temps, notamment la Prusse, ont 
lait de la tarification sur leurs lignes l'nsage le plus arbi- 
traire, se servant des tarifs pour accorder des faveurs, des 
primes d'exportation détournées, soit à telle industrie, soit à 
telle fabrique. 



i 



L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE FER PAR L-fîTAT. 












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ij uni irihUiuU 



J 



286 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIOMS. 

De ce tableau, il ressort avec évidence que, dans tous les 
pays où les réseaux sont comparables, les frais d'exploita- 
tion sont moindres pour les lignes exploitées par des Compa- 
gnies que pour celles de TÉtat. Ainsi en Allemagne los frais 
d'exploilation par les Compagnies étaient de 54,7 p. 100 
contre 56 et 6i, pour les lignes exploitées par l'État : ce- 
pendant les recettes brutes des réseaux privés étant moin- 
dres que celles du réseau de l'État, il eût élé naturel que le 
coefficient d'exploilalion fût plus élevé pour les premiers 
que pour les premiers que pour le second, ce coefficient ne 
s'élevant pas proporlîonnellement avec la recette brute. 
En Autriche-Hongiie il en est de même pour les réseaux 
importants. En Belgique le réseau de l'État donne nne re- 
cette brute kilométrique qui est de 46 p. iOO plus forte que 
la recette brute des réseaux privés, et ta recette nette de 
l'État ne dépasse que de 27 p. 100 la recette nette de ces 
derniers. En Russie, le produit net n'existe pour ainsi dire 
pas pour le réseau de l'État quoique la recette brute soit 
assez élevée. En Suède la recette brute kilométrique du 
réseau de rP.tat dépasse de 40 p. 100 celle du réseau privé, 
tandis qiio la recelte nette kilométrique du premier n'est 
que de 13 p. 100 supéiieure à celle de celui-ci. On peut 
conclure qae les Élats, dans l'exploitation de leurs voies 
ferrées, sont de médiocres administrateurs et de médiocres 
commerçants pour l'entretien et le renouvellement de leur 
matériel, qu'ils donnent en outre dans le travers du fonc- 
tionnarisme ii outrance : tout au moins sont-ils enclins, par 
des considérations électorales, à sacriHcT le côté financier 
de l'entreprise. 

Aussi a-t-on vu la Commission d'enquête nommée par le 
Parlement italien en 1880, après un travail très intéressant 
qui remplit tout un volume, se prononcer h. l'unanimité pour 
le retour & l'eiploitalion des voies ferrées par des Compa- 



J 






l'exploitation des chemins de fer par L'état. îît 
gnies privées (I). L'Italie a renoncé ainsi au régime d'exploi- 
tation goure me Rien laie qu'elle avait essayé pendant quel- 
ques années. 

Indépendamment mCme de toutes les considérations 
techniques, quand on devrait admettre, ce qui n'est pas le 
cas, qu'une administration d'État éprouvée, comme l'admi- 
nistration prussienne par exemple, pût égaler ou même dé- 
passer en économie et en efticacité l'administration des Com- 
pagnies, il n'en demeurerait pas moins vrai que, au point de 
vue politique el social, pour sauvegarder la liberté indivi- 
duelle, l'indépendance électorale, pour entretenir les habî- 
tudesd'association spontanée, d'entreprises coIIl-cIÎ vos libres, 
pour conserver en un mol, ce qui est si important, la plasti- 
cité de la Société, l'État doit s'abtenir d'accaparer l'exploi- 
tation des chemins de Ter, 

(I) Voir lei Eilmili Ju rapport dt Ut Commi»»ion d'tnqufla parlemen- 
lairt tur i'txplodaiton dn rhtmiru de fer ilalitni, un volume in-8» da 
IS1 paj^cR, Pari>, Itrnlii, ISSl. 

A la pige 64 de cr toIuidc et aiant lei annexes ou trouve \\ résoluIioD 
lia la Coroniiuloii. aiaii rormulte : 

■ TOTt Dl LA COHHIHIOII. 

■ I.M nnllh allèguéi par lea deux psrtli ont «té tnftremeot «tndM* 
par la Commltiiun qui, dam une réunion iipAdal*, ob élaieal présent! 
■«* qiilnta inniobri:*, a fmis l'iiTb, h runanimltè, qu'il esl prétèrabla 
qu« IViplollalloa (Ira cbemlna de ter, on Halle, «oïl conllée i l'iodiulri» 

■ Arrivée au tnmte de tnti travail, la Cnmmlaiion d'enquCIe Ikit dta 
vcBui tr^s arlenu pour que l'Ëist et In Pnrleineut, tnm autri^ dtlal*, 
dooneiit auichvinini de ter ilalieoa le rËgïme di^DuiUfquela pays attend 
depuis loogtaaipa. <• 




CHAPITRE VI 

LES SERVICES D'USAGE COLLECTIF ET LES MUNICIPALITÉS. 



Le rafime procès qu'iulrefois pour les chemins de fer, enlre l'eiploila- 
Ijon par l'État et l'oxploilation privée, se débat aujourd'hui pour les 
entraprUes de ga^, d'eau, d'éleclricilé, de tél6phoDes, de tramwaye, etc., 

l'État 



e!!B. 



Lee découvertes ont â lutter, dod plus en général contre 1 
central, mais contre l'État local, page !29. — JalauBJe funeste des 
municipalités ooulre les compagnies privées, page 239. — La France, 
par cette cause, a beaucoup moins profilé que la plupart des autres 
pays des inventions récentes d'usage collectif, page 2ÏÔ. — Les muni- 
cipalités abusent en France de leur pouvoir réglementaire et de leur 
pouvoir fiscal, gage SÎO. — Exemple des charges pesant & Paria et 
aux États-Unis sur les voitures ulTectécB aux trausporls en commun, 
page 330. — Exemple do la destruction d'un tramway dons une grande 
ville de France, page 331. 

Épanouissement du socialisme municipal, page 231. 

Les cDtrepriaea municipales d'eau, de gaz et d'électricité dans le 
Boyaume-Uni, page 231. — La jalousie des municipalités britanniques 
a arrStè le développement de l'éclairage électrique, page 332. — Lu 
loi anglaise de 1888 réduisant le pouvoir des autorités locales eu ce 
qui concerne l'éclairage à l'Électricité, page 331. 

Opinions manifestées dans le Parlement anglais sur les envahisse- 
ments des municipalités, page 23B. 

Les muDJcipalilÈs américaines et les services d'usage collectif, page 
331. — ResIriclioDS apportées par les conatitutions de certains Etats 
aux droits des municipalités américaines, page 33i. — lltibté d'intro- 
duire ces restrictions en France, page 336. 

Outre leur inFérïorité technique, les municipalités sont encore plus 
que l'État courbées soua le joug électoral, page 33ij. 

Les services municipaux tendent Ik se IrausCormer en chimériques 
expériences humanitaires, page 236. 

Fâcheuses pratiques de la municipalité parisienne à l'endroit de 
l'éclairage, des Iraneports urbains et dca eaux, page !3G. 

Les quatre conditions du développement rapide et de l'exploitation 
progressive des grandes œuvres d'utilité publique, page 210. 

Le procès qui se débattait en France, de 1830 à 18i8, pour 



LES SERVICES D'USAGE COLLECTIF ET LES MUNICIPALITÉS. 283 
la construcUnn des chemins de fer, s'est reproduit, & divers 
intervalles plus ou moins rapprochés, pour les entreprises 
de gaz et d'eaux, aujourd'hui pour celles d'électricité, de 
téléphones, de tramways; demain il se reproduira pour 
d'aulres inventions que nous ne soupçonnons pas. 

Les dillerents pays ont inégalement profité de ces décou- 
vertes : elles n'ont plus k lutter contre la jalousie, l'accapa- 
rement de l'État central, mais contre l'accaparement ou la 
jalousie d'une autre forme de l'État, les municipalités. 

Les pays où l'on trouve lo plus répandu et au meilleur 
compte l'usage et des tramways, et de l'éclairage électrique, 
et des tëlépbones, sont ceux en général où l'Élat se montre 
le plus discret et le plus bienveillant envers les entreprises 
libres. Il nu s'agit pas de chercher à les eurichir; il s'agit 
seulement de ne pas poursuivre leur ruine systématique. 

Nous ne craignons pas de dire que. parmi les nations 
riches et de vieille civilisation, la France est l'une des plus 
mal partagées pour la possession el le bon marché de ces 
précieux instruments d'usage collcctil. Le gaz y coûte plus 
cher que partout ailleurs; l'ëlectricité commence h peine A 
éclairer quelques rues dans quelques villes; les transports 
urbains y sont à l'état barbare; le» tramways, peu nom- 
breux, n'y existent gu6ro <|ue dans les villes de premier 
ordre et dans quelques-unes seulement de second rang; les 
compagnies qui so livrent à celte industrie, sauf deux ou 
trois peut-être sur l'>ut l'ensemble de notre territoire, sont 
ruinées; les capitaltslcs, qu'flTrayent ces échecs, ne se 
iat«nt aucune inclination & doter nos villes d'un réseau 
i communications urbaines perfectionnées. Le téléphone 

IklB h Paris doux ou trois fois plus qu'à Londres, à Berlin, 
I Bruxelles, A Amsterdam, à New-York (I}. 

au MUphm», k rbeur« ad oou* éeri*i>D*, ctt&te 




230 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Ainsi, un grand pays se trouve, en plein xix" siècle, ne 
profiler que dans une mesure très restreinte des progrès 
récents et nombreux qui ont transformé depuis cinquante 
ans U vie urbaine, Est-ce parce que l'Etat n'intervient pas 
assez?Non, c'est parce qu'il intervient trop. 

Les municipalités qui le représentent usent à l'excès de 
leur double pouvoir de contrainte : la contrainte réglemen- 
taire et administrative, qui mulliplie les injonctions ou les 
prohibitions, les charges en nature, et qui, parfois, soumet, 
sans aucune restriction, les compagnies à l'arbitraire varia- 
ble des conseils municipaux; la contrainte fiscale, qui de 
chaque société de capitalistes veut Taire pour la municipalité 
une vache à lait inépuisable ; il faut y joindre encore ce 
sentiment étroit d'envie qui considère comme un attentat 
aux pouvoirs publics toute prospérité des compagnies par- 
ticulières. 

Je ne citerai que deux faits qui prouvent combien ces 
pratiques de l'État municipal sont funestes aux progrès; 
aux États-Unis, où ils foisonnent, les tramways ne sont 
l'objet, en général, que de taxes intimes. En Californie, le 
Gode civil {civil code), c'est-il-dire une loi générale, s'appli- 
quant h tout l'État et limitant les pouvoirs des municipalités 
elles-mêmes, interdit de mettre un droit {licence fec) de plus 
de 50 dollars ou SSO francs par an sur chaque voiture ser- 
vant aux transports communs dans la ville de San-Francisco, 
et de plus de 25 dollars, 125 francs, dans les autres villes. 
Or, à Paris, le droit perçu sur chaque voilure d'omnibus ou 
de tramway était récemment de 1,500 francs, el se trouve 
aujourd'hui de 2,000, juste huit fois le maximum de taxa- 
tion autorisé par la loi californienne. 

Voici L'autre fait : la jalousie des municipalités à l'endroit 

GDO fraacG à Paris conlre IGO à 3j0 Troncs dona les autres capitales ou 
graDiI«s villes <l'Europeet d'Amirique. 



LES SERVICES DTSAGE COLLECTIF ET LES MUNICIPALITÉS. 231 
des compagnies auxquelles elles onl accordé des conces- 
sions réduit souvent ces conipa(;nie3 à une gêne si intolé- 
rable, (jue non seulement elles ne payent plus aucun inléi-et 
à leurs actionnaires, mais que, mËme, elles cessent tout 
service. 

Dans une ville importante et très intellectuelle du midi de 
la France, Montpellier, une compagnie avait accepté de 
construire un réseau de tramways avec nn parcours trop 
étendu, des départs trop nombreux et des charges trop 
lourdes. Elle Ut faillite: on mit plusieurs fois aus enchères 
le réseau qui était exploité depuis plusieurs années : le 
cahier des charges était tellement pesant qu'il ne se pré- 
senta d'acquéreur A aucun prix. A la fin, une société s'offrit 
pour reprendre la concession, à la condition de n'exploiter 
que les lignes principales et de diminuer le nombre dus dé- 
parts. La ville refusa ; il se produisit alors ce fait vraiment 
inouï : on arracha les rails, établis à tant de frais, on les 
vendit comme du vieux fer. 

Toilà pourquoi Montpellier et vingt villes de France 
d'une importance analogue n'ont pas de tramways, tandis 
qu'on en trouve partout & nos eûtes : en Angleterre, en 
Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Italie mËme et en 
Espagne. 

Nous savons qu'une école bruyante prdne l'accaparement 
par les municipalités de tous les services ayant un caractère 
public ou quasi public. Le socialisme municipal s'épanouit 
Kur le conlinent européen; on en trouve aussi des traces 
nombreuses dans la Grande-Bretagne et mCme quelques 
embryons aux États-Unis (1). 

(I}0a p<^ut comuUrr *ur ce point toute la Uric dciopuKulet publiai 
par 1a Uifrlg and Properly Dtfence Ltagut, DoUinnical celui iutiluU 
Ittmifiptil Socialiim, IHSi, «I il'auln: port, pour l'Aïutriqur, lai^rie <]«■ 
Hudet rfuui» Mjua \t lilr« At tlie Rtlalian ttf modem Uanieîpatitit* 
b puui pubUe Workt. American Emnomit Aaocuition, january IVIS. 




232 L ETAT MODERNE ET SES FOKCTIONS. 

Chez aucune de ces nations anglo-saxonnes, on n'a laissé 
accaparer par les conseils miinicipans, soit les tramways, 
soit les téléphones; mais beaucoup d'entre eux se sont em- 
parés des entreprises de gaz, d'électricité et surtout des 
entreprises d'eaux. 

11 ne semble pas que l'on ail beaucoup à se louer de cet 
ioduslrialisme municipal, sujet ou enclin, dans des mesures 
variables, à rarbitraire, à la corruption, au favori lisme, 
surtout a ces changements fréquents de direction qu'en- 
traîne toute dépendance du corps électoral. Sans entrer 
dans un examen détaillé de la question, rappelons quelques 
faits intéressants. 

D'après VFconomUt (de Londres), le total des capitaux 
engagés dans l'industrie du gai en Angleterre, en Ecosse et 
en Irlande, s'élevait ï 1,380 millions de francs, dont bien 
près de 500 millions ou 3(J pour 100 environ représentaient 
le capital des entreprises gaziËres appartenant aux autorités 
locales. Pour ces dernières, sur 110 millions de francs de 
recettes, les frais d'exploitation atteignaient 79 millions 
environ, soit plus de 10 pour 100; les recettes nettes ne 
montaient qu'à 31 millions de francs, dont 22 millions i-t 
demi représentaient les charges d'intérSt et d'amortissement 
des emprunts spéciaux contractés pour ce service. 

Autant qu'on en peut juger, les hommes compétents ont, 
de l'autre côlé de la Manche, une opinion peu favorable à 
la capacité des municipalités dans ces questions industrielles. 
On a attribué à l'esprit étroit et jaloux des conseils munici- 
paux la lenteur des progrès de l'éclairage électrique dans la 
Grande-Bretagne, relativement h l'extension de ce même 
procédé d'éclairage aux Etats-Unis. On a volé, dans le prin- 
temps de 1888, une loi pour modifier et restreindre les 
pouvoirs des autorités locales en cette matière. 

Les discours lenus par plusieurs personnages importants, 



LES SERVICES D'USAGE COLLECTIF ET LES MUNICIPALITES. 233 
lord Salisbitry notnmment, chef du cabinnt acliiel, et lord 
Hersche), ancien lord-chancellor dans l'administriition libé- 
rale, témoignent que le socialisme municipal n'est pas né- 
cessairement progressif. 

Voici le résumû de l'analyse que les journaux donnaient 
de ce débat : <■ Lord Salisbury, parlant dn r61e que pour- 
raient être appelées à jouer les municipalités en matière 
d'éclairage électrique, signale le danger de se laisser en- 
traîner parle désir de donner aux municipalités le contrôle 
àe ces clioses-là. Nous avons, a-t-il dit, un nombre suffisant 
d'exemples qui portent sur la compétence des municipalités 
à se charger d'opérations commerciales sur une grande 
échelle. Nous savons que les tenltitions sont énormes, et le 
danger qu'il faut enrisager est non pas tant celui de voir 
les municipalités administrer ces entreprises elles-mêmes, 
mais bien de les voir administrer par les Tonclionn aires 
salariés de ces municipalités, aux mains desquels se trou- 
rerail un pouvoir énorme et irrésistible qui les expose 
A des tentations nombreuses, sans responsabilité pour 
eux. 

" Lord llerschet, h son tour, dit qu'il n'a pas de parti pris 
il l'égard du r&lc des municipalités, mais que pourtant il 
n'est nullement cerlain que la balance des avantages ne 
soit pas du c6lé de l'interdiction aux municipalités d'exer- 
cer des entreprises commerciales. Il penche m^me plus 
parliciilibrement vers cette opinion dans le cas do l'éclairage 
électrique... Dans tous les cas, la TaculLé de rachat no doit 
pas se présenter sous une forme qui paralyse les prngrbs de 
l'invention. C^ serait trop aussi de demander ti la génération 
actuelle de se passer de l'éclairage électrique uniquement 
pour en diminuer le coôt dans trente ou quarante ans. » 

Le parlement s'est rangé à ces judicieuses observations. 
11 vient de modiOer, dans un sens do restriction des pou- 



234 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Yoirs des municipalités, la loi de 18S2 sur l'éclairage é 
trique. Tandis que, d'aprës cette loi, les autorités locales 
avaient le droit de racheter les installations des sociétés pri- 
vées à l'expifation d'une période de vingt-deux ans, elles ne 
le pourront faire désormais qu'après quarante-deux années, 
cette durée étant considérée comme nécessaire pour que 
des entreprises sérieuses puissent se constituer. 

Que dire du conseil municipal de Paris qui voulait ré- 
duire à dix années la durée des concessions électriques? En 
mgme temps, la loi britannique nouvelle donne au Boaj-d of 
Trade le droit, à titre exceptionnel, il est vrai, d'accorder 
des concessions auxquelles s'opposeraient les autorités 
locales. Ainsi, après un quart de siècle d'exercice de l'in- 
dustrie de l'éclairage public par un grand nombre do muni- 
cipalités britanniques, il se produit en Angleterre une réac- 
tion contrecetle pratique. 

Les municipalités américaines se sont jusqu'ici plus abste- 
nues de l'exploitation directe des services de ce genre. L'en- 
quête faite l'année dernière par Y American Economie Asso- 
ciation sur les rapports des municipalités avec les entre- 
prises quasi publiques [Relation of modem Mitnicipalilies lo 
ihe quasi public jvorbs) ne cite que les villes suivantes qui 
soient propriétaires d'usines à gaz : Philadelphie, lUchmond, 
Danville, Wheeling et Alexandria. Encore no nous dit-on 
pas que ce soient là des monopoles municipaux. 

Quelques municipalités, dont on ne nous indique pas le 
nombre, possèdent des usines électriques. Mais ce sont là 
des fiiits très exceptionnels. Au contraire, un grand nombre 
de municipalités gèrent des entreprises d'eaux. Sur 1,402 
villes ou cités aux États-Unis, les renseignements ont 
manqué pour 183.: quant aux autres, dans 541 les établis- 
sements d'eaux appartenaient aux villes, et dans 675 à des 
entreprises privées. Parmi les 133 villes ayant plus de 



LES SERVICES D'USAGE COLLECTIF ET LES MUNICIPALITES. 233 
10,000 habitants, dans 91 les entreprises d'eaux sont des 
propriétés municipales et dans 44 seulement des propriétés 
privées. 

L'enquête américaine, toutefois, est incomplète sur un 
point capital : elle ne nous parle que de la propriété des 
installations d'eaux {ownership of walerworh) ; elle ne nous 
dit rien de l'exploitation, ce qui est tout difl'érent. La pro- 
priété peut être municipale et l'exploitation Cire cooféi-ée 
& une compagnie Termière ; c'est le cas de Puris et de diQ'é- 
rentes autres villes de France. Or, c'est surtout l'exploita- 
tion parles pouvoirs publics qui a des inconvénients. 

Quoi qu'il en soit, il est cluir que tes entreprises d'eaux 
dînèrent notablement des entreprises d'éclairage ou de 
transport : on peut prétendre que les premières ont un 
caraclëre beaucoup plus public, concernant des questions 
d'bygiËne générale et de salubrité commune, qu'elles cons- 
tituent ausïi des industries beaucoup plus simples, plus 
uniformes, moins gigantesques et moins variables. 11 semble 
que, dans beaucoup de ces propriétés municipales d'installa- 
tions d'eaux en Amérique, le pouvoir local agit plutôt comme 
contrôleur et surveillant que comme exploitant direct. 
Dans ce pays do $eif Qovemment, les municipalités sont 
très loin de jouir toutes du droit de régler h leur guiso l'or- 
ganisation do ces dilTérentes entreprises d'utilité générale, 
les tramways, le gaz, les téléphones, l'eau mémo. Elles 
D'onten général que les pouvoirs qui leur ont été spéciale- 
ment déliïgués par les États, Un grand nombre de ceux-ci 
interdisent aux corporations locales toute entreprise indus- 
trielle : d'autres vont môme jusqu'à limiter le pouvoir de 
taxation dont elles disposent relativement h ces services : 
noua ea avons donné un exemple pour la Californie (1 ). 

^H (I) Voir l'opuMule citi, Belalion of modtm tlunicipaiitit» lo ftiati 
^H publie Wortt, DoUmmsal pag«i S7 1 00. 



I 



238 L'ÉTAT MODEftNE ET SES FONCTIO>S. 

Ces rcslrîclîons, à nos yeux, sont sages. On devrait les 
introduire en France. Ce serait une des bonnes réformes à 
accomplir dans notre pays que d'interdire absolument anx 
municipalités l'expIoiLation d'une entreprise industrielle, 
quelle qu'elle soit. Les fantaisies du grand conseil municipal 
de Paris et du petit conseil municipal de Sainl-Ouen prou- 
vent surabondamment les inconvénients des énormes pou- 
voirs dont jouissent sur ce point nos conseils municipaux, si 
garrottés sous d'autres rapports. 

Outre les causes d'infériorité technique que nous avons 
énumérées en traitant d'une façon générale du caractère 
de l'État moderne, les municipalités, plus encore que le 
pouvoir central, soulfreut d'autres inûrmilés. Moins que lui, 
elles consentent à se placer, dans leurs actes, au simple point 
de vue technique. Des considérations étrangères, dénature 
purement électorale et politique, inHuent sur toute leur 
conduite. 

Elles sont plus courbées sous le joug des élections, plus dans 
la dépendance des coteries; elles ont plus de penchant à 
gagner des suffrages individuels par des faveurs, des créa- 
tions de places superflues. Elles cèdent plus à l'arbitraire 
et il la fantaisie; sous un régime électif variable et sans 
contre-poids, les services municipaux dont elles ont l'ab- 
solue direction tendent à se transformer en des expériences 
humanitaires, plus ou moins coûteuses et chimériques il). 



(I) A propos des méraita des ui nui ci pâli té s, en ce 
eeivices d'usage CDllecUf, il est impossible de ne pas citer l'exemple dn 
CoDsell miinidpul ds Paris, de I8BU à ISMD, inoraeat dû nous rcvoyon» 
ces lignes, tlsemble que l'AsserablËc qui adoiinistre la a Vil In- Lumière >, 
comme disait Victor Hugo, ait luré d'cmptclier le développement et le 
boD marcbè tant de l'éclairage que des transports urbains et du servies 
des eaux dans notre capitale. 

Voilà sept ou huit ans que la Compagnie parisienoe du gai a gagné 
tous les procès que le Conseil municipal lui a intentée; voilft autant 
d'années qu'elle proposait de rëdulro graduellement ses prix do vento 



LES SERVICES D'USAGE COLLECTIF ET' LES MCNICIPALITÉS. 237 

Dussent-elles ne pas verser dans ces abus comme Paris 

et Sainl-Oueii aujourd'hui, comme beaucoup d'autres in- 

ponrru qu'ao lui accordât une prolaugnlioa ntoilËréc de ea coDCeGtiun 
qui expire eu 1905. 

Si l'on avait traita sur ccllt^ baae avec la Compoftnie, o.a discutant ses 
propositioD* et en obicuaat quelques iDorji[icatiun« île J^laii, ce qui eût 
6té ailé, le public parisien ne payerail aujourd'hui le gai qua II ou 
21 cenUinca le mètre cube, au lieu de 30 ceoUmos, Uux aluolunient 
déraisonnable. Les cou «om mate ura parisiens perdent donc, par l'obstï- 
natioD du Conseil raunicipal, S à 9 cenlimes sur chaque lokre cube de 
gai qu'ils coasoinmenl; la ville de Paria perd, elle aussi, lou3 ceuUmoi 
sur le prii moiliâ moindre qu'elle paye k la Compagnie et qui eût été 
■baissé, dans le cas d'une entente avec elle. 

Or, l'on consomme 3U0 miilioDs de métrés cubes île gai, les trois 
quarla environ pour les porllculiers et un quart pour la Ville. L'entéte- 
meul du Coaseil niuQîcipal tait doue perdre aux coDBommaleurs pari- 
siens ul i- la Ville approximaliv émeut IB à 10 millions par an. La perle 
que la présompLou municipale a iufligéo aux Parisiens est déjà d'une 
ceotaiae de millioDS en cbilTres ronds. 

Cetto perte va se prolonger, peul-élre on s'aggravant, Jnsqu'A IDOï. 
Ainsi le Conseil muuicipal de Paris aura, de IgSO à 1005. împosd k c« 
pauvre peuple parisien un sacrifice de 400 è 500 millioua de Tranct, uni- 
quemeut pour la salisractjon de dire qu'il ne veut jamais traiter avco 
une Sociélé anonyme. 

Notci, d'ailleurs, l'absurdilè du refus de s'entendre avec la Compngoie 
du goi pour uue prolongation de la couceasion moyennant un abaisse- 
ment des larirs. Le Conseil municipal se (onde sur ce que, la conceuion 
expirant en 1905, il sera alors mollre de l'industrie du gni, puisque, 
d'après leslrailéi. il lui reviendra gratuitement toute la canalisation cl, 
en outre, la moiljè do l'actirde la Compagnie,UMaes et terrains compris. 
Hais, du train dont vont les înTeutions, qui suit si, dans seize ans, 
le gai sera encore le principal mode d'éclairage T En loul cas, il est 
bien probable que, dans le courant du vingtième siècle, la concurrence, 
soit de procéd6s prrtectionnés de l'éclairage électrique, soit de toute 
aalre découverto nouvelle, forcera les Compagnies de gai à diminuer 
amplement leurs larift. Ainsi, en sacriSant la génération présente 
Juaqu'en IW&, sous prflextii de sauvegarder les intérêts des gens qui 
vivront dan* la vingtième siAcle, le Conseil municipal de Paris [ait uue 
bttlM manitiMta : Il abandonne un bien présent, certain, rabaissement 
autuol du prix du fai qui est aujourd'hui le principal agent d'éclairage, 
sous la prctoil* de ménager un prix du goi plus réduit aux Pariiiena 
du vingtième siècle, alors que le ga« sera peul-étre devenu un procédé 
d'èolairage subalterue. 

Le CauK'il n'a pas procédé autrement pour l'éclairage électrique; Il 
voulait d'ahord n'accorder que des CQDCes^ion■ d'une demi-douMlne 
d'aaoéea, il a eontanti a tripler à peu prés c^lte période, ce qui est tréa 
LaaufliaaDt, pui«iuB le Parlement anglais a porté celte durée, après une 




L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 
il n'en resterait pas moins les grands inconvé- 
nients politiques et sociaux. Il importe de s'élever à une 

longue expérience, comme on l'a vu dans le texte, â quarante-deux ans. 
Les Compagnies n'ont que des charges et presque pas de chances de 
bénéBces : des pÉriodoe de conceaaïon d'une oxcessive brièveté qui 
resserrent sur une période beaucoup trop courte l'amortissement des 
capilitux engagés; l'obligation d'étendre leiira servicei â des rues ou à 
des quartiers où il est notoire qu'elles ne pourront recruter qu'un nom- 
bre iosigniftsul d'abonnés; la faculté de rachat réservée à la Ville dans 
dea conditions qui oe laisseut à l'actiounaire aucune chance notable de 

On sait 'aussi que le Conseil municipal a'est avisé de vouloir créer, 
pour l'eiiplaîter directement, une usine centrale d'électricité. 

Si mal desservi pour réclairagc, Paris ne prend pas sa revanelie 
pour les moyens de communication. C'est un des points noirs de l'or- 
gani^atiaa parisienne. On sait déjà comment l'aSaire du Métropolitain, 
étudiée, remaniée pendant dix ans, a élé rejelée dans les limbes où elle 
atlendra longtemps qu'on vienne l'y rechercher. La conception qu'on 
s'était Taile de cette entreprise, c'est qu'il fallait absolument ruiner la 
Société qui s'en chargerait : aussi avait-on accumulé les charges, ren- 
chéri par de* clauses socialistes le prix des travaux, limilé les bénéflces 
éveolneU, purement éventuels, à un taux très bas. Il en résulte que les 
Parisleas n'auront pas de Métropolitain. 

Il leur reste, comme consolation, les tramways, les omnibus et les 
fiacres. Mais ici encore le Conseil municipal intervient pour empêcher 
que l'an quelconque de ces moyens de transport puisse se développer. 
11 y a, dans toutes les décisions du Couseil municipal, un fond de mali- 
gnité simiesque. Jouer des tours aux Compagnies, c'est le premier el le 
dernier mot de sa politique. Plusieursdes principales lignes de tramways 
sont actuellement sans maitre, livrées â une eiploitalion précaire ; les 
Compagnies élant tombées en railtite, on avoit traité avec la Compagnie 
des omnibus; mais le Conseil municipal ou le Conseil général de la 
Seine, ce qui est à peu prés la môme cho^e. rêve de se Taire exploiteur 
de tramways, et, comme les lois ne la permettent pas, tout demeure en 

En ce moment il est dans le plein do la lutte, une lutte homérique 
avec la Compagnie des omnibus. Cette Compagnie ne consent pus à mul- 
tiplier iadéflnimeut les voitures dans les .quartiers excentriques o& il 
n'ya pas de voyageurs. Elleoffrait d'améliorer son service en augmentant 
le nombre des départs; on n'a pas voulu examiner seulement ses pro- 
positions, La formule que veut appliquer le Conseil municipal aux 
Sociétés avec lesquïlles U traite, ce u'est même pas : ae soumettre on 
se démettre, c'est simplement : se sourocttru, toujours, perpétuellement, 
de plus en plus. 

La Compagnie des omnibus a un monopole ; mais elle ne demanderait 
pas mieux que de s'en démellre el de recouvrer sa liberté. Nous préfére- 
rions de beaucoup aussi la simple liberté au régime actuel. La solution 



LES SERVICES D'USAGE COLLECTIF ET LES MUMCIPALITÉS. 239 
\ue synthétique des choses : le cûlé puremenl technique ne 
doit pas seul retenir l'observateur ; lus conséquences, soit in- 
directes, soit différées, générales et lointaines, doivent être 
aussi pesées. 

La transformaUon d'une foule de services de l'industrie 
privée en entreprises publiques ne se peut effectuer sans un 
certain et regrettable atraibli^sement de l'indépendance élec- 
torale d'une part et, de l'antre, des habitudes d'association 

d« Ift qutïticin «nrait dnni U r^ducUoa an Liies (poiiTnntahlei que la 
VJIle Inipoïc aux Omnibui; chaque voilura doil payer 1,000 Tranca par 
an, ca qui rit au nioius quatre Tuifl trop; nu oulrc, te» ilépAla et les 
ècurin dfl la Cotiipasoio iloivuDl Mre ùliiés ilan» rniUririir ilc! la ville, 
e« lul rencli^rit i la r<>U l'a initallaliana par le prix ilu Irrratu, et le» 
fournîmes pur le* •Iroiti d'oeiroj. 

tl n'y a pu do mnoopola pour le» voiture» do place, maii ta ville de 
Pario travailk i erèer un tnonopale pour les coeber». Sous rimpulnioD 
de quelque! collectiTlat'w, on a or^aiili£, depuis peu de temps, un 
eumen obligatoire pour les cochi<n de&acre. Lejury que l'on ainslitué 
M cumpose, eu niDjoril#.d'in>1ivi.|u«qui sepropoeenlpourbut deitimi- 
Duer, autant que poaaible, l'offre ilos cocher*, aflu de faire hauaper le* 
«alairr» de ceux-ci. Il ou résulte ({u'îl rcruae, comme ne connairiaDl pas 
aiMt Paris ou De sacbaut pa* k Dom exact do chaque objet du harnache- 
mout, 1» moitié environ de* candidat»; dans les deux derniers mois, 
OD VD a refusa 100, soit 43 p. 100, Ces caodidata ivinct» t'en retournent 
cliet eux et ttoignent loua le» gens de leur eulourage de venir se placer 
comme oocber* de llacre à P«ri». 

On manqua donc d« mch'r* ilo flucra. Cinq cent* voilures environ d« 
Conipagniet divers^t ou da loueurs particulier» n'altendont que de* 
cochers pour Mre miies en circulation-, mais l'iog^nleux Jury, inMitu* 
au mois d'août dnrnjer par le Conseil municipal, apporta le plue grand 
■oin i empêcher \e re<:rutein--ul. L'Expixilioii de tHtU l'ouvrira «uti que 
Parla ail de* toiIutb* publîquea en nombre sulflsaol. 

Pourquoi ne suppriine>t-on pa» cet eirimcn de» euoher» de 8acro et 
ce Jury, puiaq'ie li/a cucben de maître, les camioDn«ura et autreinssont 
•auml* 4 aucun eiaiseD ds es xenreT 

Lit Cansail uiunlcipal ne s'en lient pas à acs luttmi, eoit ouvertes, «oit 
•oumoiiM, avec le* Compagnie* d'èdairaft* et de loi'omotion. Il en «eut 
tout auiaiil. ou t peu pria, à la Compagnie do régie dei eaui de Pari». 
Il a'.'St avili de d^cr^dr l'a Imu ne m eut obligatoire aux eaux pour rhaqun 
babllanl; m»)*, eiuime toujours. A cette première uianîs il en J'iliit un* 
ssronile ; 1* rachat il* la r«|[>> luUreaM*,. exerce* pnr la G)uipagoie dea 
aaui, SooflA qui Jouit, daiileun, d'une ««cnllentn ripulatlnu. 

Voila eouunani t:>ns Ira servtuai eollectifa sont dèaorgauiais h Pari» 
ou ineapftblei do «e dtvoloppcr. 




2i0 L'ÉTAT MODEANE ET SES FONCTION 

volontaire. La lyrannie du sultan est moins redoutable que 

la tyrannie d'une paroisse. 

Pour résumer ces observations, voici quelques formules 
dont l'exaclilude ne paraît guère pouvoir être contestée : 
le développement rapide et l'exploitation progressive des 
grandes œuvres d'utilité publique semblent dépendre 
surtout : 

1° De la force de l'esprit d'initiative librd et des habitudes 
d'association volontaire; ces conditions ont plus d'impor- 
tance môme que l'abondance des capitaux; 
2° Du minimum des Tormalités udmiuistralives requises; 
3° De la bienveillance, tout au moins de l'équité et de 
l'absence de jalousie des pouvoirs publics de tout ordre en- 
vers les sociétés privées et les capitalistes; 

4" Là où l'initiaLive piivéo est somnolente et où l'inter- 
vention du gouvernement est active, du maximum d'esprit 
de suite et, par conséquent, de stabilité dans le gouverne- 
ment, soit général, soit local, et du minimum d'esprit de 
parti dans l'opposition. 

Voilà pourquoi certains Etats à organisme fortement 
hiérarchisé et puissamment autoritaire, comme l'État prus- 
sien, ont pu, avec un moindre dommage pour la commu- 
nauté, jouer un rôle actif dans la constitution ou l'exploita- 
tion des travaux publics. 

Mais nous, peuples occidentaux, à gouvernements pré- 
caires et changeants, nous ne pouvons prétendre aux avan- 
tages d'unité et de continuité d'action d'une monarchie 
demi-despotique. Conservons an moins les mérites et les 
bienfaits d'une iniLialive privée, agile, souple, entreprenante; 
sinon, nous perdrons notre bien, sans gagner, comme cora- 
^pensation, celui d'autrui. 



LIVRE V 

LtTAT, LA REUGION, LtDVCATION ET L'ASSISTANCE 
PUBLIQUE. 



CHAPITRE PREMIER 

LA POURSUITE PAR L'ÉTAT DUN IDÉAL SOCIAL. 

CùDtMLnIli»» aiixqiiellF* pr£l« le rOle d« l'ËUt en ce qui coDcorae la 
n)Ut[4oo. l'èducatiou el l'anslstaDce. puge 311. — Suivimt certaiat 
f criiaiD* l'ËLit aursit mÎMluD du taire râ|{Dar la lertu vt <ie rt^pandre 
1« Téril#. pftfie 143. — L'Ëtnt. d'aprA* uiie loruiule atlomaudi.-, doU 
(H^lrir la t>ociAI<^ caaroriDèiiiRnt & ■ l'Idée •, page 141. 

Le* politlricni et Ir* tbtoncjci» politique* toarooDt le do» i U doclrine 
qui prévaut aujourd'hui danv l«« seiencuts, page 241. 

La rcclurcbe d'uu idéal aocial par l'Etat a tÙ la cause d'une Toule de 
crimca et ite la plui oppn<*»i*e îulolériuce. page !4!. 

Le* buinuea d'Ëtal, à tou« «ta^ea. «on t due bomuiei d'action 1 Irun condt- 
tiuoe meolalt^t ne m prêtent paa i la découverte ou à la propagande 
de la viritè oliwUle, papi< 143. 



Nul sujet n'a doiiné, ne donne et ne ilonaera lien & plus 
de contestations que le râlo du l'ÉUt  l'égard de cette 
grande furco, h U fois individuelle et collective : la religion, 
ot do ce» deux grandes lictie», dont on discute si diei doi- 
vent 6tre plus culleulivus qu'individuelles : l'Oducation des 
générations nouvelles et l'assistance des malliouroux. 

Je voudrais, en m'éclairant ilc l'exiit^rienca du temps 
passé et du temps présent, indiquer les dunuécs générales 

16 




2*2 l'état moderne ET SES FONCTIONS, 

de ces délicats problèmes, et suggérer, sinon des solutions 
précises, du moins l'espriL dans lequel on les doit chercher. 
Nombre d'écrivains ont conçu l'État comme appelé à faire 
régner la vertu et h répandre la vérité. 11 serait si commode 
d'obtenir le triomphe de l'une et de l'autre par l'action d'un 
mécanisme «nique, qui, grîlco t une hypotbêse opiniâtre, 
paraît aux esprits simples el aux flmes naïves capable de 
vaincre toutes les résistances 1 

Un écrivain brillant, Michel Chevalier, conviait l'État à 
K diriger la société vers le bien et ft la préserver du mal ». 
Il avait, sans doute, plutôt en vue le bien et le mal maté- 
riels. 

Mais, allant plus loin, les théoriciens allemands affirment 
que l'État doit être de plus en plus pénétré de h l'idée so- 
ciale». Ils se représentent le grand homme comme celui qui 
exprime le plus complètement l'esprit de son temps : deti 
Geisl seiner Zeit zum vollen Ausdnick bringt. 

Et l'État leur apparaît comme to grand bomme par es- 
cellence, l'être merveilleux dont les conceptions peuvent 
immédiatement se traduire en volontés et les volontés en 
actes. C'est à lui qu'écboit la tache formidable de pétrir la 
société conformément à «l'idée n. 

L'idée, l'idéal, mots fascinateurs qui devraient peut-être 
moins subjuguer les esprits dans un siËcle dont toute la 
doctrine scientiflque repose sur la^croyance en l'évolution, 
c'est-à-dire en un développement lent, spontané, presque 
uniquement instinctin 

Il est écrit que les politiciens et les théoriciens politiques 
de notre sitclo tourneront le dos à la doctrine qui prévaut 
aujourd'hui dans les sciences. La sagesse vulgaire a décou- 
vert et répété sans cesse que l'enfer est pavé de bonnes in- 
tentions; elle ne semble pas encore s'ôlre aperçue que la 
plupart des grandes fautes politiques se rattachent à la pour- 



L'ETAT ET L'IDEAL SOCIAL. 243 

siiile par l'Etal d'un idéal social, <k sa prétention de << diriger 
lu société vers le Itîen et de l'écarter du mal ». 

Les persécutioDs des empereurs romuins contre les chré- 
tiens, le tribunal do l'inquisilion, les excès des anabaptistes, 
le despotisme de Calvin ou de Kno2, la Suint-Bartliélemy, 
U révocation de l'édit de Nantes, les crimes de la révolution, 
tous ces méfaits, dont l'histoire frémit et dont nous souf- 
frons encore, ont eu pour artisans non pas seulement la 
perversité ou l'égoîsme des hommes d'État, maïs la croyance 
qu'ils possédaient la vérité absolue et qu'il était de leur 
devoir de lui soumettre le genre humain. 

.aujourd'hui, l'il^tat ou ceux qui le représentent ont-ils un 
meilleur critérium du vrai et du bien? Ne sont-ils plus 
exposés à l'orreurî Après les développements où nous som- 
mes précédemment entré et les constatations que chacun 
peut faire, il semble que la réponse ne soit pas douteuse. 

Pus plus que leurs prédécesseurs, les hommes qui, en 
lout pays, détiennent l'Élat moderne, qui parlent en son 
nom et commandent ou punissent en son nom, ne se lrou> 
vi.'tit dans des conditions mentîtes qui facilitent la recher- 
che, lu découverte et la propagande de la vérité absolue. 

Les hommes d'État, depuis lo ministre le plus célèbre 
jusqu'au plus obNcur politicien de village, sont, pour les 
noardiiifimcs, des hommes d'action; leur cerveau n'est pas 
fait pour l'élude patiente et minutieuse; dans nulle caté- 
gorie de gens on ne trouve une moindre aptitude h la mé- 
taphysique. 

S'ils ont quelques idées générales, ce sont, d'ordinaire, 
colles que les circonstances et les hasards do la lutta leur 
ont presque inconsciemment inculquées. Ils se font gloire 
souvent de n'y pat tenir. Ils n'ont ui le goût ni le loisir d'&- 
tudier ù fond lus problèmes. 

Ce sont, en outre, des hommes de parti, engagés dons 




Uè L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

des liens auxquels, malgré quelques gloiieux exemples, il 
leur est presque toujours impossible de se soustraire. Ils 
représentent des passions et des intérôls bien plus que des 
idées pures et réfléchies. Nulle classe d'hommes ne diffère 
davantage du type classique du sa^e que le délacbament et 
la sécurité ont préparé à comprendre et à chérir le vrai. 

Ce sont encore des hommes absorbés par les intérêts 
présents; la devise de la plupart est qu'à chaque jour suflit 
sa peine, que le contingent seul mérite qu'on s'y arrête, que 
la fécondité et la souplesse de leur esprit trouveront des 
ressources imprévues pour les diflicullés futures, dont il 
serait puéril et vain de s'embarrasser à l'avance. 

A moins de reconnaître au suffrage populaire el à ses 
élus une vertu merveilleuse, surnaturelle, on doit juger que 
les détenteurs de l'État moderne, en raison mSme des pro- 
cédés, des qualités et des défauts auxquels ils doivent le 
pouvoir, sont médiocrement qualiliés pour être les inter- 
prètes de la vérité absolue et du bien absolu. 

Qu'ils le fussent, ce serait un mystère aussi impénétrable 
à la raison humaine que les dogmes religieux réputés les 
plus incompréhensibles. 



CHAPITRE II 

L'ÉTAT ET LES BELIGIOSS. 



La gloire de l'Ëlal ffloderoe, c'est de Uisser le champ libre aux contro- 
verMt. page 7ii. — NéuDinoms certains États veulent dominor les 
cootrovenei religieuse», page !i6. 

Deiti idées dld^renles, l'une bonne, l'autre msUTaise: t'Élat laïque et 
l'État Bth^e, page 146. — La laïcisation de l'État implique son indé- 
pendance, non son hoslilild. euTere lee religion», page StG, — Un Ëlnl 
ne doit ni diidaigner. ni ignorer, ni comballre les rcligion!>, page H1. 

— Le poiiilîTlune absolu est impossible à l'État, page 117. 

L'Étal, manquant de la faculté d'iovenlion, est impuisMinl à faire, à con- 
server ou t détruire tes religions, page Ît3. — LÉlat moderne doit 
lire blen»lUant envers elles, page 350. — Le sentiment religieux 
•■t un ciment socinl qu'il est trîa dif&cile de remplacer, page 350. — 
Parallèle entre le curé ou le pasteur et l'instituleur public, page ISl. 

— L'État duil aroir un parti pris général de bienveilluoce pour tout ce 

Ïul est respectable, pagelJI. — lucaoTénienlide créer des délits arti- 
ciols, page m. — Belles pages de Liltrè et de Mirbel Chevalier, 
page SS3. — La séparation de l'État et des cultes aux Étati-L'nis est une 
ilmple séparation de biens et n'impliqua aucune malvelItaDCe réci- 
proque, page Ki. 

Le livre de Corbon. te SecrtI du prupl» de Parii, page !53. — L'État 
moderne n'a ancuo intértt à bvoriser un ■ prodigieu» iltvetoppement 
d'aspirationsaysnt pour Objet eiclusifleschosea de ce mande >, p.ua. 

La queilion du la séparation des Églises et de l'État dépend des antécé- 
dents de chaque peuple et du nombre des confessions, png<) I!>4. — 
I.ei l't^os les plus raitonnatiles et les pins politiques A ce sujrt ont été 
formulées par deux athées, David Dume et Adam Smilb, page i!A. — 
l.'lntlmidaUon est un mauvais ressort de gouvernement, surtout à l'eit- 
dmlt des influenci-e spirituelles, page lU. 

Absurdité de rubjuction que l'Ëtal, en soulenaut dUTéreotes églisM, 
propage uéceasalromeut rerrcur, page 7S6. 

i'ou de problème» seraient aussi simples k résoudre que 
celui des rapport» de l'I-Uat moderne et des religions, mais il 
Taudrait B'inspircr du raot: a Paix aux hommes de bonne 
volonté. ■ 



246 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Le monde, depuis l'origine, a toujours été livré ù la con- 
troverse; c'est par elle, par la variété et la liberté des opi- 
nions, surmontant tous les obstacles extérieurs, que se 
sont transformées la barbarie et la rigidité primitiTes en 
celle sorte de développement ascensionnel qu'on nomme la 
civilisation. 

La gloire de l'I^^tat moderne, Q'a été jusqu'à ce jour de 
laisser le champ libre à la controverse, à la variété des pen- 
sées et des actes dans la plupart des voies ouvertes à. l'acti- 
vité de l'homme : les lettres, les arls, les sciences, l'Indus- 
trie, les groupements entre les individus. 

Il n'est qu'un domaine jusqu'ici où, non pas tous les États, 
mais cerlaitis, de nos jours aussi bien qu'autrefois, s'achar- 
nent à vouloir supprimer la controverse el ses manifeslalions 
extérieures, c'est le domaine religieux. 

L'État, qui devrait être, d'après la théorie, un organe de 
paciGcalion et de concorde, cherchant à calmer les haines, 
devient, dans maint pays, le principal agent de discorde. 

Une idée juste, celle de l'Étal laïque, s'est transformée, 
sans qu'on en eût conscience, en une idée fausse, celle de 
l'État athée. L'État laïque, c'est-à-dire l'État qui ne se fait 
le champion temporel d'aucune théorie religieuse parlicu- 
liëre, qui regarde les religions avec bienveillance, mais sans 
subordinalion el sans servilité, qui les considère comme des 
forces avec lesquelles on doit compter, à qui on ne doit pas 
imposer le joug el de qui on ne doit pas le recevoir, l'État 
laïque est la vraie formule, la seule digne de la société 
contemporaine. 

La laïcité de l'Étal n'implique pas l'hoslililé conlro In 
religion, ni la malveillance, ni l'indilTérence même; elle 
marque seulement l'indépendance. Mais de ce que deux 
personnes sont indépendantes l'une de l'autre, il n'en ré- 
sulte pas qu'elles doivent être des adversaires, ni même 



l'état et les [lELlGlOJfS. 2i7 

qu'elles doiveat cesser d'avoir entre elles des rapports 
quelconques. 

Une société où l'État et la religion sont en lutte ne peut 
Être qu'une société prorondément troublée; d'autre part, 
une société où la religion et l'État prétendent s'ignorer mu- 
tuoilemenl est presque une société impossible. Nous le 
montrerons tout à l'heure. 

L'État athée, c'ost tout autre chose que l'État laïque. On 
pourra discuter tant que l'on voudra sur la signilication de 
cette Tonnule : tant par Tétymologie que par la conception 
populaire, elle n'a qu'un sens, celui de négation de la divi- 
nité et de tout ce qui s'y rapporte; elle n'implique pas rin* 
différence, elle implique rbostililê. 

Comment l'État pourrait-il être indiflérent à l'égard de la 
religion, des cultes et de Dieu mémo? Comment surtout 
prétendrait-il se cantonner dans une sorte de positivisme 
qui lui permettrait d'ignorer qu'il existe parmi les citoyens 
certaines croyances ardentes, précises et collectives sur 
l'origine, les devoirs et la lin de l'homme? 

Par un miracle d'abstraction, de contention d'esprit, de 
surveillance de toutes ses paroles et de tous ses actes, un 
simple particulier peut à peine arriver à pratiquer ce posî- 
livisme dans tonte sa rigueur; un État ne le peut paa. A 
chaque instant, il rencontre le problème religieux; il est 
obligé de Compter avec lui. 

Tant qu'une communion, c'est-à-dire une Toi commune 
sur la destinée humaine, réunira de nombreux groupes 
d'hommes, l'État sera obligé du chercher, suit & l'extirper, 
■oit k t« la concilier, tout au moim à vivre passablement 
avec elle; mais il ne pourra l'ignorer. 

Comment l'État, cet organisme qui a la responsabilité de 
la paix sociale et qui d'ailleurs aujourd'hui touche 1 tant de 
choses, qui prétend, notamment, accaparer l'éducation. 



2S8 L'ÉT\T MODERNE ET SES FONCTIONS. 

l'inslructioD, le soulagement des malheureux, l'amélioration 
des condamnés, perdrait-il tout contact avec la force la plus 
ancienne, la plus générale, la plus agissante que connaisse 
la société? 

L'État a des écoles : aussitôt s'offre la question délicate 
des textes, des livres de classes, certains mots qu'on ren- 
contre, qui forment te fonds traditionnel de la langue et 
qu'il faut expliquer, à moins que, par le procédé ridicule 
qu'a adopté le conseil municipal parisien, on ne proscrive 
ces mots, on ne mutile les auteurs les plus célèbres, on 
ne s'interdise non seulement do prier, mais mfime de 
jurer. 

La pudeur de nos pères mettait des feuilles de vigne aux 
statues trop peu voilées; l'étrange pudeur de certains de 
nos corps enseignants va couvrant de vocables ineptes et 
dénués de sens les mots de Dieu, d'Ame, de vie future. 

Non seulement l'Etat a des écoles, mais il a pris la charge 
de l'éducation complète de catégories nombreuses d'indivi- 
dus : il élève des orphelins, des enfants assistés, des aveu- 
gles, des sourds-muets, de jeunes prisonniers; ceux-là, en 
grande partie, sont soustraits h toute autorité paternelle; 
c'est l'État qui est leurp6re; quelle croyance leur appren- 
dra-t-il, car il ne peut renoncer à leur en apprendre une? il 
faudra, ou qu'il les élève dans le sein d'une religion, ou 
qu'il les élève contre toutes les religions. 

De même pour l'armée, pour lamarine, pour le personnel 
employé aux travaux publics, pour les jours de repos fériés, 
pour toutes les observances ayant une origine religieuse, 
répondant aux pratiques religieuses du plus grand nombre, 
l'État contemporain ne peut ignorer toutes ces choses. Il 
faut ou qu'il les admette et les respecte, ou qu'il les nie et 
les détruise. 

Fera-t-il comme le conseil municipal de Paris, qui, pour 



L^ÉTAT ET LES HELIGIONS. 2i9 

varier la nourriture dans certains de ses établissements, y 
impose un jour de maigre, mais en stipulant que ce jour ne 
sera jamais le vendredi? Dans le mouvement qui porte les 
employés, les ouvriers, h exiger le repos hebdomadaire, à 
vouloir même qu'il soit obligatoire, l'État viendra-t-il à dé- 
laisser le dimanche et à choisir le lundi? 

Ainsi l'État contemporain (nous ignorons ce qui sera 
loisible ù l'Étal du xxv' ou du :txx° siècle), rencontrant, dans 
son activité propre, à chaque instant, les prescriptions ou 
les observances religieuses, ne peut simplemont répondre : 
Aififio vos; il doitou les respecter ou les combattre. 

La ligne de conduite h tenir par l'État moderne est toute 
tracée. Nous avons dit que l'Élat manque au plus haut 
degré de la faculté d'invention. Ce n'est certes pas lui qui 
fait les religions, qui les conserve ou qui les détruit, 

A certains moments, il a pu constater orQciellement, 
comme sous Constantin, le triomphe d'une religion, vieille 
déjà de plusieurs siècles. A d'autres heures de l'histoire, 
lors de la réforme, il a pu aider à certaines modifications, 
d'ailleurs de d<^lail, que favorisaient le lempérameut des 
peuples et le courant populaire. 

Hais nulle part on n'a vu un Étal, soit créer une reli^on 
de loutcs pièces, soit en détruire une, soit substituer aux 
idées positives enfermées dans des dogmes, aux sentiments 
intimes et traditionnels, un simple ensemble de sèches et 
abstraites négations. 

L'État doit donc respecter cotte force, qu'il ne réussirait 
pas, le voulût-il. k entamer. Il est d'autant plus tenu à ce 
respect, t ces boos rapports, que la religion, en dehors de 
son objet principal de soulagement des Ames, concourt h un 
objet, pour elle accessoire, mais, pour l'État, d'une impor- 
tance capitale, la conservation sociale. 

Il n'y a plus actuellement d'bomme assez irriînéchi, 



230 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

parmi ceux dont l'opinion a quelque autorité, pour croire 
que l'homme naisse originellement bon, que ses heureux 
instincts s'épanonisscntnaturellcmont, quand on ne cultive 
pas artificiellement les mauvais. La doctrine de Jean- 
Jacques-Rousseau et des philosophes du sviii' siècle sur la 
bonté native de l'homme a été tellement battue en brèche 
et détruite par l'expérience, qu'on peut la considérer 
comme une des plus manifestes inepties qui aient un mo- 
ment abusé le genre humain. 

La (Icho de l'Élat moderne, au point de vue du maintien 
de ta paix sociale, de la simple conservation de la sociélé, 
est devenue de plus en plus ardue : il n'a pas trop de tous 
les concours. L'Élat est assailli par tant de passions, par 
tant de haines, tant d'impatiences, tant d'illusions, la morale 
publique et privée souffre de tant d'attaques de théories 
désespérantes et dégradantes, qu'on ne comprend pas par 
quelle fohe l'État moderne, si menacé, si ébranlé, va 
déclarer la guerre îi la puissance moralisatrice qui a con- 
servé le plus d'empire sur les âmes. 

On a écrit que la barbarie frémit au sein de nos sociétés 
civilisées, et certains publicistes ont cru pouvoir indiquer 
l'heure où elle viendrait à triompher. Sans aller jusqu'à ces 
alarmes, peut-être excessives, la religion chrétienne, qui, 
quelque opinion qu'on ait do ses dogmes, prêche la modé- 
ration dans les désirs, la lutte contre la concupiscence, l'as- 
sistance du prochain, l'espérance indéfinie au milieu des 
éprouves et des souffrances, qui cherche à réconcilier 
l'homme avec la dureté de son sort, peut être considérée 
comme une sorte de ciment social qu'il sera singulièrement 
malaisé de remplacer. 

,_ N'eût-elle d'influence que sur les Temmes, qu'elle rendrait 
encore à l'État de précieux services; car les femmes dans 
la vie civile, dans l'éducation, par les premières notions 



I 
I 



L'ÉTAT ET LES RELIGIONS. 251 

qn'elles donnent à l'enfant, par l'influence qu'elle conser- 
vent dans tous les actes du ménage, contribuent, pour une 
bonne part, à la direction réelle d'une société. 

On pourrait Taire un parallèle, frappant par les con- 
trastes, entre le simple curé on le pasteur de village et 
l'instituteur public tel qu'on cherche h le former depuis dis 
ans: l'un devant sa culture d'esprit et de cceur aux deux 
grandes sources qui ont fécondé la civilisation occidentale, 
la source chrétienne et la source latine ; l'autre, dont l'in- 
telligence, & peine dégrossie par une instruction souvunt 
interrompue, toujours incohérente, surchargéu de détails 
sans lien, ne possède que des embryons confus et indis- 
tincts de sciences abstraites; l'un qui cherche t contenir 
les appétits désordonnés, qui enseigne la patience, l'amour 
du travail et la résiguation ; l'autre qui répand dans toutes 
les couches du peuple la théorie nouvelle de la lutte pour 
l'existence, qui suscite les ambitions immodérées, la con- 
voitise des hauts emplois ou des professions réputées plus 
élevées, et qui, inconsciemment, par la direction que lui 
impriment ses chefs et qu'il suit avec empressement, tra- 
vaille au déclassement et presque au mécontentement 
universels. 

D'une part, le curé do village de Baltac, de l'autre, le 
Homais de Flaubert, représentent ces deux types d'agents 
auxquels les pouvoirs publics font un sort si inégal. 

L'État devrait avoir un parti priagL^néral de bienveillance 
pour tout ce qui est respectable. Il a tant de crimes ou de 
délits réels & chAtier ou ft prévenir qu'il ne devrait jamais 
créer des crimes ou des délits artiQciels. 

Comment les idées du peuple sur la justice, sur le bien 
et sur le mal ne seraieat*elles pas troublées, quand, dans 
un pays qui se dit libre, on voit plusieurs jeunes UUcs tuées 
par des gendarmes pour s'obstiuor ù prier dans une cha- 




SBS L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

pelle vieille de vingt ans, mais non régulii^rement autorisfie, 
et que, d'aventure, à la même heure, le chef du gouverne- 
ment fait grâce de la vie à des misérables convaincus d'avoir 
tué leur père et mère (1)? 

L'État moderne n'a pas le droit d'apporter dans les pro- 
blèmes religieux la frivolité dont firent preuve nos ancêtres 
inexpérimentés de la Qn du siËcle dernier. 

Tous les esprits un peu impailiaux de ce temps, quelles 
que fussent leurs idées philosophiques, ont compris qne, si 
l'État moderne ne doit pas être le serviteur de la religion, 
il ne saurait, sans pousser l'imprudence à son comble, en 
devenir l'ennemi. Un ministre des cultes ne doit pas se 
déclarer, comme on prétend que certain le fit naguère, le 
geôlier des cultes. 

Littré, qui pressentait le discrédit où le gouvernement 
de la république allait se jeter, écrivit d'admirables pages, 
non pas de chrétien, mais d'honnSte homme et de poli- 
tique clairvoyant, sur « le catholicisme selon le suffrage 
universel ». 

Michel Chevalier, k peine échappé encore de la doctrine 
saint-simonienne, dans ses Lettres sur H Amérique du Nord, 
en 18,14, signalait à bien des reprises l'influence du senti- 
ment chrétien et des pratiques chrétiennes aux États-Unis. 
Il notait les signes nombreux et éclatants de la puissance 
des habitudes religieuses dans cette démocratie. Il citait 
des faits de pression de l'opinion religieuses sur la liberté 
individuelle qui nous paraissent invraisemblables. 

L'Etat et les religions sont séparés aux Étals-Unis; mais 
celte séparation n'implique de la part du premier aucun 

(I) On se rappelle l'affaire doChitcttuvilliiin en 1887. Le gouvemeraent 
français a été, de 1878 à 1889, aui mnius d'une sorte de confrÉrie de 
fanatiques libres pen.iGurs qui »e sont appliqué à semer dans toute la 
France la hnine et la discorde. Jamais on n'a vu un plus t''trange oulili 
do la miasion essentiel le me ni paciflcairice qui s'impose à l'Ëtat. 



L ÉTAT ET LES RELlGlOiNS. 
nt de malveillance. C'est en quelque sorte 



2S3 



sentimei 

simple séparalion de biens : de temps à autre, dans les 
malheurs publics ou les circonstances solennelles, les pou- 
Toirs fédéraux ou locaux croient devoir donner des signes 
ostensibles de déférence envers le sentiment chrétien. La 
religion et la société, la religion et les mœurs n'ont jamais 
été complètement séparées dans la grande Union améri- 
caine du Nord. 

Quoique, depuis Michel Cberalier et Tocqueville, cette 
situation se soit un peu modifiée, on ne trouve encore dans 
celte jeune et florissante diîmocratie aucun symptiïme de 
ces luttes où s'engagent si maladroitement et si imprudem- 
ment quelques États européens contre les croyances tra- 
dilionnelles. 

Ud publicisle iivisé, sorti du peuple, appartenant h l'opi- 
nion radicale et en partie socialiste, M. Corbon, dans un 
livre ancien et pou connu, le Secret du jieiifile lU Parti, a 
consacré toute une partie à ce qu'il appelle la a religion du 
peuple ». H a pris soin de démGlor et de nous indiquer lu 
part de l'abandon des croyances chrétiennes dans le mou- 
Toment révolutionnaire qui se développe chaque jour et 
menace de tout emporter. l'drlaut de la vie future: « Tout 
ce qui avait autrefois germé en ce sens dans l'Ame popu- 
laire a été presque complètement étuulTé par un prodigieux 
développement d'aspirations ayant pour objet exclusif tes 
choses de ce monde. » 

H. Corbon est enfant de Paris, cl il prend Paris ou plutôt 
le* quartiers ouvriers de Paris pour la France entière ; 
dans les trois quarts du pays, cette semence ancienne n'est 
ni tout h fait détruite ni complètement remplacée. 

Mais quel intérêt peut avoir l'État modorno, qui n'est pas 
an sectaire, qui doit se proposer, non le triomphe d'une 
doctrine spéculative, mais la conservation itociale. quel 




j 



25t L'ÉTAT MODEEIME ET SES FONCTIONS. 

iolérCt peiit-il avoir à favoriser, dans tous les lieux et dans 
toutes les couches, « ce prodigieux développement d'aspi- 
rations ayant pour objet exclusif les choses de co monde », 
quand il sait parfailemeot que, « ce prodigieux développe- 
ment d'aspirations », il ne le pourra jamais satisfaire ? 

Si, dans tous les pays et dans tous les temps, l'État doit 
se montrer bienveillant et sympathique au eenlimenl reli- 
gieux, si cette déférence et ces bons rapports, par des 
raisons spéciales, s'imposent particulitrement comme un 
devoir de prévoyance à l'État moderne, la question de la 
séparation des églises et de l'État ne peut être tranchée que 
parles antécédents de chaque peuple et le nombre des con- 
fessions qui se partagent dans chacun d'eux la population. 
S'il serait absurde de renoncer à la séparation des églises 
et de l'Étal dans la grande fédération américaine, it ne le 
serait pas moins de vouloir transporter ce régime en France; 
ce serait un nouvel élément de désorganisation et de 
discorde ajouté à tant d'autres, 

11 est curieux que les idées les plus justes, les plus rai- 
sonnables, les plus équitables aussi en cette matière, aient 
été émises, à la fin du dernier siècle, par deux sceptiques, 
on pourrait dire deux athées : David Hume et Adam Smith. 

Ce n'est certes pas en homme religieux, mais en politique 
prévoyant, que parlait Hume quand, après avoir décrit les 
inconvénients pratiques que pouvait avoir l'exaltation des 
« inspirés prédicanls », il conseillait à l'État de les modérer 
indirectement par de bons ofltces : 

■' Au bout de tout, concluait-il, le magistrat civil finira 
par s'apercevoir qu'il a payiî bien cher son économie pré- 
tendue d'épargner la dépense d'un établissements fixe pour 
les praires, et que, en réalité, la manière la plus avanta- 
geuse et la plus décente dont il puisse composer avecJes 
guides spirituels, c'est d'acheter leur indolence en assignant 



[l»l"joU 



» 



l'Etat et les RELicroNs. 255 

des salaires fixes h leur proressioD, et leur rendant ^uperQuo 
lonle autre activité que celle qui se liorneta simplement 
à empêcher leur troupeau d'aller s'égarer loin do leur 
bercail à la recherche d'une nouvelle p&ture; et, sous ce 
rapport, les établissements ecclésiastiques, qui d'abord ont 
été fondés par des vues religieuses, finissent cependant par 
servir avantageusement les intérêts politiques de la société. » 

Il va Ininde ces vues judicieuses d'un sceptique avisé aux 
frivoles déclamations des démocrates contemporains. 

Quant h Adam Smilh, il établil, eu ce qui concerne le 
problème de la séparation des églises et de l'État, une dis- 
tinction qui nous paraît capitale, et que nous ne voyons pas 
qu'on se soit rappelée. 

Dans un pays, dit-il, où il y a plusieurs centaines de sectes 
qui se partagent, sinon par parts égales, du moins sans pré- 
dominance accentuée de deux ou trois d'entre elles, l'opi- 
nion des habitants, l'État peut ne pas s'occuper d'elles, 
malgré •• l'insocishilité habituelle aux petites sectes •> ; elles 
se tiennent en échec mutuellement, n Mais il en est tout 
autrement dans un pays où il y a une religion établie ou 
dominante. Dans ce cas, le souverain ne peut jamais se 
regarder comme en s&reté, h moins qu'il n'ait les moyens 
de se donner une influence considérable sur la plupart do 
ceux qui enseignent cette religion. >■ Or, ce moyen, ce ne 
peut Hre que les récompenses, les bénéfices, un concours 
habilement exercé dans les nominations. 

Le philosophe écossais no laisse aucune ambiguïté à sa 
pens(!e. Il s'agit pour lui de contenir le clergé non par la 
violonco. mais par uno bienveillance adroite : <• La crainte, 
;ijoute-t-il, est presque toujours un mauvais ressort de gou- 
vernement, et elle ne devrait surtout être jamais employée 
contre aucune classe d'hommes qui ait la moindre préten- 
tion h l'indépendance. En cherchant & les effrayer, on ne 




856 L'ÉTAT MODERWE ET SES FOMCTIOiNS. 

ferait qu'aigrir leur mauvaise humeur et les fortifier dans 
une résislance qu'avec des manières plus douces ou aurait 
pu les amener peut-être aisément ou à modérer ou à aban- 
donner luul à fait, a 

Voilà comment s'exprimaient, en plein triomphe dn vol- 
tairianisme, deux philosophes sagaces; ils n'avaient l'expé- 
rience ni des luttes de la révolution française contre l'Église, 
ni du ^u/fu)-/i:ai»/}/'aHemand, ni de tous les démàlés récents 
du canton de Genève ou de la Suisse avec l'Église catholique, 
ni de la scission opérée, cent ans après la révolution, dans 
la population française ; mais ils avaient le souvenir de 
toutes les luttes ardentes de l'antiquité, dn moyen âge et 
des temps modernes entre les États et les religions; pnîs, 
surtout, ils connaissaient le cœur de l'homme, science rare 
et que les politiciens des démocraties ont presque toujours 
méconnue. 

La séparation des églises et de l'État, si justifiée par des 
circonstances historiques et par la multiplicité des sectes 
aux li^tata-Uuis d'Amérique, doit Sire considérée, sur notre 
continent européen, comme un des projets les plus subver- 
sifs de la paix et de la cohésion sociale. 

On doit juger superficielle l'objection souvent répétée 
que l'État, en soutenant, ou en subventionnant des églises 
qui sont en lutte sur les questions de doctrine, comme 
l'Église catholique, deux églises protestantes et le judaïsme, 
prSte son concours à des théories contradictoires, dont 
trois sont nécessairement fausses, en admettant que l'une 
soit vraie, 

C'est là un raisonnement d'enfant ou de pédant. L'État 
en reconnaissant, et môme en salariant des églises diverses, 
ne peut pas avoir la prétention de se prononcer sur la véra- 
cité des dogmes de chacune d'elles; il n'a pour le faire au- 
cune qualité. 11 se borne à juger que le culte et l'instruction 



L'ÉTAT ET LES RELIGIONS. 257 

religieuse, même sous des formes différentes et avec des 
variantes dogmatiques, exercent une utile action sociale et 
morale, qu'en outre il y aurait de Timprudence de la part 
de l'État à prendre vis-à-vis d'aussi grandes forces une atti- 
tude d'indifférence qui finirait par être considérée comme 
de l'hostilité et par la provoquer. Il agit ainsi en pacifica- 
teur éclairé et prévoyant. 



17 



CHAPITRE III 

L'ÉTAT ET L'INSTRUCTION PUBLIQUE. 



ZËle infatigable de l'Éiat, mêlé parfois de fanatisme et toujours d'illusiona 
naivea. pour l'instruction, page S59. — Par des eicës dans cette voie, 
l'État pi^ut devenir un agent de déclaasenieiit et d'aEfaiblîeeenient natio- 
nal, page 259. — Part de préjugé dans les idées officielles au sujet de 
l'efQcacité de l'instruction, page !59. — L'instruction ne change pas les 
iasliacts et ne refrène pas les passions, page Sât). — Absurdité de l'idâe 
quei'instructioQdimîDiie les crimes et les délits, page260. — L'instruc- 
tion peut développer la concupiscence des faonneurs et de la fortune, 
page î60. — Elle pousse parfois à des genres nouveaux de crimoa, 
page 360. 

L'instruction est un simple instrument dont U est fuit tantôt un bOD, 
tantôt un mauvais usage, page 'i6i, 

L'Ëlat ne doit pas ctiercher h accaparer l'instruction, page, 263. — Les 
universités, leur origine, page S(i3. — Ingérence diverse des États 
dans leur organisation; l'État français u agi en révolutionnaire et eu 
accapareur, page 2S4. — Exemple opposé des universités allemandes, 
page ÏOi. — Les efforts récents faits en France pour se rapprocher 
d'elles, page 367. — Utilité de la liberté de ['enseignement supérieur, 
page 368. ~- Il est possible de constituer des établissements libres da 
baut enseignement, mSme en dehors d'une pensée confessiomielle, 
page !68- — Eiempla de la fécondité do l'initiative privée pour les 
œuvres de haut enseignement, page 263. 

L'instruction secondaire d'État : sa régie est l'uniformité, page 270. — 
La parodie de telle iaslrucllon dans les collèges commuuaui eu 
France, page 271. --Alternance dans l'enseignement d'État entra la 
routine prolongée et les bouleversements soudains, page 271. 

Grands inconvénients.^ es bourses données par l'État, page 273. -~ Un 
projet parlementaire » d'instruction intégrale ", page Vi. ~ Il en résul- 
terait un aCTaibllasement mental du pays, pa^e 21b. — Une société 
triée et classée au moyen d'examens et de bourses serait la plus 
antisociale et la plus incapable des sociétés, page 276. 

Cas exceptionucle aiiiqueis les bourses devraient se réduire, page 277. 

L'État et renseignement primaire, page Ï78. — L'enseignement d'État 
renouvelle les difficultés et les luîtes de la religion d'État, page 390. 
— L'esprit sectaire dans renseignement d'État : exemple des écoles 
de la ville de Paris, page ZiO. ~- La grammaire municipale unique. 



i 



L'ÉTAT ET L'INSTHUCTION PUBLUJUK. 



259 



paga ISI. — Lei ^ttpes du iocUIIbiiib «cal&ire, page 3sa. — Inconvé- 
DteoU de la multipllcitioD de« eiameiiB pour loutei le« cbsies de la 
D&lîoa, page 18i. -~ L'État répand partout la manie et la folie de« gran- 
deun, pBge ISJ. — AtTaibliiiemeDt national qui en résulte, page ISQ. 
L'tDtervcntiei) exceuive des pouvoirs publics dans l'en geignement pro- 
(eHionnet, page 186. 



Si l'Ëlat moderne tend à méconnaître la force des reli- 
ions, s'il est téméraire en se montrant envers elles, soit 
rogue, soit agressir, il témoigne, au contraire, pour l'édu- 
cation ou plutAt pour l'instruction du peuple d'un zèle infa- 
tigable. 

Il accumule ù ce sujet les lois, les circulaires, les subven- 
tions. Il est saisi, pour cette tftche, d'un engouement, d'un 
fanatisme empreints d'illusions naïves. 

Dans celte œuvre qu'il considère comme sa mission prin- 
cipale, le sentiment général qui l'anime part d'un bon 
naturel; il conduit parfois à des aberrations. 

On peut se demander si avec celle passion irréfléchie qui 
U porte II transformer toutes les connaissances en enseigne- 
ment dogmatique. ofUcîel et universel, l'Élat ne s'expose 
pan & troubler une foule do cerveaus, & ébranler la société 
au lieu de l'asseoir, & amener un déclassement croissant des 
conditions, et \ affaiblir, plutfkt qu'à développer, lu produc- 
tivité nationale. 

Dans les idées répandues sur les bienfait$ de l'înstruclion, 
il y a une part de préjugé. 

II (.'St, sans douU>, utile aux hommes, sans exception, 
de «avoir lire, écrire et compter; ce sont des instruments 
qu'il anqiiiËrent et qui, dans mainte circoustance, leur 
rendent service. 11 en est de même, suivant la nature des 
esprits et le genre des occupations, pour toutes les autres 
connaissances moins embryonnsim. 

Mais c'est une erreur puérile de s'imaginer que l'ini- 



260 L'ÉTAT MODEAfiE ET SES FONCTIONS. 

Iruclion par-elle-mêEiie suffise à rendre les hommes meil- 
leurs, k changer leurs inslincls, à réfréner leurs passions, 
On a prouvé par des arguments décisifs, Herbert Spencer 
nolamment, qu'il n'y a aucune corrélation entre les no- 
lions techniques que distribuent les écoles, soit primaires, 
soit moyennes, soit supérieures, et la force morale qui 
donne de la dignité à la vie. 

On prétendait autrefois que l'instruction diminuait les 
délits et les crimes. Aucune observation sérieuse n'a jus- 
tifié cette afQrmation. Ni les crimes ni les délits ne devien- 
nent moins nombreux depuis que la population est plus 
instruite. On voit fréquemment s'asseoir, pour des crimes 
odieux, sur les bancs de la cour d'assises, des hommes qui 
ont de la littérature ou des connaissances scientitiques. 

L'instruction même peut éveiller un certain genre de 
concupiscence, celui des honneurs, des grandes places, de 
la fortune rapidement acquise. Isolée, elle peut mettre 
l'homme plus au-dessus des appréhensions morales et des 
remords. Le Raskolnikof, de Dostoïewski, n'est pas un per- 
sonnage aussi irréel que beaucoup le supposent. Les sin- 
guliers écarts de certains de nos c décadents » prouvent 
que les raffinements littéraires ne rendent pas nécessaire- 
ment la tête solide et le cœur sain (1). 

Les connaissances scienliGques peuvent, elles aussi, sug- 
gérer des attentats nouveaux, comme celui de cet Allemand 
qui, ayant fait assurer sur un navire pour une somme con- 
sidérable des caisses remplies de pierres, y joignit une autre . 
caisse pleine de dynamite, qu'un mouvement d'horlogerie 
fil sauter avec le navire lui-même (2). 



(1] Od peut citer, par exemple. l'alTairt Chambjgc qui ee plaida en 1888 
devaat la Cour d'attsUes de CoatilantiDe; il y u, daoa ces dernières 
aouées, uoe loule de cas Bualaguea. 

(2j Le procédé des Asiurances, qui date de ce aiËcle (toadatioD tle la 



I 



L'ÉTAT ET L'INSTRUCTION PUBLIQUE. S6l 

L'inslruclion doit 6tre considérée simplement comme un 
instrument qni permet à l'homme de mieux utiliser les 
forces qu'il a en lui et hors de lui, et qui, en outre, peut 
lai procurer certaines salisractions. les unes morales, d'au- 
tres inoiïeDsivcs, d'autres condamnables. 

Quant à entourer l'inslruction d'une sorte d'auréole ma- 
gique qui la Tait apparaître comme Ayant la vertu de trans- 
former la nature morale de l'homme, c'est une superstition, 
une nouvelle forme de l'idoUlrie (1). 

premitre grande CoropsgDio rronijalso, les Aisurances ginératn en 181S), 
■uicile UD nombre conslilËrable <lo forfaits dant %e readeal surtout cou- 
pable! dei bommpt appartenant aux classe* tclairées; il luf&i ds rap- 
pelerlu alfair«i calibres du D' Lapommersje, puis du D' MaisoDoduve; 
11 y en ■ dea centaines de ce genre de coDQues et probablement autant 

(I; Let itatlatiques démonlreDl, pour la France, la vanitâ du préjugé 
qui attribue > l'inatruclioD en elle-m^me une acLuu moralisatricft. C'est 
A portir de tg^il, et plus encore de I80S, que l'inalruction ptiiiiaire «'rst 
fort r^'pandue en France. Aujourd'hui à peu prè« tout le monde la pos- 
■tdo. Or, si nous conaldi^roos les crimes le* plus caractérisas et les plus 
répugnant*, i savoir Us meurtres, les oasaisinats, les parricides. Ici )n 
fanUcides, les cmpoisonnemenls, nous trouroni que l'ensemble de ces 
crime* odieut a beaucoup plus augroentâ que la population, en dipit 
A« toute l'instnictinn pnninir<^. Le tableau suivant en fournit la prouvo. 
Il s'agit de moyennes dtccnnalcs ou quinquenuslea. 

Nombre moyen dea affaires sonmlses annuellement aiut 
aselses pour les crlmea de : 

IUI.M iBAi-s» istn-ag ig7«-M itai-u 

Parricide* 14 II 9 10 14 

InfonUeide* 197 30t 11) )9t ITD 

A>M>*inala Ilf t1S 109 197 IIS 

Heurlres 131 I0& tl9 141 ISS 

Erapolsoouemeula. >t . 34 33 14 10 

Wâ" 534 tsn &5S "ÔÔÏ 

Ainil l'oceroUsemant d« c«* crime* eti de 30 p. 100 enriron dan* la 
période do lasi-is, par comparaison aui périodes de Uit & 1869 où 
l'inalrucllon prlmiim des adultes fiait certainement mottli molodra de 
ce qu'elle est aujourd'hui. Or, I* population de la France, qui est d'en- 
viron 18 millions d'tmes k l'heure actuelle, se trouvait Mrn de 1&,183,OOU 
en t8&l, do 11,380.000 en ISOI tt de Ik.oct.odo nn iKOd. Elle n'a donc 
augmenté que dans une proportion DégUgcnble. Encore le lobleau cl- 
d«s«u> repr4>enta-t-ll l'aggravation de la grande criminalilt conm* 




■26-2 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

RéduiLe à ce caractère d'instrument qui ajoute aux 
forces de l'homme, l'inslrucUon reste un bien précieux. 
Une nation qui en est douée n'est nécessairement ni plus 
morale, ni plus sage, ni mieux en état de so gouverner, 
mais elle jouit de précieux avantages au point de vue 

moÎDilre qu'elle n'est réellement. On remorquEra, en effet, que le nom- 
bre de» InraiiticideB semble Hvuir diminué dcpuU 1851-60; il n'en est 
riea. Hais devant la faiblesse du jury qui acquitte fréqucnimeDt les 
femmes coupables lie ce crime, le minislèro public prétÈre, dans bien 
des cas, substituer une poursuite en abandon U'earnut, laquelle esteou- 
misc aux tribunaux corrccllonaeU, à la poursuite pour iurauticide. De 
niËma la diminution uotalile des poursuites pour empoisoonemeata 
pourrait peut-être venir des progrès de la science qui rendent plus 
aisée & dissimuler la perpétration de ces forraits. 

Il serait facile do prouver, eu remontant au commencemeat de ce 
siècle, que le nombre des crimes el des délits contre les mœurs a 
augmenté. 

Quant â un genre d'actes, qui, sans conatitiier & proprement parler un 
crime ou un délit, est proroodément regrettable et jette dans la société 
et dans les tamilles une profonde perturbation, à savoir le suicide, sa 
multiplication semble coïncider avec les progrès mêmes de l'inetruction. 



ISSO-SO 


4,IH'J 


1860-69 


S,û47 


181G-80 


G,G38 


IBSI-8â 


7.002 



Ainsi !c minimum de la période IRSI-B.'i est presque double du maxi- 
mum de la période iSiO-49. Ajoutons que dans la période de 1876-85 les 
suicides ont été en augmentant régulièrement chaque aimée. 

Nous eommea loin de dire que soil l'augmentation de la grande crimi- 
nalité, soit l'accroissement du nombre des suicides, n'oient pas d'autres 
causes que te développement do l'instruction; mais il est incontestable 
que tout homme qui étudiera avec soin les statistiques criminelles se 
b'ouvera dans l'impossibllilé de reconnaître une vérité quelconque à la 
Mvole proposition, considérée longtemps comme un axiome, que Tins- 
tructiOQ porte en soi, et abstraction faite de toute autre circonstance. 
une vertu moralisatrice. 

Les Elalistiques qui figurent dans cette note ont été tirées de U Sla- 
listiqiie de la France, par Maurice Block, et de l'annuaire slatMigae 
du même auteur. 



L'ÉTAT ET L'INSTHUCTION PUBLIQUE. 2«3 

de la production, de ses jouissances, de ses distractions. 

C'est, en quelque sorte, une nation plus humaine. 

L'instruction est h la fois, pour une société, comme pour 
un homme, une force et une parure. 

S'il est bon de la développer et de la répandre, il s'en 
faut que l'Ëlat, sous ses trois forines de pouvoir central, 
de pouvoir provincial et de pouvoir communal, la doive 
accaparer. 

Quand il s'en mêle, ce qui est le cas universel chez les 
peuples civilisés, el ce que nos antécédents rendent en 
quelque sorte, même aujourd'hui, nécessaire, il no saurait 
Taire provision de trop de tact et de mesure. Sur nul terrain 
l'entraînement n'offre plus de dangers ; il est certains modes 
d'instruction officielle qui sont uniquement perturbateurs. 

Quelques mots sur chacune des trois grandes catégories 
de l'enseignement suffiront à jeter un peu de jour sur 
une matière que des volumes entiers ne sauraient épuiser. 
L'instruction supérieure, celle qui conserve et qui accroît 
le dépAt général des connaissances humaines, se délivre, à 
part quelques hautes écoles spéciales, dans ces établisse- 
ments que, par une antique tradition, l'on nomme encore 
des universités. 

* Ce furent, i l'origine, des institutions fondées et dirigées 
par des corporations ecclésiastiques pour former les gens 
d'église. Peu h peu leur clientèle s'élargit, les futurs gens 
de robe, puis la jeunesse de plus en plus nombreuse appar- 
tenant à la classe supérieure ou moyenne qui recrute le> 
professions libérales, y arOuèrent. La théologie, la {ihiloso- 
pbie, la linguistique, y admirent, il calé d'elles, d'autres 
connaissances: le droit civil comme le droit ecclésiastique, 
la médecine, les mathématiques, el tardivement toute la 
» sciences pbysiques et naturelles, ainsi que les 



I 

^L tariétâ de» science 
^M lettres modernes. 



264 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. ^B 

Ces établissements n'ont pu rester, dans la phipart des 
pays, complÈtement indépendants de l'Ktat. Mais l'ingérence 
de ce dernier s'est produite h des degrés divers: chez cer- 
taines nations, comme la nôtre, il a agi, suivant son procédé 
habituel, en révolutionnaire et en accapareur, supprimant 
toutes les traditions, tous les groupements et aussi tous 
les liens entre les diverses branches d'enseignement, dé- 
truisant non seulement toute réalité, mais mfime toute 
apparence d'autonomie, établissant avec rigueur son mono- 
pole, fondé sur l'absolue dépendance des maîtres et des 
collèges, sur l'uniformité des méthodes dans tout le terri- 
toire et sur l'interdiction de toute concurrence libre. 

Dans d'autres pays, soit par des circonstances historiques 
qui donnaient à l'État moins de force, soit par une sagesse 
réfléchie qui limitait son itmbilion et sa présomption, l'Étal 
eut la main moins lourde. Les diverses universités, plus 
nombreuses qu'en France, une quinzaine par exemple en 
Allemagne, conservèrent chacune sa vie propre, ses res- 
sources spéciales, son recrutement presque spontané, son 
administration, sinon complètement autonome, du moins 
dotée d'assez do libertés ou de franchises. Les méthodes 
gardèrent ou prirent avec le temps de la variété et de la 
souplesse : les maîtres ne soutinrent pas tous la même 
thèse : il y eut parmi eux cette diversité de vues et de juge- 
ment qui fait la vie et le mouvement intellectuels. 

Les professeurs ne furent pas de simples fonctionnaires, 
rétribués par un traitement fixe, égal pour tous ceux du 
même rang, invariable, quels que fussent les efforts et le 
SUCCÈS, Ils eurent, comme fonds de subsistance, un salaire 
modique, annuel, pnis. comme les avocats, comme les mé- 
decins, comme les architectes, comme les simples maîtres 
privés, des « honoraires » que lourpayèrent leurs auditeurs, 
un ou deux « frêdérics d'or » par semestre. 



k 



I 



L'ÉTAT ET L'ISSTHUCTION PUBLIQUE. 263 

Bien plus, même le traitement Use nVlait pas absolu- 
meot unirorme : il o^t, en oCel, telle branche de la science, 
comme l'enseignement du sanscrit ou de l'hébreu, qui ne 
peut attirer autour d'une chaire un grand nombre d'étu- 
diants; les "honoraires » pour cet enseignement doivent 
naturellement être médiocres; il fallait que le traitement 
Ûie fût plus relevé. L'amour-propre des universités y 
voyait. Toutes celles du premier rang, bien pouri 
ressources, tenaient & s'assurer un maître dontlé n^ 
sur elles de l'éclat. On en voyait deas ou trois e 
lulle, Gœttingen et Leipzig, je suppose, pour se dispd 
professeur célèbre; elles bataillaient ft coups d'enci 
chacune Taisant ses oDres, et l'homme illustre se décidait 
par toutes les raisons variées qui peuvent influer sur l'es- 
prit de tout homme et dont l'une, n'en déplaise à une hypo- 
crite délicatesse, est la rémunération pécuniaire. 

Dans l'intériourde chaque université allemande aussi, on 
copie presque les procédés des indoslriea vulgaires et libres : 
pour chaque enseignement, il y a deux ou trois chaire s rivales, 
certaines qui attirent une affluence d'auditeurs, d'autres 
qui sont occupées dans le désert. Il y a bien prés d'un quart 
de siècle. J'assistai, à Berlin, aux lci;ons d'un philosophe 
qui eut son heure de célébrité, mais qui alors était déchu ; 
quatre étudiants seulement écoutaient sa parole discré- 
ditéo; devant la chaire d'à c6lé, sur le même sujet, on 
comptait régulièrement deux cents auditeurs. 

Puis l'enseignement est ouvert, & leurs risques et périls, 
aux jeunes hommes qui ont rempli certaines conditions de 
diplAmes et qui se croient du talent. Ils peuvent s'essayer, 
sans attendre une nomination qui souvent serait arbitraire 
ou lente. 

Ainsi, pour le haut enseignement, on a su, dans certains 
pays, dans un surtout, l'AtlcRiagne, limiter l'action bureau- 




266 L'ÉTAT MODEnNE ET SES FONCTIONS, 

cratîquG de l'Éliit, maintenir une certaine indépendai 
d'administration îi chacun des centres universitaires, y co- 
pier les modes de l'industrie privée : la concurrence, soit 
intérieure, soit extérieure, l'inégalité des traitements, la 
rémunération directe et personnelle, pour une partie du 
moins, par l'auditeur, 

Cette méthode, si Féconde dans toutes les professions 
coin me relaies et libérales, s'est montrée efficace pour la 
plusttkvéo des carrières humaines ; l'émulation, aussi bien 
entreles groupes scolaires qu'entre les maîtres elles élèves, 
a porté ses fruits habituels. 

Les universités allemandes ont été des centres vivants et 
actifs, remuant les idées, rayonnant chacune dans sa région 
et pénétrant, par une répercussion indéfinie, d'un esprit 
scienliEque presque toutes les couches sociales (1). 

Nous, Français, avec notre rigoureux monopole d'Étal et 
notre organisation bureaucratique de l'instruction, nous 
avons eu d'aussi grands savants et d'aussi grands littéra- 
teurs que l'AJlemagnc; mais nous avons manqué de cette 
pléiade de maîtres, dans l'acceptation exacte du mot, et de 
ces légions de véritables étudiants. 

Bien plus, nous n'avons pas su retenir dans l'enseigne- 
ment ceux qu'une vocation naturelle, les circonstances et 
leurs études elles-mêmes y destinaient : pendant une 
dizaine d'années, sinon une vingtaine, toute la tÈte do notre 
école normale des lettres se dérobait aux postes obscurs 
que, par un mécanisme absurde, on lui offrait, et allait con- 

(1) Od me permettra de rairu remarquer que j'ai udc cipirioDce 
perBonoelle des uaiversitës sIlemaDdcs. Aprèa mea études classiques 
en France, j'ai suivi, comme étudiant rf^j^ulièremeut immutriculë, pen- 
dant neuf mois, en ISGI-Sû, les cours de ruoivcrsilé de Bonn où J'ap- 
preDaia partie u lie rement la philosophie, en y associant quelques cours 
d'iiietoire et d'Économie politique. J'ai suivi aussi en IBG5, pendant 
quatre mois, mais comme auditeur libre et sons Stre in crit enqu&litâ 
d'Étudiant, les cours de l'université de Berlin. 



J 



I 



L'ETAT ET L'INSTRUCTION PUBLIQUE. 267 

snmer des forces précieuses dans une littéralure souvent 
bfttive, superQcielle et presque sans profit pour le pays. 

On est revenu depuis quelques années, en puilie du 
moias, de cette fausse voie. On a cherché à diminuer la 
joug de la bureaucratie d'ËLal sur le haut enseignement 
français; on s'est essayé à rétablir les anciennes universités, 
& leur rendre un souftle d'autonomie. On a multiplié les 
maîtres de conférences, on a prodigué les bourses ; à défaut 
d'élèves spontanés et payants, on a institué des quantités 
d'élèves payés. 

Tous ces etTorts n'ont pas Été inefflcaces : certain de dos 
maîtres sont do grands professeurs, dans toute l'acception 
du terme. Mais le succès est encore bien incomplet, parce 
que l'on a un mauvais point de départ. 

On no retrouve pas ici. comme eu Allemagne, cette indé- 
pendance et cette vitalité, en quelque sorte naturelles, parce 
qu'elles sont traditionnelles et ininterrompues, des univer- 
sités régionales; on n'y voit pas ces méthodes analogues ft 
celles de l'industrie privée : l'inégalité des traitements, la 
concurrence sous ses formes diverses, la rémunération four- 
nie directement au maître par l'élève même. En Allemagne, 
il est vrai, devons-nous dire, la prépondérance nouvelle 
que tend h gagner chaque jour davantage, l'université da 
Berlin commence à modiQer un peu l'organisation si souple 
et si vivante qui a fait des universités allemandes de si gran- 
des cboses (1). 

(1) On lolt qiK le« Aoglaii n'ont qu'une orgftDÎMUon utei rudlmen- 
laira de l'eDMl^enirnl «upèriour, leur* vieille* unïTcrtiti* île Cun- 
bridje et d'Oxford £unt loin d'embrauer loulo la vsite ephèra des 
ConnakHiiCo* qui lonl cnislgDfns en Allemagne et en France. Cola 
D'emptcbe pu l'Antrlrlarrc! de n'tlre inCérieurn & aueun p&j>, toit pour 
l'écJat et l'aboadancB de la littérature, «oit pour l'ampleur et ta noo- 
leauté de* recherche* pbilotopblque». *oit pour le* découverte* *ciea- 
UBquM théorique*, «oit pour l9» upUcsUon* de* Douvetlea métbodee 
Bui art* indutlriela. t.a vk ait dan* là milieu aocUl ; elle peut t'y putcr 




et 

n 



aeS L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Un mfirile incontestable que nous avons eu, c'a 
Iroduire la liberté de l'enseignement supérieur. 11 s'est créé 
chez nous d«s universités libres, ayant un caractère confes- 
sionnel il est vrai; certaine a recueilli des dotations d'ori- 
gine privée montant à 14 ou 15 millions de francs. 

Il serait exagéré de prétendre que l'iniLialive particulière 
est impuissante pour le haut enseignement, quand elle n'est 
pas poussée par le sentiment religieux. Nous ne sommes 
qu'au début d'une période de liberté ; encore celle-ci est-elle 
précaire, toujours menacée par les jacobins ou par les cen- 
tralisateurs ; néanmoins déjà, des organes remarquables se 
sont spontanément constitués ; nous n'en voulons pour 
preuve que l'École libre des sciences politiques avec ses 
trois cents élèves, dont un bon tiers vient de toutes les con- 
tvêea étrangères; c'est probablement l'établissement sco- 
laire de France qui contient relativement le plus d'étran- 
gers; son nom brille et attire vers nous d'au delii des fron- 
tières. 

Cette institution, à ses origines, a eu un mérite que d'au- 
tres fondationspriïées pourront reproduire : celui de confier 
ses chaires à do jeuues hommes presque inconnus, dénués 
de grades universitaires, que l'enseignement ofllciel n'aurait 
sans doute jamais formés, et qui, au bout de quelques an- 
nées, se gagnèrent une réputation très étendue. L'observa- 
toire Biscboffsbeîm, les écoles supérieures de commerce, 
beaucoup d'autres fondations plus ou moins analogues, 
prouvent que l'argent privé ne manque pas aux choses 
reconnues utiles. 

Notre Institut plie sous le faix des dons nombreux qua 
lui font chaque année des émules de Montbyon. On finira 
par se convaincre qu'il y a un meilleur usage à faire de 



J 



L-ÉTAT ET L INSTRUCTION PUBLIQUE. 289 

milliers de francs ou de cenluines de mille francs que de le» 
employer à multiplier tiidéUuimeut les prix dû vertu ou 
à susciter et couroDuet' des quantités de livres souvent mé- 
diocres (1). Mieu\ inspirés, les hommes bienfaisaiils em- 
ploieront leurs générosités h criîer quelque cbaire, & former 
un fonds pour quelque bibliothèque ou pour quelque mu- 
sée, à constituer des ressources pour des voyages d'esplo- 
ratioD ou de découverte. 

L'opinion généralement répanduu que l'iDiliative privée 
ne petit pourvoir aux œuvres d'instruction qui ne sont pas 
rémunératrices a ses origines dans un temps tout différent 
du nôtre. On ne tient pas compte du développement de la 
richesse, de la multiplication des grandes fortuocs laissant 
va large superflu, de ce genre do sport dont j'ai parlé, qui 
GDQiiste & attacher son nom à une œuvre originale et 
utile. 

Il s'est bien rencontrtS un groupe d'hommes pour fournir 
à M. Maspero les frais nécessaires à la continuation de ses 
fouilles égyptiennes; l'Institut Pasteur a bien trouvé, par 
des souscriptions particulières, 3 miUions 1/2 de francs, 
quoique la ville de Paris, ce dont nous nous félicitons, ait 
refusé du céiiur même le terrain ; l'inspiration pourra venir 
aussi bien & quelque millionnaire de fonder une chaire 
de sanscrit ou de scieace des nombres, ou de toute 
autre connaissance réputée abstruse. Certains pourront 
niflmc allfir plus loin et créer des universités de toutes 
pièces. 

LesAinéricainsIofonlchezeux: on regarde presquecomme 
anormal aux États-Unis qu'un homme, jouissant d'une 



(1) A l'beuro setndla Im Académie* dirertet de l'lo«Ulut d« Kruice 
•ODl tris (utBnniiiinot dotiei, oalamai eut pour lei prit à décerner ; le* 
faumniFi Uliéraiix devraîont «ubventiaDDor d'aulrc* âocl£U« ajuit plus 
ëe litiirU^ d'ocUou. 




270 l'état moderne ET SES FONCTIONS, 

grande fortune, meure sans avoir fait quelque donation 
d'intérêt général. Quelque marchand de porcs, ou quelque 
découvreur de sources de pétrole, ou quelque heureux 
aventurier nanti d'un bon filon d'or ou d'argent, relève et 
rachète la vulgarité de sa richesse par la création d'un col- 
lège pour des sciences qu'il n'a jamais apprises et dont sou- 
vent il ignore mSme le nona. 

Laiaseï fiiirCj par les voies légitimes, des fortunes consi- 
dérables, laissez passer, sans entrave et sans formalité, les 
inventions, les découvertes, les elTorts individuels; la société 
moderne, comme autrefois l'église, recevra, par des fonda- 
tions intelligentes, le prix de la reconnaissance des plus 
heureux de ses enfants, quelquefois aussi le rachat de leurs 
fautes ou de leurs fraudes. 

L'instruction moyenne, dénommée instruction secondaire, 
que l'Ëlat, pendant si longtemps, a accaparée en France 
avec une si jalouse obstination, mériterait bien des réflexions, 
des critiques, si les cadres de celte étude se pr&taient à des 
développements. Qu'il suffise ici de quelques remarques sur 
les méthodes, sur les établissements, sur les secours et les 
bourses. 

On sait que la règle de toutes les institutions d'État, c'est 
l'unirormilé. L'État estessentiellement un organisme bureau- 
cratique qui répugne, dans son action, à la variété et & la 
souplesse. Tous les efforts pour lui donner ces qualités ont 
partout échoué. 

Les établissements d'Etat, pour l'instruction moyenne, 
oifrenl donc, sur tous les points du territoire, dans les peti- 
tes villes comme dans les plus grandes, exactement le même 
type et le mfime régime. Les maîtres enseignent les mêmes 
choses; seulement les maîtres sont, dans les petits endroits, 
d'une qualité inférieure. 

Les collèges communaux, quoique formant des institu- 



l'état et L'INSTBUCTION PUBLIQUE. 271 

lions à caraclëre mixte, que se divisent, pour la direction 
et ta surveillance, les municipalités et l'Élat central, ont des 
cadres nominalement aussi complets que ceux des premiers 
lycées du pays. Mais un même maîlra Tait deux ou trois de 
ces classes, et parfois même, quoique ayant deux ou trois 
élèves, l'une d'elles manque de maître titulaire. 

11 faut avoir assistt^ à cette misùre pédagogique, & ce déhi- 
bremenl des humanités dans les petites sous-préfectures, 
pour comprendre l'étendue du mal qui en résulte. De mal- 
heureux adolescents sont retenus dans un demi-jour d'ins- 
truction, oïl des ombres confuses passent devant leurs yeux, 
oe laissant aucune trace précise dans leur esprit. 

On & bien essayé de créer ofElciellement un enseignement 
plus approprié à ces localités de moyenne importance, dont 
émigrent, pour leurs classes, tous les jeunes gens dos famil- 
les aisées, et ob il no reste plus que les enfants de la petite 
bourgeoisie el des familles ouvrières : on a inventé l'ensei- 
gnement secondaire spécial, dépourvu de grec et de latin, 
fortifié de plus de français, de plus de sciences et de langues 
vivantes. Uais l'I^lat ne sait pas insufOer la vie à ses 
créations. 

Des milliers d'enfants continuent ainsi à recevoir, dans 
des établissements d'une lamentable indigeace iotellec- 
luelle, une sorte de parodie de l'instruction secondaire ; Its 
produits de ces petits collèges sont par rapport h ceux des 
grands ce qu'est l'argontiiric ruoli par rapport & l'argenterie 
véritable, ayant de métal précieux une couche supertlcielle 
d'une extrême ténuité qui ne lient pas au fond et qui, au 
moindre uxagc, disparaît et met h nu la maU6re brute dans 
sa grossièreté primitive. 

Outre cette uniformité absolne, malgré l'inégalité des 
moyens dont il dispose, l'enseignement d'Étal offre un 
aulra défaut, c'est l'allernsnce entre la routine proloa- 



272 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

gée des mÉLhoiIes et leur soudain et rndiciil changement 
L'État moderne, en proie à la lutte d'opinions ardentes, 
ne connaît ni lo juste milieu ni les transitions adoucies. Il 
restera pendant un quart de siècle sans rien modifier à ses 
programmes ; puis, tout à coup, pris d'un beau zèle, il fau- 
chera en quelque sorte tous les exercices en usage, et il 
leur en substituera violemment de nouveaux ; comme un 
malade qui va d'une prostration complète à une agitation 
liévreuse, l'ère des changements constants succédera à, cella 
de la stagnation. Tous les ans ou toutes les deux années, 
on modifiera, soit l'ordre des diverses connaissances ensei- 
gnées, soit les proportions de l'instruction orale ou des tra- 
vaux écrits, soit les livres et les manuels, déclarant détesta- 
ble tout ce qui se faisait la veille, sans se douter que l'ave- 
nir portera peut-être le même jugement sur ce qui se fait 
aujourd'hui. 

L'enseignement privé, quand on lui laisse le champ abso- 
lument libre, qu'on permet aux associations, quel que soit 
l'esprit qui les anime, de se former et de vivre, a de tout 
au très procédés. 11 olfre à la fois des échantillons divers, qui 
se corrigent les uns les autres, qui se partagent les faveurs 
du public : on aura l'enseignement positif de l'École Monge 
ou de l'École alsacienne, mais aussi celui des anciennes 
méthodes des jésuites ; peu à peu il en naîtrait de mixtes qui 
emprunteraient à l'un et ik l'autre types. On aurait aussi 
des écoles techniques comme celtes de la Marlinière, à 
Lyon, et bien d'autres encore. 

Mais, quand tant d'établissements existent, soutenus par 
l'État, pourquoi les particuliers feraient-ils tant d'efforts et 
de sacrifices pour doter des institutions scolaires 7 

L'État envahissant ressemble ii un grand chêne dont les 
puissantes racines et les ombrageux rameaux ne permettent 
à aucune plante de vivre au-dessous ou h cilté de lui ; mais 



I 



L'ÉTAT ET L'INSTHUCTIOS PL'DLrQLiE. 273 

si un jour arrive oit le ch€ne vieilli, battu par la tcmpCle, 
perd ses brunchea cl sa Trondaison, le sol apparaît nu ou & 
peine couvert de quelques maigres broussailles. 

QueU que soient les défauts que je viens de décrire, c'est 
surtout parles secours qu'il donne sous le nom de bourses 
que l'enseignement de l'Klat a de Ticheux effets. 

A l'époque mouvementée de la civilisation où nous som- 
mes placés, la plupart des hommes n'ont que trop de ten- 
dance k sortir de la situation où ils sont nés. L'envie démo- 
cratique, l'exemple de nombreux et cël&bres parvenus dans 
la politique, dans les lettres, dan$ les sciences, rendent 
l'ambition universelle. 

Tout le monde fait l'éloge du travail manuel et personne 
n'en veut plus. Cependant, il esl dans la nature des choses 
que le travail manuel doive occuper les neuf dixièmes de 
rtiumanité. Les travaux purement intellectuels, ceux du 
savant, du lettré, de l'ingénieur, du médecin, de l'avocat, 
de l'administrateur, les travaux mixtes, comme ceux du 
contremaître et de diverses catégories de commerçant», ne 
peuvent employer qu'une certaine élite des hommes. 

Et il faut bien s'entendre sur ce mot d'élite : s'il est utile 
que les hommes tout h fait supérieurs abandonnent les pro- 
fessions manuelles, il est bon, néanmoins, qu'il sa trouve 
dans celles-ci un asset grand nombre de gens ayant de l'in- 
telligence niiturelle. Ils communiquent de l'animation et de 
la vie h la masse qui tes entoure; s'ils en <5taienl retirés, 
cette masse deviendrait plus inerte. Qu'un grand médecin 
ou iiu'iin grand ingénieur soient perdus pour la société, 
c'fot un malheur véritable; mais qu'un homme qui aurait 
pu £tre un médecin ordinaire, ou un ordinaire avocat, ou 
un architecte comme tant d'antres, demeure ouvrier ou 
paysan, Je n'y vois, quant à moi. aucun mal. 

Il est utile que beaucoup de ces intelligences un peu plus 
18 




274 l.'ETAT MODERNi; ET SES FONCTIONS. 

Tories que celtes du vulgaire lesleiil piinni le vulgaii' 



i l'on 



ne veut pas voir les couches inférieures de la population 
devenir beaucoup plus rebelles encore à toute culture 
qu'elles ne le sont aujourd'hui. Un ouvrier intelligent, 
frayant avec ses camarades qui le sont moins, exerce 
sur leur esprit une heureuse iiiQuence; tirez-le de ce mi- 
lieu, Taites-le avocat, ou médecin, ou employé de bureau, 
la société n'y gagnera rien, car elle foisonne de gens de cette 
sorte, mais le petit groupe d'ouvriers où il vivait en devien- 
dra moins éveillé, moins actif, plus somnolent. 

Les démocrates se sont épris de ce qu'ils appellent ii l'ins- 
truction intégrale », c'est-à-dire d'un procédé qui puiserait 
dans toutes les couches de la population tous les esprits 
ayant quelque valeur, et qui les placerait sur des échelons 
sociaux plus ou moins élevés suivant leurs facultés. 

Trois députés, dont l'un jouit de la plus haute faveur 
dans le monde radical, MM. Cbaronnat, Legludic et Anatole 
de La Forge, ont déposé dans ce sens une proposition de loi 
qui u reçu l'adhésion d'un grand nombre de membres de la 
Chambre. U s'agit de trier » tous les capitaux intelîectueU 
du pays 'i. Les instituteurs de France, a même ceux des 
hameaux les plus reculés », seraient rcobligés » deprésenler 
à un concours annuel « toutes les intelligences qui som- 
meillent ou qui s'iguorent ». Lies lauréats primés devien- 
draient H les enfants de la France «. En celte qualité, ils se- 
raient distribués gratuitement dans tous les lycées de France. 
Mais comme c'est une dérision que nia gratuité delà science 
oDerle à un malheureux sans lui donner celle du lit et du 
pain u, l'Klat suivrait ses pupilles dans toutes les étapes de 
l'enseignement intégral et supérieur. Il ne se croirait le droit 
de les l&cher que lorsqu'ils seraient pourvus d'un diplôme 
d'ingénieur, d'avocat, de médecin ou d'architecte. 

Ce que nous reprochons à ce plan, ce n'est pas seulement 



L'ETAT ET I.I\STRIICTI0N PUBLIQUE. 2ri 

d>lro chimérique, c'esl surtout ({ue. si on pouvait le réali- 
ser, il en résiillerait, au rebours de ce que croient ses au- 
teurs, lin singulier aiïaiblissement mental du pays. 

Chimérique, certes, il l'est ; car, saur pour quelques intel- 
ligences tout II Tait exceptionnelles, en très petit nombre, il 
est impossible de démêler avec exactitude, parmi lesenrants 
ou les adolescents doués d'un peu de facilité on d'imagina- 
tion, les indice» certains d'une véritable Toice intellnctuelle ; 
en outre, l'intelligence n'arrive dans la vie A produire tous 
ses elTets que lorsqu'elle est soutenue par le caractère ; or, 
le caractère échappe à tous les contrôles d'e\amen : que de 
brillants lauréats îles concours généraux n'ont su fournir 
aucune carrière ! Knflu U faveur, le prix des services élec- 
toraux, joueraient dans celte inextricable opération de 
triage des intelligences leur râle habituel. 

Mais supposons les vceui de MM. Lcgludic, Oharonnatel 
Anatole de La Forge pleinement accomplis. Quelle calamité 
ci> serait et pour les trois quarts de •• ces capitaux intellec- 
tuels ■ ramassés dans les vilhiges les plus reculés et pour 
tout l'ensemble du pays ! Combien Proudbnn élait-il mieui 
inspiré lorsque, nu début do cette ère d'engouement irréOi- 
chi, 11 s'écriait, danx ses Contradieiionséconomi^uei : •• Quairit^ 
chaque année scolaire vous apportera cent mille capacités, 
qu'en ferez-rous?.. Dans quels épouvantables combats de 
l'orgueil et (le la misère cette manie de l'enseignement uni- 
versel va nous précipiter I " Au lieu de ces mots d'enseigne- 
inetit universel, muttet ceux d'instruction intégrale, et 
l'exclamation de l'roudhon sera le cri du bon sens. 

Malgré H perspicacité, toutefois Proudbon ici ne pénètre 
pW'Mptp^élfUil : ce qui md touche, ce n'ert pas seulement 
le MMtîtoèfto cent mille capacilaires « qui, pour U plupart, 
resteront dépourvus de pain, obligés de le mendier ao 
gouvernement, sous la forme de lonclioni publiques infl- 




216 L'ÉTAT MODERNE ET SES KUNCTIONS. 

mes ; c'est surtout le sort de toute cette masse ouvrière et 
paysanne àlaquelle on aura enlevé tous ceux de ses mem- 
bres qui avaient l'esprit un peu ouvert, l'intelligence un peu 
aiguisée. Elle ne se composera plus, si le « triage des capi- 
taux intellectuels » a été Tait avec exactitude, quo d'éléments 
tout à fait grossiers, incapables et vils. Privée des êlémenls 
de valeur qu'elle contient encore aujourd'hui, elle tombera 
dans une absolue somnolence. Elle sera l'objet de tous les 
dédains des au très classes, et elle les méritera par bypothèse, 
puisque non seulement ce sera une classe inférieure par 
situation, mais aussi par ses Tacultés naturelles. 

Y a-t-il combinaison plus antidémocratique que celle 
imaginée par ces grands démocrates? Ce siècle, qui s'est 
ouvert par l'apothéose du travail manuel, finit en France 
par le discrédit, non seulement pratique, mais théorique, 
du travail manuel. 

Tolstoï, au milieu de ses rêveries souvent Toiles, est du 
moins un vrai démocrate quand, au lieu de vouloir arracher 
à la masse du peuple tous les éléments un peu intelligents, 
il prétend que même les hommes les mieux doués rede- 
viennent peuple et vivent de sa vie. 

Une société triée et classée par le procédé de M. de La 
Forge et ses amis serait la plus antisociale de toutes les 
sociétés: d'une part, tous les gens ayant l'intelligence un 
peu active; de l'autre part, tous ceux qui ont une intelli- 
gence incapable de se dégrossir, une masse d'ilotes; aucun 
mélange entre les deux : d'un côté toutes les parcelles de 
métal précieux, toutes les scories de l'autre; ces scories, 
ce serait le peuple. 

C'est à celte organisation si antisociale que travaillent, 
avec leurs bourses et leurs encouragements de toute sorte, 
l'I'llat moderne, les départements ou les provinces, les mu- 
nicipalités. 



I 



L'ETAT ET L■|NSTRL1CT10^ PIBLIQUE. 377 

Les bourses, c'est-à-dire rallocalion par les pouvoirs pu- 
blics des Trais d'études secondaires ou supérieures, ne 
diïvraient être accordées qu'à deus catégories assez clair- 
semées d'élèves : les enfants ou les adolescenls qui ont 
des dispositions, non pas exceptionnelles seulement, mais 
presque merveilleuses: ceux qui, dans les sciences, dans 
les lettres, dans les arts, peuvent devenir des premiers 
sujets, car l'humanité aura toujours en surabondance les 
seconds sujets et les simples ulilités; ensuite les enTants 
des familles de fonctionnaires d'un certain rang qui, par la 
mort ou la retraite du chef, se trouvent sans aucune for- 
tune. Il V a une sorte de bienséance de l'Élal envers les 
familles de ses vieux serviteurs, quand le sort les a frappées, 
à faire quelques sacrifices pour empêcher leurs enfants de 
déchoir, pour peu que ces enfants aient quelque applica- 
tion et quelque fonds intellecluel- 

Réduites h ces deux catégories, les bourses ne représen- 
teraient, pour l'Ktal central et pour les localités, qu'une 
dépense restreinte. Nous trouvons, au contraire, au budget 
national, on IWiS, trois ou quatre chapitres qui sont afTectés 
aux bourses : le chapitre <19. doté de â.TOO.tXM francs pour 
les bourses de l'enseignement secondaire, parmi lesquels 
llifl.OOO francs affectés h de malheureux collèges commu- 
naux dont les neuf dixièmes ne sont pas en état de donner 
une instruction passable; le cba[>ilre 51, port-int I million 
de francs de bourses pour las familles de sept enfants, 
comme si nécessairement, parmi sept garçons et tilles, il 
devait y en avoir un merreiUeus'^ment bien doué au point 
do vue intellectuel; le chapitre 51, qui, dans un crédit 
>1q 2,6H0,0(N> francs, contient une somme importante aflec- 
tée aussi aux bonnes. Les départements et les municipa- 
lités renchérissent :>ur ce lélo de l'Ktat central. 
Ainsi, en attendant que le mécanisme de MM. de La Forge 




S7B LÊTAT MODERNE ET SES 1■O^CTIONS. ^^^H 

et ses coliÈgues travaille méthodiquement, par le prétendu 
'( triage des capitaux intellectuels », à créer des légions 
innombrables de quarts de lettrés ou de quarts de savants, 
les libéralités inbumaines de l'ELat lancent chaque année 
dans la société plusieurs milliers de pauvres hères, indi- 
gents de cervelle et de connaissances, aiguisés d'appétits, 
qu'attend la destinée la plus triste, la misère après des 
rêves dorés. 

L'Mlat, sous ses trois formes de pouvoir national, pou- 
voir provincial, et pouvoir municipal, joue un grand rôle dans 
l'enseignement primaire. H ne s'est emparé que tardive- 
ment de ce domaine, que le clergé et les institutions chari- 
tables avalent en partie seulement défriché. 

Possédant ce double pouvoir de contrainte qui constitue 
le fond de son organisme, la contrainte légale et la con- 
trainte Qscale, l'ii^tat s'est épanoui avec bonheur dans ce 
vaste champ. 

Nous ue disons pas que tout rûle en cette matière dût 
lui être interdit; à l'heure actuelle, en tout cas, il sérail 
trop lard pour l'en expulser; mais peut-être pourrait-on 
utilement le cantonner et le rappeler à la discrétion, à. la 
modestie, qui lui sont aussi nécessaires qu'aux individus, 
et qu'il oublie sans cesse. 

Certes, dans nos sociétés telles que les a faites l'impri- 
merie, la plus grande conservatrice et propagatrice des 
connaissances humaines, un homme qui ne connaît ni 
récriture, ni la lecture, ni le calcul élémentaire, se trouve 
tellement dépourvu, qu'on peut afiirmer que c'est un devoir 
positif pour les parents de donner à leurs enfants ces no- 
lions faciles, au même titre qu'ils sont obligés de les nour- 
rir, de les vèlir, de leur apprendre un métier. Cette obliga- 
tion, sans faire l'objet d'une loi spéciale, peut être considérée 
e découlant naturellement du code, et s'il y avait, sur 



k 



L'ÉTAT ET L'INSTRUCTION PLIBLlQliE. 279 

ce poinl. quelque ambi)(iiïté, on poiirrail l'y inscrire. Quand 
des parents, par indifférence, par idée de lucre, se refusent 
il donner aux euTanls ces quelques notions, l'Élat peut 
légitimement intervenir, comme il intervient quand des 
parents maltraitent leurs enrants ou refusent d'en prendre 



Lorsque l'abstenlion de la famille vient, non pas de l'opi- 
niAIreté ou de l'ignorance, mais de l'impuissance ou du 
manque de ressources, les pouvoirs publics, soit locaux, 
soit généraux, peuvent prendre h leur charge les frais ma- 
tériels d'école, c'est-à-dire le prix que l'écolier devrait 
acquiller pour le loyer et l'oDlretien de l'établissement 
scolaire, pour la rétribution du maître, parfois même, mais 
avec beaucoup plus de réserve, pour les livres et les four- 
nitures de classes. Ce n'est pas un droit que les familles 
peuvent revendiquer, h ce sujet, contre l'Etiit, car on cher- 
cherait vainement d'oii découlerait ce prétendu droit; ce 
n'e»t même pas un devoir positif pour l'fUat; mais c'est 
de sa part, dans les limites qui précèdent, un acte de bien- 
faisance. 

Les êtres moraux, comme les êtres individuels, n*ont pas 
seulement des droits et des devoirs; il y a en outre, pour 
eux, une spbtire qui n'e>t pas soumise à rimpëralifealé- 
gorique, où ils ont la faculté, sans en avoir précisément la 
mission, de faire des actes utiles et sympathiques. Quand 
il s'agit, toutefois, des pouvoirs publics, qui peuvent dirilci- 
lement séparer leur action do la contrainte, de la contrainte 
fiscale, Mnon de la contrainte légale, beaucoup de circons- 
pection et de modération s'impose dans cette sphère facul- 
tative. 

En tout cas, si l'État doit survenir ici pour compléter 
Dne Uche qui n'est que partiellement accomplie par d'au- 
tres, il ne doit négliger aucun concours volontaire, spon- 




280 l.ÉTAT HODEB?iE ET SES FONCTIONS. 

tané; h pius forte ruison ne doiL-il pas le repousser, ni sur- 
tout prétendre le supprimer. 

L'enseignemenl de l'Ëlat devient le grand champ clos 
des discussions des natioas modernes ; c'est que l'ensei- 
gnement d'Étal tend de plus en plus ù ressembler singuliè- 
remenl à la religion d'Ëtat. Il alTecte la même ari'ogance, 
le même monopole. Il supporte impatiemment une disï^i- 
dence quelconque; il est le rendez-vous d'autant de fana- 
tisme. 

L'État, dont nous avons montré l'absolue impuissance 
d'inventer, semble vouloir se donner la mission de former 
les jeunes générations suivant un certain type intellectuel 
et moral; c'était aussi la prétention des antiques religions 
d'État. 

Le despotisme, dans les choses intellectuelles, aurait 
donc changé simplement de ^cène: de l'église, il serait 
transporté à l'école ; des adultes, il serait passé aux enfants. 

Quand on sort de l'instruction purement rudimentaire el 
des matières de fait, comme la lecture, l'écriture, le calcul, 
la géométrie, la géographie, l'histoire naturelle, on tombe 
dans les matières controversées, on les rencontre presque 
à chaque pas : la neutralité de l'école ne peut guère être 
qu'un mot; car la philosophie, ce que l'on appelle les no- 
tions premières, étant au fond de toutes les connaissances 
humaines, de toutes celles du moins qui touchent l'homme 
moral et ses relations avec la société, on se heurte cons- 
tamment à des idées philosophiques et religieuses, qu'il 
faut, même pour des enfants, commenter, détruire ou 
fortifier. 

L'État ne peut se tirer de cette difficulté que par deux 
moyens simultanés: en laissant fonctionner librement les 
écoles privées à càté des siennes; en pratiquant dans les 
siennes propres, non pas un prétendu esprit de neutralité 



L'ETAT ET L'INSTBlcnON PLIBLIQUE. 281 

qu'on ne peut jamais garder, mais un large ei'prit de bien- 
veillance, d'une déférence sympathique pour les opinions 
et les croyances qui sont traditionnelles dans le pays, 
et qui, d'ailleurs, par leur enseignement, tendent h mora- 
liser les hommes. 

Malheureusement, l'État moderne est. par sa constitution 
propre, tellement accapareur et monopoleur, qu'une sem- 
tiUble sagesse lui est presque interdite. On en a eu deroië- 
rement un Trappant exemple dans une des plus curieuses 
résolutions du conseil municipal de Paris. 

On sait que ce conseil se considère comme un concile, 
quelque chose comme l'anticoncile qui se tint naguère à 
Naples, au moment où l'on proclamait à Rome l'infaillibilité 
pontilicale. Le conseil ou concile municipal de Paris a des 
dogmes qu'il tient à rendre universels sur son territoire : 
pour la propaj^ande de vérités destinées .'i l'universalité, 
rien ne ïauU'unité de livres. Les I20.|i00 ou 130.000 élèves 
(il y avait (li.till gardons et SI. 296 tilles en 18H3) qui fré- 
quentent les écoles publiques de la ville de Paris seront donc 
préservés de» inconvénients de la diversité des livres de 
classes. La vérité étant une, le livre doit être un. 

Pour passer de la théorie A la pratique. le conseil ou con- 
cile municipal de Paris a jeté son dévolu sur la rédaction 
d'une grammaire; mais personne ne peut douter qu'a- 
près la grammaire ne vienne l'arithmétique unique, puis la 
géographie unique, l'histoire unique, la morale imiqtie. On a 
convoqué les grammairiens à présenter leurs élucubratjons 
à une commission où l'on avait fait entrer, par décorum, 
trois membres do l'Institut. Mais, par un oubli, ces trois 
académiciens ne lurent pas convoqués ou ne &e rendirent 
pas aux convocations. Les conseillers municipaux jugèrent 
leurs propres lumières sunisanlos et opérèrent tout seuls. 
Le hasard, qui se mCle de toutes les choses hum 



I 



283 L'ETAT MÛUERNE ET SES FONCTIONS, 

fit choisir, comme grammaire mmiicipate unique dans les 
écoles de la ville de Paris, un livre émanant d'un ancien 
meipbre de la Commune. 11 advint aussi qu'on négligea do 
recotirir à l'adjudication publique pour l'impression et la 
fourniture de celle grammaire; que, par une autre co'incî- 
dence fortuite, on traita de gré à gcé avec un imprimeur 
dont ledit membre de la Commune, auteur de la grammaire, 
était le prote ou l'associé; qu'euQn les autres imprimeurs, 
dont on n'avait pas sollicité la concurrence, prétendirent 
que le prix alloué pur feuille représentait deux fois le prix 
habituel pour un ouvrage assuré d'un lirago énorme. 

Voilà comment Paris est doté d'une grammaire unique, 
chef-d'œuvre inappréciable, comment aussi les membres du 
conseil municipal ont eu la joie de faire plaisir à un écri- 
vain et à un industriel qui partagent leurs opinions, voilà 
pourquoi les conseillers municipaux n'ont pas hésité, en 
hommes impeccables qu'ils sont, à s'exposer, pour un ré- 
sultat si glorieux et si utile, aux bruits divers que suggèrent 
toujours les traités de gré à gré. 

Paris a commencé; mais Saint-Ouen, sans doute, suivra, 
puis d'autres. L'enseignement d'Ktat, par la force des 
choses, aboutit toujours à l'uniformité. 

On dira que le conseil municipal de Paris est aujourd'hui 
mal composé; peu importe. 11 est daus la nature de l'Klal 
moderne, qui sort d'élections fréquentes, d'être souvent 
mal représenté; il y aura toujours dans nos assemblées, 
soit nationales, soit locales, des officiers de santé gonllés 
d'eux-mêmes, qui le prendront de haut avec Pasteur, qui 
proclameront, sans s'émouvoir et sans émouvoir leurs collè- 
gues, qu'ils ont pins de génie que lui, qu'ils concentrent 
dans leur cerveau toute l'intelligence humaine et qui trai- 
teront l'enfance comme une matière à expérience. 

L'État central n'est pas lui-même toujours mieux inspiré. 



J 



ff.T\T ET L'INSTRUCTION PUIILIQI'E:, S83 

Il ne Ta pas ëlé en Fnmce pour l'établîssemenl de la gra- 
tuité scolaire, qui fausse les idées de la nation, pour son 
plan de con^trnclions d'écoles qui va coûter I milliard, et 
qui couvrira tous les hameaux du constructions qu'ils ne 
pourront pas mCme entretenir. 

Il ne l'a pas été davantage pour l'esprit d'incommensu- 
rable orgueil qu'il a insulflé à ces pauvres maîtres d'écoles, 
pour les certificats d'études dont on fait un si lamentable 
abus, pour les dizaines de milliers d'uspiranls instituteurs 
et d'aspirantes institutrices qu'il a fait surgir sur tous les 
points du territoire, sans places qu'ils ou elles puissent 
occuper. 

Dan* beaucoup de pays, en France, en Angleterre aussi, 
peut-être en Amérique, on est sur la pente de faire nourrir 
par l'État, ou du moins par les municipalités, qui sont une 
des formes de l'État, des cati^gories de plus en plus nom- 
breuses d'enfants. 

II est facile de noter les étapes de ce socialisme : on ins- 
titue d'abord l'école gratuite, puis on fournit les livres, 
ensuite des vêtements décents ikceiii qui eu sontdi^pourvus, 
puis un repas que payent les enfants riches et que ne payent 
pas ceux qui sont réputés indigents. L'absolue gratuité 
pour tous ces accessoires de l'école finira par Ctre la 
rt^lc. 

Parmi les revendications de la Socinl démocratie Frétera- 
lion, fondée en Angleterre en 1881 , on trouve la fr^^n eompul' 
sonj éducation for ait rlatses logelher u-itH tlir jn-oviston of at 
li-tui oitf icAole'ow mral a day in each school (!), ce qui 
veut dire « éducation grsluite et obligatoire pour toutes les 
classes, avec la fourniture d'au moins un repas sain chaque 
Jour dans chaque école, o On est en train de remplir ce pro- 
fil SoeialUm of Ihe SlreeU in EnglatuI, ^ubtUhtd l</ llie Ubrrly and 
Proptrljf Dtfrncr Lraguf, ISta, p. ". 



284 l. ETAT MODEHNE ET SES FONCTIONS. 

gramme à Paris avec la caisse des écoles, les cantines «co- 

laires, les pupilles de la ville de Paris, etc. 

CerLes, il était utile que des Ames bienfaisantes se char- 
geassent de vÈlir les enfanis qui, par la pauvreté de leurs 
l'amilles, auraient dû rougir de leurs loques devant leurs 
camarades; la charité individuelle avait là devant elle un 
champ qu'elle pouvait parcourir. L'Klatsen empare, l'Élat 
généralise tout, transforme tout secours en droit, c'est-dire 
qu'il corrompt tout. 

La ville de Paris nourrit déjà une grande quantité d'en- 
fanls, mais l'on veut la pousser plus loin. Ces enfants, qu'on 
retient à l'école jusqu'à treize ou quatorze ans, ils pourraient 
gagner quelque chose pour la famille ; on prive donc celle- 
ci d'une ressource, il faut la lui rendre, l'indemniser. Non 
seulement les enfants ne payeront plus rien pour leurs frais 
d'école, leurs livres de classe, leur tenue scolaire, leurs 
repas à l'école ; mais bientôt on payera tes parents, tout 
comme, sous l'ancienne révolution, on payait les citoyens 
qui assistaient aux débats des sections. 

Comme il est dans la nature de l'État, plus particulière- 
ment encore de l'État moderne, soumis à la force impulsive 
des élections, d'exagérer l'application de tout principe, on 
retrouve ce caractère dans les examens multipliés et déso- 
lants auxquels, sur tout l'ensemble de notre territoire, on 
soumet les enfants qui finissent leurs études primaires. 
Cette pratique des certilicats d'études nous est venue d'An- 
gleterre. Elle séduisait. 

On a voulu proportionner certaines récompenses des 
maîtres aux succès obtenus par leurs élèves dans les exa- 
mens. On n'avait pas réfléchi qu'on allait généraliser dans 
toutes les couches du pays un mal dont on se plaignait que 
les classes moyennes fussent affligées. Combien a-ton écrit 
et parlé contre le baccalauréat, la préparation artificielle et 



L-ET\T ET LINSTHUCTION PUBLIOCE. S85 

illusoire qu'il suscite, les efforls stériles de mémoire dunl 
il esl l'occasion, les prélentions qu'il donne aux jeunes gens 
[tour leurs carrières Tutures ! 

Le cerliDcat il'études esl la réducUon du baccalauréat h 
l'usage dos classes populaires ; il en a tous les inconvénients- 
Un homme qui ne saurait être suspect en ces matières. 
M. Francisque Sarcey, l'un de ceu^ qui ont le plus contri- 
bué, il y a quin/c ans, à déterminer In direction que suit 
l'Ktul pour l'enseignement primaire, a Uni par s'émouvoir 
des maux qu'enfantent les excÈs de ïèle bureaucratique. 
Son robuste bon sens n'a pu résister h un aussi lamentable 
spectacle. 

Coulidenl des gémissements de quelques instituteurs in- 
telligents, il nous montre le pauvre maître d'école triant 
ses élt^ves, portant tous ses soins sur celui qui semble avoir 
quelque facilité d'esprîl, sacrifiant les autres, obleuimt de 
la Tamille, h force du sollicitations, que l'adolescent supposé 
bien doué s'abstienne, mémo eu été, de tout travail des 
champs, lui imposant des heures supplémentaires de labeur 
Intellectuel, le faisant peiner toutes ses soirées; puis toutes 
ces espérances, tous ces ellorts aboutissant souvent à un 
échec, l'enfant déçu, U famille indignée, l'instituteur « hué, 
insulté, menacé, baissant liy tète, n'ayant d'autre ressource 
«jue de fuir devant le Jlol^dea inveclivos, perdu de réputa- 
tion dans l'opinion publiifue i>. 

Si les traits sont un peu chargés, cVst M. Sarcey et ses 
correspondant», instituteurs et villageois, qui mettent dans 
ce tableau ces Ions sombres. 

Par son enseignement sans mesure, sans discrétion, san« 
■ouplesse, l'État répand dans tous les hameaux la manie et 
presque la folie des grandeurs [I]. 

(1) Lr« Mprilu teloirèt coaitDvoeniit A revmjr, rn Anjrlatfrre, du Dl&i* 
[ «Dguunnanl c|ui portail a multiplier loil^dulrupnl loi ttoiet île loDte* 



2S6 L'ÉTAT SIODEHNE ET SES Ei^OiNCTlOSS. 

La société civile, lelle «jue l'Étal moderne nous la prépare. 
Unira par ressembler à ce qu'étaient autrefois (on dit 
iiu'elles se sont améliorées) les armées des républiques de 
l'Amérique centrale : un nombre de généraux et de colonels 
presque égal au nombre des sergents, un nombre de ser- 
gents presque égal au nombre des soldats. 

Une société ainsi chariientée, en violation de toules les 
lois des proportions et de l'équilibre, se trouvera, dans un 
quart de siècle ou dans un demi-siécle, aussi incapable de 
soutenir la lutte économique contre les nations asiatiques, 
alors pourvues de machines, que les peuples elTéminés el 
désorganisés de l'empire romain de la décadence furent in- 
capables de résister aux barbares. 

Si l'espace ne nous faisait défaut, il nous serait aisé de 
démontrer aussi l'action perturbatrice des institutions d'Étal 
dans ce que l'on appelle l'enseignement prufessionnel. Rien 
ne varie comme les professions, rien n'est aussi sujet à 
modtGcalions dans le temps et dans l'espace; rien n'exige 
tant d'applications et d'adaptations de détail. 

natures, les exameus de ti>u» genres. Le iiuinéra du noveiiitin: ISS8 i]e 
la Nineleenlli Cenlurij, revue libérale ù laquelle collabori.' nesiilùment 
M. Glailatone, contleDi eu lète deux srticlea dus pliia catf'goi'iciiii?» ijoutru 
ta folie scoldire. Le premier est intitulé : Tht sturiftce of eiliiailion la 
examination a signed prolesl (le Bscriflce de l'ËducatioD uu syatëoie 
d'examens, proteslalion signée), par MM. le professeur Max. MUIler, 
l'YeemaQ el Kréd. Uurrisuu, trois du>; plus grauds i\oma sciciitiAquu d« 
l'Angleterre contemporaine. Le aeconil porte pour titre : The erg for 
laeteis knowledge (l'engouptuent pour los connaissances inutilee), par 
the rigbt honorable Lard Armatrong. L'auteur y dérnootre, avec une 
grande force d'argnmcnts et une aboodante expérience pratique, que la 
plupart des écoles professionnel les que l'on multiplie sont sans ancuD 
avantage réel ou mémo jettent beaucoup plus de porturbalion qua île 
lumières uliiea dans la sociélé. 

Toutes ces protestations, vi^nanl se joindre à celle déjù ancienne 
d'Herbert Spencer, sont décisivea. 

Elles témoignent de ta justesse de l'obacrvatioa que nous avons raite 
dans une des premières parties de cet ouvrage (voir page 0!) que l'Ëtat, 
par son interventiou, inlt>o»ifle et prolonge tous les engouements mo- 
meutonés auxquels cède une nation el dont elle pùtit. 



I/ÉTAT ET L'INSTRUCTION PUBLIQUE. 287 

L*Etat intervient avec ses procédés uniformes, rigides ; il 
croit s'apercevoir que la peinture sur porcelaine et sur 
émail réussit et donne des bénéfices aux jeunes filles ou 
aux femmes; immédiatement il fait enseigner dans une 
foule d*établissements à peindre sur porcelaine, sur émail, 
sur éventail : où il y avait place pour cent ouvrières, il en 
prépare mille; il déprécie le salaire des cent qu*on peut 
employer et laisse les neuf cents autres sans pain (1). 

Comment en serait-il autrement? L'industrie, la vie, se 
caractérisent par la variété, le changement, la liberté : 
TKtat c'est Tunité, la fixité, la contrainte. 

I Oïl p»"iil n»iisiilt«T sur ce :»uj«»l Trliid»» do la Sineteenth Ceniury, 
dont iiiHis .ivini!» parlt'* dans la note pr»''Cédt'iïle : The mj for uselefti 
knu>rUtlt/e, par lord Arm^itron^. 



CHAPITRE IV 



L'ETAT ET L'ASSISTANCE PUBLIQl'E 



L'aesii^taDce publiquo usl uu dus ilomiÙDeB quo l'Étal uioiterue cherche lu 
plus à ac<7'iparer, pageîSK. ~ Le rcmplaceoietit d>) la coascieoceiacli- 
viduelle par la conacience sociale ou collective, page 2119. 

Kaiisse opÎDioii que le paupêriïine est na fléau uouvenu, page 389. — 
IiupatieucB dea àraes contemporaines, page aso. — Coracttre* géaé- 
raux du paupérisme, page 290. — Erreur de ramener le paupérisine 
a uno seule cause, page 291. — Lesplaus arliGcieis pour son extinc- 
tion, page, 291. 

Les difl'érsDtDa Tormex de fauatisuic dont l'État moderoe est meuacS 
de devenir la proi'', page 292. 

Andeaneté du paupéristue, page 2n2. — Aucune organisation sociale 
n'en a Ht et n'en peul Mre enempla, pagu 593. — Les quatre causes 
prlni'ipalK» di? la pauvreté, page ÎUi. — La première cause de pau- 
vr<'[<' . < ' t<< <|iji [il ni .'i U nature seule, peut comporter une certaÏDp- 

iiil ■ iiiispublics, sans qu'elle aille jusqu'à l'accapare- 

ni' I 11 Eii-coride cause de pauvreté, qui provient de 

< l'Li I. I - >.' " -^ riDi^iales, a pour principaux remèdes lea inati- 

luti.ius ,if pi.tiMji.iK'' ul de prévoyance, page' 2B6, — Le troïKièmc 
caueL' (le pauvrelé, l'hérédité, constitue le vrai paupérisme, page Î97. 

— Rôle de la loi el de t'initiatirc privée en celte matière, page SQ8. 
La quatrième cause de pauvreté, celle qui tient aux vir.es humains, ne 

peut qu'Etre accrue par l'asaistFince publique organisée légalement, 
piLge 299. — Une expérience philanthropique faite sur les mendiants 
lie Paria, page 3U0. — lacoovAnîent» de tu charité légale, page 301. 

— Mauvais effets de lu loi des pauvres eu Angleterre, page 301. 
Dangers du projet de créer une assistance oDicielle dans les campagnes, 

page 30!. — Les grands abus des bureaux de bienraisaoce en Franco, 
page 303. 
DirOcultés iueitricablr^s qii'olTrn l'orKanisation du travail des tadigents 
oHlcielleuient secourus, page 305. — Les expédients dégradants uux- 
quela on recourt dans les Warkhouseï anglais, page 300. — Lc« excès 
lie rasBifltaûce privée sont limités par les ressources volonlaiFUS 
qu'elle peut recueillir, page 300. — L'Ëlal, organe de généralisation 
l't de fixation, universalise et perpétue les abus, page .IIW. 



Après l'instruclion, l'assistance publique est un des do- 



I 



L'ETAT ET L'ASSISTANCE PUBLIQUE. 289 

maincs que l'Élal moderne se sent le plus disposé il acca- 
parer. Il y entre avec des iUiisioiis généreuses, croyant que 
rien ne peut résister au double pouvoir dont il dispose : la 
contrainte légale et la contrainte fiscale. 

Dans tous les pays, en Angleterre, en Allemagne, en 
Italie, en France, une partie de l'opinion publique considère 
que l'exiïtence d'une classe de pauvres est incompatible 
avec un État bien gouverné. Il en résulte une tendance de 
l'État & intervenir à outrance dans les institutions chari- 
tables, à les généraliser sans mesure. 

11 n'est pas dinicile de remonter à l'origine de cotte dis- 
position d'esprit, qui part de bons motirs et conduit souvent 
ù de déplorables résultats. 

Un homme public anglais, économiste à ses heures, 
M. Goschen, a trouvé une formule ingénieuse, c'est « lo 
remplacement de la conscience individuelle parla conscience 
>ociale ou collective ». Il resterait il voir si ce remplacement 
est de nature à rehausser la dignité de l'homme et s'il peut 
vraiment diminuer la somme de misères dont gémit l'hu- 
manité. 

A cetle poussée que subit l'État moderne pour tenter, par 
tous les etpédients, de supprimer ce que l'on appelle le 
paupérisme, l'observation peut découvrir des causes plus 
précises. 

La généralité des hommes croit que le paupérisme est 
un fléau nouveau, qu'il a été enfanté par la dvilisation 
cunlomporainc, particulièrement pur lu développement tn- 
duislriel; cetle conception est erronée. Loin que le nombrs 
des paairtii ait augmenté dans les sociétés civiliaée», tontes 
lo» recherches exactes ilémontrent qu'il a diminué (I); il 



(I) Oa nout parmeUra J(^ renvoyer iraiir Upmuvs 4 notra Kuai sur 
la riparlUtan 4*i rirhetta el lur la tendiwx à mtu) moindrr Inigatilé d«t 
eonéitimu {1* éditioul. 




2ao L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

est vraisemblable, si l'État ne contribue pas à l'entreteDir 

par une intervention maladroite, qu'il se réduira encore. 

Mais l'adaptation d'une société à des conditions nouvelles 
d'existence, le passage, par exemple, de la pelile industrie 
à la grande, demande du temps; c'est une évolution lente. 
Au début, l'on n'en aperçoit que les effets perturbateurs; 
les effets compensateurs sont moins visibles au regard inat- 
tentir. Or l'impatience des Ames contemporaines, senti- 
mentales, fiévreuses, nerveuses, aux impressions rapides et 
superficielles, néglige les progrès accomplis, si considéra- 
bles qu'ils soient, et s'imagine pouvoir d'un bond atteindre 
tout le progrès possible. 

On se sent pris alors d'une sorte de mépris pour l'initia- 
tive privée, pour les œuvres lentes el partielles; on compte 
plus sur ces deux forces générales et soudaines : le pou- 
voir réglementaire et le pouvoir fiscal de l'Élal. 

Ce recours séduit les esprits légers. Les gouvernements 
s'y sentent quelque inclination; comme tous les êtres, ils 
n'ont aucun éloignement à accroître leur importance. 

Les partis politiques qui se disputent l'Etat, quelle que 
soit l'étiquette sous laquelle ils combattent, radicaux, con- 
servateurs, progressifs, libéraux, ont tous besoin d'augmen- 
ter leur prise sur le corps électoral; la promesse qu'il n'y 
aura plus de pauvres est une de celles qui, constamment 
démenties, caressent toujours les intérêts et les sentiments 
du grand nombre. Il est difficile do ne pas la prodiguer 
dans cette surenchère d'illusions qu'on appelle une lutte 
électorale. 

Il faudrait, avant tout, étudier les données générales du 
problème. On entend spécialement par le paupérisme une 
situation sociale oii la pauvreté s'offre avec une grande ez- 
tensivité, une grande intensité et une fréquente hérédité : 
des indigents très nombreux, excessivement misérables, 



LETAT ET L-ASSISTASCE PL'BLtQUE. 291 

beaucoup d'entre eax provenant de parents pauvres et fai- 
sant soiirbe àa pauvres. 

Trop de personnes attribuent cette plaie à une cause 
unique, ou tout au moins & quelques circonstances qu'il 
dépendrait de la société d'écarter. Stuart Mill, par exemple, 
et toute une école avec lui, n'y voient que la conséquence 
d'un excès de population ou de l'imprévoyance avec laquelle 
des ouvriers, sans ressources assurées, Tondent des familles 

D'autres s'en prennent <l l'indilTérence sociale, au man- 
que d'éducation, au poids des impôts, à ce que l'ouvrier ne 
possède pas ses instruments de travail, ou bien encore à ce 
qu'i] est dépourvu des n quatre droits primitifs», dont la 
perte, aux yeux de Considérant, devait avoir pour compen- 
sation le droit positif au travail. 

Ces prémisses admises, les remèdes devenaient aisés. 
Stuart Mill fait une bypotbËse qui concorde avec »a concep- 
tion de la cause principale du paupérisme; on poucrail, 
suppose-l-il. éteindre le paupérisme pour une génération et 
l'empêcher de renaître, en procurant de l'ouvrage aux pau- 
vres, en les y contraignant même, en les transportant dan» 
des contrées neuves où la terre abonde, le climat est sain 
el le sol do bonne qualité, en rachetant m6me en Angle- 
terre les latifundia pour les dépecer en petits domaines. 
Par la priilique de ce plan complexe, avec persévérance et 
méthode, on détruirait le paupérisme pour une génération : 
puis oo l'empêcherait de renaître par la réglementalion de» 
mariages, l'interdiction des unions précoces ou sans res- 
xources, la punition rigoureuse des excès de fécondilé. 

On sait qu'un des principaux hommes d'tHat anglais 
contemporains, U. Chamberlain, avec son projet <■ dui 
i et de la vache », emboîtait te pas au grand théori- 
cien, pour la première partie du moins de son projet. (Juant 
il la seconde, on nous apprenait, ces jours-ci encore, qu'une 




262 L'ETAT MODEHNE ET SES FOM'.TIO.NS. 

Anglaise millionnaire, M"- Mnrtin, zélatrice inratigable de 
diverses œuvres de charité et d'éducation, s'est consacrée à 
la tâche de « ramener un peu de bonheur sur notre pauvre 
terre », par l'inlerdiction légale du mariage aux gens atteints 
d'un vice physique ou d'un vice moral, d'une ditTormité 
quelconque, aux gens trop paresseux ou sans ressources. 
C'est la Ihéorie du mariage-récompense, comme chez les 
Zoulous; ou c'est la reprise, du système de l'autorisation 
administrative pour les unions légales, qui a tant contribué, 
avant son abolition relativement récente, à démoraliser la 
Bavière et quelques autres Étais allemands. 

Si nous citons ces rêves, c'est que rien ne prouve qu'ils 
doivent toujours rester A l'étal de rêves. 

L'Étal moderne, qui est comme un bien précaire et sans 
maître permanent, est toujours menacé de devenir la proie, 
au moins temporaire, de fanatiques : fanatiques de la dévo- 
tion, fanatiques du progrès rapide et illimité, fanatiques des 
sciences naturelles et de leur transposition dans l'ordre so- 
cial, fanatiques de la tempérance, fanatiques de la moralité, 
fanatiques de l'égalité, etc. 

Tous ces fanatisme» divers, les uns reposant sur l'exal- 
tation de l'amour-propre, les autres sur l'exaltation de la 
sentimentalité, ne conçoivent jamais qu'une face des pro- 
blèmes. 

En ce qui concerne le paupérisme, le tort de tous les 
systbmes est de regarder celte plaie comme nouvelle et 
tenant uniquement ou principalement à des causes con- 
temporaines. 

La pauvreté, môme avec un certain caractère d'hérédité, 
apparaît dans toutes les sociétés, dans toutes les races, dans 
tous les siècles, dans tous les climats, avec tous les divers 
régimes terriens et tous les modes d'organisation du travail; 
d'aulres maladies sociales également, la prostitution, par 



L'ETAT ET L'ASSISTANCE PLULIOI-'E. 29:1 

exemple, se rencontrent dans toutes les civilisations, même 
dans celles que nous considérons comme primitives et que 
nous appelons patriarcales. 

Il n'est pas un législateur religieux qui ne parle du devoir 
de secourir les pauvres, ce qui est une preuve qu'il y en a 
toujours eu. Or, les législateurs religieux ont tous, de long- 
temps, pri^cédë n l'ère du capitalisme m. Job, sur sonTumier, 
appartient à une société primitive, antérieure non seulement 
h r.lge de la grande industrie, mais même .'i celui de l'agri- 
culture proprement dite, à une société encore aux trois 
quarts engagée dans ta période pastorale. 

Allez en ATrique. au milieu de peuples à demi nomades, 
qui ne sont pas encore contaminés par le contact Tréquent 
des aventuriers européens, vous y trouverez des pauvres 
sordides, repoussanls, couverts d'ulcôres, les échantillons 
les plus misérables de rbuinanité. Même cbez les peuples 
cliasseurs, où chaque individu Jouit des fameux « quatre 
droits primiurs» de chasse, de pécbe. de cueillette et de 
pAture. l'indigence sévit, comme chez les peuples civilisés. 
Un individu peut y avoir perdu ses instruments de travail 
rudinipnlaire. La vieillesse, en engourdissant les membres, 
y .iméne i'indigencA absolue; la mort du chef, la maladie, 
la blessure, jettent souvent certaines familles des peuples 
chasseurs dans une pauvreté irrémédiable. 

L'indigence est efTroyablo chez le* peuples primitifs ; 
dans mainte peuplade sauvage, c'est un acte de nécessité 
i-t presque de piété de tuer les parents vieux; enx-mémei 
lisent souvent le jour de leur immolation. 

La propriété collective du sol n'cmpftcbe pas la pauvreté: 
il y a des pauvres dans les tribus d'Arabes nomades, nn en 
trouve dans le mir russe, ces •• familles faibles», celles qui 
ont perdu leurs instruments de travail, et, luivant 1« mot 
énergique, ii vendu leur Ame ■■. 



i 



H par 



2H4 L'ETAT MOIIEBNE ET SES FONCTIONS. 

Dans les anciennes civilisations, la pauvreté est une des 
causes de l'esclavage volontaire. Les maux des débiteurs 
L-emplissent toutes les anciennes histoires. 

L'organisation agricole appelée allmend, débris de l'a 
cienne communauté primitive, ne prévient pas la pauvreté ; 
pour faire paître ïon troupeau dans les Alpes communes, il 
faut avoir conservé un troupeau, il faut avoir une étable 
pour le garantir l'hiver; pour prendre du bois dans la forêt, 
il faut avoir son foyer. 

Ainsi aucun état social, aucune organisation du travail, 
n'ont été exempts de paupérisme; il en est de mânne des 
vices, de certaines déchéances permanentes, comme 
proslitulion, que les esprits superllciels s'imaginent être 
l'un des effets de la civilisation moderne. Tous les législa- 
teurs religieux en parlent, quoique la plupart contempo- 
rains de la période pastorale ou des débuis de la période 
agricole. 

Bien avant noire arrivée en Algérie, la tribu saharienni 
des Ouled-Naïl envoyait ses superbes filles gagner une dot 
parleurs appâts dans les villes de la côte. Pierre Loti décri- 
vait, il y a quelques années, le quartier des femmes Soma- 
lis à Obock, qui ne le cède en rien pour l'impudicilé cyni- 
que aux faubourgs de nos capitales. 

Certains de nos publicistes vivent encore dans la croyance 
naïve k l'ancien âge d'or ; quand ils ullritiuent si légèrement 
le paupérisme contemporain à l'instabilité de la grande in- 
dustrie, à la division du Iravail, aux machines, à la dispa- 
rition des corporations, h la séparation de l'ouvrier de ses 
instruments de production, ils oublient les armées de gueux 
que l'on vit si souvent au moyen âge, la cour des Miracles, 
les rafles d'indigents sous Itichelieu ou sous Louis XIV, pour 
fournir des habitants aux colonies; ils n'ont jamais entendu 
parler de la misère au temps de la Fronde. 



L'ETAT ET L-ASSISTANCK l'IDLIOllE. 

Pour lout homme qui réilécbil et qui compare, l'estensi- 
vité du paupérisme, c'esl-à-dire la proporlion des pauvres 
au nombre d'babitants, ne devait guère, autrefois, 6lre 
inoiadre qu'au temps présent ; l'intcnsilé de l'indigence était 
certainement beaucoup plus grande qu'aujourd'hui, et son 
hérédité au moins égale. 

Le phénomène étant permanent, les causes ne peuvent 
être que permanentes. D'où vient celle plaie dont l'huma- 
nité, sous toutes ses formes, dans toutes les phases de son 
développement, a toujours été alDigée? 

Un examen attentif conduit à classer en quatre catégories 
principales les causes de la pauvreté : celles qui provien- 
nent de la nature seule; celles qui tiennent h certaines cir- 
constances sociales; celles qui se rattachent aux parents ou 
iiux prédécesseurs du pauvre; celles enûn qui résident dans 
le pauvre lui-même. 

Toute pauvreté mérite commisération, et, dans une limite 
variable, des secours; mais, suivant leur origine, ans divers 
cas de pauvreté doivent correspondre des degrés divers de 
sympathie et d'aide; telle nature de pitié et d'assistance qui 
serait légitime et bienfaisante pour les malheureux dont 
l'indigence est due h l'une des trois premières causes serait, 
au contraire, imméritée et dangereuse pour les indîgenU 
devant & la dernière cause leur situation. 

La pauvreté qui tient h la nature seule est surtout celle ^ 
qui se manifeste pur des inlirmilés de naissance ou d'acci- 
dent : les sourds-muets, les aveugles, les aliénés mémo, 
quoique l'aliénation mtntale ait souvent été préparée par le 
vice. On y peut joindre aussi pour les familles la mort pré- 
maturée des parents. Dans tous ces cas, la pitié, si je puis 
m'oxprimer ainsi, peut être totale et sans réserve, le se- 
cours peut être intégral. Des arrangements sociaux divers, 
les uns volontaires, d'autres reposant sur l'action directe 



296 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

(les pouvoirs publics, peuvent légitimement soulager ou 

atténuer ces maux. 

Des instituts de sourds-muets ou d'aveugles, surtout si 
l'on s'efforce de donner à ces infirmes un gagne-pain, des 
asiles d'aliénés, honorent une civilisation; ils n'ont, en outre, 
pour peu qu'on y apporte une gestion exempte de gaspillage 
et de luxe intempestif, aucun grave inconvénient social. 
Personne, en eifel, ne se rendra aveugle, ni sourd-rauet, ni 
fou, simplement parce qu'il se trouvera des établissements 
pour recueillir ces malbeureux. Tout au plus pourrait-on 
dire que les familles, comptant sur ces secours extérieurs, 
ne feront pas toujours pour leurs infirmes tous les sacrifices 
que régulièrement elles auraient pu faire; c'est un mal, 
mais toute charité entraîne des maux; et celui-ci n'est que 
secondaire. 

Encore ne doit-on pas conférer aux seuls pouvoirs publics 
le soin de secourir ce genre de détresse ; il faut y admettre 
en participation l'initiative privée, qui apporte toujours avec 
elle d'inappréciables éléments de souplesse, d'ingéniosité, 
de variété et d'invention. Ce fut une inslilution purement 
privée que celle de l'abbé de l'Épée, et il n'est pas prouvé 
que, simple aumûnier, je suppose, d'un établissement con- 
duit suivant des règles bureaucratiques, ce saint homme 
eût pu accomplir la belle œuvre qui a illustré son nom. De 
même, c'est à des établissements privés en général que 
sont dus les récents perfectionnements dans l'organisation 
des asiles d'aliénés et dans leur traitement, la dissémina- 
tion de ces malheureux dans des maisonnettes à la campa- 
gne, y jouissant d'une liberté relative, au lieu de leur caser- 
nement dans d'énormes édifices urbains ou faubouriens. 

La seconde cause de pauvreté provient de certaines cir- 
constances sociales, comme les déplacements qu'amènent 
lus machines, tes changements de procédés industriels, tous 



L'ETAT ET L'ASSISTANCE Pl'BLIOL"t. 39T 

les aléas que comporte, suivant l'expression de Proudbon, 
" le travail divisé el engrené i>. Il ne s'agit lù, en général, 
que d'une pauvreté passagère, qu'auraient pu prévenir, soit 
totalement, soit partiellement, la prévoyance et l'économie. 

L'intervention des pouvoirs publics peut avoir ici des 
inconvénients graves : elle tendrait h enlever toute énergie, 
lonle élasticité d'esprit à ceux qu'elle prétendrait soulasier. 
Il en résulterait une regrettable dépression de l'état mental 
de la population ouvrière. Tout au plus peut-on admettre 
que, dans des crises locales d'une exceptionnelle intensité, 
comme celle qui, dans le courant de ce siècle, a frappé 
une ou deux Tois la ville de Lyon, et qui, lors de la guerre; 
de sécession, a aflligé les districts cotonniers, l'Étal peut 
ouvrir quelques chantiers de travaux publics utiles pour 
aider .1 franchir la crise. Mais la mesure est diTllcile ù 
garder, et l'excès a des inconvénients graves, aussi bien 
immédiats que lointains. 

C'est ici que les institutions libres de secours mutuels et 
les ceuvres diverses de patronage peuvent offrir de l'erilca- 
cJlé, Elles ont un grand mi^rite, qu'aucune entreprise d'État 
ne pourra jamais posséder, celui de se prôter A des adapta- 
tions très nombreuses, très variables, suivant tous les 
besoins contingents auxquels elles doivent pourvoir. Les 
organisations d'assurance ont ici un rAle tout indiqué. 

La pire prétention de la démocratie moderne, ce qui 
doit, si l'on n'y prend garde, la conduire h la servitude et A 
l'abaissement, c'est la prétention de supprimer le patronage 
libre, soit individuel, soil collectif, le lien moral et méritoire 
entre les classes. An patronage ingénieux, discret, persévé- 
rant el réscrvt:, il appartient d'adoucir ou de prévenir beau- 
coup de misères, celles qui sont particulièrement excusa- 
bles et intéressantes. 

beaucoup do victimes sont faites par lu troisième cause 



298 L'ETAT MODEBNE ET SES FÛNCTiO.NS. 

de pauvreté, celle qui lienL aux parents et aux antécédents 
de la famille. L'indigence héréditaire constitue le vrai pau- 
périsme. La société n'est pas dépourvue de tous les moyens 
d'action contre cette catégorie de pauvres. Par la société, 
j'entends toujours, non pas l'organisme coercitif qui s'ap- 
pelle l'KtaL et que tant d'esprits superficiels ont le tort de 
izonl'ondre avec elle, mais ce milieu social, si varié, si élas- 
tique, se prêtant aux concours librement associés des 
hommes aussi bien qu'aux simples efTorts individuels. 

On trouve partout, mais spécialement dans les villes, de 
•'es familles dégradées, qui ont perdu tout ressort moral, 
qui se complaisent dans la fainéantise et la mendicité, et 
qui élèvent leurs enTants dans le goûl et l'habitude de cette 
vie somnolente, dépendante, éloulfant en eux tout germe 
d'énergie et d'aspiration à une vie meilleure. La loi peut ici 
intervenir par des prescriptions générales pour empêcher 
re.\ploitation des enfants et pour substituer aux parents 
manifestement indignes des protecteurs recommandables(l). 

C'est ici que l'instruction obligatoire pourrait avoir 
quelque heureuse influence ; mais les politiciens modernes, 
dont certains ne conçoivent la philanthropie que comme 
un thème à déclamation, ne se sont jamais avisés en France, 
ni dans beaucoup d'autres pays, que l'instruction obliga- 
toire devrait surtout être appliquée à tous ces malheureux 
enfants de huit à treize ou quatorze ans, accompagnateurs 
de prétendus culs-de-jatte ou de prétendus aveugles; ils ne 

(1} On a. vûlf i!u France, dons ccâ Jeruiers leiupa, quelques loi» à eu 
mijcl; d'anlre part, il seal créé bcnucoup d'en (reprises privées pour 
recueillir les enftintf uba adonné» ou caupablos, ceux ayant des parents 
indignes ou ceux eocare livrés à des tsxploiteura, par exemple ii des eii- 
trepreneurs de lueodicité, de apeclaeies roritlas, etc. Le rôle de lu lui 
cunsiste ici turtout à punir les pareols qui se débarrassent de leur* 
Hufiuits ou abusent d'eux uiaDirestemeut; uiaia c'est à des sodètèa pri- 
vées, comme la charité eu rail éclore partout, iJuH couvieut do remettra 
les mineurs ainsi privés de leur famille. 



L'ETAT ET L'ASSISTANCE Pl'BLIOL"E. •209 

se sont servis de cette loi que pour molesler quelques 
parenU doDt les opinions n'étaient pas les leurs et qui don- 
naient à leurs enfynls une inslniclion autre que celle des 
écoles publiques. 

Un vaste champ est ici ouvert à l'initiative privée : le<: 
œuvres pour l'enTance abandonnée ou coupable sont deve- 
nues nombreuses. Il ne Tsut certes pus leur attribuer une 
vc-rtu souveraine ; mais si le paupérisme peut être diminué, 
c'est par une action bien Taisante et intelligente exercée sur 
k's enfants des misérables. Avec son unirormité et sa 
rigueur, sei fonctionnaires nommés par des considérations 
politiques, l'action publique se trouve, pour une entreprise 
si délicate, dans des conditions fort inférieures k celles de 
la plupart des œuvres indépendantes. 

De toutes les catégories de pauvres, chacun avouera que 
la quatrième, celle qui doit la pauvreté h ses propres vices. 
est de beaucoup lu moins intéressante. L'assisUmce publique 
.1 plus de chances de l'accroître que de la réduire. 

Les vices humains peuvent se transformer, se modifter 
dans leurs manifestations; peut-éire certains peuvcnt-îls 
perdre de leur prise surquelques catégories d'hommes: on 
ne voit plus gut-re les classes élevées et moyennes s'adonner 
A l'ivrognerie ; on peut rêver qu'à la longue, avec nn cer- 
taia régime, ce vice fera moins de victimes dans la classe 
ouvrière. On peut se flatter également que l'instruction et 
l'exemple développeront le sentiment de la prévoyance. Ce 
«ont là des espérances permises, quoique sujettes à binn des 
déceptions. 

Il est d'autres vices qu'il serait chimérique d'espérer 
vaincre : le principal, c'est la fainéantise. 

Il y aura toujours sur cotte terre de^ hommes sans 
cuurage, préférant l'incertitude du pain quotidien à l'effort 
régulier: il y aura des Diogénes pratiques, aimant la vie 



J 



300 L'ÉTAT MOtlblBriE ET SKS FOJiCTlONS. 

animale, oisive, des sortes de philosophes cyniques qui, par 
conviction aussi bien que par faiblesse, ne voudront jamais 
acheter le confortable el la dignité au prix de la tension 
prolongée de leurs muscles ou de leur esprit. Tout ce que 
l'éducation peut faire pour combattre ces penchants, l'assis- 
tance, avec la régularité ou la probabilité de ses secours ou 
de ses aumônes, le détruit. L'assistance légale en Angle- 
terre en 1887, secourait 110,000 pauvres capables de travail 
[adults abtebodied). 

En France, une e:fpérience des plus intéressantes a été 
faite dans ces temps récents. M. Monod, directeur au mi- 
nistère de l'intérieur, la racontait l'été dernier à l'ouverture 
du conseil supérieur de l'assistance publique. Un homme 
de bien voulut se rendre compte de la part de vérité que 
contiennent les plaintes des mendiants valides. Jl s'entendit 
avec quelques braves gens, négociants ou industriels, qui 
s'engagèrent à donner du travail avec un salaire de 4 francs 
par jour, pendant trois jours, à toute personne se présen- 
tant munie d'une lettre de lui. En huit mois, il eut à s'oc- 
cuper de 727 mendiants valides, qui tous se lamentaient de 
n'avoir pas d'ouvrage. Chacun d'eux fut avisé de revenir le 
lendemain prendre une lettre qui le ferait employer pour 
4 francs par jour dans une usine ou dans un magasin. Plus 
de la moitié (41.^) ne vinrent m(?me pas prendre la lettre. 
D'autres en gr;ind nombre (138) la prirent, mais ne la pré- 
sentèrent pas au destinataire. D'autres vinrent, travaillèrent 
une demi-journée, réclamèrent 2 francs, et on ne les revit 
plus. Parmi le restant, la plupart disparurent, la première 
journée faite. Kn définitive, sur 727, on n'en trouvait que 
18 au travail h la (In de la troisième journée. M. Monod en 
concluait que sur 40 mendiants valides, il ne s'en rencon- 
trait qu'un qui fût sérieusement disposé h travailler moyen- 
nant un bon salaire. 



L'ETAT ET l'assistance PLBLIOLiE. ;iOI 

On ne saiimil nier que cette expérience eL beaucoup 
d'autres analogues ne soient décisives. Elles devraient 
détourner les esprits de la charité légale dont tant de phi- 
lanthropes superGcieU demandent l'établissement. 

Cette charité légale, voilà près de trois siècles qu'on 
l'applique en Angleterre. Etablie sous Elisabeth, dans des 
circonstances exceptionnelles, au lendemain de la suppres- 
sion des couvents et au milieu d'une crise agricole, qui 
résultait de la substitution, dans de vastes districts, du 
pAturage au labourage, la l'oor Lato a fonctionné assez long- 
temps, sous des régimes assez divers, pour qu'où en puisse 
apprécier les ellels. 

Elle n'a pas supprimé le paupérisme ; on peut supposer 
qu'elle l'a plutôt augmenté ; elle a éteint le sentiment 
de la prévoyance, de la responsabilité personnelle, de la 
dignité ; elle a étouIVé les vertus de famille dans toute une 
partie de la classe ouvrière britannique. Les secours propor- 
tionnels au nombre d'enfants y encouragaient la débauche, 
au point que, dans certains districts, on ne rencontrait plus 
de jeunes lllles d'une conduite réguliiTC. Le rapport des 
commissaires des lois des pauvres en 1631 l'affirme avec 
netteté. 

(juand on modifia la loi des pauvres en 1834, elle avait 
ruiné une partie des campagnes anglaises, et, par le poids 
dus taxes, fait abandonner la culture de quantités de 
fermes. Hérorniéu ik cette époque, devenue plus dure, inlli- 
meant aux pauvres do» workhoiues un traitement qui ne 
diffère guère de celui des condamnés dans les prisons, l'as- 
sistance légale, maigrie quelques adoucissements dans ces 
temps récents et le développement des secours à domicile, 
n'exece pas plus d'effet sur l'extensivité et l'intensité du 
paupérisme eu Angleten'e que la plupart de« spécifiques des 
charlatansn'ânontsurlesmaludiespbysiques les plus graves. 




•Jli-1 L'ÉTAT MUDEBNE ET SES h'ONCTIONS. 

On a beaucoup prûné un syslëme d'alliance de l'assis- 
tance publique et de la charilé individuelle, qui est connu 
sous le nom de système d'Elberfeld et qui est prutiqué 
dans cette ville depuis 1S53. 11 aurait réduit la" proportion 
des indigents dans celte ville de 1 sur 12 habitants à 1 
sur 83. Les procédés suivis à Elberfeld n'ont rien de bien 
original ; ils consistent seulement dans des visites Tréquentes 
aux pauvres et dans une sorte de direction morale exercée 
sur chacun d'eux ; c'est l'opposé de l'organisation bureau- 
cratique de l'assistance el de la charité légale dans le sens 
strict du mol. 

Tout régime qui reconnaît à l'indigent un droit strict 
aux secours est essentiellement démoralisateur et mulliplie 
le Qéau qu'il prétend extirper. Étant donné le penchant 
de l'homme îi l'indolence, sa tendance à sacrifier la sécurité 
du lendemain aux jouissances du jour présent, si les pauvres 
sont à peu prés aussi assurés de vivre avec un minimum de 
bien-Ëtre que les gens qui travaillent, que les hommes du 
moins qui vivent des métiers inférieurs, le principal attrait 
au travail, qui est la nécessité, s'évanouit. 

On produit iiinsi deux maux : d'une part, on diminue la 
production, puisque des individus valides sont secourus 
sans travailler; d'une antre part, on fait. un prélèvement sur 
celte production diminuée pour nourrir des fainéants. On 
accable le travailleur au profit du paresseux. 

On menace la France, à. l'heure actuelle, de l'établisse- 
ment d'une assistance ofilcielle dans les campagnes. L'esprit 
des bureaucrates ou des parlementaires, également féconds 
en niaiseries nuisibles, pourrait difficilement inventer une 
mesure plus préjudiciable au pays. Autant vaut dire qu'on 
se propose de multiplier dans les campagnes les vauriens. 

Celte population rurale qui est si éprouvée par le poids 
des impfits, ces terres dont le revenu tend à disparaître. 



I 



L'ÉTAT ET L'ASSISTANCE PUULIOIE. 'MV.i 

ces propriétés de lotîtes tailles, grandes, petites et moyennes, 
également épuisées par l'activité désordonnée des admi- 
nistrations scolaires et vicinales, auraient encore à sup- 
porter de nouvelles taxes pour des pauvres qni aujourd'hui 
sont peu nombreux, que les relations cordiales de bon 
voisinage secourent à peu de frais, sans aucuns l'onclion- 
naires parasites. 

Les bureaux de bienfaisance ruraux, qui fonctionnent 
aujourd'hui, ont déjà bien des inconvénients. Il est des 
villages, d'ailleurs aisés, où la moîLié de la population s'y 
fait inscrire comme h une sorte de tonds commim qui doit 
fitre t^^alemenl réparti entre tous les salariés. Vn des 
hommes qui ont appartenu h h haute administration de 
l'assistance, M. de Watleville, dans un {{apport mr la silua- 
lion fin [taupfiriiiiie en France, avait le courage d'écrire : 
" Depuis soixante ans que l'administration de l'assistance 
publique à duniicile exerce son initiative, on n'a jamais vu 
un iudJfcent retiré de la mieùre et pouvant subvenir à ses 
besoins par les moyens et l'aide de ce mode de cbarilé. 
Au contraire, elle constitue souvent te paupérisme h l'état 
héréditaire. Aussi voyons-nous aujourd'hui inscrits sur les 
rontriMes de cette administration les petits-fils des indigent.-) 
admis aux secours publics en iSOi, alors que les fils avaient 
été en IKtU également portés sur les tables fatales. •• C'est 
ce régime que des adroioislralours, jaloux d*uccroltre leurs 
attrIbuUoDS, proposent d'étendre aux campagnes (Ij. 

(l; La CanvnoUmi nvall d^cr^K^ la fartnBtlon d'un • 'îivind livre lir ta 
hitiffeuaiux publi-iue > uppowr nii < Granit liore rfir la ittttr publiant •. 
CcUe làte ne fui h<^ureuM;ai«iil paa npplli|u#fl. Ci: groati livre eût bit 
foiiODuer lu* tulni^anl*. 

Lu Qmraux ilr hirHf'iinanct. liutitiilioD* nfUrlcIlM qui i-ilslvDt ilaoi 
prM(|ii<i tuulp* Irt ciioiiniiiioa (Iraoniso* <■'■ qut^lqu» importance, répar- 
IlHrDt la chtritl^ ilc la inaailTe U plu* bnUisisti'. Itani W coD)miini-i> 
pou popUlvuMi ri •lù In bureau a, par «uile da fondalloiK, de* ruMurHW 
tMcii»iD*iil^mtil<!>,»ntnti.-ritcouiinc pauvret presquR tuiit k* habiUnl*. 



304 



L'KTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 



Impuissante à exLirpei' le paupérisme, l'assistance publî- 
({tie a une influence merveilleuse pour en développer les 
germes épars et inertes. 

iQUs ceux du rnaina qui ne août pus Sort, aisés. On cousultera sur ce pmnt 
avec profit les éludes publiées par M. Hubert Valleroui. sous le titre de 
l.a Charité officielle : les bureattide bienfaisance, daaiï Éeonomitir fi-wt- 
fais du Ib décembre I BKS et du lï janvier 1889. Eo voici quelques extraits : 

« M. de Wattevillens donne de chlffresque par départements. IIdohi 
apprend que les secours distribués à chaque Indigent avaient, en 
l'année 1853, varié de I tr. Ï7 à i06 fr. dons la Cûle-d'Or; de fr. 38 
àlSâfr. El dans la Gironde; de Ofr. I4à:!k fr. dans la Marne; de 1 b.^ 
à44!)rr. OOdanslaMayenneetenQn, dftnsleDoubs, de I Tr. 40 aSiiSfr. 50. 

" 11 nous donne aussi sur le nombre des indi|!eolA secourus des 
chilTres bien faits pour surprendre : ta cumuiuuc de Plagn; (CAle-d'Or) 
avait inscrit a son bureau de bienfaisance 340 pauvres sur GTS habitants 
lïl la CÛte-d'Or n'est pas un département pauvre; la commune de Rottier 
(Drame) avait liU inscrits sur ÏOO habitanU; celle de Qermont (Meuse) 
avait t,l43 pauvres sur 1,4'J8 habitants, celle d'Astaing (Nord), 430 pau- 
vres sur 48» habitants. 

' VenoDH A l'enquête de 1S74. i\oub y allons voir les plus extrêmes 
différences et les conlraslea les plus surprenants. 

n Voici, par exemple, dans le département de l'Ain, deux couimaaes 
rurales dont l'une, Montracot, secourt 3 pauvres avec 6G francs, tandis 
que l'autre, Domsure, en assiste 40 pour 'Î7 francs. Le bureau de bien- 
Taisonce d'une commune de l'Aisne, Verly, a 1,760 francs de revenu 
venant tout du produit cVimmeutilei et de rentes sur l'État; aussi s'eat-ll 
donné le luxe d'inscrire ÎSl pauvres sur un total de 974 habitants, tandis 
Hix'k cdlë le bureau de bienfaisance de Crépigny, commune de hi4 hatii- 
tant», n'a secouru que deux pauvres, pour lesquels il a dépensé 10 Francs. 
Le bureau de bienfaisance d» ilobiou (Basses- Alpes) a,33t francs de 
recettu et secourt 36 pauvres, celui de Montjustin, même région, qui a, 
ôOS francs de revenu, n'en secourt que 5 (sur 178 hiibitanta). 

■ Voici deux communes de l'Ariége pourvues de bureau de bienfai- 
sance, dont l'une, Argen, a lâO pauvres inscrits sur 184 liabitanls, taadis 
que l'autre, Ignaui, n'en a pas un seul, liien que son bureau possËde 
îlii francs de revenu. 

■• A l'autre extrémité de lu France, même diversité inexplicable. Arin- 
court, dans les Ardenues, a 400 habitants el son bureau de bienraiaance 
secourt 84 pauvres. La Neuville-les-Wisigny a 830 habilants et son 
bureau de bienfaisance assiste 390 personnes réparties en Ih ménages, 
presque ta moiUé de la population. Et puis, dans le même département, 
Krisole a !ÏB habitants et seulement 2 pauvres secourus ; Brignon, sur 
jlîS habitants, u'u que 4 pauvres luscrila, lierpy n'en a que 3 sur 
409 habitants. 

« Le nombre des pauvres secourue dépasse parfois la moitié de la 
population. Dans le Nord, Saint-Wnast a 4ll inscrits sur fltNi babilonts 
el Tilloy en a 100 sur :ibO âmes. Dons le Pas-de-Calais, le bureau de 



L'ETAT KT I/ASSISTANCE Hl'BLlQUE. 303 

Elle est dépourvue, en efTel, de tout moyen de combatli-e 
la pauvreté volontciire et opiniâtre. Partout où les adminis- 
trations publiques ont voulu faire travailler les pauvres, elles 
unt échoué. Comment pourraient-elles réussir? 

On connaît déjà les difficultés presque inextricables du 
Iravail des prisons ; or il n'y a qu'une cinquantaine de mille 
prisonniers. Les ouvriers libres se plaignent de la concur- 
rence que leur font ces travailleurs d'État, de la déprécia- 
tion qui en résulte pour leurs salaires. Comment ferait l'État 
si, & ces 30,000 détenus pour crimes ou délits, il joignait 
un nombre triple et quadruple de pauvres valides des 
deux sexes? 

bienlalMDcr àe Itocquiffny sceouH UIO per«antieé sur 9ti0 qui font It. 
Itnpulstion àe la lummuno ', celui de Vntt'i ea aecoiirt 360 «ur 35T faobi- 
UuU, cftiui du Lorgi» 193 sur tlG habitatiU. 

• Voici de* comuiuneB toute» rurales où qoub Irouvoiis antai île gros 
chiffres d'iQRcrils. Coulivruii, dniis la CAtcd'Ur, départe iiietil où l*ù- 
■uice Est assHi K^D^roIe, a 6g paiivroa ÎDSvrils sur KS bubilaulA : plus du 
quart d« M popuhljnn. Maiinbois-VeDDea, daus li: Doubs, ollri^ mieux 
i-DCor« : 10 pkuvrcs sncourui sur 340 liaUtanls. Mm* ici ce gro* tHiiBn 
• riplique; le bur«Budebicnfai«uicee«triche;ilBl,a)H franc* do reT«nu 
■•I 11 • tût comme celui de Veriy. d6Jd <:\lt, il a'e*t montrd bcik pour 
Im admlswoii*. 

M Cest le liaul ri'Seau de certains bureaux Je bienfnisaoce <)ui eipli- 
quF te nombre Hurprenolit d'iudlgenls «oeuurus que l'on eoutlate on 
■|uelque< commuons mrolfl* situer» d'ftilldir» dan» des iléputemenl* 
ais^i. Ainsi Allemagne, don* le Colvadof, a 370 indigi'uts lecourua sur 
!KI1 babltants. Ccst que son bureau de bienralsaor* po9»ede 1 ,393 franc* 
do revenu. Saiul'Maurice-Saint-Citrrmain i Eurc-et-l.«iri compte 178 pau- 
Trc* sur &ltl babitonls, plus du lier*, el puurlant l'KurE-et-Ljtir n'eut 
|iaa un pa;s paurre et unrorv ce gros chiffre est aub-neur k la crise 
agricole. Que t'uncesti- de «'Alooneri le bureau do biru f aisance de Saint- 
Mtturico a 8.116 franc» de rente*. Avarn;, dunn le LoIr-ul-Clier, une 
région où l'Indigence l'sl rore, a 3&U pauvre* tost^rlU aur 801 habiUnU. 
Suu bureau de blenbLisano- a 3.U0 troiioi da r«v«nu. Don» loui ces 
•li'partements. les eoniaïupe* voi»ine* sont loin d'oift'ir unr parRiUn pro- 
|Hirtion d'iniiigenlf . Soinl-Oenuaiu-ile*- Angles, daut l'Eure, a nn burnan 
de bienhÛMicc Juuisuiul d'un revenu annuel de &,6m franc*, ii hobi- 
luulii. sur M que compte Ih commune, en profllenl. Mois l« plus beau 
r<^ullst BOUS est itonn^ par le bureau do blnnUsance lin le commune 
d'Olty (pM-de-Calals): Il a 3,10! francs de revenu fi Ifs dépense, mai* 
Il eu fût une sorte de distribution rntru lr« babilaiits, cor Itiu* Muf 
quatre (SiQiur 360) tout îufcrit* cornue indïgenlr. • 



J06 L'KTAT MODERKE ET SES I'OM:T[ONS. 

On en est venu, en Angleterre, à imaginer des expédienls 
qui dégradent le travail et l'homme. On s'efforce de rendre 
improductif le labeur des viork/iousi's. On fait exécuter aux 
pauvres des exercices physiques fatigants, on les met dans 
des engrenages mécaniques, sortes de moulins h marcher, 
où ils doivent remuer leurs membres comme des écureuils, 
sans produire aucun résultai utile. Pour no pas déprécier 
les salaires des ouvriers libres, pour ne pas laisser l'indigent 
dans l'indolence, qui est pour lui la jouissance suprême, on 
le transforme en une sorte de Sisyphe. 

L'assistance privée a souvent bien des défauts, mais au 
moins elle travaille avec des ressources volontaires ; elle 
satisfait l'dme et le cœur de ceux qui s'y associent. On peut 
créer trop d'ouvroirs, en vendre les produits à trop bas prix, 
on peut inuitipHer outre mesure les œuvres qui, isolées, 
pourraient faire quelque bien, l'Asile de nuit, la Bouchée 
de pain; mais les excès de l'assistance privée sont contenus 
parla limite même des recettes Hbres qu'elle peut recueillir ; 
ses fautes sont restreintes, en ce sens qu'elles sont par- 
tielles, qu'elles ne se rattachent pas à un système bureau- 
cratique suivi aulomaliquement sur tout le territoire. 

Les erreurs de l'assistance privée se corrigent plus vile, 
parce qu'il n'est pas besoin de recourir à ce lent et pesant 
appareil appelé le parlement, de passer par toute la filière 
de celte procédure compliquée qui constitue la confection 
d'une loi, pour arrêter le développement d'institutions 
reconnues nuisibles. Quand le public s'aperçoit que les 
•< Bouchées de pain » ou les " Asiles de nuit » se raulliplient 
outre mesure, et que, au lieu de secourir seulement quel- 
ques infortunes intéressantes, leur pullulement fait pulluler 
la fainéantise, les cotisations privées diminuent et les dona- 
tions disparaissent. 

L'fttat, au contraire, est un organisme de gi-nOralisalion 



L'ETAT ET L'ASSISTANCE PUBLIQUE. 307 

eî de ûxation, si Ton peut ainsi parler. Il répugne aux expé- 
riences de détail et aux adaptations successives. Il donne à 
tout ce qu*il touche un caractère d'universalité et de relative 
permanence. 

Sa prétention de diriger et d*accaparer l'assistance est 
Tune des plus nuisibles qu'il puisse avoir, l'une de celles 
qui tendent le plus à dégrader la société et l'homme, en 
enlevant au riche le mérite d'une générosité spontanée, en 
donnant au pauvre l'idée fausse qu'il a un droit positif sur 
l'avoir de la société. 



CUAI'IÏKE V 

DEUX CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES QUI DOIVENT RESTREINDRB 
L'INTERVENTION DE L'ÉTAT EN MATIÈRE D'EDUCATION ET 
D'ASSISTANCE. 



Le détail infini ili:s tâches uuuvpJlea auxquelles on coiivii' l'État rend 
impossible la. régularité et le ooiitnMe des dépeu»-'^ j)iibliqiii'?. 
page 31)8. — MultiplicalioD des caisaes noireu et des luandiits fietir^, 
page 301).— Le détail laînuscule et le caractère contingeut di'^i dt''pcii?es 
lieconeerleut Ikb adniinistratious de l'État TaileB pour des lâches uui- 
l'ormes. page 310. — Le soupçon ol la corruption s'èteudeiit beau- 
coup plus que proportion uellemeut h l'aecoroJERement des taches Ait 
l'État, page 310. — Quelques exemples américain», page 310. — Li> 
régime électir a'eet nullement une garautlc, page 311. 

Par son immixtion croissaute dan^ le» sei'viws de l'Ëducaliuu et de l'af- 
slstaoce l'État tend & Biipprlmer les liens spontanée entre les l'Iasse^. 
page 311. — Eu mettant l'impût à ta place du don, en sub^tituuut an 
devoir du riche le prtteudu droit du pauvre, l'État entri;jireiid uni- 
œuvre de lameutable lifeagri-gation «ociale, page 3IÎ. 



Deux considérations devraient restreindre dans de tr&s 
(étroites limites l'intervention de l'Klat en matière d'éduca- 
tion et d'assistance ; l'une, d'ordre financier ; l'autre, 
d'ordre moral. 

Avec le développement que prennent les attributions de 
l'Etat, le détail infini surtout des tftches auxquelles il se 
livre, — et par État j'entends toute la collection des pou- 
voirs publics, aussi bien les pouvoirs municipaux et provin- 
ciaux que le pouvoir central, — la régularité et le contrôle 
des finances deviennent impossibles. 

La masse énorme de menues dépenses ayanl, par leur 



I 



L'ETAT ET L-ASSIPTANCE PL'BI.IQCI- , 3(19 

nature, un caractère contingent cl variable, déUe toute 
surveillance. Les occasions de gaspillage, de dilapidation, 
de connivence dans les marchés, se multiplient. 

Les « caisses noires, •< les comptabilités occultes, les 
mandats fictifs se rénandent partout, ou partout on les 
soupçonne. Il est reconnn notamment que dans la gestion 
départementale, et pins encore dans la gestion communale, 
les mandats lictiTs roisonnent(l). Los tribunaux et le gouver- 
nement se montrent regrettablement tolérants envers des 
abus qui prennent chaque jour un caractère plus marqm^ 
de fE^néralité. 

Lu Cour des comptes plie sous le Taix des milliers du tonnes 
de paperasses qui sont soumises à ses investigations. Elle 
proclame elle-même qu'il lui est impossible de s'y recon- 
naître : file n'observe plus aucun des déluis prescrits par 
Il i^gislalion pour ses déclarations de conrormité et pour 
■es véritlcations. Récemment encore, elle affirmait qu'elle 
ne peut exercer un contnïle eTUcace sur les dépenses do 
l'enfeignenient primaire, tellement celles>ci sont deve- 
nues, non seulement amples, mais variées, diverses, chan- 
geantes (2). 



(tl lin pr<H!urrur K^DrroI n la Oiiir de* toia\Avf. M. Peliljraii, a oou- 
■nrrè uu il« ne* diKoim ofBdal* aux rùDiptabilit^s ucculle* et aiii 
iii*Dd«t» Grtlfa, i|ui «oui, pour In Anance* publiques, un chlouilral Ui- 
•Irrarinablo. On pput niiui con^iUtnr «ur ctiXc mali^rv un oiivr«g» d'uu 
lrÉK>rli>r-payciiirgAnrir*l. M. d» Schwarte; MiBn il ■«■« hon Ae 'r rnporter 
' ' XI* tarrHi'*. An H. le nurgiiiii irAiidilTrrt : nu y «oit 
luutn 1m diUpldatiiMU iloiit sont (uiCKptibl» \rs nniiace* publiques 
le* comptiqur. 

s l'audlniCK MlMiaclk Ivdup p«r la Cour il«" rouiplcs au moi* 
d>Trll 1819, M. Ii> Croriirtur sfnvriil HvdsuiI «VxprlniBlt ainol : 
> Vou* ar«i proiion^ I" IM février d^rnirr [ISRH} totre ili^clarsUon 

• (rfnfj-alp du coutonuitd mr Ir» irouipti" il<' rpxprcicc tNH, ninipri>- 

• runt lc< nimptca de la prt^nii^fe partie du la gution isai. CcUr diicl»- 

• ration, qui r^gtnDPnlaimurnt aiiratl dd Sbr tute, au plus tant, It- 
■ I" M-plFmtiri! IIW. an l'a doar è%t que lix moi* plita Lard. Ce r^nlUt 

• «sut l>ipu la pc)&« d'J'Irt' >i^al^... • Alnai la Ciiur dn* cunipti-*. obso- 



3H) l/ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Celle impuissance- du conlcûle flnanciep s'accentuera en 
proportion des eiivabissemenls de l'Ëlal dans des tâcLes 
compliquées et minutieuses. 

Ce n'est pas tant l'énormité des sommes dépensées qui 
cause l'embarras ; c'est le détail infime, c'ent le caractère 
contingent de uhaque dépense, faits pour agir d'après quel- 
ques grandes K'gles uniformes dans quelques services géné- 
raux et simplfis, les rouages de l'Étal sont tout déconcertés 
quand ils doivent s'appliquer aux inliniment petits. On dirait 
un géant habitué aux rudes besognes extérieures, que sou- 
dainement l'on veut charger, par surcroît, d'ouvrages tout 
menus, tout délicats, demandant les doigts les plus agiles, 
les yeux les plus fins, l'esprit le plus alerte. Les lois de l'ba- 
bitudâ et celles de la division du travail protestent contre 
cette confusion. 

Le contrôle financier devenant ainsi de plus en plus im- 
puissant, la corruption se répand et, plus encoi'e que la 
corruption, le soupçon. Le public croit de moins en moins ù 
l'intégrité de ses mandataires ; chaque fourniture, chaque 
marché, lui parait suspect, 

Il ne s'agit pas ici seulement de la France (l). La célèbre 
association de malfaiteurs municipaux qui a ravagé Nfw- 

lumcut débordée, De peut plus observer les «télais, et quand elle ne les 
dépasse que de six mois, elle trouve que c'est un grand succès. 

Quant au coatrôlc légialatif, on aura l'idéu de ce qu'il devient en 
SBcbant quf! c'est seulement au printemps de IB89 que la Chambre a vJté 
la lui do règlement des comptes de l'exercice 187Ë, antérieur de treiie &nf. 

(I) La récente publication américaine tlie Relation of modem Munici- 
paliiies lo Qaaai Public Works contient un exemple intéressant de ces 
difficultËa. Dans une monographie de l'industrie de rèclairnge publit^ 
à Détroit, ville liuportante, ou lit ce qui «uît : > Le rcDDUvelIcmcot 
annuel du contrat d'éclairage provoquait toujours plus ou moins de 
froissements entre les compagnies et les atdermen et n'allait jamais sans 
des accusations de corruption. Chaque auuée, quelque nouvel alderman 
naît s'apercevait qu'on ne lui présentait pas la facture mensuelle pour 
la consommation du gox de sa maison, et il n'avait garde de la rdcin- 



L'ETAT ET 1/ ASSISTA MCE PUBLIQUE. 311 

York pendaDt tant d'années sous le nom de Tammany- 
/lîiiy, lu réapparition récente dans celte grande ville aniéri- 
l'icaine de nouvelles ICles de cette bydre que l'on croyait 
avoir complètement tuée il y a di\ ans, prouvent combien 
est malaisée la gesliou équitable des finances des Ktats 
modernes, des municipalités modernes, malgré le régime 
électif. 

Le régime électir n'est nullement une garantie : on com- 
mence !l avoir la preuve, en divers pays, que le corps élec- 
toral, lui aussi, est parfois à vendre (I). La manie de tout 
gouverner conduit au discrédit et à l'impuissance du |ïou- 
vernement. 

La considération d'ordre moral est peut-être encore plus 
grave, fur son immixtion de plus en plus prononcée dans 
les services de l'inslruction publique et de l'assistance, 
l'Ktal tend à supprimer tous les liens spontanés entre les 
classes. 

La richesse et l'aisance ont des Tonctions naturelles : l'une 
d'elles, c'est de consacrer une partie de leur superflu it des 
œuvres d'utilité générale, d'y employer aussi une partie de 
leurs loisirs. Quoi qu'on en dise, en aucun temps, l'aisance 
et la richesse ne se sont complètement dérobées à cett« 
noble tâche. La multitude des fondations et des œuvres 
d'initiative privée sont là pour le démontrer. 

Aujourd'hui, cette tendance de l'aisance et de lu richesse 



(I) Lev èJMUuiii ilr 1880, aux fitata-tJui£. uni &it rfiturlir d'une 
iiiAiil^rR tort Avliliiiiti* lo r4>lfl croUtant qu'y Juuiriil l'argent cl la cor* 
ruption. Lis ilcui griuid* partis «lixtaiit aux Eut*-UiiU catDincDaaiit 
a rewuuibler s di'ui vaitci lyodicaU, doat Ici mcDibrci uv dilT^mit 
HUK luMîoereoient d'optutonii, et qui ar disputant \«s niutUgf Uiat^- 
rlol» quo procure la pou*moa de l'argapûnne n^gleui?ntairc st cotr- 
i-iUr, couiiu MUS le DODi d'ËtaL Plut uu accroll lai aUribuUou* dr l'fitat, 
pin* an développe la cAuvoitlsn ; plu» on auioliiilrit, dan* \r*. Iiilto* 
IHilitiquH, I» notlb iinbln*, pour donner la iiri'-pondtninrR aux mnUb 



3U l'état modersk et ses fonctions. 

se m an ires te Ht par des eQ'oi'ts 1res variés, souvent considé- 
rables, parfois très ingénieux. Il en résulte une sorte d'en- 
noblissement <it de moralisation de la fortune; il en résulte 
aussi, entre les hommes de situation inégale, des rapports 
reposant sur autre chose que la contrainte. La richesse ne 
présente plus un caractère absolument égoïste: l'homme 
opulent et l'homme aisé ne sont plus exclusivement de 
stériles oisifs. Leur existence a une utilité sociale. Des mai- 
sons d'éducation, des hôpitaux, des œuvres de charité insti- 
tués par l'initiative libre, témoignent d'une solidarité alTec- 
tiieuse, non d'une solidarité forcée, entre les hommes. - 

L'État survient en accapareur et en brouillon; il reven- 
dique pour lui ces domaines ; il en chasse ceux qui, volon- 
tairement et sans prolit personnel, les cultivaient. 11 met 
l'impôt à la place du don ; il supprime, chez celui qui fournit 
les ressources, lu satisfaction morale de les offrir et d'en 
surveiller l'emploi ; chez celui qui les reçoit, il substitue le 
sentiment farouche et impérieux du droit au sentiment 
cordial et doux de l'obligation. 

Il renvoie la richesse aux Jouissances, comme étant son 
unique but; il jette la pauvreté dans l'envie et la convoi- 
tise. L'Ëlat moderne ne se doute pas que ce qu'il entre- 
prend, c'est au fond une œuvre de lamentable désagrégation 
sociale. 

Quand il l'aura poussée un peu plus loin, il sera vrai de 
dire ce qu'écrivait prématurément et faussement le socia- 
liste allemand Lassalle : Il n'y a plus aucuns rapports ic hu- 
mains .) entre les classes. 



LIVRE VI 



LtTAT, LE RËCIME DU TRAVAIL ET LES ASSURANCES. 



CIIU'ITKK PRKMIER 



TEPiriANCK [>K LIÏTAT A ISTF.BVENIR DANS LR RROtME 
lir TKAViMI, f;T IIANS LES ASSITRANCES. 



lni[K»«ibillti< lie fuivro l'ËUt ilnns toiio Ir« iJonniiiK-B ob l'i'ii veut l'at- 
Ikrtrr, uhrvfité di- rJiniRJr quclqui^» rxcmpks. pigr 1113. ~ Aiickniiel^ 
■le niutPtutiou de l'Eut daur Ib« (|iip|itiniit> il'iuduftrie et ilt travail, 
ps^ >N. — L» cIfux cnuiri> (|ui lendciil à rccansUtuer k« BBcieuite» 
pQlrarps pngo tli. ~ lilép faïuw que- ti? pciipk u'a plu« rira i craln- 
ilrr de l'iiiUirv Dation il» rÉlnt, panrr <|iii! luî-m^iDe <■»! ilrveou l'Blal. 
\i»gr m. — Sorti' il'' paiilhi'isLiK' polill'|iii- tivnul Ich Hltiirp» ■I'hiif 
rrllftloi), lumn lll>. 

Si nousTOulion; suivre l'Ivlat dans l'inHnilé rlcsdomaino^ 
où les politiciens contemporains et. surexcité par eux. le 
corps électoral cherchent A l'cntratner, nnire lAche sérail 
interminable. Il non» snnit ki d'établir d'abord, comme 
nous croyons l'avoir fait, la nature cuncrëie do l'Klat mo- 
derne, si méconnuv de la plupart des philanthropes qui le 
convient à des attfibntions chaque jour croissantes, puis, 
comme illustration, de décrire son procédé d'action dans 
quelques-uns des champs principaux dont il s'est emparé 
et qu'il r£vc d'accaparer. 

Celui qui s'est donné la peiiif. non pns de noier vn)[ue- 




314 L'ETAT MODERNE KT SES TONCTIONS. 

menl les conlours llultants do l'KLat idéal, sorle d'ambre 
sans réalité, produit indécis de l'esprit et du sentiment, 
mais d'étudier l'État vivant, agissant, la qualité et la mobi- 
lité des éléments qui le composent, les ressorts qui déter- 
minent ses volontés et ceux qui les traduisent en actes, 
celui-là seul commence à se rendre compte de ce que l'on 
peut légitimement demander l'i l'KLat et judicieusement 
attendre de lui. 

L'examen impartial de quelques-uns dus grands services 
dont ii s'est chargé achève de fixer et de préciser la con- 
ception de l'KLat moderne ; l'observateur qui a passé par ces 
attentives recherches se trouve alors à l'aise, dans chaque 
cas particulier, pour se prononcer entre l'action, si souvent 
invoquée, de l'Étal, celle des individus agissant isolément, 
ou celte de la société, qui, par une inépuisable force spon- 
tanée et instinctive, en dehors de tout organisme de con- 
trainte, crée tant de groupements libres, tant d'associations 
de toute taille, tant d'agencements variés et de combinai- 
sons diverses. 

Il nous a paru qu'il convenait d'observer le rûle que l'État 
a assumé dans la réglementation du régime du travail et 
dans l'application du principe de l'assurance. 

L'immixtion de l'KtaL dans les questions d'industrie et de 
travail a de profondes racines dans le passé. Sous l'ancien 
régime, les corporations, les jurandes, les maîtrises, les rè- 
glements professionnels reconnus et adoptés par l'Étiit, 
ayant à leur appui la police et les tribunaux, constituaient, 
dans le monde industriel, une intervention d'Ëtaten quelque 
sorte continue et normale. Puis toutes ces lisières ou 
presque toutes avaient été déchirées : l'industrie et le tra- 
vail s'étaient trouvés rendus au régime de la liberté. 

Aujourd'hui l'on tend à reconstituer ces entraves-, deux 
causes y contribuent: celle inconstance propre à l'humanité 



LE REGIME HU TKaVaIL LT LES ASSl HANCES. 313 

civilisée qui la rend singulièrement sensible aux déceptions 
el Tait qu'elle se lasse, après quelques (jénérations, des idées 
et du régime auxquels elle avait eu leplus de Toi ; ensuite une 
tendance, qui s'accentue de plus en plus, sous l'impulsion 
démocratique, dans ce dernier quart de siècle, et qui con- 
siste ù mettre la conscience collective el la volonté collec- 
tive, déUnies par un parlement élu, h la place de la con- 
science et de la volonté individuelle. 

L'idée de la liberté personnelle est remplacée par l'idée 
d'une sorte de liberté commune et fictive consistant en ce 
que le peuple détermine lui-m£me h chaque instant, direc- 
tement ou par des représentants, le réfçinie auquel tous 
devront se plier. Ce n'est pas l'individu que l'on veut libre. 
c'est en quelque sorte le corps social considéré comme une 
unité vivante. 

lin homme d'Étal anglais, dont le radicalisme est peul- 
etre aujourd'hui un peu assagi, M. Chamberlain, disait', il y 
a quelques années, que le peuple n'a plus rien k craindre 
de l'intervention de l'État, parce que lui-même est devenu 
l'État (I,. Cette surto de panthéisme politique qui perd 
de vue les citoyens isolés pour ue plus considérer que 
l'agrégat qu'ils Torment, qui oublie la vie réelle des premiers 
pour la vie fictive du second, tend h devenir la religion 
démocratique. C'est bien d'une religion, on effet, qu'il 
s'agit, c'esl-à-diru d'une croyance comportant ft la Tois des- 
mystères, une exaltation sentimentale et des Torniules 
qu'aucun adepte ne s'avise de vérifier. 

(I) H« toM tbc ptoplf tbal tluT» WQH no Inu^cr aiij'tliiiig loJear in 
SlÀû luterf*r«au, brrjiun- lh<*y UikiukItp* bad liFcvuie Uiv Sliit« 
iUUrlg Md fyeiafUm, l>y llir cari ot Pcmbrol'', pn^r je]. 



3 



CIIAPITKK II 

MOTIFS DONT SE COUVRE L'INTERVENTION tlE L'ÉTAT 
D,\NS LE RÉGIME DU TRAVAIL- 
LEE trois inotir»! qu'iuvoque l'Ëlat pour rÉglemeater le travail, page ni6- 

— Manque de. précî»ioD de ces trois motifs et applicatious iDdêfiaicp 
auxquelles iln peuvent se prêter, page 317. — Motif tïr^ du droit 
gC'atTai lie « police », page 317. — Motif tire du devoir de protèf^er 
« les faibles i. puge, 3lT. — Qui est •• faible u7 page 317. — Ce mol 
peul Être pris dans le siene naturel et Étroit ou dans le sens étendu 
el figui'p ; iuconvéuieuts de cette seconde interprétation, page 317. — 
La taiblesï'e, au lieu d'être l'exception dansia siociété humaine, devient 
la règle, page 318. — L'État te trouve ainsi conduit £i substituer des 
contrais types, iniiforme», ofliciels, ;'i la variété des contrats libres, 
page 318. 

Argument tiré de la perpétuité de la nation, dont l'État est l'unlcpie 
représentant, page 318. — Réglementation intloic à laquelle il peut 
aboutir, page 319. 

Le sophisme consiste à prendre dans le sens flgur6 les mots de sfcu- 
rité, commodité, faibles, etc., page 319. 

Instabilité législative qui résulte de cette conception variable, page 319. 

— Exemples curieux de cette instabilité, page 319. — Excessive 
fécondllé et frivole inconstance des législatures modernes, page 310. 



L'inlervention de l'Klat dans te régime du travail peut 
SB couvrir de différents motifs, d'abord le droit et le devoir 
général de police dontl'btat est investi et qui vont toujours 
en s'étendaiit; ensuite la mission qui incombe k l'Etat de 
protéger les Taibles elles abandonnés contre l'oppession des 
forts et des puissants; enfin cette tâche particulière que 
l'État, en tant que représentant la perpétuité de la nalioa, 
peut seul remplir, qui a pour objet de ménager les forces 
nationales, d'empCcher les générations de s'abâtardir, mèm 
volontairement et consciemment. 



INTERVENTION DANS I.E llfifilMK Dit TllAVAIL. 317 

Ces truis molir^ d'action sont, de leur nature, peu précis 
et peuvent se prêter aux interprétations les plus étendues. 
La police est ainsi déllnie : « ordre, règlement établi poui' 
tout ce qui regarde lasùrelé et la commodité des citoyens.» 
On pourrait accepter le premier terme, celui do sûreté. 
i]Uoiqu'it soit aniigé de l'infirmité naturelle h tous les voca- 
bles humains, de ponvoir être pris tantOl dans un sens étroit, 
lantbt dans un sens large et ligure ; mais le mot de commo- 
dité est autrement souple ; il peut donner lieu à toutes sortes 
d'envahissements; il n'a aucune portée nette et circonscrite; 
les divers esprits l'entendent chacun à leur manière. 

En recherchant d'une façon exagérée les commodités 
matérielles, on peut multiplier les incommodités morales, 
comme les Tormalités, les dérangements, les nécessités d'au- 
torisation, la dépendance, les sollicitations, les pertes de 
leDDps. 

Le second motif dont se couvre l'immistion de TKtat dans 
le régime du travail, le devoir de protéger les faibles, ne 
comporte pas moins d'incertitude. Ici également il s'agit de 
savoir si l'on prend les termes dans leur sens naturel et 
étroit ou dans le sens étendu et figuré. 

Qui est faible? renfanl, sans doute, la Jeune tille, l'idiot, 
celui qui, n'étant pas adulte, n'ayant pas encore ou ayant 
perdu la raison, est délaissé ou exploité par ceux auxquels 
la nature a confié la mission de le soigner. Mais si l'on 
prend le mot faible au flguré et dans un sens étendu, où 
s'arrêlera-t-on ? 

Tout homme adulU.\ bien portant, est faible relativement 
à celui de ses voisins qui jouit d'une plus grande force 
physique : tout homme médiocrement intelligent est faible 
par rapport ù celui que la nature a doué de facultés 
supérieures; lout homme moins riche l'est relativement 
& UD plus riche ; tout homme k caracti^re mou, asserri h ses 



318 I. tïAT fllOllERNE ET SES FONCTIONS, 

passions, esL faible en Tace do l'iiomme dont l'Ame est for- 
tement trempée. 

Ainsi la Faiblesse, au lien d'être l'exception dans la société 
humaine, devient Ijl règle. Car les neuT dixièmes des 
hommes sont inférieurs soit en force physique, soit en 
fortune, soit en énergie de caractère, à une élite qui, par 
nature, par éducation, par tradition, par ses antécédents 
personnels, se trouve posséder des avantages divers. 

Cette conception des devoirs de i'Ktal à l'endroit des 
faibles tendrait à faire de l'Etat le tuteur h peu près uni- 
versel. Presque aucun contrat ne devrait être considéré 
comme un contrat libre; car il est bien rare que, dans un 
contrat quelconque, il n'y ait pas, parmi les parties interve- 
nantes, l'une qui l'emporte en indi^pendance de situation, en 
expérience, en acuité d'esprit sur les autres. 

La conséquence de cette interprétation du devoir de l'État 
à l'égard des faibles, ce devrait être que, dans une nation, 
les neuf dixièmes des citoyens seraient privés du droit de 
contracter; c'est le régime auquel les Espagnols soumet 
talent, sous l'impulsion des jésuites, les Indiens du Mexique 
pour les préserver de l'exploitation des blancs, des " gens de 
raison; iio pueden tratar 1/ conlratar. C'est l'idéal que pour- 
suivaient les jésuites au Paraguay; c'est également aujour- 
d'hui un peu celui des " antisémites ». L'État tend à 
supprimer toute liberté de contrat individuel entre les 
individus réfutés faibles, c'est-à-dire bientôt le plus grand 
nombre, et ceux qui sont réputés forts, A la liberté des 
arrangements privés on substitue des contrats types, offl- 
ciels, uniformes, dont aucun des contractants n'a le droit 
de s'écarter. 

Il n'y a pas moins de risques d'extension démesurée dans 
le troisième argument qui est souvent invoqué par l'État 
pour justliier son immixtion dans le régime du travail: 



l 



l^TERVE^TIo^ [iA.NS LK HRGUIE DI THAVAIL. 3tV 

l'Etal est le représentant naturel et unique de la perpétuité 
(le la nation; il doit veiller à ce que la rar^e ne s'ab&tar- 
disse pas. m&me par ses imprudences Toiontaires ou par ses 
eicès rÉdécbiB. L'Etat doit assurer la vigueur et la sanlé des 
générations futures. 

Ce raisonnement contient une parcelle de vérité; maïs 
quel abus on en peut faire ! Si l'on roulait l'appliquer dans 
tous les domaines, il faudrait réglementer minutieusement 
tous les actes de l'homme, même ceux qui intéressent le 
plus lii dignité et la libeité inlime; on aboutirait h une 
organisation à la Lycurgue. 

Le sophisme consiste ù interpréter tous ces termes de 
sécurité, commodité, faibles, protection, dans le sens le plus 
largo, dans leur acception figurée, au lieu de les prendre 
dans leur sens étroit et leur acception positive. 

Comme en outre, pour chaque génération ou même pour 
les divers partis qui se succèdent au pouvoir, ces différents 
vocables dépourvus de toute signification précise, n'ont plus 
qu'un ieoi flottant et variable, il en résulte que la machine 
parlementaire al assujettie & un effroyable travail pour 
faire et défaire les lois. 

Le vice-président de la Société britannique de législation, 
M. JiiDSon, d'après Herbert Spencer, n constaté que depuis 
le statut de Merton (20, Henri 111), c'est-à-dire depuis l'an 
lj3tl, jusqu'en 1873, le parlement anglais avait voté I8,ltM) 
mesures législatives, dont les quatre cinquièmes avaient été 
tbrogées entièrement ou en partie. 

Ibis le mécanisme législatif de la Grande-Uretagne était 
fort lent dans les siècles écoulés; il a participé, dans la 
seconde moitié de ce siAcle, de l'acrroiisement de 
rapidité dont ont bénélicié toutes les machines quelle» 
qu'elles soient. Dans les trois années IHTI), 1K7I et IHÏi, 
Herbert Spencer calcule que, sans compU>r les loi* absolu- 




;i2l) l.'blTAV MODERNE ET SES FONCTIONS. 

ment nouvelles, le législaleur britannique a amendS OD 

abrogé complètement 3,532 lois antérieures. 

D'un autre côté, le comte de Wemyss, président de la 
Liberlij and Properly Defence League, donne dans un de ses 
opuscules, la liste de 243 mesures législatives, acts ou liilU, 
ayant un caractère socialiste, qui ont été volées par le par- 
lement anglais de 1870 à 1887 (1 ). 

Grisé par ce mouvement législatif perpétuel, un homme 
public anglais s'écrie que ii la doctrine du laisser-faire est 
aussi morte que le culte d'Osli'is. n 

Cette excessive fécondilâ et celte frivole inconstance des 
législatures modernes font douter qu'elles soient en posses- 
sion de la vérité. Ces centaines de lois, souvent assez 
récentes, que l'on abroge chaque année, suggèrent à l'obser- 
vateur la remarque que le législateur actuel ou futur n'est 
ou ne sera pas plus exempt d'erreur. 

On n'en continue pas moins, en tout pays, à vouloir 
réglemfinter à outrance le régime du travail et, dans des 
plans gigantesques, on se plall à rêver que l'on pourra 
mettre un jour toutes les nations d'accord pour l'établis- 
sement d'un régime internalional de protection des tra- 
vailleurs. 

(1) t^Qiialism ai Sl-Slepben's, !iy tiic euri of Wemyss. 




CHAPITRE III 



LA HEGLKMENTATION DU TRAVAIL CHEZ LES NATIONS MODERNES. 



KnthoUDiwmi!, avou^ uu latent, Ap» r^préBmlanU df 1& d^inocnilîe 
ri>nt«iiipuraiae pour lo taalitutïon» ilii ninycii Apc, iMgo 31i. 

Le* criliqu«a coolrr l'urKaiiiMliou octuvlle du Imtall >fat^in«tif>é«B par 
uu «rriTaiailIrmuiil, le D* Adkr;!» régnât» ilu moyen igc. au point 
Ar viiif tcoDomiqufl iiidnalrlH. y *UDt trh appaniits. page 331. — 
L«r prMaodue* D«uf plaitn itu rfgim» indnrtriel actuel, p agc 3H. 

liiWnloppometil du travail dm rnifnnli ni des fonime* dans l'industrie, 
pag» n&. — [•'■«o'jptiou dc« maux qui! ee rè^ran pvut eihoieudrer, 
paRo tl&. — Ou e^i ^louu# que, dEpuîi trois quart* de *i£cl«, les tla- 
UitlquR* rilalcd n>i) portant pai la trace, pa^c (ID. 

(.a loDguaur de la Journée di- travail et In travail d(> nuit, page 316. — 
Arfrumeut* iotluttrirlu fnumlii en Tavtiur du travail di- nuit, paga UT. 

Le* il'''p»'ition> et In etag/'nilioD* dn* honinii'ii «pAciaui, midociox, 
lin|»rl(ur» (le fabrique*. eU.. pagi- 3ÎT. — Li- ■■ marhluiduiH - a plim 
lihrrr d'être» [aibli-* île* titbet granl^trt et inaUainM qu'il ae leur 

en a aisujulli». wgc SM. — II n'p*t p«» vrai qui- la roinmp preann 

» riailustrl* la placi> de l'humuie ; la pru^rJ^s iln la neiauco am^ne 
ihnii^Dt dM IntorTAnion* daiu h rt>ïp induitriel dn dcus «eivc, 

J«3t8. 

eDqiiAt''i> du dauikiDR quart dn r« niédo repr^Mul'ol cooimtt trié 
aun*. pour U faiume et IVofatil, la potltn induitrlf f t l'indiutrie i 
tlumtdlp, page ItD. — Exemple* nombreux, paRc >XI. — U^Dance qun 
doivent Iniptrer lu bjtii^uiite* et lo> i<p«niali>l><i'. piuff Ï3I. 

nu calomnie le* uiinri mudune» que la force dea rboiw* rend dp plut 
en (dna «a»te*, B^rAn* cl de inolnit en laoiDi iiualiilirfli. page 331.^ 
Grafidt! part iIp pr^Juird et de (■«nvrnUou dau* li^n atlai|ue« contra In 
réirim» maDuHkcturier rontemporatii, pagn 133. 

Lr l^t*lateur a \f droit et le devoir dp rfglrmTnter In travail de* 
Kutant* dan> )e« maiiufarture*. page VU. — (irlginc de> t'aclor;/ Aelt 
l'ii Aiitil'-terre, page 13), — La réglementation actuvlle du trAiail de* 
piifaut* •lani le* différenta payi d'Eiinipp. page 3S&. — Le* nalioir* 
pauvre* cl cetln* A population di-nw vont bieu iniilii* luiu dann cnlln 
rAgleuicntatioa quf In* nationt rtehi» et celln à moindre ilenrif 
(pi^cillqup, pagi> 33S.— LAl^ilalion aJlpmaude paraît relie qui ooa- 
cilif le mleui acturlleninnt Iva devoir* dr l'humiDil'' et lr« vxigence* 
de la production, page 337. 

SI 



322 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

La loi française en projet viole .lea lois uatureilcB gd réglcmeutaat la 
journée de travail pour lea adullea de tout âge, page 339. — 11 n'y a 
d'intervention légilime de l'État qu'eu faveur de l'enfant, de l'ado- 
lescent àes deUK seKee et de la Bile iiiiucure, page 3311. — Fatale ten- 
dance du lêgialatcur moderne à remplacer partout l'inHuencc des 
mœurs par celle des lois, page 340. 

Mâme pour le travail de l'euTant la tutelle ofQcicuse de l'Etat doit Être 
limitée et dincréte, page 3G0. — Fausseté do la théorie que le salaire 
des enfants et des feuiuies déprécie les salaires des hommes, page 340- 



Le phénomène le plus intéressant peut-être da ce leiups, 
au point de vue social et même pulilique, c"esl l'enthou- 
siasme nouveau des représentants de la démocratie pour 
l'organisation du travail au moyen âge. 

Quelques potiLiciens dissimulent encore leurs préférences 
pour les vieilles institutions corporatives du temps de saint 
Louis; ils prétendent innover quand purement et simple- 
ment ils veulent restaurer le passé; ils disent marcher en 
avant quand ils reculent. 11 leur en coûte de proclamer que 
ce qui importe le plus û l'homme, le régime du travail, 
fut mieux réglé il y a cinq ou six siècles ou même huit siècles 
qu'aujourd'hui. Cet aveu cadrerait mal avec toutes leurs 
déclamations contre « cet âge d'ignorance et d'oppression ». 

Mais c'est là une pure hypocrisie de plagiaire qui veut 
paraître auteur original. Ceux d'entre les démocrates con- 
temporains qui ne sont pas retenus par les ménagements 
politiques parlent un langage plus net et plus explicite. 

Pour avoir la pensée exacte de la génération actuelle, 
il faut s'adresser aux hommes jeunes. Voici un docteur 
allemand qui, il y a six ans à peine, écrivait une thèse d'agré- 
gation sur le célèhre Rodbertus-Jagetzow, précurseur de 
Karl Marx, et fondateur de ce que nos voisins appellent pré- 
tentieusement <• le socialisme scientifique n, comme qui 
dirait l'astrologie scienliûque ; ce docteur M. Adier, puhlie 
dans une revue germanitgue importante : Annalen des 



I 



LA BÊGLEMESTATION IIL' TRAVAIL. 
deutschrn tteic/fs fur Gelzgebung, un travail sur « la prolec- 
lion internalionale des travailleurs " ; il y énuinâre tous les 
maux dont souCTre l'ouvrier contemporain, et qui, paraît- 
il, épargnaient l'ouvrier d'aulrerois. 

Les regrets du moyen Age y apparuissenl dès l'abord. Les 
barrières innombrables que le moyen âge avait opposées à 
l'inlérét mercantile, nombre masimum d'ouvriers et d'ap- 
prentis (il faudrait dire aussi nombre de maîtres), prescrip- 
tion de {'espèce de marchandise à fabriquer (il faudrait 
ajouter et du mode de fabiication), achat collectif des 
matières premières, interdiction du travail la nuit et le 
dimanche, restrictions nombreuses à la concurrence par des 
prix minima (on devrait ajouter aussi par des prix maxima), 
par la prohibition de certains moyens de réclame, par les 
prix (lu marché, etc., toutes ces barrières sont tombées, lien 
«st résulté la concurrence sans frein de tous contre tous, ce 
fameux Struijijle fur life, dont on nous rebal impitoyablement 
les oreilles depuis un quart de siccle. Ou s'elfori^a, comme 
nu temps jadis (car c'est la loi de l'humanité sous tous le^i 
régimes), de vendre au plus cher et d'acheter au meilleur 
compte, mais avec cette diiïérence que tous les moyens 
étaient permis. On ne recula devant aucun. 

De toutes les marchandises engagées dans cette lutte sans 
merci, la principale est la marchandise-travail, la force 
humaine, la fameuse Arbcitskrafl qui revient à chaque ins- 
tant sous la pUime de Karl Harz. Le grand elTorl de ceux 
qui ont besoin de cette marchandise si commune, si offerte, 
c'est de l'acheter au plu* bas prix. Or il se rencontre que 
cette marchandise vile, que tous les acheteurs de travail 
cherchent ii avilir de plus en plus, est formée d'hommes, 
« d'blre» trm/ilalifes aui employeurs», de citoyens de l'Etal, 
constituant une très grande part, on peut dire la plus grande 
part, de la nation. Par égoisnie ou QiAme simplement par 




324 L'ÉTAT MODEBNE ET SES FONCTIONS, 

nécessité, sous le régime de la libre concurrence indus- 
trielle, les acheteurs de travail tendraient k rendre de plus en 
plus misérable la condition des Lravailleurs. 

Ces misères qui, h en croire le docteur Adler, seraient ou 
nouvelles ou singulièrement aggravées de notre temps, 
sont au nombre de neuf : 1° le travail régulier des enfants 
dans les fabriques; 2° le travail régulier des femmes dans 
les mêmes lieux; 3" la durée parfois extraordinaiiement 
longue de la journée de travail pour tous les ouvriers en 
général ; A" le taux souvent excessivement bas du salaire 
des ouvriers non qualifiés, c'est-à-dire dont la besogne 
n'exige pas d'apprentissage ; 3° le chômage temporaire el, 
par suite, la privation du salaire pour les ouvriers qui sont 
capables de travailler et disposés k le faire ; 6^ l'incapacité 
de travail, et l'absence de moyens d'existence, par suite 
d'accidents dont l'ouvrier peut diïflcilemeni, parfois même 
aucunement, se faire indemniser par le patron ; 7" la m6me 
incapacité provoquée par la maladie; 8° la vieillesse pré- 
maturée, besogneuse, que la bienfaisance publique, toujours 
dégradante, est impuissante à soulager ; 9" enfin, la misère 
sordide des habitations ouvrières souvent malsaines, qu'une 
honteuse exploitation force parfois les ouvriers à louer très 
cher. 

Nous ne nous attarderons pas à examiner si tous ces 
maux sont bien aussi nouveaux que nombre de personnes 
semblent le croire, si, par exemple, on doit regretter les 
infectes ruelles et les étroites maisons oii s'entassaient, il y 
a un siècle, les ouvriers et même les petits bourgeois. Notre 
examen se portera seulement sur les premières des plaies 
qu'on nous dénonce et sur les lénilifs que les médecins 
sociaux emploient à les guérir. 

Nous prenons toujours pour guide M. Adler, simplement 
parce qu'il a systématisé les récriminations qui s'élèvent 



Lk RÉGLEMENTATION OU TRAVAIL. 3ï.ï 

aujourd'hui dans les deux mondes contre l'ordre industriel 
libéral. 

C'est le travail régulier des enrants el des Temmcs dans 
les fabriques ainsi que la durée réputée excessive de la 
journée de labeur qui attirent surtout les plaintes. Le patron, 
nous dit-on, trouve un bénéfice à remplacer les ouvrier^ 
mâles par des Tenimes, puis même celles-ci par des enfants : 
ces travailleurs ont moins de besoins, moins de frais d'exis- 
tence, par conséquent ils se contentent de salaires moins 
élevés. Mariée, la femme ne demande k la fabrique qu'un 
supplément au salaire du mari, devenu insuflisant à l'entre- 
tien de la famille; c'est aussi un appoint, dont on ne se 
donne guère la peine de discuter le chiffre, qu'apportent 
les enfants au ménage des parents. 

La productivité du travail de ces ouvriers inférieurs, 
les femmes et les enfants, n'est, sous le régime des machi- 
nes, guËre moindre que celle des hommes ; et elle est lar- 
gement compensée par la dilTérence de salaire. 

Aussi l'industriel trouve-t-il son profit à cette subslitution 
croissante. L'emploi de plus en plus général dos enfanta et 
des femmes dans les manufactures en fournit la preuve. 

L'égoUme du chef de famille contribue au développement 
de cette organisBlion. parce qu'il commence par en proiiler, 
quoiqu'il doive bienlAl en souffrir. 11 y trouve d'abord une 
augmentation des ressources du ménage; mais ce n'est que 
te fait initial; car, toujours d'après l'opinion que nous ex- 
posons, le chef de famille va bientôt se trouver évincé de la 
fabrique ou y voir son salaire tomber par suite de l'intro- 
duction, qu'il a Imprudemment favorisée, de ces travailleurs 
au rabais. 

Tout un cortège de conséquences désastreuses accompa- 
gne cette situation : on prend «oin de décrire patbétique- 
nu'nt l'allaiblissemenl des forces de l'enfant dont la crois- 




326 L'ÉTAT MODEHNE ET SES FONCTIONS, 

sance s'arrête ou est entravée, les maladies chroniques con- 
tractées dès le premier âge, tout au moins des prédisposi- 
tions à toute espèce d'affections qui deviennent héréditaires, 

[les dommages moraux non moindres que les matériels, 
l'atropbie de l'intelligence, la souillure de l'âme enfantine 
au contact d'ouvriers plus âgés. 

Puis on passe à la Temme : on montre que sa constitution 
fragile, sujette à de périodiques épreuves, n'est pas faite 
pour l'implacable rigueur de l'atelier mécanique ; que la 
génération qu'elle enfante est nécessairement faible et mal 
constituée, que son ménage csl délaissé, devient sordide et 
misérable ; on va môme pai-fois jusqu'il conclure que son 
chétif salaire industriel ne compense pas le dommage causé 
à l'économie de la maison par l'abandon du foyer; on 
s'étend sur les dangers do la promiscuité des sexes; puis, 
on fait entrevoir les générations futures atteintes de dégé- 
nérescence physique et de démoralisation précoce. 
Comme ce régime a été inauguré il y a environ trois 

1 quarts de siècle, et qu'il est devenu très général depuis 
quarante années déjà, l'on est tout surpris, après ces émou- 
vantes lectures, de voir, d'après les statistiques irrécusables, 
qu'en tout pays européen la vie moyenne s'est prolongée. 

La longueur de la journée de travail et le travail de nuit 
n'auraient pas des effets moins terribles que ceux qu'on nous 
décrivait tout li l'heure et qui, par une singulière anomalie, 
ne laissaient cependant aucune trace sur les statistiques 
vitales. 

Chaque fiibricant est entraîné, nous assure-t-on, par cette 
implacable loi de la concurrence, la farouche et impitoyable 
dominatrice du monde moderne, à accroître la durée de la 
journée de travail jusqu'il la limite extrême. Parfois mBme 
il fait deux équipes, l'une qui travaille le jour et la seconde 
la nuit. Le mari est souvent dans une de ces équipes et la 



I 



LU RÉGLEMENTATION BV TRAVAIL. 327 

femme dans l'autre, de sorte que pendant tes jours et les 
nuits ouvrables ils ne se voient pas plus qu'autrefois Castor 
et Pollux. 

L'enlraînement que siibitrindustriel aux longues journées 
el au Iravail nocturne est dû, prélend-on démontrer, à des 
causes économiques évidentes : on épargne ainsi sur les 
Trais généraux, puisque, avec une même usine, les mômes 
machines, on Tail beaucoup plus d'ouvrage : cela évite des 
coDslructions nouvelles et un accroissement de matériel. 
Même en augmentant le salaire pour le travail de nuil. le 
patron trouve, par l'économie de ces Trais généraux, un 
bénéllce industriel notable. 

Puis, comme on a l'espril subtil, on l'ait remarquer que 
l'intltiUriel a un intérCt à user ses macbioes le plus vite 
possible en les Taisant travailler continuellement, parce que, 
toujours menacé d'inventions nouvelles, l'oulillage, si on le 
mettait au régime des courtes journées, pourrait devenir 
vieilli et démodé quoiqu'il n'eât encore que médiocrement 
servi. 

Pour achever toute celte démonstration, on Tait appel aux 
livres spéciaux, aux rapports surtout des inspecteurs de 
Tabrique, soit d'Angleterre, soit d'Allemagne, aux mémoires 
des médecins eldcs pbilanllirope.4. 

Tous ces personnages tocliniques, comme lous les hom- 
me» professionnels du monde, altlrmenlque leurs soins sont 
indispensables, que leurs attributions sent trop limitées, 
que le mal contre lequel ils luttent est terrible, qu'il faut 
renforcer leur action, accroître leurs pouvoirs, augmenter 
leur nombre, etc., que, si on ne le fait, la société, qui porte 
dans son sein un f^ermo rie mort, dépérira et Dnira par 
mourir. 

Voit& le tableau qoe l'oD présente sans cesse au pu> 
blic, au gouvernemenl. aux assemblées, pour les pousser 




328 L'ÉTAT HODERISE ET SES FONCTIONS. 

à intervenir de plus en plus dans le régime du travail. 
Dieu nous garde de prétendre qu'il n'y ait rien de vrai 
dans ces plaintes ! Mais les exagérations y sont évidentes, 
les omissions regrettables; l'examen est superficiel, unila- 
téral: il oublie le passé, il oublie même, dans le présent, 
toutes les professions si diverses qui s'exercent dans l'atelier 
domestique, parfois même aux champs, et dont beaucoup 
n'ont pas moins d'inconvénients soit matériels', soit moraux 
que ceux qu'on énumëreavec une si poignante complaisance. 
Certainement « le machinisme » facilite l'entrée des 
enfants et des femmes dans beaucoup d'industries qui leur 
étaient autrefois fermées; mais on néglige devoir ou de dire 
qu'il les exclut de certaines au très oi!i ces êtres frêles étaient 
constamment employés autrefois. 

La mouture ne se fait plus par des femmes, ni le balage 
par des femmes et des enfants. Les femmes remplissent les 
ateliers de lissage ; mais les hommes leur ont succédé dans 
la filature ; la machine a interverti ainsi beaucoup de lâches, 
I et non seulement la machine, mais la production et le com- 
merce en grand. Dans les magasins de nouveautés, ofi il faut 
remuer de très gros paquets, les femmes sont devenues 
moins nombreuses; les hommes les y ont remplacées; un 
cbangemenL de même nature s'opère dans le blanchissage 
en grand, où l'on commence d'introduire des machines exi- 
geant de la force musculaire ; par contre, les femmes profi- 
lent de beaucoup d'industries nouvelles, la photographie, 
les téléphones; dans l'imprimerie même elles tiennent une 
place. 

Les hommes, évincés de diverses occupations, vuieuls'ou- 
vrir devant eux d'autres carrières, sinon nouvelles, du moins 
singulièrement agrandies, ainsi l'industrie des transports 
;tvec toutes ses annexes qui s'est si prodigieusement déve- 
loppée. 



La IIF-GLEMENTATION DU THAVA1I.. J2U 

H n'est pas vrai que la Temme prenne dans l'industrie la 
place de l'homme. La science et ses appHciitions amènent 
seulement des interversions dans lo rAle industriel des deux 
sexes, certains travaux, autrerois pénibles, devenant soudain 
aisés; d'autres, au contraire, faciles autrerois, exigeant, par 
les procédés Duuveaui, un plus grand déploiement de Torce. 

I^es interversions, qu'amènent les incessantes découvertes 
du génie moderne, profitent à l'ensemble de la civilisation, 
h la production dont elles abaissent le prix, h laconsumma- 
lion qu'elles facilitent par le bon marché, aux ouvriers et 
ouvrières dont les salaires tendent à se proportionoer au 
résultat produit par leur labeur. 

Il faudrait des développements infinis pour répondre à 
toutes les allégations de ceux qui soutiennent queles manu- 
factures et les machines ont détérioré la situation maté- 
rielle et morale de l'ouvrier. Nous oublions, disait Kossî, les 
blessures profondes de nos ancêtres et nous sommes émus 
de DOS moindres piqûres. 

Sans remonter aux temps anciens, tous ceux qui lisent 
lei enquêtes du deuxième quart de ce siècle, celles de Vil- 
lermé ou de DIanqui sur les ouvriers di- la pclile industrie 
et sur le travail danx l'atelier domestique, verront que les 
de.tcriptiona de ces observateurs sont beaucoup plus navran- 
tes et ont un caractère plus précis et plus probant que les 
lamentations présentes. 

Il en est de même de la très prérîense collection des mo- 
nographies des Ouvrier! dft deux mond^n. publiées vers le 
milieu de siècle sou« la direction de M. Xx. I^lay. Le travail 
domestique d'autrefois y apparaît avec toute su dureté. 

Lu famille n'était pas toujours clémente, dans ces temps 
de moindre sensibilité, ni pour la femme ni pour l'enfant. 

Un voyait dans le tissage des chAlos un chambre les Jeu- 
nes lllles de »x Jk douie ans lançant la navette pendant 



Haï 



L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 
1 IrGÎzB heures par jour. Un médecin, te docteur 
> émouvait sur le sort des brodeuses des Vosges, 



silencieusement courbées sur leur ouvrage jusqu'à dix-neuf 
beures sur vingt-quatre, mangeant assises à leur travail, 
leu[' pain sur les genoux, sans quitter l'aiguille, de peur de 
perdre un quart d'heure. Un autre nous décrivait les mala- 
dies des dentellières, la faiblesse de la vue, résultat du tra- 
vail assidu et minutieux à l'aiguille, l'irritation et la rougeur 
des paupières, l'intoxication des voies respiratoires etdiges- 
lives par la poussière du blanc de plomb- Ou nous montrait 
aussi des tailleuses de cristal, toujours pencbées sur leur 
roue, toujours les mains dans l'eau, aspirant des débris de 
verre. 

D'autres signalaient les travaux excessîTs des couturières 
en chambre, des modistes, des lingères, les nuits passées à 
l'ouvrage, l'absence de toute rellcbe et de tout repos. La 
célèbre et émouvante chanson de la Chemise, cette naïve 
et touchante complainte anglaise, ne fut pas inspirée par les 
manufactures. 

Les observateurs du commencement nu du milieu de ce 
siècle, dans les contrées primitives, arrêtaient nos yeux sur 
les femmes remplissant, en grand nombre, en Silésie par 
exemple, le pénible état d'aide-maçou ; sur les jeunes dlles 
travaillant comme les hommes aux terrassements de che- 
mins de fer dans les Landes, passant la nuit péle-mële avec 
les ouvriers sous des baraques provisoires. 

Les philanthropes qui se sont consacrés aux classes rura- 
les ne sont pas, eux non plus, en peine de tableaux allris- 
lants : l'abandon à la maison de l'enfant au maillot par la 
mère qui vaque aux occupations du dehors, les tâches rudes 
et parfois malsaines comme le teillage ou le rouissage du lin ~ 
et du chanvre, les occasions d'immoralité que fournil aux 
adolescents des deux sexes la promiscuité du travail des 



LA RÉGLEMENTATION DU TBAVAIL. ;13I 

champs, les images grossières qii'excilenl dans de jeiints 
esprits les choses de la campagne, La collection des Ouvriers 
det deux mondes foisonne <le descriptions de ce genre. 

Il s'est fait, il y a vingt et quelques années, une grande 
enquête en Angleterre sur ces bandes agricoles, atjrkuUural 
ijangs, composées do jeunes gens et de jeunes tilles pour lu 
plupart, qui, sousia conduite d'un entrepreneur, parcourent 
les districts agricoles pour rentrer les récoltes, A l'en croire, 
ce serait là qu'on trouverait le maximum de l'immoralité et 
de la dégradation humaine (1). 

D'autres, nu contraire, nous mèneront dans les faubourgs 
de Londres, nous feront entrer dans des maisons étroites et 
sordides où quelques hommes, quelques femmes et quel- 
ques enfaDts confectionnent sans discontinuer des vêtements^ 
ï bas prix, travaillant, allégue-t-on, quinze, seize et dix- 
huit heures par jour : c'est ce que l'on nomme le awealing 
ti/ilem;ia grande industrie et les machines sont innocentes 
de tous ces abus. 

Slais ces abus que l'un a trouvés partout, dans tons les 
temps, au foyer domestique comme à l'atelier commun, 
tont>ils vraiment aussi gi^nérnux, aussi persistants, aussi 
cruels qu'on nous les dépeint? Il faudrait, pour le croire, 
ignorer le tour d'esprit du philanthrope, de l'hygiéniste et 
du spécialiste. 

Celui qui, avec un cœur généreux, s'est consacré ik l'étude 
de ce i{u'il considère comme una plaie sociale, qui y appli- 
que indéfiniment le microscope. Unit par perdre tout sens 
' > des proportions. Il no sait plus distinguer l'exceptionnel de 
l'ordinaire ; tous les maux qu'il vuit. h travers »on instru- 



it) L'uu dr noi pr«mlrn travaux de pubticUle. kpri^mirrarlicla du 
\t t\ur nuua ayott* ^rit Aau» ta Rtvur du neui-ilondft, ru 1860. 
a été con*acr^ à TtUMlyte de l'coquMe parli>in*DtAlrn >iir r»t Agrirvl- 
turat GmiQt uu luudr* agrirole*. 




^V 33S L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

^H ment grossissant, deviennent énormes, les plus grands 

^1 maux de l'humanilé. 

^H A lire certains livres de médecine, à étudier tous les 

^H symptômes qu'ils décrivent des maladies diverses, h suivre 

^H le jugement qu'ik portent sur les différentes habitudes 

^H humaines, l'homme le plus sain se croit atteint d'une foule 

^B d'aflections mortelles : on s'étonne de vivre encore. On 

^M trouve à chaque proression tant d'inconvénients pour l'esto- 

^B mac, le cœur, les reins, qu'on prendrait le parti de vivre 

^H oisir, si d'autres ne survenaient pour dépeindre tous les pé- 

^H rils de l'oisiveté. 

^H II en est de même des philanthropes, des hygiénistes, des 

^B spécialistes sentimentaux qui se livrent t àes éludes et à des 

^K enquêtes sur le travail, soit de la ville, soit des champs, soit 

^M de l'atelier, soit du foyer. L'un dénoncera tel travail, parce 

^M qu'il exige la station debout, l'autre un travail dUTéreul 

^K parce qu'il contraint à Ctre assis et courbé sur soi-même. 
^V Ithaque spécialiste, uniquement occupé de son objet qu'il 

^H aura considéré sous toutes ses faces et perdant do vue les 

^m objets environnants, invoquera l'intervention de la loi pour 

^m interdire, réglementer, restreindre tel ou tel labeur qu'il 

^Ê considérera comme exceptionnellement dangereux et qui ne 

^B l'est pas plus que mille autres. 

^H Les prétendus maux que l'on attribue aux machines et à 

^M la grande industrie existaient bien avant celle-ci et celles- 
^1 I là; on les retrouve encore aujourd'hui dans les tâches oh le 

^M travail se fait à la main et isolément. 

^P 11 me semble que l'on calomnie un peu les usines, surtout 

^ les usines modernes, celles qu'on élève depuis un quart de 

siècle. Klles n'ont, pour la plupart, ni l'insalubrité ni l'aspect 

' sordide dont on nous parle. Plus elles sont grandes et plus, 

L d'ordinaire, elles sont bien tenues. Plus les machines y ont 
de valeur, et mieux elles sont soignées, comportant, en 



J 



I 



aesTATios tu mwAiL. i» 

ddors mêiiM de toate p«iis^ de philinthropie et pu la 
n^essité des choses, des conditions de propreté pour le 
penODDel ouvrier qui est occupa i ce précieux outilla^. Las 
salles de ces établîssemeots sont aujourd'hui, par coa*»- 
oance industrielle, vastes, hautes, bien aérées; les ouvriers 
y sont distants le> uns des autres. Les séances y sool en 
général moins prolongées qu'au foyer domestique : la néces- 
sité des allées et Tenues deux Tois au moins par jour et soii- 
venl quatre fois, de la maison à l'usine ou de celle-ci & la 
maison. Tait jouir du grand air beaucoup de familles casa- 
nières qui, aulrerois. sortaient peu d'une sorte de bouge. 
Tonnant leur misérable logis. 

Je ne vois pas ce que la cÎTilisalioii a perdu aux grandes 
usines. Elles ont contribué à attirer la population dans la 
banlieue des villes ou à la campagne loin de ces étroites 
ruelles qui constituaient nos villes d'autreruis et où elle 
pourrissait sans soleil et sans air. Les grands établissements 
ont besoin de cours spacieuses, de dégagements nomhreiis, 
de larges voies d'accès; ce sont lu dus conditions de salu- 
brité relative. 

Dans tontes les attaques contre le régime manuractiiner, 
' il y « beaucoup de préjugé et de convention : on se rappelle 
vaguement les inrormes et étroites fabriques d'autrefois, 
celles du début de l'iiiduslrie mécanique, qituud les capi- 
(aui étaient rares el que des inacliines embryonnaires 
exigeaient peu de place. Il y a autant de dilTërence entre 
cescbétives mauuraclurcs d'aiilreTois vl les grands établi** 
sements d'aujourd'hui qu'entre les anciens et mesquins 
bateaux où s'enta^-'ail un personnel nombreux de marins, et 
les énormes steamTt. que nous voyons si baliilement amé- 
nagés et tenus avec une si méticuleuse propreté. 

La manufacture, toutefois, pourrait Ii-ser l'eufant. quand 
le patron est avide et imprévoyant et les parents durs. Cv 




i 



334 L'ETAT MOD!;R^E ET SES FONCTIONS. ^ 

n'est pas que l'earant Tut toujours ménagé par la petite 
indastrie : certains types qui tendent à disparaître, le petit 
ramoneur par exemple, qu'un Appareil trËs simple va bientôt 
complètement évincer, émouvait, souillé de suie et d'appa- 
rence malingre, toutes les âmes sensibles. 

L'usine n'avait donc pas inventé, pour l'enfant, les tâcbe!> 
sales ou pénibles. Mais elle pouvait les rendre plus régulières, 
plus prolongées, plus assujettissantes. La légisialion y a 
pourvu dans la plupart des pays du monde, et elle a eu 
raison. 

L'enTant rentre incontestablement dans la catégorie des 
êtres faibles qui ne disposent pas librement d'cus-mêmes; 
il peut être exploité par des parents cupides. Le premier, 
sir Robert Peel fut donc bien inspiré quand, par l'article 13, 
George III, chapitre Lxxnt, c'est-à-dire en 18U2, il réglementa 
le travail des enfants dans les manufactures de coton et de 
laine. Cette loi était, d'aileurs, bien timide ; elle se 
contentait de restreindre, pour ces jeunes ouvriers, la jour- 
née à douze heures de travail. Dix-sept ans plus tard, en 
1811), quand on amenda cette première mesure, on se 
montra encore singulièrement circonspect, en interdisant 
seulementl'emploi d'enfantsau-deasous de neuf ans dans les 
mêmes établissements. Telle fut l'origine modeste et dis- 
crète des Faclorij AcU qui se sont succédé en Angleterre aii 
nombre de plusieurs dizaines et qui ont été imités par la 
plupart des nations du continent. 

Aujourd'hui, il n'y a guère en Europe qu'une contrée qui 
n'ait pas réglementé d'une façon générale le travail des 
enfants dans les manufactures, c'est la Belgique, qui s'est 
bornée à interdire d'employer les enfants au-dessous de dix 
ans au fond des mines; c'est bien insuflisant. 

L'Italie s'est montrée aussi réservée que la Belgique. Elle 
se contente de prohiber le travail des enfants au-dessous 



LA REGLEMENTATION IHi THAVAIL. 335 

de neuf ans pour l'ensemble des industries et, d'une façon 
particulière, au-dessous de dis ans dans les mines «au 
fond i> ; elle permet d'employer jusqu'à Luit heures par jour 
les enfants qui sont au-dessus de cet âge encore si bas. 

Ce sont là deux pays à population très dense et fi salaires 
très Taibles. La pauvreté a ses exigences; elle émousse le 
sentiment ou, du moins, lui restreint sa part. Les autres 
nations pauvres en Tournissent aussi la preuve. 

La Hongrie prohibe le travail des enfanls dans les fabri- 
ques au-dessous de dix an^; de dix h douze, elle lixe au 
travail une durée maxima de huit heures, encore bien lon- 
gue. De douze h quatorze, elle permet di\ heures ; et au 
delà elle ne réglemente plus rien, sauf l'interdiction du 
travail du dimanche «l de la nuit pour ces jeunes 
ouvriers. 

L'Espagne se rapproche de lu Hongrie: les enfants n'y 
peuvent travailler dans les fabriques au-dessous de dix ans 
ni plus de cinq heures par jour jusqu'à treize ans pour les 
gari;ons et quatorze ans pour les filles; elle ajoute à ces 
enfants une autre catégorie de jeunes ouvriers, pupilles de 
la loi, les adolescents de quatorze à dix-huit ans pour les 
hommes, de quatorze à dix-sept ans pour les fllles, qui, les 
uns et leK autres, ne peuvent travailler plus du huit heures; 
elle interdit enlin lu travail de nuit dans les établissements 
à moteurs hydrauliques et à machines à vapeur. 

Le Danemark se rapproche de TEspagne et des autres pays 
précités ; c'est à dix ans aussi que l'enfant y peut devenir 
ouvrier de fabrique : jusqu'à seize ans, la durée du travail 
n'y peut dépasser sis heures; puis viennent les adolescents 
de seize & dix-buit ans qui ne peuvent être employés plus 
de dix heures; le travail du dimanche ut de la nuit leur est 
aussi interdit. 

Voilà pour les pays pauvres ob la vio est dure, où chacun 




i 



336 L'ÉTAT MOOEHNE ET SES FONCTIONS, 

sent le prix du travail; l'opinion publique y supporteraîL 
mal que le gouvecnement s'avisât de retarder trop l'époque 
où un être humain peut coopérer fi sa propre subsis- 
tance. 

Les pays, soit pins riches, soit plus vastes, el à gouver- 
Dement ulTeclant de hautes visées, font à la réglementation 
une part plus grande. Au lieu de placera dix ans l'âge où 
l'enfant peut travailler en fabrique, ils le mettent à douze 
ou â treize ou ii quatorze ; ils étendent aussi parfois l'appli- 
cation de leurs règlements non seulement à la grande indus- 
trie concentrée, mais à la petite, toute disséminée qu'elle 
soit. Quelques-uns ne se bornent pas à régler le travail 
des enfants on des adolescents; ils veulent encore imposer 
soit la même prohibition, soit les marnes restrictions aux 
hommes faits. 

Voici l'orientale Hussie qui, parmi ce nouveau groupe de 
nations, olîre le minimum de réglementation : elle interdit 
dans les fabriques le travail des enfants au-dessous de douze 
ans, leur fixe, à partir de cet âge, une durée viaxima de 
huit heures, et en outre interdit, dans les principales branches 
de l'industrie textile, le travail de nuit pour les jeunes gens 
au-dessous de dix-sept ans et pour les femmes. 

Les Pays-Eas fixent aussi à cet âge quasi- sacramentel de 
douze ans l'entrée dans les fabriques, mais on y discute en 
ce moment un projet de loi plus étendu. 

La Suède a une législation analogue, miiis un peu plus 
restrictive dans l'application; douze ans pourl'entrée en fa- 
brique; six heures de travail maximum jusqu'à quatorze ans; 
de quatorze à dix-huit ans, journée maxima de dix heures 
et interdiction du travail de nuit. 

C'est encore cet Age de douze ans qu'adopte l'empire 
d'Allemagne, avec un maximumdesix heures de travail quo- 
tidien jusqu'à quatorze ans, et de dix heures de quatorze à 



La keglkmcntation ne travail. jj7 

seize ans. Pour toiiles ces catégories d'ouvriers, le tiavnJI 
est prohibé le dimanche et la nuit. Cette législation nous 
parait Tort acceptable. Nous reculerions même volontiers 
jusqu'à quinze ans et à dix-sept les ilges où le travail ne doit 
pas dépasser respectivement six et dix heures. 

Plus exigeante dans un sens et moins dans un autre se 
montre l'Autriche : elle interdit l'emploi dans les rubriques 
d'enfants au-dessous de quatorze ans; elle llxe à partir de 
cet Age. invariablement pour tous les ouvriers, même les 
majeurs, la durée maxima du travail h onze heures, mais 
elle autorise parfois une heure de plus; elle interdit le 
travail de nuit pour les femmes. Elle s'occupe des simples 
ateliers comme des fabriques, y défendant le travail des 
enfants au-dessous de douze ans, y lisant, jusqu'à quatorze 
ans, la durée maxima de la journée à huit heures et y 
prohibant, au-dessous de seize ans, le travail de nuit. 

Entrée tard dans la voie de la rêglemenliition industrielle, 
la démocratique Helvétie a devancé du premier coup la 
plupurl des pays de l'Europe contiaentale par la rigueur de 
ses prescriptions : le travail des enfants dans les fabriques 
n'y peut commencer avant quatorze ans, la journée maxitna 
potireuxestdo orne heures, surtesquelloson doit prélever, 
jusqu'à seize ans, la part de l'instruction scolaire et religieuse: 
puis, pour les adultes eux-mftmes de tout Age, le travail de 
fabrique ne doit pas se prolonger au delà de onze heures 
effectives : latif de* exceptions qui peuvent Ctre assez 
fréquentes, le travail dus usines est interdit la nuit et le 
dimanche. 

L'Angleterre, qui subit daas sa législation l'intUience de 
plus en plu* marquée des philanthropes, mais qui recule, 
par tradition, devant l'absolue uniformité, a. dans le coure 
de plus de quatre-vingts ans, depuis Varl du IHO:!, diï au 
premier sir Itobert Peel, consUlué uno réglementation du 




I 



338 [/ETAT MODERNI! ET SES rONCTIONS. 

travail des enTanU et des femmes, qui est à la fois la plus 
minutieuse, la plus compliquée que l'on puisse imaginer. 
Positive, cependant, jusque dans ses plus grands accès de 
zèle humanitaire, elle n'a pas voulu reculer trop dans la vie 
de l'homme l'époque du travail productif : elle la place fi la 
limite l'ort basse de dis ans ; mais jusqu'à quatorze ans l'on 
ne peut être employé dans les labriques qu'au demi-temps, 
c'est-à-dire trente heures par semaine ; les enfants du mSme 
âge employés « industriellement » chez eux ne peuvent 
travailler plus de cinq heures par jour. Puis, les jeunes gens 
de quatorze à dix-huit ans, et toutes les ouvrières, quel que 
soit leur âge, ne peuvent travailler plus de cinquante-six 
heures et demie par semaine dans les industries textiles, ni 
plus de soixante heures dans les autres fabriques et dans lea 
ateliers. Enfin, toutes ces catégories d'ouvriers protégés par 
la loi ne peuvent être employés la nuit ni le dimanche, ni 
même l'après-midi du samedi. Une série d'ûcfs étendent ces 
dispositions, avec quelques faibles tempéraments et beau- 
coup de mesures de détail plus ou moins restrictives, aux 
magasins et en partie au travail familial. 

Il nous a semblé bon d'énumérer la législation des diQé- 
rents pays de l'Europe en celle matière : nous avons pris 
dans ces indications le docteur Adler pour guide. 

Reste la France, que nous avons réservée. Elle interdit 
dans les établissements industriels l'emploi des enfants 
au-dessous de douze ans, sauf des exceptions pour cer- 
taines industries où l'entrée à dix ans est tolérée, De dix 
à douze ans, dans ces dernières, la journée maxitita est 
de dix heures; de douze h quatorze, l'on distingue si l'oa 
a reçu ou non l'instruction primaire : l'enfant ne l'a-t-îl 
pas reçue, il ne travaillera que six heures; l'a-t-il reçue, on 
suppose, sans doute, que ses force physiques en sont accrues, 
il pourra travailler douze heures ; pour tous les jeunes gens 



l\ HK(1LEMF,NTATI0^ IH TRAVAIL. 339 

au-dessous de seize ans el pour les jeunes tilles de moins de 
vingt et un ans. le travail est interdit la nuit et un jour par 
semaine (l'absurde préjugé antîclcrical auquel notre démo- 
cratie est niaisement assujettie a empêché de désigner le 
jour) : «nlin, pour tous les ouvriers, la journée marima est 
de douze heures. 

Mais l'on est en train de changer tout cela : une loi votée 
pur la chambre des députés, et actuellement soumise au 
sénat, va beaucoup plus loin : elle interdit pour les femmes 
de tout Age le travail de nuit et elle limite pour tous les 
ouvriers, quels qu'ils soient, la durée de travail h onte 
heures. Ce» mesures sont à l.i fois excessives en ce qu'elles 
diminuent la liberté des ouvriers majeurs, et însurRsanles 
en ce qu'elles permettent une journée trop longue aux 
enfants de douze à quatorze ou quinze ans occupés dans 
k-3 rubriques. On eAt beaucoup mieux fait d'adopter pure- 
ment et simplement la loi allemande, qui, parmi toute 
cette législation industrielle si toulTue et si vacillante, est la 
pin» raisonnable. 

Pour un homme qui réfléchit, c'est-à-dire qui ne consulte 
pas uniquement l'impuIsioD de son cœur, porté à l'idéal, 
mais qui cherche k voir les choses dans leur ensemble, les 
rapports des unes aux aulrus, qui tient compte des néces- 
sités du la vie, de la dureté înévitahlo de la destinée 
humaine, des droits de ta liberté individuelle, il n'y a 
d'inlenention légitime do l'Htat, pour déterminer la durée 
du travail, qu'en ce qui concerne l'enfant, l'adolescent des 
deux sexes, la Ulle mineure. l'eut-Clre pourrait-on y joindre 
la femme enceinte ou relevant de couches dans les quinze 
jourx qui précèdent el suivent celles-ci, parce que cette 
femme a la charge d'un autre être humain : mais cette déter- 
minalioa est très dt^ticate, et il vaut mieux laisser agir l(>s 
mœurs. 



;tiO L'ÉTAT MODEHNE ET SES FONCTIONS. 

Une des plus falales tendances du législaleiir moderne, 
c'esL sa prétention à remplacer partout l'ialluence des 
mœurs par cette des lois. 

Même en ce qui concerne l'enfant, la tutelle oflicieuse de 
l'Élat doit être limitée. S'il reporte trop loin dans l'existence 
r&ge où l'enfant peut commencer à travailler, soit à t'alelier, 
soit en fabrique, il développe les habitudes de paresse, il 
réduit outre mesure les ressources de la famille. Dans les 
classes populaires, sauf pour quelques natures d'élite qui 
émergeât, l'instruction ne peut remplir absolument, avec 
les seuls loisirs, toutes les heures de la journée jusqu'à 
quatorze ans. II est désirable qu'il y ait, à partir de douze 
ans, quelque labeur manuel, et cinq ou six heures alors de 
travail de fabrique n'ont rien qui mette en péril soit l'inlel- 
ligence, soit la santé. 

Puis, si l'on rend le travail impossible ou diflicile ik l'ado- 
lescence, on proscrit par là même les familles nombreuses. 
Un ménage où se trouvent cinq ou six enfants, même seu- 
lement trois ou quatre, ne peut régulièrement subsister sur 
le travail du père, du moins quand les enfants, ayant atteint 
un certain âge, commencent h consommer davantage. Il 
faut que, à douze ou treize ans, l'enfant d'une famille nom- 
breuse puisse gagner une bonne partie de son enlrelien, et 
à quinze ou seize ans la totalité. 

On a bien inventé, il est vrai, une théorie en vertu de 
laquelle les salaires des hommes adultes seraient plus élevés 
si les enfants et les femmes ne travaillaient pas; mais cette 
théorie est toute superûcielle, sans aucun fondement. Un 
examen attentif a démontré que le salaire tend à se régler 
sur la productivité même du travail de l'ouvrier (1). Aussi 

(I) Ou uous permettra de rappeler que nous avons £të le premier, 
croyoD9-aou9, à formuler cette thi^oric que ■ lo soJairL' Icnd ii se régler 
sur la produclivili- du Irovail de l'ouvrier. " Noub l'fivons eiposfe daus 



LA RÉGLEMENTATION Dl' TRAVAIL. 341 

bien, le salaire n'est-il au fond qu'une part dans le produit, 
et Tensemble des salaires dans un pays ne saurait rester le 
même si la production diminuait notablement, ce qui serait 
le cas si les enfants et les femmes cessaient de travailler 
dans les fabriques et dans les ateliers. 

L'interdiction du travail dans les usines avant l'âge de 
douze ans, la limitation du travail de l'adolescent depuis 
douze ans jusqu'à quinze ou seize ans, l'interdiction du tra- 
vail de nuit pour les iilles mineures, le repos obligatoire du 
dimanche pour ces catégories d'ouvriers, voilà tout ce que 
la loi peut édicter sans faire violence et à la nature des 
<'hosos et au droit individuel. 

imtr»* iiuvra^»" l.e travail di'n femmes au di.r-neitviême siècle^ paru 
fil IHI'A. Nnii!» i'avon:* rrprisi' on 1881, «laiis iiotr»' Efsai fitr la réparti- 
fum tIfs riritrsst'v. nti iinii^i «iisioii!* qiif « touto Ui thôorii' <lii salaire 
••lait à r«*fairi' -. Si imu* f.ii'ilUis ri'tt»' ri'inanni»?, r'r.<t qii«* l'on a pust^- 
ii>'iiri>iii<'iit attril)ii<'- a riTiiiiniiiisti* aiiu'*riraiii VValkiT la iIAcouvitI**. 
\i'r« IHHO. il'iiiic ilfirti'iii*' <|iii* iinti<i aviniw ('iiiisc si'pt ans aiiiRiravaiit 
• I m-. Mil «!•■ iiiH |irciiii<M*< travaux. 



CHAPITRE IV 



LES RESULTATS [JE L'iNTEHVENTION GOrVEHNEMENTAI.E DANS 
LE RÉGIME DU TRAVAIL. LE PROJET IIE THA1TÈS INTERNA- 
TIONAUX A CE SUJET. 

Ni le droit ni les faits ne cnaiporleiit [a. l'i'glciiiciltjitiuii ilii lr;iv.iil [ifii' 
l'Ëtat, page 342. — Lit lin italien des lipures pour le» a:liilte!i équivaut 
à. uue expropriation partielle sans iiidemnilË. page 3(3. — Inconv^- 
nicnts deft dËlils (Icttts, pugu 343. 

Inexuolitude présente de l'&rgumeDt tiré de la prétendue failileBse de 
l'ouvrier relaLivemerit an patron, page 344. — Cuutradiction entre la 
tutelle inilufltrielle où l'Elat place l'oiivriEr et les ilroita poiiliquca 
qu'il lui reconnaît, page 344. 

La rëglemeu talion du travail dea adullus, limitée aux u«ine«, est illn- 
90ire, étendue à tous les domaines, et inapplicable, page Hb. 

Imponsibilité de Sxer une uoroio pour la longueurde ta journée oncielle, 
pa^e 34&. — Lee traînards de rbumaaitË l'égleraîent la uiarcbe de 
l'humanité tout entière, page 345. — Les loisirs ciagéris sont plus 
nuisitiIcK qu'utiles, page 3iS. 

Ironie de lit nature des choses qui se jout du législateur, page 346. — 
L'iulL'iisiti' du travail, importance de ce phènoméoe, page 347. — La 
tlxiti' de la journée de travail ue serait efficace que si l'on llxait aussi 
l'inlenKité du travail, ce qui eut impossible, page 347. 

Obstacle l'i la régleuientatiou dans la coucurrenct' iiilL'rnritiiiM^ik'. pa^c 
348. — Craiale du la concurrence des nnlioii? .i-i.iliiiu.^. .M,Lii(h''^tvr 
et Bombay, page 350. —Frivolité des projets ili' Ii.llL. - iiili'iii.iliniiiiux 
k ce sujet, page 350. — La longueur de iaiouruic <\r Iim\,iiI i'*t la 
ressource des nation s pauvre s, comme la Belgique, l'Italif, l'Allemagne, 
les Indes, et le seul moyen pour elles de lutter contre les nations 
riches, l'Angleterre et les États -Unie, page 351. — Il n'y a pas une me- 
siu-e commune des travaux humains sur l'ensemble de la planète, la pré- 
cocité, l'habileté, l'intensité du travail variant a l'iuani diex le^ diven 
peuples, page 351. — La variélé sur le globe est la condllion du pro 
grés, page 35J. — En supposant, par impossible, une législation inter- 
nationale du travail, le contrôle sérieux manquerait, page 353. — 
Danger de t'amollisse ment graduel des populations ouvrières occi- 
dentales en présence du réveil de l'extrême Orient, page 354. 

On cherche en vain sur quels principes le législateur 



L\ IIËGLESIESTATION IHI THAVAIL. Ji3 

peut appuyer de plus amples prétentions, et un esprit pers- 
picace saisit aisément les inextricables difficultés qu'il ren- 
contre s'il veut aller plus loin. 

l'ûurquoi restreindrait-il, soit en général, soit dans cer- 
taines industries, la durée du travail des hommes ou des 
femmes ayant atteint la majorité? Ni le droit ni les faits ne 
comportent une pareille intervention. 

Le droit consiste dans la liberté dont doit jouir chaque 
élre adtiltr^ de disposer, comme il l'entend, de ses forces et 
de son temps, sous la seule réserve qu'il ne lèse pas autrui. 
S'il convient h un homme ou à une femme, ayant beaucoup 
décharges ou de besoins, de travailler une ou deux heures 
de plus que la généralité des autres femmes ou des autres 
hommes, pourquoi la loi aurait-elle la barbarie de le lui 
interdire? Quelle indemnité lui donnerait-elle pour cette 
sorte d'expropriation ? Se cbargerait-elle de pourvoir aux 
besoin» qui devaient «tre satisfaits pur le produit de cetle 
heure ou de ces deux heures de travail supplémentaire? 
L'indemnité est impossible, tellement elle serait vaste, et 
l'expropriation sans indemnité serait tm acte monstrueux. 

Puis, pourquoi la loi irait-elle créer des délits fictifs ou 
.irLiflcieU? Il n'existe déjà que trop de délits qu'il est im- 
possible de prévenir et souvent de châtier. On démoralise 
une nation, on lui enlève toute règle flxe do conscience et 
de conduite, qnand on multiplie les probibilions qui sem- 
blent découler delà fantaisie du législateur plutôt que de la 
nature des choses et des hommes. 

(.'ancienne loi de 1814. qui prohibait le travail du di> 
manche, outre qu'elle n'a jamais été appliquée il la lellre, 
paraissait avec raison une intrusion injuntiliée du législa- 
teur dans la sphère des actes réservés fi l'upprécialion indi- 
viduelle. Il en serait de même de touie loi limitant le trarail 
des hommes ou des femmes ayant atleint leur majorité. 




;i44 l/ÊTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

L'urgument que les ouvriers sont isolés, faibles, dans 1» 
dépendance du patron, et qu'ils ne peuvent débattre libre- 
ment avec loi les conditions de leur travail, outre qu'il 
porterait infiniment loin et devrait entraîner jusqu'à la 
lixation des salaires par l'autorité, est on contradiction avec 
toute l'expérience récente. 

En fait, les ouvriers contemporains, pourvus d'une ins- 
truction assez développée, jouissant dn droit d'association 
et de coalition, possédant, soit individuellement, soit col- 
lectivement, quelques ég^argnes, soutenus d'ailleurs par une 
partie de la presse, encouragés moralement par nombre de 
politiciens, peuvent discuter, sans aucune infériorité de 
situation, leurs conditions de travail avec des patrons qui 
ne peuvent laisser longtemps sans emploi un vaste matériel, 
qui ont à exécuter des commandes, sous peine de dédits 
onéreux, qui sont pressés de tous côtés par la concurrence, 
soit intérieure, soit étrangère. L'argument de cette préten- 
due faiblesse de l'ouvrier relativement au patron a le tort 
de correspondre à une situation ancienne qui a depuis 
longtemps disparu. 

La contradiction n'est pas moindre entre la tutelle in- 
dustrielle où l'Étal moderne placerait l'ouvrier et la souve- 
raineté politique qu'il lui reconnaît : quand l'ouvrier doit 
traiter avec un patron, il serait incapable de discerner son 
intérêt ou de le défendre; quand il s'agit de la direction 
générale de la nation, l'ouvrier posséderait, au contraire, la 
capacité la plus incontestable, la liberté la plus absolue. 
Mineur pour se conduire lui-même, majeur pour conduire 
les affaires publiques, voilà ce que la législation ferait de 
l'ouvrier. 

Los faits, non moins que le droit, protestent contre l'in- 
tervention de l'Ktat dans le travail des adultes majeurs, 
quelque soit leur sexe. C'est l'universalité du couvre-feu que 



LA HEGLEMENTATION DL' travail. 345 

l'on demande: dormez, habitants de Paris, ou plut£>l de la 
France, h partir do huit on de neiiT heures du soir: reposez- 
vou^ à telles heures. Comment Taire appliquer de pareilles 
injonctions non senlement dans les grandes usines, mais 
dans tous les ateliers minuscules, dans toutes les campa- 
gnes, a tous les foyers? 

Si l'on n'applique cette législation qu'aux fabriques, c'est- 
à-dire en général aux travaux qui s'opj-rent dans les meil- 
leures conditions de salubrité, il y a là une inégalité 
llagrante. Si l'on veut, nu euntntire, généraliser l'interdic- 
tion, à quelles impossibilités nu se heurte-t-on pas? 

Voici lo petit propriétaire rural, qui aime à la folie sa 
vigne ou son champ, iret-vous le détourner d'y travailler 
en été depuis l'aube Jusqu'au coucher du soleil? l'empë- 
cherei-vouB de se faire aider isoit par sa femme, soit par ses 
enfants? Jamais le petit propriétaire rural n'a demandé 
qu'on Rx-tt la journée de travail A onze heures, ou A dix, ou 
a neuf, ou & huit. 

De mémo pour l'ouvrier fabricant isolé, ce que l'on ap- 
pelle le petit producteur industriel autonome, l'ouvrier a 
façon; il en existe encore; lui et sa famille ne lésinent pus 
'ur leurs heures de travail quand l'ouvrage donne. Com- 
ment concevoir que la loi vienne le condamner h une demi- 
oisiveté et lui arracher parfois le pain de la bouche ? 

A quelle limite l'Ktut arr6terait-il sa réduction des 
heures de travail pour les adultes ou les majeurs? Dans un 
champ aussi divers, aussi varié que l'industrie moderne, 
pent-il y avoir une commune mesure? I^s uns voudraient 
la journée do onze heures; d'autres réclament !i grand» cris 
celle de dix; d'autres encore celle de neuf; un plus grand 
nombre prétendent obtenir de la loi la journée de huit 
heures. 

Ain<ii l'élément le plus HAncur de l'humanité irait imposer 




116 L'ÉTAT MOBERNR ET SES FONCTIONS, 

ses goûls de nonchalance ù rtuimanilé lout entière! Les 
traînards régleraient le pas de tous ceux qui sont plus 
nlertes, plus dispos, plus courageux ! C'est la nonvelle con- 
ception du progrès. 

Est-il bon, d'ailleurp, que l'homme ait des loisirs si éten- 
dus? Est-il toujours préparé àen faire un sage emploi? Huit 
henres de travail par jour ou même neuf, avec le chiïmage 
régulier du dimanche , des Jours de fÈtes religieuses et 
civiles, avec les interruptions occasionnelles inévitables dans 
tous les métiers, cela ne crée-t-il pas entre les travaux et 
les loisirs un rapport qui est tout à l'avantage de ceux-ci et 
qui risque, dans bien des cas, de beaucoup plul&t détériorer 
qu'améliorer ta situation matérielle et morale de l'ouvrier? 

Comment un Etat, c'est-à-dire les hommes que le hasard 
et l'inconstance des éleclions portent momentanément au 
pouvoir, prendraient-ils cette responsabilité indi^finie de 
régler dans toutes les industries le temps qu'il sera loisible 
fi l'homme majeur de consacrer, sans délit, ii sa tAche quo- 
tidienne? 

11 est un important facteur dontne tiennent aucun compte 
ceux qui veulent investir le législateur de ces droits nou- 
veaux. J'ai démontré, dans un précédent chapitre, combien 
est vraie la magistrale définition de Montesquieu, que « les 
lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports 
nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » 

11 y a dans la nature des choses une secrète ironie qui se 
joue du législateur et contrarie ses mesures toutes les fois 
l'ois que cnlui-ci a l'impertinence de la méconnaître ou de 
prétendre la corriger. 

En matière de taxes, quand le législateur veut mettre à 
contribution les seuls riches, cette ironie de la nature des 
choses s'appelle l'incidence de l'impAt, cette faculté singu- 
lière qu'a souvent l'impôt de glisser seulement sur ceux 



i HKGLEMEMTATIOS Of TtUVAIL. 347 

t|ne le législateur veiil frapper et d'atteindre l'urtivement, 
mais sûrement, des couches qu'il croyait laisser indemnes. 

En matière de réduction des heures de travail, cette 
ironie de la nature des choses s'appelle l'iotensité du tra- 
vail. 

Vous prétende?, réglementer et restreindre la journée 
dans les usines pour certaines catégories d'adultes, comme 
les ouvrières: vous croyez avoir beaucoup fait. Mais voici 
(|ue, poussée par vos restrictions mêmes, l'industrie invente 
des machines dont le mouvement est plus accéléré, qui. 
dans une minute, font beaucoup plus de tours; elle per- 
lectionne ses métiers de sorte qu'un ouvrier puisse en con- 
duire Iroisou quatre au lien d'un ou deux; alors la tension 
lie l'esprit et de l'atleniton doit dire portée à l'entrëme ; la 
dépense du force nerveuse est énorme ; on n'entend plus un 
antre hruit dans l'atelier que celui des métiers battant de 
plus en plus rapidement ; l'ouvrier est absolument absorbé 
par l'ouvrage (I). VoiU le résultat des huit ou des neuf 
heures de travail qui forment le maiimtim légal ou usuel 
de la journée dans les fabriques d'Angleterre ou d'Amé- 
rique, l'our IVquilibre du délicat organisme bumain, les 
' dix ou onze, parfois infime les douie heures de labeur du 
continent, sont peut-être préférables. 

Ce phénomène de l'inten^ili^ croissante du travail, qui 
s'accentue au fur et A mesure que la journée se réduit, c'est 
un des mérites de Karl Marx tle l'avoir si;;nalé; c'est uu 
grain de vérité au milieu de l'inextricable fatras de déve- 
loppements sophistiques et abstrus qui remplissent sou 
célt>hre livre »ur l<- Capital. 

Or. va-t-on régler aussi cette intensité du travail, ll-ter 
combien de tours par minute devra faire au maximum cha- 

iiiir' rt]iri.>>iituii |>it|iiilair 



<■ ro'ivriirr tf •itvoTi! â 



348 L'ÉTAT MOUEItSE LT SES TONCTIONS. 

que indchine, combien de Tois la navette devra iHre lancée 
par chaque métier, combien de métiers mSme chaque ou- 
I vrier pourra conduire? Si le législateur recule devant ces 
déterminations minutieuses, qui devront changer à chaque 
instant, sa législation sera inefGcace. S'il s'engage au con- 
traire dans cette voie, c'en est t'ait pour toujours do tout le 
progrès industriel. 

Les plus avisés, parmi les partisans rie la réglementation 
du travail par l'État, quoiqu'ils n'aient pas aperçu la diffi- 
culté qui précède, en ont deviné une autre qui n'est pas de 
chétive importance. Toutes les nations aujourd'hui ont. en 
dépit des barrières douanières, des relations d'échanges 
entre elles. 

11 taut bien que les contrées de l'Europe occidentale, par 
exemple, se procurent ces denrées que leur sol est impuis- 
sant à produire : le coton, le café, le cacao, le pétrole, le 
cuivre, mille autres encore. Pour les avoir, il convient 
qu'elles puissent écouler certains de leurs propres produits 
à l'étranger : or, sur les marchés extérieurs, chaque nation 
est à l'état de concurrence avec toutes les autres. N'est-il 
pas ù craindre que celle qui restreindra le plus les heures 
\ de travail ne se mette dans des conditions d'infériorité avec 
ses rivales et que, par conséquent, elle ne voie un jour son 
I commerce extérieur anéanti? 

Autrefois l'on n'avait pas ces craintes. On répétait super- 
bement que la brièveté de la journée de travail, en rendant 
la génération ouvrière plus forte, mieux constituée, plus 
I apte h. la besogne, assurait la supériorité industrielle au 
peuple qui adoptait ce régime. 

On a bien des fois rappelé l'expérience de ce fabricant 
alsacien, sous le règne de Louis- Philippe, qui, ayant réduit 
d'une demi-heure !a journée de travail dans ses ateliers, où 
le salaire était ù la tâche, vit, an bout de peu de temps, la 



I 



I.\ FIEG[.F.MENT\T10N Di: TllAVAIL. 3iO 

prodiictîvilé moyenne de chacjuB journée s'élever : on pro- 
duisait plus, disail-on, en travaillant moins longtemps. Cela 
n'est pas impossible, dans une certaine mesure. Le point 
dt^licat, c'est de fixer celle mesure. 

Dans la discussion de l'une des nombreuses lois anglaises 
connues sous le nom de Factorij acts, Macaulay inteiTint, 
à l'appui du projet, avec cet éclat d'images qui lui était 
babiluel : » La durée du travail a été limitée, disait-il. Les 
salaires sont-ils tombés? L'industrie cotonnière a-l-elle 
abandonni^ Manchester pour la France ou l'Allemagne?.. 
L'homme, la machine des macbines, celle auprès de laquelle 
toutes les inventions des Watt et des Arkuright ne sont 
rien, se répare ut se remonte, si bien qu'il retourne à son 
travail avec l'intelligence plus claire, plus de courage à 
l'œuvre et une vigueur renouvelt-e. Jamais je ne croirai que 
ce qui rend une population plus forte, plus riche, plus sage, 
puisse finir pur l'appauvrir. Vous essayez de nous effrayer 
en nous disant que, dans quelques manuractures alleman- 
des, ICK enfants travaillent dii-sept heures sur vingt-quatre; 
qu'ils s'épuisent tellement au travail que sur mille il n'en 
est pas un qui atteigne la taille nécessaire pour entrer dans 
l'armée, et vous me demandez si. apr^s que nous aurons 
voté la loi proposée, nous pourrons nous défendre contre 
une pareille concurrence. Je ris k la pensée de cette con- 
currence. Si jamais nous devons perdre la place que nous 
occupons & la tête des nations industrielles, nous ne lu cé- 
derons pas à une nation de nains dégénérés, mais û quel- 
<|ue peuple qui l'emportera sur nous par la vigueur de son 
Snlelligence et de ses bras. » 

Uuarsnte-trois au» se sont écoulés depuis celle magnifique 
barangue. Serait-il dans la destinée du déclin de notre 
■técle d'infliger un démenti ù toutes les promesses idéalistes, 
à toutes les prophéties idylliques de cette ère de foi qui s'est 



^H écoulée du 1830 à 1850? Aujourd'hui, personne n'aurait 

^H plus la superbe conliance de Miicaulay. 

^H La chambre de commerce de Manchester, celte anuêc 

^H même, commence à déserter la cause du libre échange, le 

^H free-irade, pour prùner le ii loyal échange » ou la récipro- 

^H cilé, le fair (rade. Elle s'inquiète de la concurrence des bas 

^1 salaires et des longues journées d'Allemagne et de Belgique, 

^M plus encore de celle des Indes. Les lilatures de colon de 

^H Bombay font trembler les manuTacturiers de Manchester. Il 

^B y a quelque semaines, la chambre de commerce de celte 

^1 \ille volait une résolution pour demander au gouvernement 

^H l'applicatioo des Facto)-y ac(s aux usines de Bombay et des 

^H autres villes de l'Inde. 

^H Généralisant et anticipant sur des concurrences encore 

^H inconnues, les partisans de la réglementation du travail par 

^H l'Élat en sont venus à demander une législation internatio- 

^H nale commune pour la protection des travailleurs. 

^H C'est la thèse du docteur Adler, dont nous pariions plus 

^M baut; c'était avant lui celle d'un de ses éminents compa- 

ti triotes, l'un des chefs du socialisme catholique, M. de 

^H Ketteler, évèque de Mayence. SI l'on n'obtient pas une 

^H législation industrielle identique chez tous les peuples 

H civilisés, les lois réglementant le travail ù l'intérieur d'une 

nation ou d'un groupe de nations pourraient donc être 

inefQcaces ou nuire à la prospérité du pays. 

Cet aveu est précieux, il détruit toutes les espérances de 

ceux qui veulent restreindre par la loi le travail des adultes. 

Comment peut-on. en cllct, dans ce temps, compter sur 

L l'accord complet des nations, de toutes sans exception, pour 
appliquer un régime minutieusement semblable à toutes 
leurs industries? 
Aujourd'hui que les peuples cherchent à se séparer le 
plus possible les uns des autres par des barrières artifi- 



L\ nEliLEMEMATION lll' TKAVAIL. 3:i1 

rielle», que la théorie prolectîoiinîste est en pleine Uoraison. 
qu'on ne peut plus Taire voler un traité de commerce précis 
par deux nations i m po liantes, que le sentiment de l'indé- 
pendance nationale et législative est devenu chez tous les 
peuples il étroit et si jalous, le lendemain du jour oii 
échouent toutes les tentatives pour une union monétaire, pour 
lu suppression des primes à la production du sucre, com- 
ment rfvcr que les nations vont tomber d'accord sur lecode 
le plus compliqué, le plus détaillé qui soit, celui du travail? 
Mais c'est la ressource des populations pauvres, hi 
Uelfçique, I'UbUc, dans une certaine mesure l'Allemagne, à 
plus Torle raison les Indes, d'avoir des heures de Iravail 
plus prolongées que les peuples riches, l'Angleterre el les 
Ktat*-Unis. 

Mettez les uus et les autres au mCme salaire et au même 
labeur, les peuples pauvres ne pourront plus soutenir la 
concurrence. 

Pui», y a-l-il une nipsurc commune de loua les travaux 
Bur tout Tensemble de la planète? On ne tient pus compte 
de CCS diiïërences si capitales de l'inlensiti^ du travail, de la 
diversité des machines, de l'inégalité de Torce, de précocité 
et d'habileté dans les diverses races humaines. K'y a-l-il 
qu'un seul échantillon humain sur le glob>t? 

L'adolescent himlou occupé dans une lilaLuro de Bombay, 
le jeune Persan qui, du malin au soir, tissa des tapis, U 
jeune Hlle îlaUenne qui est employée dans une lilature de 
soie ou de coton, le solide et un puu pesant garçon de 
Iloiien, l'ardent petit Yankee à l'altention concentrée, le 
jeune AnKlai* Apre il la besogne, demain l'homme jaune, le 
Chinois, le Japonais, l'un & la vie wibre et dure, l'autre à 
l'espril ingénieux et élégant. est>ca que vous pouvez sou- 
mellru tous cesétres aux mêmes rèKlemenls pour leur llche 
quotidienne? 





332 l'état moderne ET SES FONCTIONS. 

L'idée d'une législation internationale uniforme qui 
s'appliquerait aux travailleurs dans tous les métiai's et sur 
loule la planète ressemble de fort près au fameux calen- 
drier républicain qui supposait que les saisons se présen- 
taient uniformément ii la même date suv loule la surface de 
la terre, et qui ne sa doutait pas que le messidor ou le 
fruclidor de France correspondait aux frimas et aux ense- 
mencements des antipodes. 

Grâce au ciel, le monde terrestre, si petit et ai étroit qu'il 
soit, oITre encore de la variété, et cette Tariété, c'est la con- 
dition même de la vie et du progrès. Ou veut l'étouffer sous 
le poids de règlements internationaux; la diversité heureu- 
sement des mœurs, des traditions, des qualités physiques 
et morales y répugne : nulle tyrannie n'est intolérable 
comme celle de l'uniformité. 

Toutes les analogies que certaines personnes prétendent 
tirer de diverses conventions internationales acconiplies 
montrent la superficialilé d'esprit de ceux qui les invoquent. 
Dans le projet de législation internationale sur les travail- 
leurs, il ue s'agit pas de régler en commun certains orga- 
nismes généraux et simples, certains cadres extérieurs en 
quelque sorte à la société, ct^rtaines fonctions limitées, 
circonscrites, d'une nature en quelque sorte élémentaire, 
comme les postes, les télégraphes, les poids et mesures, la 
monnaie, les marques de fabrique, etc. ; il s'agit de pénétrer 
profondément la vie quotidienne de chaque être humain, de 
s'immiscer dans ses occupations les plus intimes, dans la 
liberté à laquelle chacun a le droit de tenir le plus, celle 
de l'acte principal de son existence, le travail. 

Celle législation, si l'on parvenait jamais à l'édicter, 
échouerait contre un ohstacle insurmontable, la diversité 
d'intensité du travail des diJI'érenles races pour une même 
durée de labeur. 



l 



LA HEGLEMEM.aiON Dl' TRAVAIL. 3S3 

En supposant raccord conclu, où serait le contrôle? La 
matière est compliquée, délicate, infinie, puisqu'il s'agit de 
tous les sexes, de tous les âges, de tous les ntelicrs, de tous 
les foyers. Qui répondrait que les engagements pris par 
chaque pays seraient sérieusement tenus? 

Nommerait-on des contrôleurs internationaux qui au- 
raient le droit de Taire des inspections dans les Tabriques et 
les ateliers des diverses puissances? Quelle niitioo accepte- 
rail, dans toute sa vie quotidienne et intime, l'inspection de 
Tunctionnaires étrangers? En admettant par impossible que 
cette législation internationale fût adoptée, elle deviendrait 
bienlAt un leurre par l'inégalité de conscience des divers 
pays dans l'application. 

Elle serait, en outre, un singulier danger pour la civilisa- 
lion occidentale. Qu'on se garde de trop énerver notre in- 
dustrie 1 Manchester se plaint aujourd'hui de Bombay. Mais 
les Indes ne sont pas le seul concurrent de l'Europe. Pur la 
Turce des choses, avant un demi-siècle, du moins avant un 
siècle, la Chine, le Japon, attireront nos capitaux et nos arts, 
recevront nos macbines: ce qui se passe à Bombay Unira 
par *e produire dans toute l'Asie . 

Qu'on réfléchisse que les Occideotaux, gités par un mo- 
nopole industriel qui va bieolât leur échapper, sont en 
train de beaucoup s'amollir et que, lik-bas, dans l'extrfime 
Orient, de vieux peuples engourdis, à population dure et 
sobre, se réveillent, qu'ils naissent â l'industrie et que, 
beaucoup moins ménugem de leurs aises, ils pourraient, 
Kur le marché international élti^i, préparer de poignantes 
surprises k nu* enfants otik nos petits-enfants (1). 

(11 On *r troDipi- brnucuup, va gtutr»l, ait le ({cnre df fnociirrenc« 
liant. Ht» (ol> ann^a il« iiM luacbiae* nt puurvun (l« nua oapilaux, ki 
Ilinituui, le* ChliMiïii, Ist Japouals niKiMCFUt l'OcciJonl. Ou t'imtgiiiR 
'lup puur Duirii *trl«u*pDiaDt aui jHtuplEi -l'Europe ou d 'Amérique, il 
F«r4ll atoeir*iTr Iptv Im Cfatuol* viuMcDl te Qxer coinmi.- traTsitliur* 

23 



L'ÉTAT MODEHNE ET SES FONCTIONS. 



la 

Il ButDra que les peuples de l'extrËme Orient puLsaent fabriquer cIipz 
eux et exporter leurs tnarchnntlises & meilleur aiArchË que les peuples 
chrâliena ; alors les 7 à 8 milliurda (l'exportation de l'Angleterre, les 
3 milltarde et demi ou 4 milliards d'exportation de la France seront 
singulièrement compromis. Ces pays verront se réduire de moitié ou 
(les trois quarts leurs diSbouchés extérieur» et ne retrouveront pas une 
compensa ttOD â l'intérieur. Ils seront dans une grande difficulté pour 
se procurer les matières premières ou les denrée» étrangères que leur 
sol ne peut pas produire, du moins en quantités aufGsanlea. coton, 
laine, cuivre, pétrole, café, llié, etc. Sans qu'il soit nécessaire qu'un 
Ctiinois ou qu'un Hindou vienoe se Qxer en Europe, l'esiiur industriel 
de l'Europe pourra fitre arrêté, le commerce de l'Europe pourra di- 

Or, tes Étale asiatiques auront, quand ils le voudront, de» capitaux; 
l'Europe, qui en produit A foison et qui ne soit déjà plus qu'en faire, 
sera toute prâte à leur en envoyer. Déjà il se cote à Londres des em- 
prunts cbinois et japonais. Au moment présent (avril ISS9] l'emprunt 
chinois 8 0/0, remboursable en 1B9S, se cote à la Bourse de Londres 
106 1/3, c'est-à-dire que. déduction faite de la réserve pour parera la 
perte du remboursement, il se capitalise k 61/4 0/0; l'emprunt japo- 
nais, 7 (l/Q, se cote à la même Bourse 113. 

J'écrivais, ces jours-ci, dans rfic(ï7iomii/e/>'anfaw(n'' du 13 avril IB8J) 
que si la Chine voulait emprunter 500 millions ou I milliard en Europe, 
elle serait assurée d'un complet succès, d des conditions d'iutërSt da 
S 1/3 ù 6 0/0 au maximum. 

11 serait très aisé à la Chiue d'emprunter en Europe et en Amérique 
3.'> à 30 milliards de francs en moins d'un quart de f'itclii pour des che> 
mins de fer ou des usines. Que les Européens, qui s'amollissent, prennent 
donc garde aux hommes d'extrême Orient qui, en moins d'un demi- 
siècle, s'ils le veulent, pourront s'outiller de manière i réduire, dans 
des proportions énormes, le commerce, l'industrie et, par voie de consé- 
quence, la prospérité des Occidentaux. 



ciiAi'rrRK V 



\.K NATinE, L'ORIGINE ET I.E DEVELOPPEMENT 
DE L'ASSUHAh'CE. 

laie il'^lendre cunaïil^nblcmetil la tulnllo de l'État au moyco dci «mu- 
rnocpr. page SIA, — Eu quui codiI«(e l'oiisiiriuci!, page 356. — Ln 
rIi aMunitCE* dilT^realea qjî aeriienl ulilvï à l'oUTrier. page 357. — 
La relliiloo •! la «i^rtiiLion il« l'awuranre, page 3ST. — Les condi- 
llon*, fpdclaipi * nolm temp», qui ont rocllitè Ik d^veloppuuieat de 
l'oMaratira, page. ia. — Le* dnui forniM d'ugiirancc Ifi plu« au- 
rtRUur.*, le* OfSuraDceB tnariilitiet i-t le* a*»uraucfl* cootm In* mala- 
die», page lU. — Le* Ih^orioîvn* allttmondii de l'oMurance par l'Ëlat, 
page U9. — tlainouB duclrluale* duuu^ea eu te Ken*, paye iilB. ~ 
C'E*t, dan* l« plupart des ra«, k erMM privai qui Trayu la voie au 
rradil publie, pog* 36(1. — Critiqua* adretaî^ea aux a^uranm* privée*, 
page 3hI. — Ri'pntiai! A cpk critiiiuoi, pn^n M3. — Le* a*tu rancira ofS- 
drllei n'nul Jamai* pu aupportir avanUgouiameot la roncurtvnco 
du oiauraneri priv^ei, pngn 3G!. — Exrmplo de In FroncD pI de l'An- 
gleterre, page SCI. — Lr» a«*urani:eB orficielle* eu Aileniagao, an 
Autriche, eu Siiii«e et dann le* pay* ccoudiuHvei, page 36*. — Tahleau 
du d^veluppomeDl reipectK de* oMuraucea olIlciellM et de* aaaiiraiice* 
Ulire* en Allcmago». page 3St. — L'État rerjcnt, ta iuati»rc d'aaau- 
nuice, A la Train uatum, In routralntr, pogn 3M. — (Jriglnn dna prn- 
)uL> d'awurance* ohllgatolm* de M. de llUmarck, page 3M. — L«i 
Inii ou projet* de loi allewandi, en cette tnatitre. auiit luiu d'avoir la 
partie Micialo i(u'<id leur attribue, page 30f>. 



La fixation par la loi des heures et parfoii dos modes d« 
travail paraU «ncore i beaucoup de personnes une insurfi- 
sante Intervenlion f;onvememeiiUle en faveur des oiivi4en. 
La Intolltf (le l'Ëlat doit aller, <lil-oii, iMaucoup plus loin. Il 
convient de protéger l'ouvrier contre tous les risques qui 
peuvent entraîner pour lui ou pour sa riimille In g6n« ou 
rindigonce: cela, d'ailleurs, serait Tort aisé, par la généra- 



^L peuvent entri 

^H rindigonce : c 



356 L-ÉTAT MODEltNE ET SES FONCTlÛiNS. 

lisation d'un procédé, qui est connu depuis un grand nom- 
bre de siècles el où l'induslrie privée a obtenu un succès 
croissant, notamment dans la dernière centaine d'années ; 
j ce procédé, c'est l'assurance. 

Il oiïrirait le moyen certain de melire les individus il 
l'abri des risques divers de pertes, de ceux du moins de ces 
risques qui sont précis, peuvent ^tre délerminês d'avance, 
ont un caractère en quelque sorte périodique, soumis 
qu'ils sont, sinon pour chaque individu isolé, du moins 
pour chaque groupe nombreux, à une loi de répétition et 
de régularité- 
Ce procédé consiste dans le calcul, à l'aide de Tobserva- 
V lion et de l'expérience, de la fréquence des risques et dans 
l'imposition à tous les partisans d'une cotisation, d'une 
prime; l'ensemble de ces primes représente le sinistre total 
qui, selon les probabilités, frappera le groupe; il doit, en 
outre, couvrir les frais d'administration et constituer une 
réserve pour les cas imprévus et les chances d'erreurs. 

L'humanité s'est avisée dès longtemps do l'excellence de 
cette méthode d'évaluer le total de certains risques précis 
pour tout l'ensemble d'un groupe d'hommes associés, et de 
répartir à l'avance entre eux la perte de façon qu'elle soit 
aisée i supporter. 

Inventé par un auteur inconnu, & une époque indétermi- 
née, sorti peut-être de l'instinct même des masses humai- 
/ nés, ce procédé a eu de lents et pénibles débuts; puis, eu 
I vertu de la séduction qu'exercent sur la société les institu- 
tions utiles au fur et à mesure que le jour se fait sur elles 
et que le mécanisme en est compris, il s'est graduellement 
généralisé. 

Ce sont d'abord les couches élevées et intelligentes de la 
société qui l'ont mis en pratique; puis les couches moyen- 
nes et peu à peu on y voit accéder spontanément les classes 



L'ÉTAT ET LES ASSL'HANCES- 3-17 

inrérieiires. Limité d'abord à quelques risques très simples, 
ti'ès généraux, il tend œainteaaDt à en embrasser beaucoup 
d'autres. Ou veut l'élendre parrois à des risques très com- 
pliquas qui ne paraissent guère susceptibles de se plier ii 
une organisation de ce genre, aux railliles par exemple ou 
aux vols, ou à la dépréciation des titres de bourse. 

Eu ce qui concerne l'ouvrier ou la Tamille ouvrière, un 
économiste allemand, M. Brentano. professeur à l'univer- 
sité de Strasbourg, n'indique pas moins de six assurances 
dilTérenleg qui seraient nécessaires pour lui donner la sécu- 
rité et le bien-f tre : 1° une assurance ayant pour objet une 
rente destinée h secourir et à élever ses enlants dans le cas 
où il mourrait prématurément (c'est la garantie du renou- 
vellement de la classe ouvrière) ; 'i' une assurance de rente 
viagère pour ses vieux jours; .'t* une assurance destint^e à 
lui procurer des Tunérailles décentes; <4° une assurance 
pour lu cas d'indrmilés ; .V une assurance pour le cas de 
maladie ; G° une assurance pour le cas de cbAmage par 
suite de manque de travail. 

Encore doit-on dire que l'écrivain allemand s'est borné 
à l'examcti des risques qui frappeut la personne. Mais l'ou- 
vrier aurait besoin, en outre, do diverses assurances contre 
les risquas qui menacent les biens; car il ne lats-te pas. 
d'ordinaire, de pot^séder quelques biens, un mobilier qui 
peut être brillé, parfois un champ qui peut être grêlé, une 
vache qui peutéire atteinte de contagion. 

L'idée que l'on peut donner k l'homme U sécurité com- 
plète, absolue, que sa situation pécuniaire no sera Jamais 
changée, pourrait bien être une idée chimérique. De même 
qu'il y a la religion de l'assurance, c*est-&-dire une appré- 
ciation raisonnable des avantages que ce procédé comporte, 
des extensions et des progrès dont il est susceptible, il y a 
aussi une superstition ou un mysticisme de l'assurance qui 



358 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

attend de cette ingénieuse méthode ce qu'elle ne peut pas 

fournir. 

Quelques vues rétrospectives sur les origines, le l'onc- 
tionnemenl et la propagation des assurances ne seront pas 
inutiles pour déterminer le rûle de l'État en cette matière. 

Sous leur forme actuelle, constituant un réseau aux mailles 
serrées qui embrasse tout un pays, les assurances peuvent 
être considérées comme une inslilulîou de propagation 
récente ; mais elle est d'ancienne invention. 

L'énorme augmentation de l'épargne dans les diverses 
classes des peuples civilisés, la facile circulation des capi- 
taux, l'abondance des valeurs servant aux placements, la 
connaissance plus exacte de la loi des grands nombres, des 
statistiques plus détaillées et plus certaines, incessamment 
corrigées et renouvelées par une observation allentive, 
l'instruction plus répandue, le secours de la presse, toutes 
ces circonstances ont singulièrement aidé fi faire connaître 
et à généraliser le procédé de l'assurance. 

Les deux formes d'assurances les plus anciennes sem- 
blent être l'assurance maritime et l'assurance contre les 
maladies ; l'une, née de l'instinct du commerce ; l'autre, de 
l'instinct philanlbropique. 

On retrouve dans les discours de Démosthène des preuves 
du ronclionnement de l'assurance maritime et de quelques 
fraudes auxquelles elle donnait lieu. Au mv° siècle exis- 
taient des compagnies flamandes, portugaises, italiennes, 
pour celte branche de l'assurance. On en voit sous Charles- 
Quint qui paraissaient déjà fort anciennes. Le marchand 
de Venise, Antonio, de Shakspeare, s'il se vil réclamer sa 
livre de chair par Shylock, aurait pu, avec quelque pré- 
voyance, éviter cette extrémité. 

Quant aux assurances contre la maladie, elles sont nées 
fort anciennement, moins du calcul rigoureux peut-être. 



L ET\T ET LES ASSIHANCES. Mi 

que du senliment de la sociabilité ou de la bienraisance. 
L'ne pensée chrétienne s'y est mglée au moyen âge. Les 
confréries de pénitents étaient de vraies sociétés de secours 
mutuels, des assurances contre la maladie : ce Tut Tun de 
leurs principaux attraits. 

Il ne Tant pas oublier qu'il y a deux grandes catég:orie£ 
d'associations, celles de capitaux et celles de personnes et 
que, si les premières, avec un certain développement du 
moins, sont relativement nouvelles, les secondes ont Toi- 
«onoé de tout temps, aussi bien dans l'antiquité qu'au 
moyen Age. ^'instinct humain, quand on ne le comprime 
pas, produit spontanément un nombre inQni d'associations 
libres. 

La société doit-elle se fier à cette fécondité de l'instinct 
bumain, n'en remettre à lui de créer successivement et de 
répandre les organismes qui peuvent atténuer ou réparer 
les divers maux dont l'homme est menacé? Doit-elle, au 
cimtraire, en appeler à cet appareil de coercition qui se 
nomme l'Etat pour imposera tous, ou du moins aux plus 
menacés et aux phiH inléressants, des combinaisons protec- 
Iriceit dont, sans lui, ils ne se soucieraient pas? 

Un certain nombre de théoriciens, la plupart allemands, 
soutiennent cette seconde thèse. Pour eux l'État est l'assu- 
reur naturel, l'assureur en quelque sorte nécessaire, non 
seulement pour les risques qui menacent la personne de 
l'ouvrier, mais même pour les risques d'incendie, de grCle, 
de morUlitédu bétail, etc. I^eprofesseur Wagner, de Berlin, 
confident du grand chancelier de l'empire, est celui qui 
a le plus développé cette doctrine. 

L'Ktatest. dit-il, l'intermédiaire naturel entre les citoyens 
et le lien de» citoyens entre eux. Par la perception de l'im* 
piil et l'emploi des ressources budgétaires, l'État pénétre 
■tans la vie intime de la nation. H ett vrai que l'État est 



k 



360 L'ETAT MODERNE ET SES F0NCT10HS. 

un lien ; mais c esl uo lien que l'on subit, qui n'a aucune 
souplesse el qui, s! on le resserre et qu'on l'élende à tous 
les membres, rend les individus passifs. Tout autres sont 
les liens que les individus Torment entre eux en vertu de 
leur aciivilé spontanée ou de leur choix réfléchi; ces autres 
liens peuvent être tout aussi efficaces, et ils respectent plus 
la personnalité. 

L'État est encoie indiqué, dit-on, pour le monopole des 
assurances, parce que seul il peut donner une sécurité ab- 
solue. L'histoire ne confirme pas cette assertion : bien des 
États n'ont pas tenu leurs engagements, môme dans le cou- 
rant de ce siècle, tandis que la plupart des sociétés parti- 
culiËres bien conduites exécutaient régulièrement leurs 
contrats (1). On peut même iiffirmer qu'une extension nou- 
velle et considérable des opérations financières de l'État, 
en dehors de ce qui est nécessaire au Tonctionnement de 
ses services essentiels, rend plus précaire, plus fragile, plus 
dangereuse sa situation financière. 

Mais, quand même l'État, ce qui n'est vjai ni de tous ni 

(1) Comme ayant titit des banqueroutes, soit purtielle», soit tolnles, 
Boit pour leur dette consolidfte, Boil pour leur papiar-nionaaie, on peul 
citar la France à la Un du deruicr siècle, les Élats-ttniB au m^me nio- 
menl, l'Autrictie-Hoagrie, [a tluaBJe, l'Italie, l'Espagne, dilféreats Étala 
de la grande Caarëdératian américaine, notamment la Virginie, presque 
tous les États de l'Amérique du sud. 11 n'y a guère que k Grande' 
Bretagne, la Hollande et quelques petit» pays, qui aient coroplËtement 
écbappé à ces d^taillsneet de la solvabilitf de l'Etal. 

Au contraire, dan» presque loua lea pays que je viens de nommer, il 
y a eu des sociËlés privées très florissantea au moment mËme au l'Ëlat 
se trouvait danx lea plus graves embitrra). C'est par l'exemple de la pros- 
périté de diverses grandes instilulions privées, chemins de fer, ban- 
ques, assurances, etc., que peu à peu le crédit des Ëtata défaillanla s'est 
relevé : ce phénomène est tout k fait mauiteste, pour qui étudie arec 
soin les Bnances des diverses nations au dii-neuviémc siècle. Lea succès 
du crédit privé, les bunnes habitudes et la confiance qu'il répand dans 
la nation, Suisaent par proStcr an crédit de l'État. En finances, comme 
en toute matière, bien loin que l'État soit l'éducateur des parliculien, 
ce sont les particuliers qui, peu à peu, avec beaucoup de peine, bnt 
l'éducation de l'Étal. 



L'ÉTAT ET LES ASSUKANCES. 3iil 

d'un seul à tous les instants, otTHrait cette absolue sécu- 
rité que lui attribue si bénévolement M. Wagner, l'espé- 
rience prouve qu'une réglementation prudente, par voie 
législative, des contrats d'assurance, dans la branche vie 
notamment, procure, sous le régime des sociétés libres, 
une très haute sécurité relative, qui est suffisante. Il im- 
porte de laisser l'homme faire quelques efforts pour attein- 
dre à la sécurité absolue, sinon l'on engourdit sou esprit, 
et tous les actes de la vie civile unissent par se ressentir de 
cet engourdissement. 

Descendant des principes généraux aux dét^iils, le pro- 
fesseur Wagner invoque en faveur de l'assurance par l'Ktat 
les raisons de fait qui suivent : il y a dans l'assurance libre 
un grand gaspillage de capital et de travail; les frais géné- 
raux, It! nombre des agents, leurs remises, tout cela est 
excessif. L'Ktat, au contraire, a ses bureaux de poste, ses 
percepteurs, ses instituteurs, ses agents de police. Il peut 
recouvrer l'assurance comme un impAt, presque sans aug- 
mentation de frais. L'opinion publique, ajoute assez im- 
prudemment le théoricien du Berlin, cuntrûleraittieaucoup 
plus âévéremeni la gestion de l'Ëtat et ses combinaisons. On 
n'aurail plus besoin d'une législation parliculîÈre sur li>s 
Btsnrances. 

Pub, le dernier argument, c'est que l'étal gérerait les 
assurances d'une fa^on plus philanthropique : il abolirait 
la (lifTéroncc des primes ; il ferait soutenir les faibles par lus 
forts; l'humble logis en torcbîs rouvert de chaume, tré» 
exposé au feu, ne payerai! pas une prime proportionnelle 
plus élevée que lu solide immeuble on pierre de taille et en 
fer. Les primes ne seraient plus conformes aux risques, ce 
qui revient h dire que l'ordre naturel «erait interverti, que 
les propriétaire!' des nieilleures maisons payeraient plus 
que leur part. 




362 L'ÉTAT MODEHSE ET SES FONCTIONS. 

Le renvËisement des conditions naturelle!!, c'est à qaoi 
veut toujours aboutir l'Étal bienfaisant. 

Tous ces prétendus avantages de l'assurance d'Etat sont 
presque autant de défauts. Sans doute 11 peut y avoir quel- 
que exagération de frais généraux et de personnel dans l'as- 
surance privée ; mais le gaspillage y est phitûl apparent que 
réel. Ces agents, dont on juge le nombre excessif parce 
que, dans chaque cbef-lieu d'arrondissement, ils sont une 
demi-douzaine on une douzaine, ne vivent pas en général 
uniquement de leur agence. Celle-ci n'est, pour la plupart 
d'entre eux, qu'un accessoire : ce sont des commerçants, 
des employés, des propriétaires, des rentiers qui joignent 
cette ressource auxiliaire à celles qui leur viennent d'un 
autre travail ou d'un autre fonds. 

Les règlements sont plus faciles avec eux qu'avec des 
agents de police ou des percepteurs. On peut compter sur 
une justice plus impartiale quand on ne plaide pas contre 
l'État, redoutable personnage qui jouit de tant de moyens 
de pression. 

Quant à l'abolition de la différence des primes, qui au- 
jourd'hui sont graduées sur les diversités des risques, cette 
mesure réputée humanitaire fausserait les idées du public 
et aurait des inconvénients réels : cette dliférence des 
primes est juste, puisqu'elle est conforme à la nature des 
choses ; elle a un effet utile, celui de pousser au progrès, 
aux arrangements, dans les constructions soit do maisons, 
soit de navires, qui comportent les primes les moins élevées, 
c'est-ii-ijire les moindres risques. Si l'Ktat veut faire la cha- 
rité, qu'il la fasse ouvertement. 

Si l'assurance d'État oITrait en elle-même tant de causes 
de supériorité, on ne comprendrait pas que des assurances 
privées pussent résister dans beaucoup de pays à la concur- 
rence d'assurances officielles. Or c'est le cas en France et 



L'ËTAT ET LES ASSURANCES. 363 

en Angleterre pour les caisses d'assurances sur la vie et sur 
les accidents. Les caisses ofticielles fondées en Franue sous 
le second empire, quoique, par une pensée philanthropi- 
que, elles consentissent des InriTs singulièrement avanta- 
geux aux déposants, n'ont jamais pu se liévelopper. 

Il en a été de même en Angleterre. Devançant d'une 
quinzaine d'années M. de Bismarck, M. Gladstone, en 1864, 
avait cru devoir créer un sj'sti-me de petites assurances 
orticiellcs, analogue à notre caisse des retraites. Celle ins- 
tiltition n'a eu que d'infimes résultats. En 1881, au bout de 
dix-sept ans, elle n'avait créé que pour i millions et demi 
de francs de rente viagère et elle n'avait Tait d'^issurances 
!<ur la vie que pont 12 millions et demi de francs. Les en- 
quêtes fuites sur cet éebec, notamment en 1882, ont mis en 
lumière que lu but n'avait pas été atteint, par la raison sur- 
tout que l'État, personnage peu attrayant de su nature, 
avait voulu faire le commerce sans avoir aucun des dons 
qui permettent d'attirer librement la clientèle. 

L'Allemagne elle-même a fourni la preuve que les assu- 
rances offlcioUos, en dépit de toute l'économie de rouages 
qu'on leur attribue, ne peuvent triompher des assurances 
libres. Dans les divers pays allemands et dans les contrées 
Scandinaves, il existe du nombreuses caisses ofllcielles d'as- 
surance contre l'incendie ; leur existence remonte au moyen 
Age, h cette époque ofi la commune allemande jouissait 
d'une forte autonomie. En Allemagne, en Autriche, en 
Suisse, en Danemark, on trouve donc de ces caisses ofti- 
cielles toil communales, soit provinciales, soil mCme na- 
tionales, qui fiinclionnenl concurremment avec li^s sociétés 
mutuelles ou les sociétés par actions. Ces dernières sont, 
d'onlinaire, beaucoup plus récentes. 

Jouissant du la priorité, ayant été parfois même, pendant 
longtemps, obligatoires, il semble que ce» assurances offl 




1 



LlOO 
paru 



364 l/ÊTAT MODERNE ET SES FO>CTIONS. 

cielles eussent dû rormer un obstacle à la création et au 
fonctionnement d'assurances libres. Celles-ci cependant 
ont surgi et n'ont pas cessé de gagner du terrain. 

Le célèbre économiste allemand Roscher constate que. 
en 1878, les caisses officielles contre l'incendie dans l'em- 
pire allemand assuraient pour 3S milliards 641 millions 
d'immeubles ou de meubles, les sociétés mutuelles libres 
pour I) milliards 480 millions, et les sociétés par actions 
pour 38 milliards 16â millions, soit moitié plus que tout 
l'ensemble des caisses offidelles. 

Les principaux protagonistes de l'assurance d'Ktat recou- 
naissent que, sous le régime de la concurrence, les sociétés 
d'assurances par actions finiraient par évincer les caisses 
officielles. Telle est, dans le domaine des adaires, la supé- 
riorité naturelle de toute organisation libre, flexible, ouverte 
aux changements, sur la bureaucratie nécessairement lente 
et pédantesque de l'Etat. 

Ne pouvant réussir par la persuasion, l'Klat est revenu, 
dans quelques pays, A sa vraie nature, la contrainte. Sur ce 
terrain, il ne craint pas de rival. Il a le monopole de la force, 
de l'injonction qui ne peut ôlre ouvertement éludée. 

L'exemple est venu de l'Allemagne. Sans entrer dans les 
détails des lois et des projets de M. de Bismarck, il est in- 
dispensable à notre sujet d'en exposer les idées générales 
et d'en juger l'application. 

Le penchant du grand chancelier de l'empire à un cer- 
tain socialisme date de loin; ses relations et ses entretiens 
avec Lassallc, le célèbre agitateur, sont connus. Sous la 
séduction de ce dernier, partisan des sociétés ouvrières 
soutenues par l'Ktat, M. de Bismarck avait pensé d'abord à 
subventionner même largement, en y affectant jusqu'à 
100 millions, des sociétés coopératives. Puis ce projet lui 
parut ii la fois trop restreint et d'un succès trop incertain. 



I 



L'Etat et les assikances. ai>3 

Le message du 17 novembre IMSl, la création du Rekhi- 
ami des Inneiti, annoncèrent la nouvelle politique intérieure 
dont l'incubation prit plusieurs années avant de se for- 
muler dans des plans précis. 

C'est l'assurance obligatoire qui parut le régulateur de la 
paix sociale. Mais jusqu'ici ce système d'assurance obliga- 
toire a été très restreint. 11 ne s'applique ni à l'incendie, 
pas mâme à celui des petits mobiliers ou des l'baumières 
et des petits immeubles, ni ù la grMe, ni à la mortalilé du 
bétail, ni aux naufrages, pas même à ceux des petites bar- 
ques, ni aux pertes par les transports. Logiquement, l'État 
allemand devrait Unir par s'occuper de toutes ces branches, 
i l'exception peut-être de la première. 

Il ne s'eït encore chargé que de l'assurance contre les 
maladies, puis contre les accidents prorcssionaels, enfin, 
aujourd'hui, il vient de Taire voter un projet de caisses de 
retraites ouvrières obligatoires. 

En fait, ces lois, ou votées ou en cours d'examen, sont 
loin d'avoir la portée sociale qu'un leur a attribuée : elles ne 
concernent qu'un petit nombre des riiiques ou des maux qui 
attendent l'homme; contre le plus grave et le plus certain 
de ces maux, celui do la vieillesse ou des inHrmités, elles ne 
promettent qu'uue indemnité dérisoire. 

Ces mesures semblent avoir plutAt un objet politique 
qu'un but vraiment social : on veut dérober aux socialistes 
révolutionnaires leur clientèle. Comme toujours, le socia- 
lisme d'Ëtal croit apaiser le dévorant appétit de Cerbère par 
un simple gSteau de miel ; après l'avoir englouti, le monstre 
sent redoubler »a voracité trompée et inassouvie. 



CIIAPITIÎE VI 



L'ETAT ET L'ABSUKA>CE OBLIGATOIRE. 



L'aaBuranop obligatoire en Alleuiasue, page 307. — Les actident» pro- 
reeaioanela, paga 3G7. — Proportion mofenDe îles uccîdi'alB au noinbrf- 
d'ouvriers employés, piifie 3iî7. — ImHfféraoce, Jusqu'à un temps ré- 
cent, de la plupart des lègislaltoDs à ce sujel. page -168. — La question 
de ]a preuve, page 3(18. — Ea fait, l'équité des tribunaux nccorde une 
iDdemoité pour la plupart des accideaU, page 3G9. — Etnbarrai des 
petits patroD? et des ouvriers aatonomes, page 369. — Examen de la 
loi allemaDde sur les accideuts, page 3GU. — La thi^orie du risque pro- 
fessionnel reatrant dans les frais génËraux, page 370. — La loi alle- 
mande est Incomplète quant à su sphéro d'action, page 370. — Taux 
des indeniuliâs, page 3;u. 

Énorme développement des Trais généraux de l'organisution atleuionde. 
page 371. — Les vices principaui du système : l'intérêt à provenir 
les accidents est diminué, page 373. — Bonne inQuence des soclètËs 
libres pour la réduction du nombre des accidents, page 379. — L'ia- 
demiiitë accordée dans les cas graves par l'assurance obllgatotra est 
souvent moindre que celle qu'octroyaient les tribuaauï, page 372. — 
La loi allemande pour l'n^surauce obligatoire des ouvriers coutre 1« 
maladie, page 373. — Elle ne s'applique qu'aux ouvriers propreineut 
dits et laisse de cAté une partie également intéressante de la popu- 
lation, page 373. — Fouctîoniiemeiit de nette assurance obligatoire, 
page 374. — La loi ne tient pas ce qu'elle promet; elle fait moins que 
les sociétés particulières bien menées, pagy 375. 

Impossibilité de maintenir cûte à cûte la philanthropie ofScielie et la 
pbitantbropie libre cl spontanée, page 377. — Les deux structures, 
page 377. 

Le projet allemand d'assurance obligatoire conlre les infirmités et la 
vieillesse, page 377. — Caractère illusoire de ce projet, pagt 378. — 
Tardiviié excessive de l'ùge de la retraite, page 379. — CbilTre infini- 
tésimal de celle retraite, page 379, — L'Ëtat moderoe ne peut rési»- 
a poussée universelle, quand il a provoqué l'universelle illusion, 
380. 

ngloutira, comme ressources de trésorerie, toute» les primes 
BStirances qu'il recevra, page 380. — Toutes les petites épargnes, 
lieu d'activés, deviendront passives, page -380. — Cel afllux d" res- 
irces poussera l'État au gaspillage, page 3HI. 



page 
L'Etat 



l/KTAT ET L'ASSl'HANCE OBLIGATOIRE. 307 

lacuuT^ukal» g^iiArnux de celle dispcmon de l'ËUt dans uue Touln il*> 
doinainnu, pagn 3hï. — Posaihïlîlé de rélrogrodatioa de la civiliu- 
tion nceldcDlale. pnge 383. 

Après bien <lcs l'tudes, des remanimeiUs, des résislances 
réelles ou simulées, le parlemenl allemand a adopLé le^ 
deux premières parties de la Irilogie du grand chancelier; 
il va faire sans doute de même pour la troisième (1). 

La loi du 13 Juin I8B3 a organisé l'assurance obligatoire 
des ouvriers contre la maladie; celle du fi juillet )88i a 
constitué l'assurance ouvrière obligatoire cimlre les acci- 
dents. 

Ouoii|ii» arrivant In seconde seulement par le vole, celle- 
ci venait la première par la conception. L'accident profes- 
sioDnel e.<tt un des ri4({iies graves qui menacent, dans cer- 
taines industries, l'ouvrier el sa famille. Il ne faut pas, ce- 
pendant, s'en exagi5ror lu fréquence. âur3,470.435 ouvriers, 
qui ont été assurés suivant le nouveau sysléme légal et qui 
représentent presque tons le» gens occupés dans la grande 
industrie el dans les métiers dangereux, on en a complu 
2,716 morts par accident et T.tUl atteints do blessures 
graves, soit 10,540 victimes ou une sur 3i!l: quant aux 
morts, on en trouve I sur l,â'77 : en évaluant i Xi ans ou 
Xtans la période moyenne d'activité de l'ouvrier do la grande 
industrie el des métiers périlleux, il y aurait pour chacun 
d'eui une chance sur 36 ou 38 de rencontrer la mort, et une 
chance sur V & Iti d'éprouver une blessure de quelque 
Rravilé. 

Comme une bonne partie des accidents sont dus, non pas 
à des cas forluils, mais Jt des fautes et \ des Imprudences 

(I) Au muni<-Dt iiAdoii* rovojroQ»CM tlgnu f Juilli^ 1889) ta lutd'oMU- 
rtoce contre la tIi'IIIem* vl«it lï'Mrt vuli^r ; uisin elle a ninc-rntr^ au 
H-^Ictnlifr pli» du rMUtancB qu'on D» lo «upposali. ri U D*t vralieoi- 
hlabl* qiiF, Hiii* U Éltuatioa extopUonnolli? iln M. >)« Hltniarrk, «Ile 
rtl M npaanH', 




368 



L'ÉTAT MODEBMÎ ET SEP FONCTIONS. 



de la personoe frappée, on peut diminuer pour les ouvriers 
pi'iidents el attentifs ces mauvaises chances de moitié, 
de sorte que le risque pour eux de blessures graves dans 
toute leur carrière serait de 1 sur 20 et celui de mort par 
suite d'accident, de 1 sur 10 ou 80. 

Dans certaines industries, ces risques sont loutefois beau- 
coup plus intenses et la prudence de chaque ouvrier consi- 
déré isolément a moins le pouvoir de les écarter : tel est 
le cas des raines. Sur 229.663 ouvriers employés dans les 
mines et les carrîËres en France, en 1885 il y a eu 32o morts 
et 990 blessés, la plupart de ces blessures, il est vrai, ne 
comportant pas une absolue incapacité de travail. En mul- 
tipliant par 33, durée moyenne supposée de la vie active 
de l'ouvrier, on arriverait à 11,373 décès et à 31,630 bles- 
sures, de sorte qu'un ouvrier, employé dans les mines, au- 
rait, pendant toute une carrière de trenle-ctnq années, une 
chance sur vingt-deux d'èlre tué et une sur sept environ 
d'iMre blessé, au moins légèrement. 

Ou comprend donc que la législation sur les accidents est 
d'une importance considérable pour les ouvriers. Cette 
législation, dans la plupart des pays, était restée indilTé- 
rente. Avant 1880 la loi anglaise, avant 187! la loi alle- 
mande, ne venaient pas au secours de l'ouvrier atteint d'ac- 
cident professionnel. La loi française se montrait plus 
humaine et plus généreuse, ou, du moins, noire jurispru- 
deuce, développant un principe général de notre Code, 
admet que le patron est tenu de réparer les conséquences 
du préjudice que subit l'ouvrier blessé ou sa famille, si l'ac- 
cident provient d'un vice quelconque des installations, de 
l'imprudence ou de la négligence même la plus légère d'un 
surveillant, d'un contremaître ou d'un autre ouvrier faisant 
partie du même atelier. 
La seule difGculté consiste en ce que, conformément aux 



l'état et LASSL'B\NCE OBLIliATOlRE. 369 

principes généraux de notre droil. la preuve de la faute 
Incombe aus plaignants, c'est-i-dire à l'ouvrier, qui n'est 
pas toujours en étal de lu faire. Mais, d'ordinaire, les dis- 
positions sympathiques des tribunaux atténuent les incon- < 
lénients de cette situation. On peut, d'ailleurs, discuter la 
question de savoir s'il ne faudrait pas, pour les indus- 
tries exposées à des risques fréquents, renverser l'obli- 
gation de la preuve et la transférer de l'ouvrier au pa- 
tron. 

En fait, on peut dire que la presque universalité des acci- 
dents survenant dans les ateliers mécaniques est en France 
largement indemnisée. Dans les industries qui sont le plus 
assujetties à ces risques, dans la fabrication d'explosifs, 
par exemple, dans beaucoup de mines et de carrières, les 
tociétés ou les patrons individuels ont pour babitude de . 
constituer des réserves spéciales pour pourvoir aux acci- 
dent» qui se produisent sans périodicité régulière, mais 
quelquefois avec une intensité terrible. 

Bien autrement malheureux sont tes simples ouvriers 
isolés ou les petits entrepreneurs autonomes qui, sans pa- 
tron, se livrent  des tAcbes souvent dangereuses ; bûche- 
ront, charretiers, maçons ou couvreurs il la campagne, pe- 
tits propriétaires, etc. La plupart de ceux-là ne peuvent tirer 
aucun secours d'une organisation légale quelle qu'elle soit. 
Leur seule ressource est de s'allllier & quelque tociéie 
libre ou de faire eux-m6me>. par un prélèvement anticipé et 
continu sur leurs gains, la part dos cas fortuits. 

La loi allemande sur les accidents a eu la prétention d'm- 
demniser tous les risquen professionnels; mais, en réalité, 
et c'est dans la nature des choses, elle en laisse beaucoup 
de c6té. Au lieu d'abandonner dans chaque cas au juge l'é- 
valuation du préjudice et l'examen de la cause, elle fait d'a- 
vance une évaluation invariable. On substitue ainsi une 

21 




aïO L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

règle abstraite, une formule rigide, à l'équité large el intel- 
ligente d'une magistrature humaine. 

L'accident professionnel est considéré par la loi germani- 
que comme un risque propre à l'entreprise et devant entrer 
dans les Trais généraux. Cette conception, qui est ingé- 
nieuse, peut être esacle de certaines industries et de cer- 
tains risques, ainsi pour le grisou dans les mines; elle ne 
l'est pas pour la généralité des autres cas. 

En vertu de la loi du 6 juillet f8S4, tous les ouvriers et 
patrons de l'industrie manufacturière, ne gagnant pas plus 
de :2,000 mark (2,460 francs) par an, doivent faire partie 
de corporations spéciales qui comprennent des professions 
semblables ou analogues et s'étendent soit à tout l'enapire, 
soit à certaines grandes régions. 

Le chancelier de l'empire aurait désiré une organisa- 
tion plus unitaire; pour obtenir le vote de son projet, 
il fut forcé de faire des concessions au.v idées particula- 
ristes d'une grande partie des membres du Reichstag. A la 
fin de 18K6, on comptait 02 de ces grandes corporations, 
dont 26 s'étendaient à l'empire tout entier. Toutes en- 
semble comprenaient environ 3 millions et demi d'ou- 
vriers. 

Il saute d'abord aux yeu\ que, dans un pays de i5 mil- 
lions d'habitants, il y a bien plus de 3 millions et demi à 
4 millions de travailleurs assujettis aux risques d'acci- 
dents professionnels : les cultivateurs n'en sont nullement 
exempts. La loi est donc incomplète quant à sa sphère 
d'action. 

En cas d'invalidité totale et permanente, l'ouvrier a droit 
aux deux tiers de son salaire; pour une invalidité partielle ou 
temporaire, l'indemnité est moindre. En cas de mort, la 
veuve reçoit 20 pour 100 du salaire; les descendants autant ; 
les enfants, chacun 15 pour 100 jusqu'à quinze ans, sans 



L-ÉFAT ET L'ASSURANCE OBLIGATOIRE. ;)7t 

que le total de ces allocations puisse dépasser 60 pour lUO 
du salaire. 

Ces indemnités sont à la charge des patrons seuls, l'État, 
ce qui est d'ailleurs de toute justice, n'y contribuant en rien. 

Des tribunaux d'arbitres élus, moitié par les patrons, 
moitié par les ouvriers, statuent, sous la présidence d'un 
fonctionnaire public, sur les difficultés que peut rencontrer 
l'application de la loi, sous lu réserve d'appel à l'Office im- 
périal des assurances, qui est composé presque exclusive- 
ment de ronctionnaires. 

Ce qui mius préoccupe ici, ce ne sont pas les détails de la 
léjiislation ou de la pratique, lesquels pourraient être mo- 
diliéa. mats le principe même et ses conséquences. 

De loute cette organisation bureaucratique, il résulte 
d'abord un développement énorme des frais généraux; 
c'est en dépenses accessoires que se perd la plus grande 
partie des cotisations arracbées aui industriels. Ce qui se 
réglait aisément autrefois en général, par la simple sympa- 
Ibiu ou par le jeu aisé d'une caisse privée et locale, devient 
l'objet de toute une paperasserie ndminiï'trative. 

Eu 1880. l'application de la loi a entraîné 2.3U.im mark 
de frais d'administration pour l,7ll,t;Q9 mai-k payés en 
indemnités: les quatre septi<^mes environ des primes sont 
donc perdus pour les victimes. 

Ce n'est encore là, pourtant, qu'un des vices accessoires 
du système. Les vices principaux sont les suivants : d'abord 
ta réalité de la loi est en contradiction avec ses prétentions; 
une grande partie, en elTet, des travailleurs, soit artisans, 
soit agriculteurs, soit petits propriétaires ruraux, soit petits 
entrepreneurs, tous exposés à des risques profesiionoel» 
divers, ne bénéllcient pas de l'organisation qui semble faitfl 
surtout (et c'est la nature des cboses qui le veut) pour les 
ouvriers de l'industrie tnanufacluriére. 



i 



372 l-'ÉTAT MOOERNE ET SES FONCTIONS. 

Ensuite, l'intérêt de l'ouvrier et du patron à iirévenir lei 
accidents se trouve sensiblement diminué: l'indemnité étant 
déterminée d'avance, dans les principaux cas, par la lo: 
elle-même, sans considération des fautes ou des împru 
dences commises par l'une ou l'autre partie, l'ouvrier a 
moindre intérêt à prendre des précautions minutieuses. Le 
patron, qui ne répond pas seulement de son propre établi 
sèment, mais encore solidairement d'un grand nombre 
d'autres établissements analogues, est beaucoup moins soL 
licite à adopter toutes les mesures, quelques-unes coû- 
teuses, qui pourraient rendre les accidents plus rares. Celi 
est de toute évidence. 11 n'est plus poussé & le Taire que par 
la philanthropie presque désintéressée. 

Certaines sociétés privées se sont constituées soit en 
France, soit en Alsace, qui, par leurs eiforts, avaient beau 
coup réduit ces risques professionnels : la Sor.iétê industrielle 
de Mulhouse notamment, fondée en 1867, qui fit diminuer 
dans la région, par certaines précautions et certains agen- 
cements, les accidents de bO pour 100; de même à Paris, 
Y Association des industriels de France pour préserver les ou- 
vriers des accidents du travail; un homme technique, phil 
anthrope aussi, M. Emile Muller, l'a constituée; quoique 
née en 1H83 seulement, elle compte 500 grands industriels 
adhérents et s'étend à 60,000 ouvriers; elle a i;[abli beau- 
coup de sociétés filiales. 

Tout ce zèle va, sinon disparaître, du moins par la force 
des choses, devant cette organisation bureaucratique d'État, 
s'affaiblir. L'assurance obligatoire suivant le sj-slème alle- 
mand augmentera probablement le nombre des accidents, 
notamment des très petits qui entraînent le plus d'abus. 

Il arrive, d'autre part, que dans la généralité des acci- 
dents graves et où l'ouvrier n'est pas en faute, l'indemnitâ 
allouée par la loi allemande ou parla loi française en cours 



L'ETAT ET L'ASSUHANCE OliLlGAÎOlIlE. 3"3 

d'étude fe trouve singulièrement moindre que celle igui élait 
accordée par nns tribunaux : 20 pour 100 du salaire à la 
veuve, c'est souvent \h une allocation très insu rilsan le. Il est 
h noire connaissance personnelle qu'une grande société 
industrielle, fort exposée A des accidents par la nature du 
produit qu'elle fabrique, ayant été condamnée en première 
instance A payer des indemnités très fortes aux familles 
d'ouvriers lues, invoqua, en appel, les tarifs proposés dans 
la loi française i l'élnde et fit réduire, gr&ce à cet argument, 
dans des proportions considérables les sommes qu'elle de- 
vait verser aux familles des victimes. Voilà nn cas, et nous 
en connaissons quelques autres de ce genre, où la loi soi-di- 
sant protectrice a tourné contre ceux qu'elle voulait protéger. 
Une loi n'est qu'une abstraction, un texte mort, une 
moyenne : elle favorise les nns, d'ordinaire ceux qui sont le 
moins dignes d'intérAt : elle réduit les autres, souvent ceux 
qui mériteraient le plus la sympathie. Sans recourir à la 
contrainte, on arriverait, d'une manière à peu près aussi 
ïûre et aussi prompte, par une bonne justice, à réparer les 
accidents professionnels: et l'on aurait, sous le régime 
souple et inventif de la liberté et de la responsabilité person- 
nelle, beaucoup pins de chances de les prévenir. 

La loi allemande pour l'assurance obligatoire des ouvriers 
contre la maladie, quoique présentée plus tard, a été volés | 
avant celle contre les accidents. 

Comme la précédente, elle a le défaut de n'embrasser 
qu'une partie de la population laborieuse. Elle impose IL 
tous les ouvriers de l'industrie l'obligation de s'assurer 
contre les risques de maladie en s'aflilinnt k une caisse de 
secourt; c'est A la judicieuse résistance dos progressistes et 
du groupe du Centre (Ij qu'est di) le cnoix delà caisse laissé 
a l'ouvrier. 
{!) On «ait qa* Ton apprik parti du Oalrr, daim lo Parkmenl aile- 




374 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

Mais qu'esl-ce que l'ouvrier et pourquoi s'en lenir à lui? 
Tout le monde n'esl-il pas digne d'une protection égale? Le 
petit employé, le petit fonctionnaire, la partie inFérieure des 
professions libérales, le matlre de langue, la maîtresse de 
piano, la lingère à domicile, tous ceux-là sont laissés eo 
dehors. 

Tel est le vice irrémédiable d'une législation de classe : 
elle ne tient pas compte des gradations infinies et impercep- 
tibles qui existent dans la société moderne; elle fait une 
cassure nette dans un milieu qui ne comporte rien de pareil, 
La loi allemande ne s'applique, en général, qu'aux ouvriers, 
non aux femmes et aux enfants, dont la maladie est pour la 
famille ouvrière une cause de grande gêne. 

Grâce !\ l'action des groupes libérau.ï du Reichstag, la loi 
sur l'assurance obligatoire contre les maladies s'est efforcée 
de respecter l'esprit local et corporalif. C'est le type d'assu- 
rance communale qui prévaut. Les communes peuvent se 
grouper en associations ou en unions. Les établissements 
qui occupent plus d'un certain nombre d'ouvriers peuvent 
avoir une caisse spéciale; ils y sont mÈme obligés dans cer- 
tains cas. Les corporations d'artisans peuvent aussi avoir les 
leurs. Les ouvriers peuvent former des caisses libres. 

Cbaque caisse a ses statuts et est gérée, d'après certaines 
conditions générales, par un comité de membres ouvriers 
et de patrons, les premiers dans la proportion des deux tiers 
contre un tiers. Les statuts peuvent être modifiés dvec 
l'approbation du gouvernement. Un inspecleur spécial gou- 
vernemental a le droit d'ingérence dans la comptabilité. 

Les cotisations sont fournies jusqu'à concurrence des deux 
tiers par les ouvriers aux jours de paie, et pour l'autre tiers 
par le patron. 






n Rfufral, eal oppose . 



LETAT ET L'ASSURANCE 0BL1G\T0IHE. 377. 

L'ouvrier a droit aux médicamenls, aux Tisiles du méde- 
cin et h une indemnité qui égale la moitié du salaire pendant 
une durée maxinia de treize semaines. L'assurance est donc 
boiteuse : car la moitié du salaire peut parfois ne pas suf&re, 
et tes treize semaines sont souvent dépassées par la maladie 
ou la convalescence. Les femmes' eu couches, assimi- 
lées aux malades, ont droit aussi, mais pendant trois se- 
maines seulement, à une indemnité de la moitié du sa- 
laire. 

La prime d'assurance à payer par l'ouvrier varie suivant 
les localités el les caisses; elle va, d'ordinaire, de 1 1/2 & 
3 pour lOil du salaire; dans les caisses de Tabrique où l'on 
s'occupe par surcroît des femmes et des enfanta d'ouvriers, 
la retenue monte souvent jusqu'il ^ p. lUO et la cotisation 
du patron fournît moitié en plus. 

Une loi complémentaire de IKSfî permet de prendre des 
dispositions pour l'ouvrier rural ne travaillant pas babituel- 
lement cbcx le mCme patron; mais ici les difficultés sont 
MMf grandes et on ne peut dire qu'elles aient été sur- 
montées. 

Tels sont les traits (généraux de cette organisation. Elle 
séduit un certain nombre d'esprits: elle n'en a pai moins 
des inconvénients graves, et spéciaux et généraux. 

D'abord, elle ne tient pas ce qu'elle promet, ce qui est un 
grand vice pour une institution d'ï^tat : elle n'embrasse pas, 
en elTet, toutes les personnes qui vivent d'un labeur profes- 
iiionnel ; et elle sert des indemnités, parfois ou trop réduites, 
on pu asseï prolongée*, «lie fait beaucoup moins que n« 
faisaient la plupart des grandes entreprises individuelles J 
bien menées. Celles-ci continuaient les secours même an* J 
delà de la période réglementaire et infranchissable de treiM* 
semaines. 

On n*a qu'à lire \' Enqiiitr dérennate di^i instîfulions li'initia- 




376 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

tive privée dans la Haute- Ahace (1) pour fitre étonné de tout 
ce qu'avait Tait le zèle individuel et du peu que réalise lo 
contrainte gouverneraenlale. Si l'on considère notre France 
actuelle, les sociétés de secours mutuels, en 1884, comptaient 
1,072,000 membres participants et en outre 173,603 membres 
honoraires; ces derniers, l'assurance obligatoire d'État les 
supprime indirectement ou les fait graduellement dispa- 
raître. 

De même, les institutions de patronage, c'ost-ù-dire cette 
intervention bienveillante, philanthropique ou chrétienne, 
des chefs d'industrie, qui se manifeste par des modes variés 
et efficaces de secours, l'inflexible mécanisme gouverne- 
mental tend à les éliminer. 

Un rapport de M. Keller sur l'industrie de la houille en 
France établit que dans .'f7 exploitations, comprenant 
i28, 000 ouvriers, les dépenses de secours el aussi dépensions 
étaient supportées exclusivement parles compagnies. Dans 
'.15 autres, comprenant plus de 31,000 ouvriers, les compa- 
gnies fournissaient 531,000 francs et les retenues des on- 
vriers lli>U,000; la part du patron dépassait ainsi celle fixée 
par la loi allemande, Bien plus, dans 73 autres exploitations, 
les retenues fournissaient 1,652,000 francs, et les subven- 
tions 1,188,000. 

En fait, sur 5,ai2,000 francs, formant les receltes des 
caisses françaises dans l'industrie des mines, 2,623,000 seu- 
lement provenaient des retenues, et 3.177,000 des verse- 
ments des compagnies. D'après le tarif allemand, celles-ci 
n'auraient été astreintes à fournir que 1,311 OUO francs. 

D'autre part, la rigidité de la loi allemande, qui impose 
aux patrons comme une dette civile une cotisation qu'ils 
considéraient comme une simple dette morale, change à la 

(I) Pubticalion de la Société indiisti-ieltr de Mulhouse, 1B78. 



L'ETAT ET I.'USSL'RANCE OBLIGATOIRE. 311 

longue les dUposîtions des industriels. L'on a remarqué 
qu'un certain nombre, depuis In loi, hésitent A engager des 
ouvriers valétudinaires ou incurables, afin de ne pas charger 
la caisse de leur établissement : même les autres ouvriers 
^■opposenl parfois à l'entrée des nouveaux venus d'une santé 
débile, dont ils auraient à couvrir partiellement les frais de 
maladie. 

Quoi qu'on fasse, la philanthropie ofllcielte, sous une 
forme obligatoire et générale, et la philanthropie privée et 
libre ne peuvent longtemps fonctionner de compagnie : l'une 
doit ruiner l'autre. 

Voici une belle observation d'Herbert Spencer : « Dans 
toute espèce de société, chaque espèce de structure tend à 
se propager. De même que le syslémede coopération volon- 
taire, établi soit par des compagnies, soit par des associa- 
tions formées dans un dessein industriel, commercial ou 
autre, se répand dans toute une communauté; do même le 
système contraire de la coopération forcée sous la direclion 
de l'Ëtat se propage: et plus l'un ou l'autre s'étend, plus il 
gagne on force rl'expansion.La question capitale pourl'homme 
politique devrait toujours i^tre : 0<iel type do culture sociale 
esl-ce que je tends à produire? Mais c'est une question qu'il 
ne se pose Jamais. » 

Peut-être le grand-chuncclior de l'empire allemand se 
l'est-il po»ée. Un lui prêtait dernièrement ce mot prononcé 
A un moment, vers la Rn du second empire, oîi il était vague- 
ment question de désarmement : » Nous autres, Prussiens, 
nous naissons tous avec une tunique. - Faire que la tunique 
itoit de plus en plus étroite et que les mouvements y soient 
de plus en plus gênés, cela peut élre un idéal ; mai» il tend h 
supprimer la civilisation. 

Le troisième projet allemand, celui de l'assurance obli- 
gatoire contre les inllrmttés et la vieillesse, nom retiendra 



378 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

peu. Les deus précédents auprès de celui-ci, qui est gran- 
diose par l'intention et parla formule, sont desimpies enfan- 
tillages. 

11 n'est encore qu'en cours de discussion. En voici les dis- 
positions principales : l'ouvrier aurait droit, à partir de 
soixante-dix ans, fi un^e pension variant de 90 à 210 francs 
par an, suivant le tâlîx inoyen des salaires de la commune 
où il aurait travaillé. Pour la détermination de ce taux 
moyen, les communes de l'empire seraient réparties en cinq 
catégories. Quand l'ouvrier, ce qui est un cas fréquent, aurait 
varié ses résidences, les diflicultés ne seraient pas minces, 
les calculs seraient fort compliqués. 

Quant aux pensions pour infirmités, elles atteindraient, 
selon la durée de la période pendant laquelle l'ouvrier aurait 
versé ses cotisations, 24 k oO p. 100 du salaire moyen de 
la commune. Les pensions pour infirmités et celles pour la 
vieillesse ne pourraient être cumulées. Les femmes n'auraient 
droit qu'aux deux tiers du montant des pensions alTectées 
aux hommes, c'est-à-dire que la retraite de l'ouvrière âgée 
de plus de soixante ans varierait de 70 à 140 francs. 

Les sommes nécessaires au service de ces pensions, bien 
inQmes, certes, en elles-mSmes, mais formant par leur 
nombre une masse considérable, seraient ainsi recueillies : 
les patrons et les ouvriers supporteraient chacun le tiers de 
la dépense et l'Etal le dernier tiers. Le taux probable de ces 
cotisations reste entouré d'une grande obscurité. 

La loi frappe d'abord par son caractère illusoire. Toute loi 
doit être sérieuse, cohérente, c'est-à-dire qu'elle doit pou- 
voir atteindre, au moins théoriquement, le but qu'elle se 
propose. Ici, le but, c'est de mettre l'ouvrier dans ses vieux 
jours à l'abri du besoin. Or est-ce que la vieillesse pour l'ou- 
vrier ne commence qu'à soixante-di.\ ans? On croit rêver en 
lisant ce chiffre. 



I-'ETaT fit L'ASSL'BANCE OBLTGATOIHE. '.i'-i 

Voyei-vous un couvreur, ou un marin, ou même un tail- 
leur de pierres et un manœuvre de soixante-cinq ou soixante- 
huit ans? Le tetum imbflle sine ieiu, àa Virgile, ne s'applique 
pus seulement aux guerriers. 

D'après le Bulletin de ttatistiquc, publié par notre minis- 
tère des llnances, l'à^e moyen des fonctionnaires français 
admis & la retraite, en 188G. était de cinquante-sept nns et 
quatre mois. J'admets que le relAchemeut de l'administra- 
tion et la mi^thode sanvago pratiquée sous le nom d'épura- 
tion aient trop rabaissé l'Age de la retraite dans nos services 
civils; on devrait revenirù la pratique suivie il y a vingt-cinq 
ou trente ans, en ISt'iO, par exemple, quand l'Age moyen de 
la retraite, l'âge moyen le plus élevé que l'on ait vu depuis 
18.t1, était de soiiante-deus ans deux mois. Mais entre cet 
Age et celui du soixante-dix, quel inlorvalle, surtout pour 
des ouvriers qui travaillent avec leur lorre physique et non 
avec leur lorce intellectuelle! 

La plupart des ouTriers allemands auront traversé les 
plus dures privntions et seront couchés dans la tombe avaot 
de pouvoir jouir de la retraite que la toi en projet promet 
aux septuagénaires. 

Cette pension, si tardive, combien, en outre, elle est mo- 
dique! m A !ilO francs par an, qui peut vivre avec cela, 
même avec te chiffre le plus élevé '. 

En France, la retraite moyenne pour les fonctionnaires 
do la parti'' inlivr (opposée h la partie sédentaire] des postes 
et des télégraphes, c'est<&-dire principalement pour les fac- 
teurs, s'élève, en IHSfi, A 518 friincs; la retraite moyenne 
pour les fonctionnaires de la partie arti've du ministère de 
l'agriculture (toujours opposée k la partie sédentaire ou aux 
emplois de bureau) monte à 40U francs; c'est surtout des 
gardes- forestiers, des éclusiers q*uîl s'agit là. Ur, dans les 
chambres, il «e rencontre touiours des députés qui préten- 



380 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

dent qna ces retraites sont insignifiantes et qui proposent de 
les élever. Que seruit-ce des 90 k 210 francs que la loi alle- 
mande offre comme idéal aux ouvriers de plus de soixante- 
dix ans? 

Néanmoins, même dans ces conditions si peu efGcaces, 
ces retraites couleraient fort cher. Le projet allemand pré- 
voit une charge annuelle de f'Jo millions pour le service des 
retraites promises quand la loi sera en plein fonctionne- 
ment. Mais, avec les mécomptes qui sont inévitables en pa- 
reils cas, il est à craindre que cette somme ne soit fort in- 
suffisante. Puis, il faudra incontestablement augmenter le 
chiiïre des retraites et abaisser l'âge où elles sont acquises. 

L'État moderne, l'État parlementaire ou représentatif, 
l'État qui a affaire au corps électoral (même la puissante 
monarchie prussienne est dans ce cas), ne peut résister & la 
poussée universelle, quand il a soulevé les universelles es- 
pérances et les universelles illusions. Le principe de l'abs- 
tention absolue est ici de rigueur : l'Ktat peut s'abstenir de 
promettre des pensions de retraite à l'ensemble des ouvriers 
du pays; mais une fois qu'il a renoncé à cette abstention, 
il n'est plus maitre de réduire h des chiffres infimes ni ces 
pensions ni cette participation. 

Au point de vue financier, le projet de loi allemand repose 
sur la capilalisaLion <\ intérêts composés, pendant une très 
longue période, des cotisations diverses .^ verser par les 
ouvriers, par les patrons et par l'État. 

On tiendra donc des sommes énormes à la disposition de 
l'Étal et des caisses officielles. Qu'en fera-t-on? Ou achè- 
tera des titres de la dette publique ou l'on mettra cet argent 
en compte-courant au trésor, c'est-à-dire qu'on donnera à 
toutes ces sommes une destination passive. On les tirera de 
tous les hameaux, de tous les petils métiers, de toutes 
les petites industries qu'elles eussent pu féconder, et on 



LETAT et LASSL'RaNCE odligatoihe. 
les emploiera uniquemeoL & grossir la dette de l'Étal. 
Ces ressources extraordinaires pousseront l'État à nccroi- 
trc ses dépenses extraordinaires, il en a été ainsi en France 
pour les i milliards l:i de Tonds des caisses d'épargne. Si 
l'État n'avait pas recueilli chaque année les âOO ou 300 mil- 
lions de nouveaux dépôts, qu'il dépensait comme des em- 
prunts occultes, s'il avait été obligé, pour rassembler ces 
sommes, de faire directement appel au public, il est certain 
que le gaspillage gouvernemental eût été beaucoup moin- 
dre (1:. 



\\\ L» ltfi»liil>on nlIcmaDiln >ur 
ciiplrtn, ou r«t en train àe l'felTF. par divonvi nntioni : Dotatninent 
l'AulricbnHinKhc qui, depuii quioie an». KTftvile ilant l'orbilc de l'AI- 
lciiwffn«. piiir U Suiian. 

Moiua*i>D*»DU*lP«yirax. «DC4> i)iii conccro* cf ilemier pay* et plus 
•pécislaoïent le canton Jo tirn'i**, rlivi?r* iloctimanti qui prouvnnl une 
acUvit^ pbllanthToplqun il'filal. ame une urtunc tnnUancc aoll a une 
cenlraliMUoD aïoeaulte. (oit m^nie au aooialiamp sdmtnietraUt, par 
«loropln : U loi con»tiU)lioiin«lli> pour la création il'un buipice gtnfral, 
ailopti'D en IMDt et r«iiut*«aal, t-o une tu\e ninfiir, aoui le nom d'bo»- 
piee gtuèrsl, ti>u* le« fonda de charili Jutque-lu adu)lui«lr^* par Im 
camauaae»: U loi Ktoatolaedu I" julllei IRTâ ■iir la reaponiiabUiti de> 
eulrvpriar* dri chtinïna de ter cl iIrs balnaiii A *apeiir «n caa d'acci- 
dent : la lot g^oevoiM! dn 16 juin ISTH oonceraont la rcaponaaliiliti, 
dan* le uitmo oa«, d«» EOtrepreneun da chanlien «nvers leur* eut- 
plojrt»; la lui »d«rale du 13 man ISi; sur le travail dana le» tabri- 
que>: la loi lédirale du Vt lulu IMI aur la reapouaabllité civile de» 
labricBOIa. IIImod*, cependant, que cm loin, tout en a'6eartant aur cer- 
taine pointa de* mIm principes ^eonomiqnoa, sniii f<irt tlnign'^rf de hire 
au aociaUame loutna lea conocaMoiu quv l>ii tait la loi allniuaodr. (>ii en 
Jugera par In* étirait* luivonta : 

• ANTicLt I". — Celui qu). aFlun la dèOnilion de la loi Kd^rale du 
13 man IaTT. oiploile iiix- tabrique (bbriranli ed retpouMble, dana 
lv> limitCB &!••** par la prAienli' loi, du douimatça etatt A un employé 
ou i un ouvrier lu^ ou blu*i^ dans lei locaux >te la rubrique el par 
*in eiploltaïUoD, loraque l'ac<idcDl qui a votai la Uiort ou le* blei- 
■ure* a pour cbuh une faute imputable toit à lui mime, «oit i uu 
uiaDilataire, repréaenlant, dlrvcteuf nu anroHÎIlanl dam l'exercioo de 
M-* (iindioii*. 

- Aat. ï. — Ue hlirlcant. Ion mi^mo qu'il n'y aurait pa* taule de *a 
part, e*t re*poa«abln il<i dommage cauié i un employa ou * un ouerier 
lii^ ou ble**^ doua I** tucaui do U t*liri<|up vl par «on oploiLalJoD, à 
uinloa qu'il ne prouve ifue l'accident a pour cauu ou la force majeure. 




:i82 L'ÉTAT MODEHNK ET SES FONCTIONS. 

Oubliant son oi'igine, sa naliire et son objet spécial, qui 
esl d'être un appareil militaire, diplomatique et judiciaire, 
l'Étal moderne se disperse, s'épuise et s'affaiblit dans des 
domaines variés d'oii il tend ù expulser les associations 
libres. 11 y perd en cohésion et en autorité; il devient une 
proie de plus en plus tentante pour les intrigants et les fa- 
natiques. 

En diminuant les habitudes d'action collective libre, il 
tend à jeter la société dans l'engourdissement et l'hébéte- 






peraannes 



ou des actes i^riniiaels ou délicLueux imputables à d'autres persoDnea 
que celles mentiocnêes à l'arlicle premier, ou la propre Taule de celui- 
là mSme qui u été lue ou blessé. 

• Aht. 3. ~ Dans les industries que le conseil (tdtni, en eiËculion 
de l'arLicle à, lettre d, lie la loi sur le Irnvuil dans les fabriques, dëaigoe 
comoie engeadrsnt des maladies graves, le fabricuut est eu outre res* 
poDsable du dommage caus6 à ua employé 01 
ces maladies, lorsqu'il eet coaslatè qu'elle a 
t'exploitatiou de la fabrique. 

• Amt. i. — Le fabricant a. droit de reco 
dont ta faute entraîne sa rpspoiiaabililé. 

H Art. &. — La responsabilité du fabricant se 

• n. Si la mort ou la blessure (doq compris les cas prévu 
est le résultat d'un accident fortuit; 

a b. Si uue partie de ta faute qui a provoqué l'itcciilent (ou la maladie 
dans le sens de l'arliele ») est imputable à la victime ; eu particulier, bi 
l'individu, victime de l'accident, a contrevenu aux prescriptions do 
règlement de la fabrique, ou el. ayant, comme employé ou ouvrier, 
découvert dans les installations des défectuosités qui oot amené I'bci^- 
dent (ou la maladie), il n'eu a pas avisé l'un de ses supérieurs ou le 
tabricant lui-même; ù moins, toutefois, que le plaignaut ne puleae 
prouver que le fabricanl ou le aurveillant compéteut avait Mjà coq- 
naissance de cet état de choses défectueui ou dangereux; 

uf. Si des blessures antérieure ment reçues pw la victime onlexcrcé 
de l'iolluence sur la dernière lésion et ses conséquences, ou si la sautË 
du malade a. été affaiblie par l'exercice antérieur de sa profession. ■ 

On est, on le voit, encore loin en Suisse des (èm^ritès allemandes, 
même des exagératloaa de la loi française aujourd'bui (las^] eu cours 
de discussion. Néanmoins il y a une lendauce, chez no» voisins du 
Sud-Est, à se rapprocher davantage de la législation germanique. 
Ainsi, en 1888, les pouvoirs législatifs du canton de Genève oot discuté 
et la commission spéciale a adopté différents pi-ojets sur l'aseuraoca 
obligatoire en cas de maladie. Le virus socialiste gagne peu à peu divers 
Étals, les uus petits, le!i autres grauds. 



L'ETAT ET LASSUBANCE OBLIGATOIRE, 
ment- A )h longue, il ferait singulièrement reculer la civi- 
lisation. 

C'est une erreur Ae croire que la rétrogradation pour les 
sociétés n'est pas possible. L'histoire enregistre, au con- 
ttaire, beaucoup de phénomènes de ce genre. 

L'Europe occidentale et méridionale a prodigieusement 
reculé sous le coup de l'invasion et de la domination des 
barbares. 

Un recul du mâme genre, sous l'action persistante et 
prolongée de la tyrannie d'État, n'est pas en dehors des 
éventualités possibles. 

La civilisation, c'est-à-dire ce développement, presque 
ininterrompu dans les sociétés humaines, du bien-6lre, des 
conniiiïsaaces scientifl(|ues, de la liberté i>t de la justice, 
no peut être sauvegardée et accrue que par les moyeni qui 
l'ont fait naître : à savoir la liberté personnelle, l'initiative ' 
individuelle, la fécondité des associations privées, civiles et / 
commerciales. 

En face des ardentes et jeunes lociélés du monde noa- 
veau et des vieux peuples de l'extrême Orient qui se ré- 
veillent, prenons garde de perdre ces biens précieux. Toute 
notre supériorité dans le passé et dans le présent leur 
eil due. 

L'organisme bureaucratique et coercitif de l'Ktat, qui n'a 
plus même le mérite, sous le régime démocratique, d'avoir 
de la cobésiou otde l'esprit de suite, ne peut, en s'étendant 
en dehors de sa sphère naturelle, que mettre partout l'u* 
niformité à la place de la variété, l'engourdissement & la 
place de la vie (1). 



11} t.* lui allruiuile d'aaiuruice ouvrière obliKotoî'^' cuulri.- la ricil- 
l«M« Ttvat d'ttn votfe au noinvut uil uoa* corrigeoD* cm PM**- ^ 
loi (l^flunJvn u<< •'écutr qui! pu* de* ilf l«U> itutlgiUllauti ilu pro]Bt ((ae 
iiou» avoua anaJjiA dan* ee clupllr*. 



LIVRE VII 

EXAMEN DE QUELQUES CAS ACCESSOIRES D'INTERVENTION 

DE L'ÉTAT. 



CHAPITRE PREMIER 

DE QUELQUES APPLICATIONS ET DE QUELQUES EXTENSIONS 
EXCESSIVES DU DROIT DE POLICE. 

N.ilur»' tlu ilroil <I«» pi»li«'e *W. l'Hlat. p.ip.' .iHii. — Ln» ni6iledi)8 poussent 
tnitjoiirA au «ii'*vi>Ioppi>iiifnt de la poliott hygiriiiqiK^ pa^e 387. — 
l/iin lifM prril!* «lu In HOiirté moderuo est la douiiuatioii des spécia- 
listi'.4, pogt; :)HH. 

Hi'^Ht'iiK-nlatioii de** iiidii<itri«'!( insalubres et incoin modi.>s et des lieux 
piihli**!*. pact* HHK. — Surveillance d<'s constructions dans les villes, 
paifi' ''tHM. >- Contrôle sur les garnis, pa^re .388. — Diflicultés adminis- 
tratives pour It's logt'ni''nts in<(alubres, pa^^e ZHil. — Inronvénieuts du 
la di'struetion inronsidén'Mi de quartiers malsains, pa}<e aS'J. 

Pp'ji't de f.iire construire eu roniuandiU* par les pouvoirs publics des 
Io;;enients populaires, pag»* 'M)l. — Inconvénients d'une intervention 
de l'f p'iiP', page 391. 

H*'f;l< inenlation de certaines industries : le bill Plimsoll pour la pro- 
t'-elion des marins en An^Hetcrre. pnp! 31)3. — Mauvais effets de cette 
l/'k'i^litiiMi. page 39 i. 

intervention do I État dans rertain^s institutions secourables ou philan- 
tiin»pi>pie4 : les niiMit^-de-pii'ié, pa;^«* 39.'». — Les caisses d'épargne, 
pa^*' 3'.):. — L(*s pays où les (*ai<s<>8 d'êparfrne sont privées et auto- 
nouifs iMnpIoient mieux les rapitaux populaires que b's pays où cet 
êtiblis^iMiienls sont eentrali^és, pa;;e 3J7. 

Les lois sur ru'«ure, page .197. — L*»-» moraioir^x, pag»» .198. 

L4>s fabriques d'Ktat; exemple des fautes do l'Ktat fabricant : les COQS- 

truetiiuis navales, pagf 39*.). ^ Les monop>des i*Q vue d'impôts et les 

fabriques modèles, page 40<). — l^i tutidlo du commerce de la bou- 

' chf ri«> et de la boiilantfiTÎe, page 401. — De l'interveDtioQ de TÉlat 

dans les cas d'accaparement de marchandises ou de corners^ P^S® ^02* 

23 



386 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

— L'pxpèrJeoce prouve que ces syailicats d'accaparement échouent. 
Mat diiDS quelquE^R cas où iU «ont, pour la plupart, avantageux a. 
la EociétË en gèo'^ral, page W. 

La lit)i.'rtè commerciale al le seul remède efficace aux abus de la spé* 
culatioa, page 403. 

L'Etal ne doit pas iotervenir pour favoriser dans une m&mo ioduslrie 
les concurrents riiiiutés fiiibles, aux dépeuB de ceux rëpiitt^s forUi, 
page 40,1, — Il doil s'atistenir, sauf la gnranlie de l'ordre public et de 
la sécurité des propriËlés et des peraonoea, dans tous les différends 
entre ouvriers ut patrons, page iOL. — iDConvêmenU dea tarillca- 
tions offlcieusea do salaires : la série de$ prix de ia ville de Paria, 
page 400. 

Exagération des lois contre l'intempérance dans certaine Etats , 
page V}6. — Les luis sur lussodËtfs corn me relaies, page 4u7, — Les 
lois de El ■ ' ■■ '"" 



Nous nous disperserions dans uaa tiche inlinie si nous 
STÎoDS rinleDlion d'éludier un à ua tous les cas où l'État 
juge ù propos d'inlerv6nir, sous l'une de ses trois Tormes 
de pouvoir central, pouvoir provincial ou dêparlemental, et 
pouvoir communal. 

L'objet principal de cet ouvrage a été d'étudier le carac- 
tère concret de l'Élal moderne, ses moyens el ses procédés 
d'aclioo, sfi mission essenlielle, ses prétentions décevantes, 
et d'établir, par deux ou trois illiistrations, les limites 
qu'impose à son action sa propre nature. 

Ce livre n'est pas un dictionnaire où l'on puisse chercher 
chaque espèce particulière el voir si elle peut Juslîlter uqb 
intervention de l'Étal. C'est d'après les grandes ligues gé- 
nérales el par voie d'analogie que l'on peut prononcer sur 
toutes les questions spéciales. 

Néanmoins, l'opinion publique, préoccupée d'une foule 
de points particuliers, jugerait que nous avons incomplète- 
ment traité notre sujet si nous ne jetions, du moins, un coup 
d'œil rapide sur quelques-unes des matières que l'on solli- 
cite chaque jour l'État d'accaparer ou de réglementer. 

C'est surtout par le recours au droit général de police 



CAS ACCESSOtHES D'f.NTEBVENTlON DK L ÉTAT. 3 

m prétend supprimer beaucoup de mauK de la v 



civile ou de la vie iadustrielle. 

Nous avons donné de la police la déflniUon faabituelle : 
« UQ ordre, un règlement établi pour tout ce qui regnrde U 
sûreté et la oonimodili^ des citoyens. » Il nous a été Facile 
de montrer combien ces deux termes, surtout le second, 
sont vaguer et élastique» (1). 

La police étend de plus en plus ses exigences, en partie 
légitimes, en partie dérivant de la conception d'un inacces- 
sible idéal. Ses ambitions croissent à mesure que les centres 
de population se multiplient et grandissent, que l'éduca- 
lion. l'instriiclion et le bien-fitru ont diversidé, raffiné tes 
besoins, rendu les hommes plus (lélicats et que les règles 
de la salubrité et de l'hygiène sont mieux connues. 

Les sciences naturelles, notamment la science médicale, 
poussent toujours au dt^veluppemcnt de la police hygiéni- 
que, k des règles imposées aux individus, dans l'intérêt de 
tous. Cette police est, en principe, parfaitement justifiée, 
car un seul homme, pur une déraisonnable obstination, 
peut causer un tort général ; une pratique mauvaise, un 
local déTectueux. peut être une source d'épidémie. Or, l'on 
ne peut triompher des résistances individuelles que parla 
contrainte, et t'l^;tat seul a le privilège de la contrainte. 

Au»i>i les attributions de police vont sans Cl-sso en aug- 
mentant, sous la pression des médecins el dos philan- 
thropes d'un c6té, et du sentiment populaire de l'autre. 

Il est bon de rappeler, louterois, qu'il peut y avoir, 
même eu matière de police sanilairc, ile dangereuses eia- 
gératiuns. Médecins et philanibropes sont une nature altiëre 
d'dmei. i|ui de tout temps ont ressenti une inclination an 
péché d'orgueil et It la tyrannie. Leur» lumîâres, parfois 

[I] Voir plui liaut, page )<U. 




388 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

vacillantes et incertaines, ne valent pas toujours leurs in- 
tentions. Une nation qui serait livrée, comme une njatîère 
d'expériences, à nue académie médicale, souffrirait, à coup 
sûr, dans sa liboité, et penl-ôtre ne gajncrail-elle pas une 
compensation suffisante en sanlé et en longévité. 

L'un des périls des sociétés modernes, c'est la domina- 
tion des spécialistes. La spi^cialilé et le fanatisme vont, d'or- 
dinaire, de compagnie. 

Il ne sufllt pas qu'une mesure paraisse bonne et utile 
pour que la police la rende obligatoii'e; il faudrait qu'elle 
fût vraiment nécessaire et indispensable. 

On comprend que les pouvoirs publics assujettissent & 
certaines règles les industries dites insalubres et incom- 
modes; une enquête de commodo et incnmmodo est, dans 
ce cas, pourvu qu'elle soil précise et claire, absolument 
justifiée. On peut condilérer comme frivoles les scrupule» 
de Dunoyer, qui ne veut que des règlements répressifs et 
qui prescrit toutes les précautions préventives. 

De même, une réglementation des lieux publics de toute 
nature, théâtres, cafés, marcliés, se peut admettre. Il y 
1 Ijk un intérêt public commun. On peut dire, en outre, 
<]ue ces établissements, étant fréquentés par un personnel 
mobile et qui se renouvelle sans cesse, la personne qui 
y entre n'a pu, avant de prendre sa place, se rendre 
compte de l'état des lieux. 

Pour les fabriques et les usines, m^me dans les industries 
non insalubres, la police peut parfois revendiquer, mais 
avec discrétion el prudence, un certain droit d'intervention : 
ainsi, pour les chaudières et les appareils & vapeur qui, mn- 
nifeslement défectueux, assujettiraient à des risques d'ex- 
plosion tout le voisinage. 

Est-il admissible que l'Ii^tat exige des fabriques qui na 
8e rapprochent qu'imparfaitement des lieux publics une 



I 



CAS ACCESSOIRES D'INTERVENTION DE LETAT. 38'J 

ccrlaine hauLeiir de pliirond, un cube d'aii- déterminé, 
diverses précautions, qu'il impose, par eiemple, (|iie les 
transmissions des machines soient entourées de grillages? 
Ce soot là des questions qui prêtent à controverse: lil où 
Ton emploio des jeunes filles et des enfants, l'État peut in- 
voquer sa mission de protéger les élres incontestablemen 
Taibles pour revendiquer des attributions de culte nature. 
Encore doit-il toujours user de ce druit avec une circons- 
pection attentive, l'expérience prouvant que l'industrie est 
surtout prospère dans les pays où l'Élat intervient le moins, 
comme la llel;;ique el, jadis, lu Suisse. 

Le devoir de police peut s'étendre h une surveillance 
générale, mais discrète, des constructions dans les villes (I), 
notamment de celles qui, étant louées en garni, au Jour ou 
1 la semaine, se rapprochent beaucoup des lieux publics. 

Juste en sut est le principe de la régletnentuUun des 
logements insalubres, puisqu'il ne s*agit pas seulement de 
proléger l'individu mal logé, mais encore et surtout d'em- 
pédier la propagation de maladies aux dépcni de tout le 
monde. L'exercice de celte réglementation est toutefois, 
en pratii]UH, singulièrement délicat, i .!.•>, 

L'insalubrité peut tenir soit au bâtiment, soit ù l'usage 
qu'on en Tuit. Dan* le premier cas, quand le bAliment esl 
trop petit, trop sale, sans cour, sans aération, sans éguut, 
sans eau, sans privés, il est aisé k l'Klat de pri^scrin; le re- 
mède ; il est beaucoup plus difllcile de faire que tcuites les 
cUkics de la population puissent payi>r la location de lugo- 
menls entièrement salubres. 

La difllculté s'accroît quand l'insalubrité résulte de l'u 



\ I) A l'arli, la uiiinkipiUilf lomiie, a er poiot de *ub. Aan* de gruld* 
icr* ri rnt^v« au j)ropHtlmirw le druil d« varier lua façadM d«» nul* 
on», nulTanl ton iiiê, par d<* p\gaau», lialeun*, etc., il'ob II rètulta 
• dttolaulR uuitorwiu. 




390 L'ÉTAT MODERNE ET SES FOSCTIONS. 

{/ sage qu'oD Tait du logement. Ainsi, huit ou dix personnes 
s'entassent dans une chambre qui, d'après le cube d'air 
officiel, n'en devrait contenir que deux ou trois. L'État, dans 
ce cas, n'a ancnn moyen efficace d'action. Il ne peut dé- 
fendre à ces huit ou dix personnes de se mettre dans cette 
cbamhre qu'à la cundition de leur fournir deux ou trois au- 
tres chambres dont la location dépasserait leurs ressources 
totales. 

La police peut donc veiller à ce que les maisons neuves 
y' soient construites dans des conditions hygiéniques : largeur 
de rue et de cour, hauteur de plafond, égout, eau, privés. 
A l'observateur superilriel, son rôle apparaît comme facile; 
. mais la raison de discrétion se montre immédiatement k 
qui réiléchit : il ne fout pas, par des exigences outrées, 
faire renchérir outre mesure le prix du logement et le 
porter au-dessus des ressources du locataire. 

Pour les logements anciennement améiingés, la police 
peut faire effectuer graduellement des améliorations; mais 
c'est déjà plus difricile. Quant aux constructions tout à fait 
réfraclaires, doit-file tes faire détruire? On a recouru à ce 
moyen sommaire dans diverses villes, à Londres dans beau- 
coup de quartiers, t Paris pour certaines agglomérations, 
dont l'une a gardé un nom légendaire, la Cité des Kroumirs. 
Tout cela est bien délicat. Les philanthropes sont trop 
I emportés et ne voient que l'un des cOtés du sujet. Ce qui 
nous apparaît comme un bouge, à nous autres gens .lises, 
est quelquefois une sorte d'Llden pour la dernière couche 
du peuple. Les expulsés de la Cité des Kroumir& ont Tait 
savoir aux journaux leur désespoir. Où allaient-ils trou- 
ver asile? Pour' se mieux loger, l'argent leur manquait. 
Ces pauvres gens, victimes d'une philanthropie superfi- 
cielle, allèrent en grand nombre demander un abri aux 
voûtes des ponts, aux bateaux sur la Seine, aux maisons 



C*S ACCESSOIRES D-lMERVESTinN DE L'ÉT\T. 391 

en construclion on ;iiit carrières des environs de Paris. 

Graduellement, en n'nnlorisant auirune con^lriiction nou- 
velle dans des conditions manifeslement trop dérectuenses, 
en exécutant, sans une hâte excessive, des percements dans 
les vieilles parties des villes; on parviendra à les renouveler, 
à les rajeunir; il y Tiindra petil-6lre un demi-siècle. Mais 
ftura-t-on ainsi résolu compIMement le problème ; il y aura 
sur la lisière des grandes villes d'autres repaires im- 
provisés qui ne Taudronl pas mieux que les anciens; on 
aura reculé la souillure et l'on »e félicitera de ne la plus 
Toir. 

Puis toujours se représente cette éternelle question : il y 
a, par ses propres vices, sinon parfois par d'autres causes, 
telle couche si rérraclaJro ou si peu aisée de la population 
qu'ella ne veut ou nu peut mettre le prix d'un abri décent. 
On lui donnera de meilleures habitudes, dit-on; par la di- 
sette des loKemenli malsains, on la forcera h dépenser plus 
en logement et moins en boissons. II est possible qu'on ob- 
tienne ainsi, h la longue, quelques résultats. Mais il y aura 
tiiujours une certaine écume d'hommes qui ae concevront 
l'habitation que comme un simple et rudimentaire ubri 
contre les intempéries. 

Aux prises aTec son prétendu devoir d'assurer à toutes lei 
classes dei logements, sinon confortables, du moins salo- 
bro» cl rii^cenl», rKtai. soit sous %i forme centrale, soit sou» ^ 
sa forme municipale, est en train de se demander, dans 
divers pays, s'il ne va pas te faire entrepreneur ou comman- 
ditaire rie maisons ouvrières. 

Les objections sont nombreuses : d'abord lus objections 
d'ordre général, déjà énumérées dans les parties précé- 
dentes de cet ouvrage : l'impossibilité d'étendre les entre- 
prises de l'Ëtat sans rendre insufUsants et inefficaces tous 
les rouagea qui président à la bonne gestion et au contnl le 




393 L"ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

des finances publiques; les lenlaLions croissantes de cor- 
ruplion, de dilapidulion, le favoritisme, la dépendance 
éU'clorale. L'État arriverait à donner des logomenls gra- 
tuits ou demi- gratuits i la clienlële du parti au pouvoir : 
qu'on n'oublie pas que l'État moderne est, en effet, essen- 
tiellement un parti au pouvoir. 

Supposons que, par un excès d'abnëgation, auquel les 
partis ne nous ont pas accoutumés, ou voulût Taire proDter 
des maisons ouvrières de l'iîitat ou de la municipalité toute 
la population laborieuse, la classe ouvrière, considérant le 
loyer comme un impôt, finirait par ne plus vouloir le payer; 
sous la pression du corps électoral, on en réduirait cons- 
tamment le taux. La tendance à la gratuité de tous les ser- 
vices d'État n'a été que trop démontrée ^l). 

Il en résulterait pour l'État d'iiiextri('ables embarras 
Gnanciers et, pour les particuliers, une diminution de ta 
responsabilité personnelle. 

Il Tant tenir compte surtout de l'action éminemment per- 
turbatrice de toute entreprise d'État survenant au milieu 
des entreprises individuelles. Les particuliers, soit isolés, 
soit réunis en association, ayant à lutter contre un concur- 
rent aussi puissant, aussi f^mtasque, dont les décisions 
peuvent être si malaisément prévues, suspendraient immé- 
diatement toute construction de maisons à petits loi;ement3. 
Le problème de l'amélioration du logement populaire, au 
lieu d'avancer, reculerait. 

On a parlé d'une intervention plus limitée : l'État, au 
lieu de se faire consIrucLeur de maisons ouvrières, prêterait 
simplement aux sociétés qui se chargeraient de ces entre- 
prises, des fonds à 3 pour 100 d'intérôl, en Angleterre mâme 
à 2 3/4, puisque le crédit public est à ce tau.x en ce pays. 



(I) Voir plus haut, spéem 



t puge l(i}. 



CAS ACCESSOIRES D'ISTKHVENTION DE L'ÉTAT. im 

Cet cxpétHeot serait moins dangereux, mnis il n'csl nulle- 
msnl certain qu'il Tût eftlcaee et <[ue l'Etui n'en éprouvit 
lias di>s pertes, ^ans bîenrail correspondant pour la popu- 
lation ouvrière. 

Sans aucune dëpenia direcle, ni subvention, ni garanlje 
d'i'ilérfil, simplement par une bonne économie des flnancea 
publiques, en profilant do toutes les occasions de conver- 
sion et d'amortissement des délies nationales et munici- 
pales, par ta diminution des impAts sur les transports, sur 
1rs matériaux, des droits du niutalioii el d'enrugislrement, 
eu rédui^int au minimum les Trais d'^goul, d'adduction 
dV.ui, d'i^clairage, l'Klat, tant national que municipal, pour- 
rait contribuer à l'amélioralion du logement des ouvriers. 

11 n'est pas besoin, pour cet objet, d'une lâgislaLion de 
classe. L'Htal presque partout peut plus par des règles 
gôni^rales que pardeA règles particulières. 

L'h^lat est sollicité d'intervenir spécialement dans cer- 
taines induntries qu'on dépeint comme plus périlleuses que 
les autres : celle des mines, par exemple, ou de lu navi- 
gation. 

L'exemple de ce qui s'est passé, en .Angleterre, pour la 
seconde de cet industries témoigne du mal que peut faire 
une action intrusivc et inconsidérée des pouvoirs publics. 

Un philanthrope, membre du Parlement, M. PlimsoU, 
était frappé du nombre considérable Av* naufrages; il l'al- 
tribuail h ce que les armateurs, par gottl de lucre, char- 
geaient trop les navires ou mainleiiaient ù la mer des 
vainseanx vermoulus. Il obtint du rarlumenl un bill qui 
instituait une surveillance de l'Ëtat sur les navires. L'eié- 
oution de la loi n'était guère aisée, car il sort, d'ordinaire, 
ïflit navires du port de Londres chaque journée et parfoia 
mftoio 300. En 1880, il y avait 23,81.^ naures onregistrés 
dans le Hoyaume-Uni, représentant 7. 3i)l,H18 tonnes; or, 




39i L'ÉTAT MODEHNE ET EES FOJiCTIÛNS. 

comme le tonnage tolal des entrées el des sorties des navires 
nationaux dans tous les ports du lloyaume atteignait dans 
la même année iC millions de tonnes, on peut en conclure 
que les entrées et les sorties ont représenté plus de 
150,000 navires britanniques, non compris une trentaine de 
mille navires étrangers (1). 

Un homme d'Étal (jui a versé dans le socialisme, quoique 
aujourd'hui il s'y sente moins d'inclination, M. Chamber- 
lain, s'écriait, lors de la discussion du bill PlinisoU : « Une 
véritable armée de savants ne pourrait pas l'emplir complè- 
tement des services ausii étendus. Avec un nombre d'agents 
limités comme celui dont dispose le ffoorrf of Trade, il n'est 
possible d'intervenir que dans les cas les plus flagrants qui 
s'imposent à l'attention des inspecteurs, » 

Illusoire, celte intervention n'est pas inofTensive. Ce 
certilicat délivré, sans information suTlisante, est plus nui- 
sible que l'absence de certificat; il couvre les Fautes des 
armateurs et atténue leur responsabilité; il répand en 
quelque sorte et généralise une moyenne de mauvaises 
pratiques. 

Un homme d'État britanniquejudicieux. M. Goschen, aT- 
flrme que le but de M. Plimsoll n'a pas été atteint. » Tout 
le monde dit-il, a travaillé de cœur au succès de la toi ; 
mais si l'on en croit les rapports et les enquêtes, le résultat 
est nul ou pire que nul; la responsabilité individuelle a été 
brisée el l'État n'a pas pu mieux faire. Des mesures pré- 
ventives impuissantes empêchent la répression (2). » 

(I) Le SlalUlical Ahulrael for (Ae Vnilttd Kingdom fi-o-ii IBT! lo ISSO 
donne aeulemeiil le chidre du toDDage des entrées i^t de» aurlins dans 
les ports brilaiiaiqiies et uou celui des navires ; mais, comuiB il (oiiruit, 
àla roiSil'indicatioD du nombre de navires immalriculËsdaDs le noydume- 
Uni et de leur tonnage de jauge, non» ovani pu, par voie d*aaai(gio, 
évaluer approximaLvement te nonibre de navires qui entrent dans les 
ports britanniques ou eu sortent chuqiie année. 

(I) Voir LC'on Sdj, Lt socialisme d'État, pages IB el GS. 



CAS ACCESSOIRES D'IISTERVENTION DE L'ÉTAT. 395 

Il est (lill'ércntes catégories d'inslitulions ayant un objet 
en quelque sorte social se rapprochant un peu de lu cha- 
rité ou de l'assistance qu'on a voulu soit couQer Si i'Klat, soit 
soumettre de sa part à une réglementation minutieuse : les 
munts-de-piété, par exemple, les caisses d'épargne. On in- 
?oque le deroir de l'État de protéger les Taibles ni de pré- 
venir les Triponneries. ~ 

Il faut distinguer ici l'action directe de l'État, surtout 
celle qui s'exerce par voie de monopole, et la simple régla- 
menlaLion. surtout quand elle comporte de la souplesse. Le / 
système de la liberté absolue et non réglementée des monts- 
de-piélé qui existe en Angleterre est aussi mauvais qtie le 
monopole de Tait qui s'ist constitué en France. On peut, 
dans une certaine mesure, assimiler les maisons de prêts 
sur gages h des lieux publics. Le besoin press.int y pousse 
les hommes et les Temmes auxquels manquent les moyens 
d'inrormation. Quel'l'^lat prenne certaines précautions pour 
l'ouverture de ces entreprises et pour leur contrôle, rien de i 
mieux. Mais les interdire absolument h ceux qui, par esprit / 
d'industrie ou par intention philanthropique, s'y sentent 
enclins, c'est leur enlever beaucoup do leur enicacité. 

Partout oti les monts-de-piété sont constitués en une 
sorte de monopole d'État ou do municipalité, ils Tonction- 
neot dans des conditions insu lï) santés, lin voit pulluler 
autour d'eux le commerce louche des reconnaissances, et 
l'cipluilation du publi<- pauvre ^'y développe, par ces végé- 
tations parautes, beaucoup plus que tous le rt'gime d'une 
liberté, Judicieusement réglementée, des prCts sur ga^e. 

L'orga ni nation des monts-de-piété sous un régime simple 
admettrait bien des combinaisons heureuses. Elle pourrait 
se constituer ici sous le mode de la mutualilé. lu en se rat- 
tachant aux sociétés coopératives, ailleurs par un lien avec 
les caisses d'épargne. La variété, qui est la vie et le pro- 



396 L'ÉTAT SODERSE ET SES FO^iCTlONS. 

grirs, perreclionneraîl siogulièremeat ces éUMissemenU. 

Ite infime par If^s cabses d'épargne. Une réglemeatalion 
tliscrèle de l'État est admissible en cette matière. Mais ce 
(|iii ne l'est pas, c'est que l'Etat, comme en France, ab- 
sorbe en achats de rente ou en placements au Trésor en 
comptes courants les ^ ou 3 milliards de francs, ullériea- 
rement les ô, 8 ou ]0 milliards de franco, qui forment ou 
qui formeront un jour l'actif de ces caisses. Le mal de cette 
méthode est aussi grand pour le pays que pour l'État lui- 
même. Pour ce dernier, c'est une tentation constante au 
gaspillage; un arflux ininterrompu de ressources extra- 
budgétaires qui trompe le ronirùle des Chambres. 

Pour le pays, c'est une perte de capitaux. J'ai expliqué 
bien des fois (I) que le capital et l'épargne ne sont pas 
des choses identiques : le capital, c'est l'épargne viviljée, 
sortant de la passivité et s'appliquant à la production soit 
agricole, soit commerciale, soit industrielle. Les caisses 
d'épargne sollicitent, sur tous les points du territoire, les 
économies de la petite classe moyenne et de la classe labo- 
rieuse; par nn taux d'intérî't, en Friince notablement trop 
élevé, elles enlèvent ces économies it tous les emplois sur 
place. Elles pompent ainsi, sur toute la surface du territoire, 
les infiniment petits d'épargne pour les transformer en 
rentes sur l'Etal, c'est-à-dire en richesses passives. Par ce 
procédé elles stérilisent en quelque sorte tous les hameaux, 
tous les villages, toutes les petites villes, prenant tous les 
embryons de capital qui s'y produisent et alUnl les en- 
gloutir dans U capitale en atténuation de la dette flottante 
et du passif général du Trésor. Supposez l'atmosphère pom- 
pant toute l'humidité qui se produit dans toutes les loca- 
lités et ne la leur restituant jamais sous la forme de pluies 






l Eisai 



CAS ACCESSOIHES DI MER VENT [0^ DE L'ETAT. 397 

récondantcs, tous aurez l'image du régime français des 
caisses d'épargne. 

Pour remédier A ce iléplorable système, il Taudmît, sous 
une ri'^glomeulalion judicieuse et modeste, une liberté el 
une autonomie tempérée dts diverses ciiiïses. Rites pour- 
raient faire alors ce (jup font les caisses d'épargne d'Italie, 
un peu moins celles de Bolgiijuo eld'.Vulriclit); uniployanl, 
sinon la totxiité, une partie de leurs recettes à l'escompte 
dn papier do commerce, en prCts hypothécaires, en pr£ts 
agricoles, en avance aux sociétés populaires recommanda- 
blcs. Les caisses d'épargne et le crédit agricole pourraient 
souvent nllcr de compagnie. 

Dans ces conditiims les caisses d'épargne, sous la réserve 
de l'iibservation de certains règlements, devraient filre in- 
dépendantes des pouvoirs publics. Ceux-ci, en nfTel, entraN 
nent toujours la polilir|ue à leur suite avec son cortège de 
maux : favoritisme, tentative de gagner le corps électoral 
par séduction ou par intimidation. On ne peut conlier Jt des 
politicitu» le soin de faire des escomptes on des prftts avec les 
dépôts populaires. Un régime efllcace des caisses d'épargne 
ne se rencontre que dans les pays où ces établissements 
ne Kont pas sons le joug asbolu de l'État. 

Bien conduites par l'initiative privée, ces institutions 
pourraient rélablir le crédit dans les campagnes et y atté- 
nuer l'usure. L'usure y a toujours existé et s'en est montrée 
le néau; quant au crédit, depuis la dissémination des v«* 
leurs mobilières, il en a disparu. La valeur mobilière umoi- 
p^é^cn(o a tué le crédit personnel. 

Itien ne sert à l'Rt.it de lixer nn maximum du taux de 
l'intérêt. Oite prélenlion est contraire h U nature de« 
choses, c'est-à-dire ft la fois au droit et aux faits. Le inonde 
n'est pas intéressé il la pruteclion des prodigues. La limite 
du taux do l'inlén^t nuit aux hommes entreprenant*. 




398 L"ËT\T MODERNE ET SES FONCTIONS, 

Si l'État ne peut restreindre le taux de l'intérêt nue 
ioules les circonslances actuelles tendent à notablement 
abaisser, il doit réduire au niveau moyen réel dans le pays 
le taux légal, celui qui court par suite des condamnations 
en justice et des Taits de même nature. Ou aurait dû déjà 
rabaisser à 4 pour 101) (I) 

L'absence de toute règle préventive sur le taux de l'in- 
térCt dans les contrats n'exclut nullement la répression des 
actes immoraux d'usure, c'est-à-dire des manœuvres (loIo< 
sivKs qui peuvent avoir vicié le consentement de l'un des 
contractants. Elle transforme seulement en espèces parti- 
culiÈres, justiciables après coup des tribunaux, cbacune de 
ces affaires que l'ancienne législation prétendait tiancher 
d'une façon générale et sommaire, par une règle simple et 
toute matérielle. Ce n'est pas le taux de l'intérôt qui fait 
l'usure ; un prêt peut être consenti à 30 pour 100 d'intérfit 
sans aucune immoralité, par exemple à l'auteur d'une in- 
vention d'un mérite problématique : l'usure vient seulement 
des manœuvres qui peuvent avoir précédé et entouré le 
prêt. 

L'État est mal venu égitlement, sauf les cas de grande 
guerre, qiiand, par des moratoires, il délie les débiteurs de 
leurs en|j;agements pour l'échéance de leurs dettes. C'est 
aux tribunaux toujours qu'il appartient de voir, dans chaque 
cas particulier, si l'on peut accorder des délais sans violer 
l'esprit du contrat, sans nuire sérieusement au créancier 
et sans provoquer un mal général, de n^iture dlITijse, sin- 
gulièrement dangereux, la diminution de la confiance en 

(I) On nous perinellrn Je renvoyer pour tout ce qui concerne la taux 
de l'ioU^rùl à uolro uuvrage : Efsui sur la ré/iartition det richeiaes el tuf 
la tendance à unr moindre inégoliti des eondHions où nom croyons qaa 
se trouve exposée pour ia première fois 1d vraie docIriDe de l'intArfit 
du capital, des iDdueuces qui en font varier le laux et tlet conséquences 
trÈs diverses et luDgtemps inaperçues de sou abaissemeal. 



CAS ACCBSSÛIRES DISTERVENTION DE L'ETAT. 3y9 

l'observalion exaclc des engagemenUel, par coaséquenl, le 
resserrement du crédit dans le pays. 

Ce qui échappe, d'ordinaire, à l'Ktst, dans tous les cas 
où Ton solUcilo son intervention, ce sont ces conséquences 
indiroclts, lointaines, celle répercussion indéOnie, cette 
sorte de dilTusion, dans tout le corps social, d'un malaise 
bien pire que les maux présents et circonscriu auxquels 
on veut obvier. 

L'Kiat doit-il exercer des industries? En général, pour les 
raisons que nous avons indiqui^es dans les premiers livres 
de cet ouvrage, il y est fort impropre. Herbert Spencer s'est 
donni5 le plaisir de relever les fautes grossières et évi- 
dentes qu'a coDkmises la marine britiinntqiie, que l'on peut 
considérer comme étant l'objet, do lu part du peuple le 
plus industriel du monde, d'un soin tout particulier. 

Sans U* suivre dans cette voie, nous ne pouviuis nous 
empêcher de citer une très intéressante constatation qui 
\ient d'être fuite au moment où nous écrivons ces lignes 
(juin 1888). On a conslatÉ que la construction de chacun de 
nos navM'es d'Ëtat, croiseur» ou cuirassés, dure dix it douie 
ans, c'e^l à-dire juste le temps nécessaire pour qu'il se 
produire dans l'intervalle dei changements notables ou l'art 
nautique. 

Le rapporteur du budget de la marine pour IKIftI constate 
que l'on met encore des navires en chantier dans tous les 
porta pour en occuper les ouviiers. ■ Avec toute autre orga- 
nisation du travail, le département aurait puiongerA activer 
les navires eu cours. •> II demande que l'on fa^se figurer, sur 
les tabeaux-programniusdei cunitruclions neuves, les noms 
des ingénieurs successivement chargés de la construction de 
no» navires. Il fait remarquer qu'il est mauvais qu'un trop 
grand nombre d'ingénieur* soient appelés à diriger les tra- 
vaux du mJ^me bfttimcnl, " Ou a vu, il y a peu d'années, 




I 



40(1 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

trois ingénieurs se succéder on moins de six mois à la direc- 
tion de l'aciièvemenl à flot d'un vaisseiiu ; il en résttUa, 
entre autres inconvénients, deux réfections successives de 
la dunette et de la passerelle (1). » 

L'iUal plie toujours sous les mêmes servitudes et souffre 
de ses incurables infirmités : le joug électoial qui ne lui 
perme, ni de concentrer ses atelierst ni de régler leur acti- 
vité, d'après les seuls avantages techniques; le joug aussi 
des recommandations, du favoritisme; une infirmité pres- 
que irrémédiable, la responsabilité restreinte de ses fonc- 
tionnaires (2], 

Ainsi, quoique l'on soit tenté d'admettre deux catégories 
d'entreprises où il serait permis à l'État de se faire fabri- 
cant, à savoir la fourniture de ses engins de guerre, pou- 
dres, canons, vaisseaux, et, d'autre part, les industrit^s que 
i'Rtat, en vue de l'impôt à en retirer, a soumises h un mo- 
nopole hicralir, comme l'industrie du tabac, on doit néan- 
moins faire, même sur ces deux points, beaucoup de réser- 
ves. Il ne faut pas oublier que l'une des premières fabriques de 
canons du monde, l'usine Krupp, est une entreprise privée 
et que le monopole des poudres, en France, nuit singulière- 
ment h la propagation de toutes les poudres perfectionnées 
que découvre l'imagination inventive des chimistes. 

Accordons à Tlilut, sinon comme des avantages sociaux 
certains, du moins comme des vestiges respectables dti 
passé, certains établissements repu tés modèles , tels que les 
manufactures de Si^vres ou des Gohelins et l'Imprimerie 
nationale. Mais combattons toutes les extensions auxquelles 
on voudrait se livrer en ces matières, comme l'imprimerie 

(1) Voir le Journal des Débals des 5 et 6 juin 18B1!. 

(î) Voir plus haut, page 8!, le dévelcippeiaenl de celto rormitle J 
■ l'État, pour le choJiL Je ses roactioDDaireE, ne se place pri^sqiie Jamais 
au point de vue simple ment technique, k U en est de mèuie pour tous 
■es IravuuE. 



CAS ACCESSOIRES D'INTERVENTION DE L'ETAT. 401 

municipale de Paris, qui ne peul même se Qaller d'un mé- 
rite artisliijue quelconque, et les projets si souvent éclos de 
brasseries ou de maiteries nationales modèles. 

Manquant de souplesse pour l'industrie. l'État n'en a pas Y 
<lavanta|^c pour le conimt^rce. C'est pitié qu'il veuille parrois 
régic-inenter celle des occupations bum^iines où le souHle 
permanent de la liberté répand le plus de bienTaits. Mais 
d'y a-t-il pai, dit-un, certains commerces parliculièrenieut 
lotértuants, celui des grains, de la boulangerie, de la bou- 
■)«, où la main soit do l'k^lat central, soit du moins de 
fËUt local, devrait se Faire sentir? On a plaidé, nous l'avons 
TU. d'autre part, la même cause pour le logement. On irait J 
inllniment loin dans cette voie. 

Eu France, les municipalités ont encore le droit d'établir 
des taxes du pain i-t des taxes de la viande. Ilien ne jiistilla 
cette présomption administrative. Elle est plus inadmissible 
aujourd'hui qu'autrefois. Alors l'inlervenlion des pouvoirs 
publics «cmblait plus justilléc, parce que la zone d'appro- 
visionnement étail plus restreinte, les disettes plus fré- 
quentes, les moyens de transport embryonnaires, les pro- 
fessions moins libres et la concurrence moins elTeclive. 

La tutelle où l'un a maintenu le commerce du la bou- 
cherie et du la boulangerie peul étru pour quelque chose 
dans le peu de progrès qu'elles ont accomplis. 

Le* citoyens de Zurich ont eu le bon sens de repousser, 
U y a quelques années, le projet de conférer an gouverne- 
ment cantonal le monopole du commerce des grains. Pour- 
quoi ne lui donnerait-on pas aussi le monopole du commerce 
du vin, qui e.it l'une des denrées les plus sophistiquées, du 
lait, qui e»t l'une des plus essentielles? 

C'est seulement par une liberté absolue, sous la réserva 

de la répression des fraudes, que le commerce de l'alimen* 

L tatlun pourra s'améliorer, >k l'image de tous les autres : il a 



402 L-ÉTAÏ MODKKNt: lit SES FONCTIONS. ^M 

déjà fait quelques progrès par la constitution des Bouillons 
populaires et de certaines sociétés coopératives de consom- 
mation. 

La liberté de ces commerces n'empoche pas l'État, soil 
nalioniil, soit municipal, d'exercer nne surveillance judi- 
cieuse sur les halles el les marchés, de fuire. dans la mesure 
du possible, des lois ou des règlements contre les falsïQca- 
tions de denrée eL la tromperie sur la nature de la marchan- 
dise vendue, d'empêcher la margarine de se parer du nom 
de beurre, et les mélanges les plus divers du nom de vins 
naturels. Les laboratoires municipaux, si alta([ués par le 
charlatanisme et l'indiscipline démocratique, peuvent avoir 
leur raison d'être. 

Au contraire, il est impossible d'admellre uno interven- 
tion de l'État et de la police en ce gui concerne la spécula- 
tion sur les marchandises el les tentatives d'accaparement, 
ce que l'on appelle en Amérique des corners. Les syndicats 
ou coalitions de spéculateurs ou de producteurs ont été 
fréquents dans ces dernières années. On en a vu, notamment, 
de gigantesques sur les huiles, sur les pétroles, sur le café, 
sur le sucre, sur le suif, et plus particulièrement sur le 
cuivre. Ce dernier syndicat, le plus fuu de tous, avait été 
jusqu'à vouloir accaparer pour di.t ans lout le cuivre du 
monde et avait conclu des marchés pour 700 millions de 
francs. 

Quelques personnesréclamenl, en pareille matièrt!, l'action 
de l'Étui, soit préventive, soit répressive. Les tentatives d'ac- 
caparement, quoique, en stricte morale, elles soient sou'venl 
condamnables, ne pourraient être l'objet de njesures légis- 
latives ou administratives, sans que le principe même de la 
spéculation lût attiitit. Or, en dépit de tous ses écarts et 
de ses fautes, la spéculation est la merveilleuse ouvrière qui, 
avec un iuslincl généralement sûr, pousse les capitaux et 



k 



CAS ACCESSOIBES DlNTEnVENTrON DE L-ETAf. 403 

les hommes vers les productions les plus uliles, propor- 
tionne, sur chaque point de l'tspace et de la durée, l'olTre 
àla doniiiDite, ruLJonno inipcrce|ilib1ement et doiicoment 
quand le déllcit des denrées doit en restreindre l'iisnge, 
sollicite les inventions, les économies de taule nature ; la 
spéculation est l'Ame de la production coolemporaine; on 
ne la pDiirruil ffraveineiit frapper sans revenir graduelle- 
ment ii la torpeur et JL l'indigiïiice des sociétés primitives. 
L'expérience prouve, d'ailleurs, que les syndicats d'acca- 
parement, quand ils dépassent une entente momenI>inée 
pour relever, dans une mesure légitime, une industrie Inn- 
guissanli), aboutissent ik des échecs dûcislfs qui sont le cbi- 
timent naturel des accapareurs. L*bistoire a été Taile des 
syndicats de celte nature; le relevé délaillé de leurs agisse- 
ments montre qu'ils ont abouti, pour la plupart, h un» dé- 
route. C'a été l'issue notamment des derniers syndicats des 
huile*, des cafés, do» suifs et, de 1.) façon la plus implacable, 
du syndical du cuivre. Sous un régime de liberté, avec la 
facilité des transports et la mobilité des capilanx. oa ne 
triomphe pas de la concurrence, et l'on ne peut imposer 
longtemps la loi au consommateur. La seule précaution 
utile en pareil cas. c'e»t d'avoir une législation douanière 
internationale qui ne repose pas sur le principe probibtlir 
on sur des droits extravagants. Dans l'eRceinte étroite d'un 
pays de 40 ou mAme de fiO millions d'imes, il est quelques 
industries concentrées ob un syndicat do producteurs 
pourrait parfois réussir & faire la loi. Mais si lus frontières ne 
sont pat abstjlument fermées aux produits dos autres pays 
par des droits excessifs, ces tentatives d'accu pare m en l ne 
peuvent olitenir aucun succès durable. Quant au troubla 
momentané qu'elles peuvent jeter dans les transactions, 
c'est un mal d'importance secondaire et igni est cent fois 
compensé par les heureux eltetsbabituels du commerce libre. 



404 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

\ L'Élal ne doit pas davantage intervenir entre les per- 
sonnes exerçant une même profession, pour corriger les 
inégalités naturelles ou acquises qui donnent à certaines 
une supériorité et qui infligent h. d'antres une inrériorité. 
J'ai prouvé ailleurs que le processus de la société économique 
moderne tend, indirectement mais sûrement, à une moindre 
inégalité des conditions (1). Il ne faut pas se dissimuler, 
toutefois, que cette tendance, en partie heureuse, n'est pas 
sans inconvénients graves. C'est par l'inégatilé des forces et 
des résuUals, par ta différence des prix de revient dans les 
divers établissements similaires, que s'ellectiie le progrès 
industriel, et que le genre humain s'élève en bien-être et 
en intelligence. 11 y a là une des applications pratiques de 
la célèbre théorie de l'évolution qui, si elle n'explique pas 
l'origine et la lin des choses, jette une merveilleuse clarté 
sur les lois de leur développement. 

\ L'Élat intervenant poui' que, à l'inégalité des efforts 
des aptitudes, des combinaisons, ne corresponde plus une 
inégalité proporlionnelle des résult^its et des produits, les 
meilleurs échantillons humains se trouveraient découragés 
et les plus médiocres n'éprouveraient plus aucun stimulant. 
L'humanité, privée de son aiguillon, reviendrait peu à peu 
h une situation inférieure. 

L'Élal ne doit donc user ni de l'Impôl ni d'aucun autre 
moyen pour corriger les inégalités existantes; en le fai- 
sant, il sortirait de sa mission. Son rôle, souvent difficile à 
remplir, consiste simplement à ne pas accroître par des fa- 
veurs voulues ou des mesures maladroites les causes natu- 
relles d inégalité, à ne pas leur en joindre d'artilicielles. 
Ainsi rimp6t progressif, la suppression ou la taxation ex*- 
cessive des successions, soit en ligne directe, soit en ligne 
n des richesses et itir la tendance 



CAS ACCESSOIRES D'INTERVENTION DB L'BTAT. i05 

collatérale, sont de déplorables expédients qui, à lu longue, 
tournent à l'appauvrissement général de la sociélL' et indî- 
rectement i l'aggravation de la situation des bommes tes 
plus pauvres, 

•v L'Ktnt, par l'impût, se doit proposer un but simple : re- 
cueillir éipiitablomenl et avec la moindre perturbation pos- 
sible pour la Bociéli^, les ressources qui lui sont nécessaires. 
Il doit chercher A respeck-r, autant que possible, toutes 
les sittialions existantes et tous les rapports entre ces situa- 
tions. 

La même pensée doit guider l'Êlat dans ses lois sur l'ia- 
duslrie, sur les sociétés, sur les successions et sur la police 
qui applique ces lois. 

Ainsi l'État ne doit jamais intervenir dans les différends 
industriels entre cmployi^s et patrons, que pour maintenir 
l'ordre matériel, sans aider directement ou indirectement 
ni les uns ni lex aulres. Souvent tentés de s'entremettre, 
en sortant de la circonspection qui w borne <k des conseils 
purement généraux et conciliants, les agents de rÉlul ris- 
quent d'aggraver les querelles par les espérances et les 
illusions qu'ils suscitent ou qu'ils entretiennent. 

Moins les agents de l'État se mêleront «les grbres, en se 
prêtant h des délégations, des enquêtes, des interpellations, 
mieux cela faudra. A plus forte raison des secours ou des 
iiragements donnés ou promis k l'une ou & l'autre des 
parties sont des mesures ineptes ut pernicieuses. Certains 
conseil* municipaux, par pure oslenlatlon, volent des fonds 
pour Ks»isler les familles des grévistes ; c'est un emploi in* 
du des sommes si péniblement payées parla Kénéralité des 
contribuables, et ces générosités, faites avec l'argent d'au- 
trui, tournent généralement contre les intérêts que l'on 
prétend protéger. 

De jnèmo encore. l'État central ou l'État municipal doit 



406 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

éviter de délenniiitr, par des piiblicalions, par des tarife 
même oriicieux. un cLangemenl quelconque dans les condj- 
Uons du marche du Iravail. 

L'idée de burciuix de placement municipaux, qui séduit 
quelques esprits en théorie, aboulil, comme on a pu le voir 
par la Bourse du liavail de Paris, k subventionner quelques 
coteries d'électeurs agitésouviclenls, d'aspirants politiciens, 
à créer un nouveau parasitisme, el à troubler tes cervelles. 
C'est aux associations industrielles ou ouvrières ou mixtes 
ou philanthropiques de constituer des agences pour tempé- 
rer ce qu'il pourrait y avoir d'âprcté dans les entreprises 
parliculiëres de celle nature. 

Quant aux tariTs offlcieux pour les salaires dans le geoTB 
de la célèbre Sèrii: des prix de la ville de Paris, les inconvé- ' 
nients en sont très sensibles, à moins d'une souveraine pru- 
dence, difficile à observer longtemps. On induit ainsi les 
ouvriers en erreur; ils voient un jugement dans ce qui ne 
devrait être qu'une constalalion. Us considèrent, comme 
des vols h leurs dépens, tous les rabais qu'ils doivent subir 
sur ces tarifs oflicieux. Ils s'en aigrisseni ; on pousse aiuM 
au renchérissement général et à l'universel mécontentement. 
C'est de celle façon qu'on a vu la Série des prix de la ville de 
/•ans inscrire, en 1883, pour certaines catégories d'ouvriers, 
des salaires de 9 A 11 francs par jour au-dessous desquels, 
dans la pratique, on était obligé de descendre de 13, 20 ou 
25 p. 400, mais non sans une grande irritation de la part 
de gens qui se croyaient frustrés. 

S'il ne doit llaller aucune calÉgorie de citoyens, l'Élnl n'a 
pas davantage mission d'en gêner aucune dans la satisfac- 
tion de ses goiits non délictueux. Tool le monde est d'accord 
sur les inconvénients de l'ivrognerie ; on ne chicane pas 
l'Élat de demander à l'alcool une riche contribution. On 
admet des peines légères contre l'ivresse manifeste, qui est 



k 



CAS \CGESSOIBES It'INTEIlVEN' 
«ne cause de trouble el de diinjîor public. On 



L'BTUT. 



iprend que 

VKtat prenne des précautions contre le pullulement indéfini 
des cabarets, où se pioduisenl souvent des rixes, des scan- 
dales. Hais il y a certains sectaires de la tempérance qui 
prëlendenlentraincrrÉtutbien nu del.'i des mesures raisonna- 
Mes de police et de pri'cauliou. Il est des pays, comme l'État 
du Uainc en Amérique, où l'on interdit presque absolument 
la vente des liqueurs Tortes, où l'on prive ainsi les hommes de 
denrées qui. dans beaucoup de cas, sont iiKilTensives, où l'on 
s*arroge le droit de rî-glcr k-urs dictions et leurs goûts. C'est 
une K^no générale pour un résul lut des plus incertains; c'est 
un empii-Icment nianiTesIe de l'Èlat sur la liberté jndivi- ' 
duetle: et dans cette voie l'en pourrait nller loin. Ijuelquei 
pays d'Eutope, notamment li-s États Scandinaves, et en ce 
moment l'Angleterre, poussés par des Tanatiques de tempé- 
rance, sont sur le point de s'associer k ces exa);érations. Si 
rti'lal, cepondunt, devait prêter main Torte i!t l'observation de 
tous les préceptes moraux d'ordre privé, ou reviendrait & 
une société inerteet somnolente, comme celle des anciennes 
Mitilons du .Mexique et du Paraguay. 

Le principe général du respect des contrats, des libertés 
iadiTiduellea et de» responeabililés personnelles, doit ins- ' 
pirer l'État dans toute sa législation économique. 

Ainsi, dans les lois sur les sociétés par actions, l'Ktal doit 
laisser aux ioléressËs loule la libcrti^ possible, ne pas inter- 
dire, par l'éléviition des coupures des titres, l'accès de ces 
associations aux petits capitalistes; il doit se contenter de 
prendre les précautions indispensables pour que la sincérité 
soit ubservée ; pour qu'une obligation, par exemple, foit bien 
une obligation, pour qu'un capital lUt versé soit bien réelle- 
ment versé, pour que la publicité no manque pas aux actes 
principaux et que le contrôle soit possible & ceux qui veulent 
contrôler. Le vieux mot : pigilanliùus non Jormienlitus Jura 




408 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

subveniunl. est un de ceux qui, en matière législalive, com- 
portent la plus Torte dose de sai^esse et d'expérience. La 
société a tout h redouter de l'inertie; cUa ne doit donc pas 
/ s'ingénier îi proléger, avec de grands efforts et en quelque 

sorte malgré eux, les gens inertes. 
' De même encore, dans les lois de succession, l'Ktat ne doit 
pas se proposer de former une société à son cboix où existe- 
raient certains rapports de fortune. Le principe général ea 
matière de succession devrait Cire que qui a fait une for- 
tune soit lilire de la laisser à qui il veut, tout en conservan t 
cependant à ses enfants une certaine quole part, pour les 
mettre à l'abri du besoin et même pour les faire vivre dans 
une situation un peu analogue à celle où ils ont grandi; el 
que qui, au contraire, a hérité de la fortune de ses ancêtres, 
doive la transmettre à ses descendants. 

C'est le principe moral. On ne peut entrer dans tous les 
' détails des cas particuliers ; le législateur qui prononce pour 
la généralité et non pour les espèces, est obligé de recourir 
à des solutions moyennes : c'est ainsi qu'est sortie la règle 
de la réserve héréditaire pour les successions en ligne di- 
recte, que la fortune ait été créée ou héritée par le défunt. 
Cette réserve héréditaire, qui se rattache â la constitution 
même de la famille, est en soi raisonnable. Mais elle ne doit 
pas absorber toute la fortune, ni même lu plus grande 
partie. 

Eu tout cas, l'Klat doit se mettre en garde contre ses pro- 
pres convoitises, contre la tendance, par des subterfuges 
divers, à l'accaparement des héritages. Nous avons montré 
les inconvénients des mesures de ce genre et le mal qui en 
résulterait pour la société (I). 

Ainsi le grand rAle du législateur, c'est de ne pas contra- 

(1) Voir plus liaul, page 117. 



CAS ACCESSOIRES D'INTERVENTION DE L*ÉTAT. 40» 

rîer et comh.iUre la nature des choses, de ne mettre point 
ses volontés capricieuses à la place de Tinstinct humain, 
d*agir toujours avec sobriété et modestie ; car cet ùtre 
collectif, qu*on appelle le législateur, partagé entre des 
tendances diverses et oscillant de Tune à Tautre, souvent 
au hasard, a tout aussi besoin de modestie et de sobriété 
que chaque unité humaine. 



CHAPITRE II 

L'ÉTAT, LE LUXE, LES ARTS, LES FÊTES. 

L'État démocratique a une tendauce k développer le luxe public cl k 
multipliei; les f^tus, page 110. 

Les idées des philosophes fur \e luie coUectir, pnge 411. — En qntù 
elles flout eïUBérèes ou erronées, page *i3. — L'épargon volupti 
des ÉtaU : coudilions pour qu'elle soit iDotTensivo, page 414- — 
doaalioas et les Icga des philanthropes conlribuent et coutrïbiieronl 
eDcoru plus dans l'avenir à enrichir le patrimoine public de luie 
de récréation, pnge 415. 

Lee défauts de l'Eut moderne quand il veut protéger les beaux-arU, 
page 415. — L'action de l'État en ces malières est loitjoura pasBioonéei 
page 115. — Exclusivisme des écoles orficielles, page 4ln. — L'État 
ne sait jamais se pincer au simple point de vue technique et ïnipsr> 
tial, page 4IG, 

Le problème délicat des TStes publiques, pnge 417. — Li-s Htes reli- 
gieuses traditionnelles : absucdiléde les entraver, page 417. — Cod- 
dilioDS Dèceesaires pour des TËles vraiment nationales, page 418. — 
Les fStea purement politiques, imposées par les législateurs < 

' page 418. — Elles ont un caractère artificiel et tombenl, eo gânéral, 
dans liïgrolesquu; exemple des Rtes de la HévoluLion, page 419. — 
■.es fMes qui se ralLaehenl à un fait Économique : les concoiira agri- 
coles, les expositions, page VJO. — Inconvénients des énomies expo- 
eiliouB universellea, page 450. ~ Fâcheuse influence générale et du- 
rable qu'exerce un trop soudain développement du luxe public i 
page 421. 

L'Etat moderne tend a multiplier les fftes tégalea et les cbôtiiagea in- 
directement obligatoires, page 123 411 

Un sujet a pris de l'imporlance dans ces derniers temps, 
c'est la contribution de l'État au hue, aux arts, aux retes, 

L'État démocratique se sent plus d'inclination h envahir 
ce domaine que l'ancien Étal autocratique. 

!l n'y a plus de cour; mais il semble qu'on en Teuîlla 
ressusciter de temps b. autre le spectacle pour l'agrément 



L-ÉT*T. LB LIXE, LES ARTS. LES FÊTES. 4M 

populaire: une cour (jui ^e lieudiuit quelques jours par an 
ou mi^nie quelques jours par décade d'unnées et où tout 
le monde aurait accès, où loul le nioude ferait la tble. 

L'Ëtat dâm ocra tique, reuoni:iiiit A toute Économie minu- 
lieuse et maussade, éprouve de rinclinaliou nux grands V 
specldcles, au luxe public, h la joie orficit^Ue, descendant 
d'en haut, par commande, sur toute» tes couches de la po- 
pulation. 

Dans ces dernières années, dans ce jour m^me où J'écris, ' 
celte disposition su miinifeste avec éclat. Elle vaut quon 
l'Étudié et qu'on la jug;e. 

On peut le faire au point de vue soil de l'économiste, soil 
du politique, soit du pbilosoplie. 

Commençons par les upen;us de ce dernier. 

Il y a des partisans convaincus du luxe public, lesquels 
Bontpnrrois les adversaires du luxe privé. 

Dans une discussion (|Lii a eu lieu il y a deux ans sur le 
luxe et qui fut provoquée par nous, au sein de l'Académie 
des sciences morales et politique (1 1, un philosophe, homme 
de Krand mârite, M. Itavaisson se prononraîl très énergi- 
quemenl en faveur du luxe public. 

Il admettait que le luxe est indispensable à une société 
et que, d'autre pari, il développe la sensualil(t, la vanité in- V 
dividuelle. l..es Grecs, pensail-il, avaient tout concilié : on ' 
trouvait cher eux la simplicité privée et le luxe public. 

Laissons la parole & .M. Itavaisson : 

•I Les anciens avaient sur ce point une doctrine qu'il est 
a diffîcile de ne pas approuver. En faisant une certaine part 
« & un désir, naturel à chacun et légitime, d'orner en quel- 
• quelque sorte «a vie, ils pensaient que la somptuosité 



(I) L'occaiion Je cette dlKowlon fut, 
fliUF* à cette AcadémlR du chapilrr- cna 
i'éa/nomir p^tlijuc, alors ca iirfparatii 




412 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

<' devait en gi^nérul avoir pour objet In chose publique et 
n commune que devaient préférer à eus-mêmes les indi- 
II vidus. C'est l'idée qu'on voit régner chez les peuples de 
•< l'anliqtiité, aux plus belles époques de leur bistoîre. Les 
" Athéniens, au temps qui suivit leur victoire sur les Perses, 
<< habiiuient des demeures fort simples, au milieu desquelles 
ir s'élevait, sur l'Acropole, un temple de marbre, et dans 
" ce temple un colosse tout en or et en ivoire, image de la 
i< divinité qui représentait le génie de la cité. Il en était de 
" mËme des Romains de la République, dans leurs habi- 
« tations plus que modestes au pied du Capitole, couvert, 
<> disait-on, de tuiles d'or. Un de leurs principaux poètes 
« résume ainsi les maximes qui dominaient lorsque Home 
« se rendit maîtresse du monde : 



Avant ces paroles, prononcées en 1887 au cours d'une 
discussion académique, M. Ilavaisson, nu sujet de l'instruc- 
tion esthétique, avait émis déji^des idées un peu analogues: 
r< L'homme du peuple, disait-il, sur lequel pèse d'un poids 
« si lourd la fatalité matérielle, ne trouverait-il pas le meîl- 
« leur allùgement à sa dure destinée, si ses yeux étaient 
« ouverts à ce que Léonard de Vinci appelle la hellcza del 
i< mondo, s'il était préparé à jouir, lui aussi, de ces splen- 
« ileurs que l'on voit répandues sur tout le va^te monde 
11 et qui, devenues sensibles au cœur, comme le dit Pascal, 
« adoucissent ses tristesses et lui donnent le pressentimeot 
Il et l'avant-goùt de meilleures deslinées. » Ces lignes tou- 
tefois sont moins précises que le premier morceau : il 
semble qu'il s'agisse là du simple développement desdtspo- 
silions esthétiques qui rendent l'homme ouvert au senti- 
meut de la nature et de la beauté du monde. 11 n'est pas 



létat, le luxe, les arts, les FÉTKS. *13 

besoin de grandes dépenses publiques pour faire apprécier 
à chacun la splendeur et la diversité des speclaclcs que 
l'univers oITre |;raluitement à tous. Ici se vérillâ cette loi 
que ce qui est indispensable h tous les hommes se trouve 
gratuit ou peu coûteux (1). 

Un économiste moraliste, historien du luxe, M. Baii- 
drillart. s'est complu également h vanter le luxe public : 
« Tantôt, écrîl-il, il invite la masse h jouir de certains agré- 
•■ menLs, comme les jardins publics, les Toiitaines ou le 
H lhéaire:,tanI6t il ouvre les trésors du beau & ces niulti- 
a ludes, sevrées de la possession des œuvres de la st.ituaij'e 
« et de lu peinture. Pour l'art, il y a des musées, comme 
H il y a dos bibliothèques pour les sciences el les lettres, 
n el des expositions pour l'industrie. Sous toutes les 
« formes, enlin, ce luxe colloclif. s'il est bien dirigé, pro- 
o nto & tous. Il éltive le niveau et féconde le génie de l'in- 
a dustrie. Ce luxe, en outre, a un mérite éminent: il Aie 
<> au faste ce qu'il a, cbez les particuliers, H'fgulsle el de 
•• solitaire. Il met k la portée de la foule des biens dont le 
u riche seul jouit habituellemenl, ou ne fait jouir momen- 
■ tanément qu'un pelil nombre de personnes .» 

Qu'il y ail quelque part de vérité dans ces observations, 
nous n'aurions garde de le contester; mais utles contiennent 
aussi une part d'exagération, el les applications pratiques 
eu peuvent être fort dangereuses. 

Un certain luxe est, certes, permise un Ktat qui est riche, 
qui «e senl fort k l'aise dans ses revenus. Si le« Ëlatt>UQis t 
qui jouissent de 7 à 800 millions de. francs d'excédent des I 
receltes sur les dépenses, avec des impôts généralement 
modéré», Bauf les droits de douane, voûtaient consacrer 
on quinze ou vingt ans quelques cenlaines de millions h 

(Il Voir le iliv«lopponicDl Je cetlo peuiie dsiu uolre Préiu (f«n*- 



Mi LTTAT MODERMî ET SES FONCTIONS, 

acheter des tableaux, des slatiies, quelques-unes de toutes 
ces richesses dont regorge le vieux monde et dont, comme 
un parvenu, le nouveau monde restera toujours privé, ce 
n'est pas nous qui lui en Terions un reproche. Ayant satis- 
Tnit au nécessaire, possédant un énorme superflu, sa trou- 
vant d'ailleurs, uu point de vue des arts, dans une situation 
de manifeste l'nrévinrilé relativement aux vieilles contrées, 
la grande Tédéralion américaine du Nord pourrait, à l'avan- 
lage général du peuple, employer ainsi un bon nombre de 
dizaines de millions. 

De même, si, dans les vieux pays dont le budget est 
bien réglé, on crée une caisse de dotation des musées, des 
anciens cabinets royaux, aujourd'hui devenus publics, pour 
les enrichir do nouvelles acquisitions, aucun écoRomiste 
sensé, qui connaît Inlililé indirecte et lointaine des choses, 
ne sera assez morose pour l'interdire. Un approuvera que 
l'État central, ou provincial, ou municipal, quand il est en 
fonds pour Taire construire un bâtiment destiné îi un ser- 
vice iniporlanl, s'appIL^ue à lui donner un caraclfre d'am- 
pleur ou d'élégance, qu'il cherche à en faire un monument 
arlistique. Il y a une sorte d'épargne volupCuaire qui est 
tout aussi bien permise aux nations qu'aux individus (IJ. 

Je me sers de ces mots d'épargne voluptuaire, qui lais- 
sent préjuger qu'il y a vraiment épargne, c'esl-à-dire que 
les frais de ces constructions sont pourvus avec le produit 
des impûts et d'impôts modérés. Si on les entreprend en 
temps de déllcit ou d'impôts excessifs, ce n'est plus noe 
épargne voluptuaire. 

On comprend également qu'en province, dans les villes 
de difTéreuts ordres, les musées, les jardins, soient dans 
les mêmes conditions l'objet de sacrifices, qu'on y décore 



L'Etat, le luxe, les arts, les fêtes. 415 

anssi les mairies el les autres b&limcnts municipaux et pro- 
vinciaux. Mais tout cela doit ûlre Ml sans emporlomcnl, 
en laissant au temps sa part, en n'imposatil pas à quelques 
années une œurre qus les diverses générations doivent 
continuer el compléter. 

Bien de dangereux comme l'excès de ce luxe collecUr. 
L'exp^rieni^e récente siiggùre à ce sujet deux importantes 
observations. En premier lieu, avec le développement no- 
table de la richesse privée el le goût qu'ont les millionnaires 
d'illustrer ou de perpétuer leur nom, on peut compter sur 
les dons et les fundiitions pour enrichir, en dehors des su- 
criticus publics, le patrimoine artistique on ornemental des 
Tilles. One de particuliers en province ont légué leurs jar- 
dina privés pour qu'ils devinssent des jardins publics! Ce 
n'est pas asscx; nous voudrions que chaque ville de quelque 
importance possédât & une distance de 2 ou 3 kilonu'tres 
un véritable parc de 10 & 30 ou 40 lieclares. Mais une fois 
avertie de ce besoin, l'initiaiive privée se mettra, par des 
dons et legs, & le sallsraire (I .Ce n'est pas avec l'argent pé- 
niblement versé par les contribuables qu'on peut pourvoir ' 
& ces dépenses d'agrément collecUr. 

La seconde observation, c'est que la rAle esthétique des 
pouvoirs publics, sous le régime électif, tend à être faussé 
par les préjugés et les engouements. J'ai montré plus haut 
que, par sa nature même, l'Étal moderne intemifle l'on* 
gouemenl momentané dont la nation est la proie, et que 
rtUst moderne n'est Jamais impartial, ni à l'égard des doc- 
trines ni k l'égard dos hommes. 

L'action de l'Ktat moderne est toujours passionnée. On > 
retrouve chez lut quatre vices, dont il nu parvient pas à se | 
débarrasser: I* il n'exécute ni vileotàbon marché :2* il cède 



JUoDt il UD moilu U 




416 



L'ÉTAT MODERNE KT SES FOfiCTIONS. 



toujours ail népotisme et au ravoritisme, ou, pour Tuir ce 
défaut, il tombe dans l'épreuve bSle et incertaine des esa- 
mens et des concouis; 3° son action est toujours compli- 
quée; il ne suit rien Taire avec simplicité, en recourant i 
un seul arlisie sans l'asservir p<nr des jurys pédaotesques; 
4° il est toujours passionné et unilatéral. 
\ Les écoles orfidelles se montrent exclusives, générale- 
I ment en retard, procédant avec lenteur. Tantôt, pendant 
la première moitié de ce siècle, elles n'admettent qu'uo 
maniérisme vide et compassé, un idéalisme de convention, 
sans originalité ni vie. Tanlôl, comme depuis 1871, elles 
s'éprennent de la brutalité et do la grossièrelé; il leur con- 
vient d'avoir des scènes d'une facture rude et vulgaire, 
représentant des sujets communs ou des allégories nntnra- 
^^ listes. Qu'on regarde les achats faits par la ville de Paris à 

^M nos salons. Un demi-singe informe, représentant, d'aprSt 

^Ê l'étiquette, l'homme de Tige de pierre, séduira les aclieleurs 

H officiels parce qu'il semble une protestation contre ks 

^Ê idées spiritualisles. 

H En art, comme en industrie, l'État ne sait jamais se placer 

^H . au simple point de vue technique et impartial : il se préoc- 

^M \ cupe toujours de défendre une thèse et de faire triompher 

^K une politique. Celle disposition d'espiit de l'Klat moderne 

^B est un grand obstacle à la bonne direction du luxe collectif. 

^B I Quoi que l'on ait pu penser ou écrire en sa faveur, le luie 

^m collectif est un luxe que l'on satisfait avec l'urgent d'autrui. 

H i 11 entraîne souvent la corruption des pouvoirs publics. Il 

H assujettit les arts aux engouements, en partie artistiques, 

H en pai'tie intéressés, des hommes qui gouvernent. Quand le 

H Inxe collectif ne peut se soutenir que par de lourds impôts, 

^m c'est-à-dire pur la contrainte, il a souvent plus d'inconvé- 

^1 nienls que le luxe privé. 

^1 Au luxe colleclif se rattache une question souvent dé' 



Il souvent ae- 

J 



L'ÉTAT, LE LUXK, LES AKTS, LES KÉTES. 
battue, celle des TËte» publique». Il y aurait à les entière- 
ment proscrire un excÈs de rigorisme; mais na doit 
reconnuitre qu'elles foisonnent en inconvénients et qu'on 
n'y saurait apporter trop de circonspection. 

C'i^sl un problème singulièrement délicat que celui d'im- 
proviser une Tète publique et de l'imposer ù lu conscience 
natiunule. Ces [(tes doivent naître en quelque sorte d'elles- 
mêmes, &e rattacher ù U tradition ou, du moins, h un 
événement national si éclatant, si Incontestablement heu- 
reux pour l'ensemble de la nation sans distinction de parti, 
que, pour ainsi dire, personne sur la totidité du territoire 
n'en éprouve de froissements et de regrets. 

Les fgtes publiques peuvent être de trois catégories: ou 
religieuses, ou nationales, ou se reliant k un fait d'ordre I 
économique. 

LetTôtes religieuses sont les plus anciennes et celles qui, 
encore dans la généralité du pays, rencontrent le plus 
d'adhérents et comporlenl le moins d'int:onvénients. Elles 
oITrent un caractère plus familial; elles enveloppent davan- 
tage loua les âges; elles entraînent moins avec elles, elles 
excluent même par leur principe, une partie inévitable du 
cortège des fêtes, les excès, la déhanche et l'ivrognerie. 
Si elles sont contraires aux opinions d'un certain nombre 
d'bomme», comme ta tolérance doit être la grande loi exté- 
rieure de l'humanité, on ne voit pas que personne puisse 
sérieusement se plaindre de cérémonies qui satisfont beau 
coup d'Ctres humain» et qui ne peuvent oll'enser aucun 
homme paciliqnc et tranquille. Aussi peut-on considérer 
que l'interdiction, qui e^t devenue presque générale en 
France, des fêtes religieuses extérieures, procède d'un vA* i 
ritable fanatisme et qu'elle prive, sans aucune raison sé- 
rieuse d'ordre public, la majeure partie de la popuklioi 
de jouissance* inolTensives. 




418 L'ÉTAT MODKHNE ET SES FONCTIONS. 

l.es sceptiques devruiunl ëlre ilËsarmés devant la joie 
innocente de liint d èlres humains. 

Après les fôLes religieuses, selon le rang historique. Tien- 
nent les fêtes nationales. Celles-ci ne sa peuvent créer par 
une simple mesure législative : il leur Taut l'adhésion spon- 
tanée de toute la nation. Il n'y a guère de vraie fêle natio- 
nale que celle qui consacre soit l'alfranchissenient de U 
nation liii joug étranger, soit une grande et décisive victoire/ 
sur l'ennemi du dehors. L'anniversaire de 1776 pour les 
Américains, celui de 1830 pour les Belges qui s'émancipè- 
rent alors du joug holliindais, sont parmi ces événements 
qu'aucun citoyen de l'Amérique du Nord et de là Belgique 
ne refusera de considérer comme heureux et glorieux. 
D'autres nations du continent européen sont, de date ré- 
cente, dans une situation, sinon absolument identique, du 
moins presque analogue. 

La première condition pour une fête nationale, c'est de 
réunir l'assentiment spontané de tous les citoyens quels 
qu'ils soient, de tons les partis quels qu'ils soient. 

A cette catégorie ss rattachent encore les Tôtes qni se 
donnent à l'occasion des concours de tirs, ou des luttes de 
gymnastes, comme les tournois de jadis. C'est le ni6ms sen- 
timent qui unit alors tons les hommes, celui qu'il l'aut être 
Tort et adroit non seulement pour soi, mais pour dérendre 
l'indépendance nationale. L'humanité revient, par un dé- 
tour, intx anciennes fêtes d'autrefois (celles des ai'cbers, 
des arbalétriers, etc.). 

Tout autres sont les fêtes purement politiques qui consa- 
crent ou rappellent la victoire de tel parti, ou de telle doc- 
trine, ou de telle classe, sur tel autre parti, telle autre doc- 
trine ou telle autre classe. Ces fétes-là ne sont jamais des 
fêtes nationales dans le sens réel et étendu du mot ; ce sont 
de simples fstes ol'Ucielles, qui répugnent au^L uns, si elles 



L'ETAT, LE LUXE, LES ARTS. LES FETES. H'J 

plaisent aux aulres; elles aigrissent les divisions des ci- 
toyens, au lieu de les apaiser pour un jour. 

Voilft pourquoi à un peuple qui n'a pas dans son histoire 
un événement décisif, consacrant la formation de ta nation 
et son alTranchissemenl du joug étranger, il est toujours 
très dinicile d'improviser une fête nationale. 11 décore de 
ce nom une ti^te purement politique, qui est toujours 
Troidi'. compassée et artificielle. 

La itévolulion a donn<^ sous ce rapport l'exemple des 
essais les plus ridicules. Nous ne parlons pas ici en parti- 
culier de la Tête de la déesse Raison; c'était là une appli- 
cation de fanatisme étroit.. Min de remplacer, non seulement 
les fêtes religieuses, mais celles encore des corporations sup- 
primées, on avait Tait appel aux plus grands génies ; ceux-ci 
montrferent que toutes les ressources do l'éloquence et de 
la poésie restent siériles pour communiquer h tout» une 
nation le goût de se réjouir en commun à propos d'incî- 
denlH auxquels elle n'attache pas d'importance. Mirabeau. 
Haric-Jdseph Cbénier, T.ilteyrand, troii esprits, certes, 
bien doufs, soit pour la force et l'uulârité, soit pour l'tn- 
géniositii et l'invention, ont laborieusement rédigi5 ou ins- 
piré des programmes divers de f^tes nationales. Des esprits 
graves s'en sont aussi oiôlés, comme Boissy d'Anglas. 

Les uns et les autres n'ont obouti qu'& des combinaisons 
grotesques ou fastidieuses. Il faut lire la liturgie ou le rituel 
de 1 la fCtodCH époux», de » laffite de la vieillesse »et autres 
cérémooies que la philanthropie révolutionnaire proposa i 
l'adoption de la France {I). Ni les poètes, ni les législateurs, 

11} Dmt un« di CM ftt» il e>t indiqua qa'4 un iiutini marqiil, laulM 

Im niAr«« ilvvront rpgnrdpr leur* «nfanU • anïc il«> yeus nlleodria •. 

• Le pAupI» an paxim plui conti^nir >uq i^iilhuuilniiav; il pouMira 

4«* crii (l'alKgrme qui rap|Mllcroiit l« bnilt litr vtguM d'nan mer 

1 •gltte, <)u« Ih vea\» »oiioro* dii Hlill MulèTont et proluuyeat ea écboa 

L.4aiu Im vallou* et les fortti lolnUlliet. • 




420 L'ETAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

ni les orateurs ne purent insuliler ua peu de vie et de 
gaielé à ces prétendues réjouissances où tous les détails 
étaient d'avance arrêtés et prévus. Ces tentatives inh-uc- 
tueuses doivent détourner des fCles purement [wlitiques. 
Restent les fêtes qui se rattachent à un fait économique: 
ce sont les plus naturelles, celles auxquels notre temps 
tsele plus propice. Dans tous les siècles les grands faits 
agricoles ou industriels ont été l'olijet de réjouissances 
' en commun ; l'ouverture des vendanges, le retour de la 
grande pêche, les foires. Aujourd'hui nous avons les con- 
cours agricoles, les expositions de toiile nature. Quand 
un pays est prospère, qu'il jouit de bonnes finances, que 
les citoyens ne sont pas trop taxés, il peut être légitime 
que les pouvoirs publics s'associent, dans une mesure dis- 
crète, sans en faire le gros des frais, à ces occasions de joie. 
On peut dire, cependant, qu'ils ont une tendance exa- 
gérée, depuis quelque temps, à prélever d'énormes sonames 
pour amener le peuple à se réjouir. Sans parler des grands 
bais que le conseil municipal de Paris a cru devoir oll'rir 
pour I' faire aller le commerce parisien h et qui n'ont été 
qu'un gaspillage, nous pouvons nous iirréter un instant 
aux Expositions, surtout aux Expositions intégrales, univflr- 
selks, dont l'étendue, la dépense s'accroissent sans cesse, 
en même temps que leur ordonnance devient de moins en 
moins technique et de moins en moins instructive. 

An point de vue vraiment industrie! et comparatif, la 
dernière grande Exposition a été celle de 1867, d'un si mer- 
veilleux classement. Les suivantes deviennent de plus en 
plus des virtuosités intéressantes, oii la part de l'ostentation. 



Le peuple tout entier doit chonter 6 la lois. A un certain momont, In 
peuple s'écriera lui-mtoie : « Vivn te peuple I u On célébrera le» r6cenl» 
'ji'Lairee et d'un orcbe«lre i l'autre on se rëpélera ces mois : ■ Répe{c«- 
louï encore ces heureuses nouvelles. i 



» 



L'ÉTAT, LE LUXE, LES ARTS, LES fÉTES. 
du luxe d'étalage, des minuties amusaotes, grandit, et oii 
le c6té intellectuel diminue. On se préoccupe plus du spec- 
tacle, de la fascination des yeux, de l'ébabissement de la 
foule, que du réiultat sérieux à obtenir, du progrès des 
arts, de ^3 vulgarisation des bons instruments et des bonnes 
méthodes. 

Ainsi comprise, une Exposition devient surtout une fête 
publique prodigieusement coûteuse, qui risque de fausser 
les idées des spectateurs et de donner ft certaines parties 
de la population de mauvaise shabitudes. * 

On commence par dépenser, dans une ville, une somme 
colussale, une cenlaine de millions au moins si l'on joint 
h tous les frais publics ceux des particuliers, des exposants. 
Cette dépense purement volupluairc donne une impulsion 
soudaine h certains commerces,, qui six mois après tombe- 
ront (Inns la langueur. On fait monter brusquement les 
salaires ou tes gains des ouvriers ou des employés de di- 
terMi industries, les cochers, les garçons de café ; on attire 
de U campagne, du fond même des provinces les plus éloi> 
gnéos, une quantité de gens pour remplir ces métiers qui, 
l'année suivante, seront surchargés et devront rendre à 
rinquiélude, & l'oisiveté, parfois & la misère, tout ce per- 
sonnel surabondant. 

On tait renchérir, dans le lieu choisi, ordinairement la 
capitale, tous les services humains, tous les vivres; on 
alloue des indemnités de 10 ou 15 p. lOlJ de leur traitement 
à tous les employés de l'Ktat ou de la villo; mais les ad- 
ministrations privées ne peuvent, pour la plupart, en faire 
autant; ou n'accroît pasdc (0 ou 15 p. tOO les rentes servies , 
aux porteurs de fonds publics, ni les pensions payées ausJ 
i serviteurs de l'Klat. Comme c'est souvent soDcaa, ^ 
l'Etat agit ainsi sans règle fixe, sans esprit de suite, sans ^ 
Justice réelle, par pur caprice. 




432 



L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 
allire de lous les points du territoire des i 



n il lions 

d'hommes, adonnés d'ordinaire à iin labeur pénible, et A 
une vie simple : on étule devant ces imaginations primilires 
une capitale féeritine, qui n'a rien de réel, une sorte de 
réalisation passagère du conte d'Aladin et de la lampe mer- 
veilleuse. Les impressions qu'en gardent lous ces esprits sont 
fort diverses: bien des jeunes gens en auront retenu que 
la vie de la capitale est une vie de délices; ils rêveront d'y 
revenir, et ils y reviendront pour grossir la troupe nom- 
breuse des meurt-de-faim; l'éblouissement des l'ontaÏDes 
lumineuses sera un jour remplacé pour eux par un gîte 
immonde et fortuit, encombré de misérables. On aura perdu 
beaucoup de ces gens par cette vision d'une ville trans- 
formée pour quelques mois en Ëden ; on en aura aigri d'au- 
tres, illusionné un nombre énorme. L'allrait qui pousse 
les jeunes générations à quitter le hameau on la ferme 
pour se précipiter dans la grande ville s'en trouvera re- 

I doublé. La saine appréciation des choses, pour beaucoup 
de ces visiteurs, aura disparu. 

Cet immense déploiement de faste, sous le prétexte de 
comparer les produits, aura exercé une profonde action 
perturbatrice. Pendant sept ou huit mois, sinon pendant un 
an, les marchands de province verront une grande partie 
de leur clienlële leur échapper, au prohl du gigantesque 
bazar central. Notez que ce n'est pas le cours naturel des 
choses qui aura amené ce déplacement; c'est l'action seule, 

I soudaine, de l'Élat. Les affaires languiront en province, 
pour une cause dont l'Etat seul est responsable. 

Une Exposition de cette taille, de celte nature, accompa- 
gnée de ce luxe officiel, est un imp6t mis sur les départe- 
ments au proUt de la capitale. Celle-ci môme n'en éprouve 
qu'une surexcitation passagère qui la laisse bientôt dans 
un état de prostration. 



LÉTAT, LE LUXE, LES ARTS, LES FÊTES. 4Î3 

Aussi lin espril sétietiK, tanl au point do vue des résuIlaU / 
malériels que des résultnts moraux, ne peut il approuver 
ces colossales exhibilions. L'Elul ne sait rien Taire avec me- 
sure. 

Lus nations vraiment pratiques bannissent tout ce Taste 
inutile ; elles ont des esposilions partielles, <|iii ne se font 
pas toutes dans une seule ville L laquelle on confère ;iinsi un 
privllbjje injustilié. Elles laissent prendre l'initiative de ces 
expositions aui corporations intéressées; si elles s'y asso- i 
ciunl, c'est dans une mesure modérée, à titre de contribu- I 
lion accessoire prouvant la bonne volonté des pouvoirs pu- 
blics. Encore peut-être ceux-ci Teraient-ils mieux de n'y 
participer pnrnucune somme d'argent, de prêter setilemenl 
deslocaux.dos emplacement». Le but utile, celui de l'instruc- 
lion, de la comparaison et de la vulgarisation des instru- 
ments, des méthodes, des modèles. e»t beaucoup plus sûre- 
ment atteint, avec une bien moindre dépense et sans toute 
cette perturbation {)). 



I 



Ainsi le luxe colloctir a bien àv^ dangers ; lui aussi peut 
être corrupteur; il est plus roalai>ë de le refréner que le luxe 
privé: ce dernier compte avec les ressources de celui qui 
l'ordonne; le luxe public, au contraire, est ordonné, amé- 
nagé par des gens qui n'en fout pas les frais et qui en tirent, 
néanmoins, plaisir et vanité. 

Ce n'est pas lA la seule preuve de relAcliement et de dés* 



<i]Taui ce qiiit noui illion* ïct •<> npport'' avcr la piti* prMte Piac, 
titudaa IXipMllIiiD lie IBaO. L'un d«> iiiclil>nU lr« jilii* abaurdtrxtliw 

?u* ruaralc* •]«• ceciiAteui caruatal. ■;'• étt le graud haiiqii(>i du nioia 
■ddl aiiqurl la munlclpalllt (ittriiii-iiuc «tait rmiTif loua In iii«lrM 
dr Franco : une dauulne de tnlllr de o-k ruricllouiinirii*, la pluptit p». 
tiU [lejruDi, vinrent •■'Dkvrrr du «prriKlp uitfjquB qu'offrait alors 
Parii cl no purent eu roliror qua doi td^n huHe*. 




424 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

. organisation que donne TÉtat moderne. Il multiplie aussi 
les fôtes légales. Il ne peut détruire les fêtes religieuses que 
le sentiment général et la coutume consacrent; il y en 
ajoute d^autres soit obligatoires, soit du moins tacitement 
imposées. On s'est plaint que le calendrier do Tancien ré- 
gime fût encombré de fôtes de saints qui multipliaient 
abusivement les chômages : le nouveau régime aussi veut 
avoir des fêtes chômées, il en invente ou il en diBCute; 
rénergie au travail et la production s*en trouvent dimi- 
nuées (i). 



(1) Dans ces derniers temps on a institué le chômage du lundi de 
Pâques et du lundi de la Pentecôte, du 14 juillet, et divers conseillers 
municipaux ou députés demandent que Ton institue encore d'autres 
fêtes civiques chômées. 



1 



LIVRE VIII 

UNE DES TACHES DE L'fiTAT CONTEMPORAIN. 



CHAPITRE UNIQUK 

U COLONISATION. 

Une tâche qui s'impose inronto^InMemont, dans notre période du monde, 
aux ^rau«l« et rirhi's Ktats mo«i(*nieii, e»t la colonisation, page 435. 

Le nituidf i'irtui*! vi te» population» pi*uvent se divi.«er en quatre catr- 
frorit'!* difrt*r«'iite!(, payte 4?<». — I)(*ux de ces catégories appellent la 
lulrllf nu l'initiatiou des nations rivilitiées, page 4?(>. — Sans une in- 
ttTvi'iitioM iW cette sortr. la moitié du ^lolie serait restée et une bonne 
partit* ffsii^rait encore relativement improductive, pap* 437. 

Pay^ et races où l.i civilisation ne peut naître 8p4>ntanément et qui doi- 
vent la recevoir par importation, pa^e 437. — Il n'est pas certain, 
dans plusii>urs ras, que la civilisation, une fois importée, puisse être 
n<l«*liuiuient maintenue sans la continuation d'une certaine direction 
extôrit'urt', pu^e 4îh. 

Les particuliers ne suffisent pas ù cette initiation des contrées barbares 
par W* hommes déj.i rivilis«''s, page 4-10. — Les compagnies de colo- 
nisalitin privilégiées, paue 4.11. — La colonisjition est un fait beaucoup 
plus l'oniplexe que la simple ouverture de débouchés commerciaux, 
pagr «:il. — l«a colonisation compitrte l'action directe d'un Ktat civi- 
iis«'' sur un territoire étranger, page 4:)3. 

Il ne f.iut pai laisser aceaparer toutes les terres vacantes ou liarbarea 
par un ou deux |NMiples seulement, page 433. — L'absonce de col«>- 

nit>s |NMit équivaloir un Jour à une séquestration, page 433. — Mesure 
<|u'il eonvient d'apporter ilans le développement de lu colonisation, 
page 433. 
Frivolité de l'iipiniou ilémagogique contenqMiraine qui rv'p^iusse un des 
devidrs incontestables ilun grand État & l'heure présente, page 434. 



Il est impossible, esquissant la mission de l'Etat, de ne 



426 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

pas signaler, en peu de mots, l'une des tâches qui s'impo- 
sent à lui depuis r|iiati-e siècles, et plus particulièrement à 
noire époque, la colonisation. 

J'ai souvent Icailé cette question, particuliferement dans 
deux livres auxquels je renvoie le lecteur (1). Ici quelques 
lignes générales suTliront. 

Le mondb actuel, au point de vue des populations, se 
compose de quatre parties bien distinctes: celle où règne 
la civilisation occidentale, qui est la nôtre; une seconde 
partie qui est babilée par des peuples d'une civilisittioa 
différente, mais compacts, cohérents, stables, ileslînés, 
par leur histoire et leur caractère présent, à se gouverner 
et à se dirii^er eux-mCmes, la nation chinoise et ta nation 
japonaise par exemple. Une troisième partie appartient à 
des populations assez avancées sous divers rapports, mais 
qui ou bien restent slatlonnaires, ou ne sont pas arrivées à se 
constituer en nations unies, pacillques, progressives, suivant 
un développement régulier; elles sont dans une situation 
d'équilibre instable, se troublant fréquemment ou toujours 
prêles à se troubler. L'Inde anglaise avant la conqufile bri- 
lannique, Java, la presqu île cochiucbinoise, représentent 
particulièrement ce troisième type. 

Enlin une grande partie du monde appartient h des tribus 
barbares ou sauvages, les unes adonnées h des guerres 
sans fin et k des coutumes meurtrières; les autres connais- 
sant si peu les arts, ayant si peu l'habitude du travail el de 
l'invention, qu'elles ne savent tirer aucun parti du sol et des 
richesses naturelles, et qu'elles vivent misérables, par petits 
[,'roupes disséminés, sur des territoires énormes qui pour- 
raient nourrir à l'aise des peuples nombreux. 

Cette situation du globe et de ses habitants implique pour 



; les peu/îles 



lodern 



LA COLONISATION. i2T 

les peuples civilisés le droit ù une iiilervealioD, dont le ca- 
ractère et l'iritensilé peiivcnl varier, cliei les populalioDS 
ou peuplades des deux dernières calëgories. 

Il n'csl ni naturel ni jiislo que les civilisés occidentittix 
s enla^sent indérinimenl el élouirenl duos les espaces res- 
treints qui Turent leur premitre demeure, qu'ils y nccu- 
mulent les merveilles des sciences, des arts , de la civilisn- 
liiin . el qu'ils laissent la moitié peiit-ôlre du monde h de 
petits fjrnupes d'hommes ignorants, impuissants, vrais eii- 
fanls débiles, clairsemés sur des superllcies incommensu- 
ral>lL-s, ou bien & des populations décrépîtes, sans énergie, 
sans direcliiui, vrais \ieillards incapables de tout effort, de 
t<yute action combinée et prévoyante. 

L'intervention des peuples civilisés dans les affaires de 
ces deux catégories de populations se juslillu comme une 
éducation ou comme une tutelle. Elle peut prendre des 
formes diverses: celle d'une colouiu véritable, celle d'un 
protectorat ; très intense dans le premier cas, plus restreinte 
et plus dé(;uisée dans le second. 

I^n ce qui roiicerne notamment les immenses lerritoires 
occupés par de petites tribus sauvages ou barbares, clnirse- 
miVi, pres.^ue sans développement intellectuel et sans orga* 
nisation civile, il est ccrtAiu que lo rAle d'instructeurs et de 
guides qui incombe aux peuples civilisés est tracé par la 
nature même des choses. 

Il est des pays où il semble que la civilisation, ii savoir li 
domination de Tbommo sur lui-niCnie it sur la matière, 
l'esprit d'entreprise el la discipline, le sens de la capitalisa- 
lion et l'aptitude aux inventions, tiepeut se développer spon- 
lanémrnt. On peut croire que si lun abandonnait pendant 
plusieurs milliers d'années encore l'Aliique équatoriale on 
tropicale aux seules impuliions do ses habitants, on la re- 
trouverait, au bout de ces milliers d'années, exaclemenl 




428 L'ÉTAT MOnEHNE ET SES FONCTIONS. 

ce qu'elle est aujourd'hui, sans une meilleure exploitution 
des richesses nalurelles, sans un supérieur développemeot 
des nrts. 

Il est aussi des rnces qui semblent incapables d'un dére- 
loppement intellectuel spontané. Si l'Amérique du Nord et 
l'Australie n'avaient dû être découvertes qu'en l'an 3000 
ou l'an 4000, au lieu de l'avoir été l'une à la Qn du xv*. 
l'uulreà lalin du xviu' siècle, il est probable qu'on eût trouvé 
les liabilants de ces énormes terres exactement dans la si- 
tuation où les virent les premiers Européens; ils auraient 
eu 12, 15, 20 ou 25 siècles de plus pour perrectionner leur 
société, leurs arts, leur esprit; mais ils ne semblent pas 
porter en eux-mêmes le germe d'un développement person- 
nel ou social au delà de la chétive siluatiou où ils étaient 
arrivés. 

Il est des pays et il est des races où la civilisation ne peut 
éclnre spontanément, où elle doit être importée du dehors. 
C'est même une question de savoir, mais que l'avenir seul 
pourra trancher, si, après avoir inculqué, par exemple, par 
la bienveillance, par une direction équitable, leur civilisa- 
tion il ces peuples enfants ou ù ces peuples décrépits, 
les nations européennes pourraient retirer leur main 
conductrice, sans que, au bout d'un certain nombre 
de diitaines d'années, les peuples ainsi relevés, éduqués, 
puis soudain abandonné-, revinssent h leur situation pre- 
mière. 

Supposez que pendant un siècle ou deux, mettes-en 
même davantage, les peuples européens se Tassent les direc- 
teurs attentifs et humains des tribus diverses qui occupent 
lazoneduCon^oet desesarUucnts, du Zambèze,duNil supé- 
rieur, de l'Ogoué, de la Bénoué et du Niger, il est incertain 
si la cessation soudaine de la tutelle européenne ne laisse- 
rait pas, au bout de quelques dizaines d'années, toutes ces 



LA COLONISATION. 
peuplades relomber dans la barbarie d'où, par hypotb&se, 
on les aurait tirées. 

Il y a une cerliliide, c'est que dans ces pays la civJlîsg- 
lion doit être importée de l'enlérieur ;J1 y a un point incer- 
tain, conjectural, c'est celui de savoir si, une fois importée 
de l'extérieur et maintenue pendant nn ou deux sioctes, la 
civilisation pourrait se conserver d'elle-même, après lu rup- 
ture de tout lien politique avec la peuple civilisateur. 

L'exemple de ce qu'est devenue r.^frique du Nord, quoi- 
que beaucoup de sang romain s'y Tût inliltré, quand s'est 
rompu le lien politique avec Home, est de uature à donner 
tles inquiétudes. 

Si la civilisation peut ainsi se maintenir d'elle-même par 
la Torce acquise, la colonisation n'est qu'une (éducation pas- 
sagère des peuples inférieurs par les peuples supérieurs; 
cite doit, toiiterois, avoir une durée ((ul s'étende à plusieurs 
générations humaines, parce r[ue l'éducation d'un peuple 
nécessite toute une série de générations. Alors la coloni- 
nalion ne serait qu'une lâcbe temporaire; ce n'en serait pas 
moins une ii^rande lUclie, dans l'élat actuel du mondi*. qui 
s'imposerait aux peuples riclies en capitaux et en lumières. 

^, an contraire, la civilisation, quoique enseigné» à cirr- 
taincs races, infusée dans certains climats, n'y peut être in- 
déllniment conservée, sans une certaine permanence d'ac- 
tion de ta puissance extérieure cirilisatrice, alors la coloni- 
sation, sous la forme adoucie du protectorat, serait destinée 
à avoir uni durée indéHnie. 

On s'est trop habitué à l'idée que les colonies se détachent . 
un jour, comme un fruit mûr, do la métropole, ou du moins 
comme de* élres adultes, conscients de leur force, visant h 
l'indépendance, doivent un jour vivre de leur vie propre, et 
n'avoir plus que des rapportsvoloataires, reposant sur l'éga- 
lité, avecl'ancienne mère patrie. Il est unlypcdecolonieB,les 



430 l.'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS, 

colonies de peuplement, auquel est réservée celle destinée. 
Les groupes ethniques analogues à la populatiOD de la raère 
pairie, les sociétés absolument semblables qui se sont cons- 
tituées dans des clîmals où la race européenne peut vivre 
el se développer, sont, certes, appelés à celte émancipation 
complète. 

Mais l'exemple des Ktats-Unia, du Canada, de l'Australie, 
des républiques de race espagnole el du Brésil, ne prouve 
que pour les colonies de iieuplenient ou les colonies mixtes, 
non pour les colonies établies au conlre de l'Afriqu» ou 
môme iiu sud de l'Asie (I). 

Supposez que la direction britannique vienne un jour à 
faire complÈtemenl défaut à l'Inde ou à U Birmanie, qu'elle 
n'y soit remplacée par aucune direction européenne analo- 
gue, il n'est pas inipos^^ible que, après quelques dizaines 
d'années, ces contrées relonibeni dans l'état d'anarchie, de 
médiocre produclivilé el de misère ofi elles languissaient 
il y a quelques siècles. 

Ce qui n'esL qu'une conjecture pour l'Inde parait à peu 
prés une certitude pour le Gabon , te Congo et d'autres ter* 
riloires de l'Afrique intérieure, après qu'on les aura un peu 
civilisés, ce qui demandera bien cent ans, car jusqu'ici on 
ne les a encore qu'explorés. 

En tout eus, dans la situation actuelle du globe, il y a une 
œuvie de colonisation àaccomplir.Doil-on l'abandonner aux 
simples particuliers? Cela est impossible. Les parliculiers 
jouent un rCle important dans la colonisation, comme ex- 
plorateurs, comme aventuriers, comme pionniers, comma 
commerçants. Mais ils ne peuvent exercer une action mé~ 
thodique, prolongée, synthétique, sur tout un pays barbare 
ou sauvage, lis poussent parfois à, l'extrême l'amour du lucre, 
ouïes, laoa auvr.-i|{c siirttf 



LA CÛLOSISATION. *31 

l'esprit d'injustice cl d'oppression, Précurseurs utiles, auxi- 
liniros indispensables, ils. ont cependiinl besoin d'être cod- 
tenns et contrôlés par une puissance politique. 

Va État peut créer des compagnies de colonisation aux- 
quelles il cuiiKre certains privilèges et certains droits souve- 
rains. L'Angleterre, la HullanHe, In France l'ont souvent fait 
dans le passé; la première le Tait encore dans le présent, 
l'Alleniai^ne aussi. Bornéo, la Nuuvelle-Uuinée, toute l'A- 
rri(|ue comptent diverses sociétés de ce genre. C'est un artî- 
lice auquel recourt une puissance pour s'inliltrer dans un 
pays où son action directe et immédiate suscileratl des 
protestations. 

Mais il ne Tout pas fiire la dupe des apparences. Ces socié- 
tés de cotunisation ontderrière ulles toute l'action politique 
de la puissance qui leur a accordé leur churle. Klles sont di- 
plunialiquement soutenues par elle, parfois aussi militaire' 
ment, ri, au bout d'un certain temps, elles se voient presque 
loujouTB remplacées par l'État même dont elles n'ont été 
ainsi que les agents temporaires. 

Il n'en peut être autrement ; le simple droit des gens 
n'nitntel pas qu'un territoire appartienne A des particuliers 
sans qu'un tîtat constitué et reconnu en ait la responsa- 
bilité. 

Un confond souvent la colonisation avec le commerce ou 
l'ouverture de déboticbés commerciaui. J'ai montré ailleurs 
que cette assimilation est faussu. I,a colonisation comporte 
bien antre chose que U vente ou l'ucbat de marchandises; 
elio entraîne une action profonde sur un peuple et sur ua 
territoire, pour donner aux habitant» une certaine (Sduca- 
ti'in. une justice régulière, leur enseigner, quand ils l'igao- 
reul, U division du travail, l'emploi des capitaux; ellt 
ouvre un cliatnp non seulement aux marchandises de U 
mers patrie, mais à set capitaux et i se« épargnes, k ses 



*32 L'ÉTAT MODEHNE ET SES FONCTIONS. 

ingi^nieiira, à ses contre-maitres, ù son émigi-alion soit des 
masses, soiLde l'élite. Une transformation de ce geiii-e d'un 
pays barbare ne peut s'elTectuer par de simples relations 
commerciales. 

La colonisation est ainsi l'action mélbodique d'un peuple 
organisé sur un autre peuple dontl'organisalîon est défec- 
tueuse et elle suppose que c'est l'Élut même, et non seule- 
ment quelques particuliers, qui se cbarge de celte mission. 
La LransTormation ou l'éducation dont il s'nj^it ne se peut 
procurer, en effet, par de simples écbanges de marchandi- 
ses , échanges toujours Tort bornés chez les peuples primitirs; 
il y faut joindre l'établissement de la paix intérieure, phéno- 
mène rare chez ces tribus sauvages, des lois équitables et 
respectées, une jusiice exacte et sûre, un régime terrien qui 
permette l'accès à la propriété. Or, tout cela ne peut s'ob- 
tenir que par l'action de l'État. 

Ainsi la colonisation, qu'on la considère comme une en- 
treprise permanente ou seulement comme une entreprise 
transitoire, propre à la période de l'humanité que nous tra- 
versons, est une œuvre d'État. 

Maintenant un grand État peut-il s'en désintéresser, sur- 
tout quand sou histoire et la possession mâme de vastes 
surfaces terrestres l'invitent à y prendre part? Les écono- 
mistes naguère, à l'exception de quelques-uns cependant, 
parmi lesquels Adam Smith et Sluarl Mill, ont détourné les 
États de posséder des colonies. Pourquoi ne pas faire sim- 
plement le commerce sans prendre la charge do territoires 
lointains? 

Les grandes fautes, les crimes même, qu'une colonisa- 
tion mal coni,Mie a suscités, les massacres d'indigènes, l'es- 
clavage, les erreurs d'un système colonial contraire au sens 
commun et A la science, ont pu encourager et excuser 
cette manière de voir; elle est, toutefois, superflcielle. 



I 

I 

I 



l\ COLOMISATIOM. *33 

Il ne convient pas de laisser accaparer, peupler ou diriger 
le monde par un seul peuple ou par deux peuples. U îm- 
porlc de se souvenii- que tes marchandises d'un puys ma- 
nuraclurier courent grand ns([ue d'ôtre arrêtées pur dos 
tarir» probibilifs aux fronlit^res étrangères; que lt>s capi- 
taux qu'il produit en trop et qu'il veut exporter sont sou- 
vent exposés dans un pays étranger à des tribunaux ou k 
des législateurs oialvci liants qui les conlisquent indirec- 
tement ou les ruinent ; que les émigranls même ne sont 
plus sûrs d'iUre bien accueillis dans les contrées sur les- 
quelles leur pays d'origine n'a aucun droit. 

L'absence do colonies, dans un temps déterminé, avec 
l'esprit qui pri^vaut du nos jours, pourrait équivaloir à une 
sorte de séquestration du peuple qui aurait été assez, inerte 
pour ne pas se créer des dépendances dans le monde, alors 
que le monde n'était pas cuuiplôtcment occupé. 

l'uis, les iiilluonces morales valent bien quelque chose : 
le prestige d'un peuple qui a imposé sa direction, sa langue, 
ses baliiludes. ses goûts It des territoires étendus, a sa ré- 
percussion jusque dans les affaires. 

Alnù, dans la période de l'hi^iloire que nous traversons, 
un grand État prévoyant et riche ne peut absolument se 
désintéresser de la colonisation. 

C'est une œuvre lente, coûteuse, qui no peut être soute- 
nue parles particuliers seuls. 

U faut, toutefois, apporter à cette oeuvre d'Ktat beaucoup 
-de réilcxion, d'intelligence, de mesure, de sentiment de 
justice et surtout d'esprit de suite. Il convient de Ucber 
d'établir sadirecliun politique en froissant le moins possible 
Jos populations indigènes, en les formant graduellement, en 
respectant leurs droits, en évitant les guerres; la politique 
«oluniato d'ottenlation oit aussi nuisible que peut être utile 
la politique coloniale sérieuse et bien conduite. 




434 L'ÉTAT MODERNE ET SES FOiNCTIONS. 

Dans ces conditions, la colonisation, au moment de l'his- 
toire du monde où j'écrie, rentre dans la mission des grands 
États occidentaux. 

Il est intéressant de constater que les démagogues qui 
veulent disséminer TÉtat dans tant d'entreprises diverses à 
rintérieur ne se soient pas encore avisés du devoir coloni- 
sateur de rÉtat moderne. L'opinion publique vulgaire, 
quand elle n'est pas dirigée par des esprits sérieux, a si peu 
de prévoyance; son horizon est si restreint; elle est si 
préoccupée des infiniment petits de Theure présente ; elle 
voit si peu l'avenir lointain de la patrie. Elle prend sans 
cesse le change, se passionnant pour de mesquins et transi- 
toires intérêts, négligeant le développement lent des grandes 
choses. 



CONCLUSION 



Il nous suffit de quelques lignes pour résumer lout cet 
ouvrage. 

Nous avons étudié et les origines de TÉtat et su nature 
concrète. 

Organisme pesant, uniforme, lent à concevoir et à se 
mouvoir, il est propre à certaines tâches générales. La fa- 
culté inventive, le don de Inadaptation rapide lui man- 
quent. 

Les progrès humains et sociaux, on Ta tu, c*esl Tinitia- 
tive libre des individus, des associations ou du mili u social 
plasti(|uey qui les a effectués. 

L*Klat n*est pas le cen'eau de la société; il n*a aucun 
titre, aucune aptitude, aucune mission, pour la diriger et 
lui fravcr les voies. 

On a vu quel instrument délicat et imparfait, en dépit de 
ses vastes ambitions, est THtat moderne. C*est la proie de 
tous les engouements successifs. 

Il est assujetti à dt*s servitudes qui restreignent sa liberté 
de jugement, (juand il sort de quelques grandes fonctions 
conservatrices, il est exposé à n*agir qu'avec passion, avec 
caprice, sans mesure. 

Le développement de ses attributions rend le contrôle de 



I 



436 L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. 

ses opérations chaque jour plus dirOcile. Nulle Cour des 

comptes n'y pourra bientôt sutlire. 

Multipliant ses subventions, ses dons, ses roiiclionnaires, 
il arriverait à supprimer eri Tait toute liberté électorale et 
toute liberté politique. 

Comment un peuple serall-il libre à l'égard du pouvoir, 
quand une grande partie de ce peuple *e composerait de 
fonctionnaires et que, à côté de ceux-ci, un nombre consi- 
dérable de citoyens attendrait de l'Étal des dons, des encou- 
ragements, des faveurs? 

La liberté industrielle périrait bientôt avec la liberté poli- 
tique. Ces énormes rouages de l'État, prenant dans leurs 
engrenages tous les efforts privés, finiraient par les lasser 
ou les briser. 

C'est au pur collectivisme que graduellement certains 
docteurs veulent conduire l'État moderne. Ils l'y achemi- 
nent par des chemins détournés, par des étapes discrètes. 

Or le collectivisme partiel ou le collectivisme total, c'est, 
& des degrés divers, la déchéance de la civilisation euro- 
péenne (I). 

On se flatte de l'idée que les nations ne peuvent pas ré- 
trograder, que, grlice à l'imprimerie et aux écoles, toute 
connaissance acquise appartient délînitivetnent àThunianîté 
qui ne pourrait la perdre. 

Hien ne prouve que celte confiance ne repose pas sur 
un préjugé. 

La civilisation ne consiste pas seulement en connais- 
sances. Elle se compose aussi d'habitudes morales : le goût 
de l'initiative individuelle, l'esprit d'association libre, l'a- 
mour de l'épargne, la responsabilité personnelle. 

Que cet élément moral s'alTaiblisso ou disparaisse, et les 



1 



CONCLUSION. 437 

connaissances, conservées par rimprimerie et transmises 
par récole, serviront de peu de chose. Elles ne sauveront 
pas plus de la décadence nos arrière-neveux que tous les 
trésors des arts et des lettres accumulés par l'antiquité 
n*ont préservé de Tinvasion de la barbarie les Romains et les 
Grecs. 

Pour une nation comme pour un homme, l'intelligence 
vaut peu sans la volonté. C'est donc la volonté qu'il s'agit 
de cultiver; en l'émoussant par Tintervenlion fréquente de 
l'État on énerve la nation entière. 

Il n'est pas de progrès techniques qui puissent compen- 
ser un relâchement du ressort individuel dans l'homme. 

Que les nations civilisées y prennent garde! En subordon- 
nant à outrance la volonté personnelle à la volonté collec- 
tive, l'action individuelle à Faction nationale, elles détrui- 
raient le principal facteur de la civilisation ! 



FIN. 



TABLE DES MATIÈRES 



LIVRE PREMIER 

Li*ÈTAT, LA 80CIÈT& ET L^INDIVIDU. - LA OBNASB 

DBS FONCTIONS DB L'ÉTAT. 

CHAPITRE PREMIKR 

NéCESSiri d'une rONCKPTiUN EXACTE DE L ÉTAT MODERNE 
KT DE SES FONCTION?, I».\GE 1. 

CHAPITRE H 

MCIS51TI DE- nK<:ENTES DE LA CONCEPTION DE LÉTAT. 

La coDCoplion «le l'Élat chez 1«'^ thiViricioDA du xviii" BÎècle et de la R^- 
voliitioD fniuraiite, pap* 7. — Les* exagérations, le nihilisme gouver^ 
nemenlal, p<'ifft* 8. 

Causes diviTst'H (|iii uni rootribiié à ^'tendre le rôle de PÉtat : la 
grande indiitftri»'. la vnpeiir, le réginii* parleiu<'nlairc, la philosophie 
panthéiste, pagi» !l. 

Deux partii^aus «l'une extension modérée du rdle il«i l'^^t : Michel 
Chevalier et Stuart Mil), page 10. ~ La théorie exce8!<ivc des attri- 
butiiins de l'^Itat : une furmule «le Gnmhetti. page 12. — Un théori* 
4'ieu iM'Ige : Éiuil«? de Lav«'U*ye, page 13. — L'«>piniun doctrinale en 
Alleningue : Loreuz Ton Steiu, Wagner, Sch.'i'ffle, Bluntschli, page 15. 
— L'^^tat M propulsif •*. page 17 6 

CHAPITRE ni 

LA CONCEPTION N«it VF.LLE DB L'ÉTAT ET LE? BUDt^.ETS NATIONAUX 

OU Locaux. 

L*iiDpuUi«)D donnée à la machine politico-ailmiuistrative n'a été coutenue 
que par les limites financières, page i8. — La trinitéde TÉtat : pouvoir 



(40 TABLE DES MATIÈRES. 

central, pouvoir proTiDclal el pouvoir nionicipal, page tS. — La pAls 
armée n'est pas la «eule C3Ui>e des mnbarraa Ènanclers des Ëtnts 
dernes. fngc 19. — Développement énorme des dépenses des serv 
non inilituircs, page 19. >~ Les dépenses dea pouvoirs locaux s,e eoat 
tout aussi ocrrues que celles du pouvoir central, eiemplt; do l'An- 
gleterre, page 30. —Exemple da l'Italie, page 90. — Exemple de U 
Kranoe, page 31. —Exemple des Étols-UoiB, page 3.'. — Lps diven 
pointa de vue auxquels peut être appréciée l'exlr'usioii de^ altrtbu- 
tions de l'Ëtnl, page 34. — L'État reste le seul dieu du uiuiide uio- 
derue, page sa Ig 



DIPFËltKNC 



CEIAPITRE IV 

; FONDAMENTALE ENTHE l'ÉTAI Kr LA SOCIÉtS. 



Les erreurs principales sur la nnlure de l'État, pngc 3G. — La première 
erreur reposq sur de TauBSCi compo raisons ptiysioIogiqiiKH : le livn 
de Schielile, pngc !7. — Absurdité de la Ihése que l'Ktaf e«t ta 
corps sociitl ce que le cerveau est a» corps huinoin. page 38. — L'État 
eat un organisiue mis daos la atiûa de certains hommes, page 39. 

Il ne Tant pas confoudre l'Élat et la société, ni opposer l'iDdividu seul 
à l'Eut, page .10. — La société est plus vosie et plus Téconde que 
l'Étal, page ;il. — Nombre iuQoi des groupements sociaux, page 3|. 
— Lliomuie est un être qui a, par nature, le guùt de l'ussociatton n.- 
rièe, page 33. — L'individu isolé n'exisle pas, ptige 33. — Nombre 
prodigieux d'associations auxquelles appartient l'individu civilisé, 
pages?. — Le phéaoméae de « l'inlerdépendauce a, page 33. 

ToiiB les besoins collectifs ne sont pas néceasairemeut du ressort de 
l'Étiit, page 3t. — Erreur qui couaiste à croire que, eu dehors de 
l'État, on se peut rleu créer qui ne soit inspiré pur l'inlûrd personoel, 
page 34. — Méprise d'Adam Smith a ce sujet et du la plupart des 
écoDomistes, page 3&. — Conception incomplète des molirit auxquels 
obéit l'individu, page 36. — Il est Taux que la pLTSCinne humaioe aolt 
uniquement conduite par l'Intérêt personnel, page aG. — Variété de* 
mobiles auxquels ci''de l'individu civilisé : ({cnre raflliié de »porl qui 
ta répand en crêatious d'utilité générale, page 37. — Excmpli^s de 
ee sport philanthropique, page 3â Jtt 



CHAPITRE V 



?. SES KONCnOKS. 



Les humbles cocameucemenls de l'État, p'ige 3S. — Les deux fonctions 
primitives: organe directeur de la tribu contre l'étranger, organe 
d'un droit coulumier élémealaire, pngc 3'J. — Troisième ronctiooi 
poelérieure : contribuliou nu développement social, page 39. 

L'orgiinlsme de l'Étal est essenliellament coercitiT : la double con- 
trainte des lois et des impôts; pouroir législalK ou régi uni en taire et 
pouvoir Qscal, page tO. ~ L'État se manilesle aux peuples civilisa 



TADLK des NATIEnES. «41 

tauê ta raroiB d'une Irinilé : autorité naliooale, autaritA proTÎnriale, 
autorité iDuaiclpale, page 41. 

Genèse des foDctioDs de l'Êlat, po^e 41, — Des atlribuUoDï qui 
•einhlrDt aujourd'hui iobtreiilcs à l'Ëlal lui «ont tardivement écbiiei : 
eiFiuple dn >ervice de afcuritt iut4rii:ure, page 41. — La pluliciti 
sociale fait oattro ■poDlauSmeDl lei organe* qui sont indiipetiiablea 
k U nocive, pa^ 41. — Ua léger degré d'insécurili <raut encoN 
otiKiii qii'un cxcèt de réglemeotatioD, page 43, 

C'ut In principe de la divisioa du trivall qui u iuretll déflultlre' 
ntenl rËl.it de dlvoncs ronctioo» Jusqup-li remplloii pur l«i gruupc- 
mcoti «piintant* et libre*, page 44. ~ Partoia la plailidlA de la ao- 
ciélir^agilcunlrelesfaules de l' État en abandonnant ses ornauei pour 
FHlourui^r A d'aulnr* qu'elle crée «pontnoimenl. page 4J. — La plupart 
dra lui* u'oDiéU t l'origioe que des cnn«écnllons de coulumei néaa 1 
iDitinr.U Te nient, page 4&. — Le droit commercial a une origine touls 1 
priTi'o, page 45. — Nombre d'eiitroprlaes qui lemblent répugner i 
l'initiative prirèe <t qui ont éli accomplie* par elle avec éclat, 
polie 4<I. — Iliitoriquemenl Im asiocJalion* libres ont prtié leur con- 
coure u l'Ëtal pour dei arrtice* dévolus k ce dernier; le« fermiers 
d'impAtj, page 4B. 

L'Étal eut abuoluwent dépourvu dn t'eipril d'invonliou, pago 40. 
— Prvaque loti* I'* progrès humain* se rapportant li d»< •> individua- 
lité* *aDs mandai -, page 4U. — Toute culleclivilé hiérarchique est 
ioCiipshln d'esprit d'inveuliau. page 10. — EiempU-a divrrs de la 
*lérilité d'invention do l'Ëtal, page ii). — L'Ëlal pet un organe critiqua, 
un urgaue de coordination, d« géoéralîMllon , de vulgarisation, 
psgr b». ~ L'Eut n'e»t pa* la plu* haulo personnalilé , page &4. — 
L'Elal Mt aurtout uu organe de conacrvallan, page H U 



CARACTËRES PABTICCLIEHS DE LÉTAT 

MODERNE - SES FAIBLESSES. - SON CHAMP 

NATUREL D'ACTE ON. 



CHAPITRE PREUIBH 

9IATI.1U DC L'ilAT aUDKM.II. — L'tTAT tUtCTIl' RT * rUSOltSCL 
VAMAILK. 

L'Elal niodi-rii" et occi Jcidal »ttni de* CHractArri* poriirullers qnl lu dl»- 
UngUKot de iH-aucoup il'fjals ancien* ol dn loin lis pMtt orisnlaui, 
pogn Ml. — L'fital modpmo rrpmo sur la délégation temporaire da 
l'autorité par ccui qui la doivent «uliîr, page àT. — Idée que la volonté 
du grand nombre fait la loi, que le* lorce* gouverneuieulale* ildlveat 




Ui TABLE DliS MATIÈRES. 

être emplojéea dans l'inlèrit des cbases laliorieuses ; (lùduin de la b 
diLioD, conQance nii[ve dans les cbaagcmenU ]ËgUUIir«. page 58. 
— Le préjugé générai est caalre les uifflurs anciennes et los aocû-nac* 
inslitutions, page 58. — Action ildciiive qu'oot sur la directîua i)e 
l'Etal moilerae iee gènéralioas les piua jeunes, pnge â!l. — Soumia- 
Hon des pères aun eiifutits, piiga &9. — L'expérience liistoriquu *sl 
loiD de li'CLre prononcée en faveur de cette orgojiisaLJoa, pagu 60. 5! 



CHAPITRE II 



CONSÉQUl 



L'Élut moderne est la proie sucaessiTe de loua les engoue m en ta, page Bî- 

— L'État moderne représente à sa plus hiute puissancB l'criffaiiemeol 
Tuomenlaiié de la loaiorild de ia Dation, page 63. -- Les diffi^rentet 
sorti:» d'engouemei)! dont l'État moderoi; peut Ulre 1» prot^, page 
(1^. — Lc9 élections sont camiiie nne photographie inslautaiiée qui 
saisit un cheval au galop et le repréiientc éiernelleinent galopant, 
page G3. — La législation, dans les Étals modernes, est, de aécessilé, 
presque toujours outrée duos le sens de l'action ou duii-i le aeo: 
la réaction, page «4. 

Le surmeuiige parlementaire : heureux effets de l'ohatruclioD et du 
refemidum, page 64. 

L'État moderne a peu de suite dans les idées et dan.t le pereouoel, 
page fia. — Le principe : viclorihua spolia, page 6J. — S'il f-vite ce 
péril- l'État tombe dans la i/éronlocraii', page 66. 

L'État moderne manque par déSnllion niGme d'impartialité, puii- 
qu'il est le gouvernement d'un parti, page UT. — Le parti au pou< 
voir n'en a jamais que la posscsaioii précaire, pogp C8. ~ Le ptiacipe 
de la division du travail crée la classa dus politiciens avec loua leun 
vices, piigc 08, — La possession précaire du pouvoir par les dôteo- 
teuri de l'État moderne leur donne une activité papillonne, page SB, 

— ElTets analogues produits par les despotismes orientaux et par la 
démocratie contemporaine : pillage des ressources publiques, page (iS. 

L'ËInt moderne ne conçoit presque Jainai» k'-; iiili'n^ls sociaux s 
leur forme synthétique, pngH 70. —Il e^t plu» ^l'nsdde nu»: iDtérélt 
immédiats, niËino secoudaires, qu'à un grand iuIiTÙt éloigné, pu^e 71. 

Les fonctionnaires de l'Ëlat n'ont ni lestimulaul uî lu frein de l'in- 
lËrfit personnel, page 71. — L'Étui est soustrait aux conditioas i1« U 
concurrence, page 72. — Réponse ù l'objection de la concurrence tï- 
tale entre les partis et entre les Étals, page 73. — Du prétendu droit 
de sécession, page 73. — L'émi|iralioo personiiollc, pago 7è. — Motih 
trop oubliés de modestie de l'tltat UMiJerne, page 7S 

CHAPITRE m 

COMPARAISON BE l'iStat moderke et des sociétés aso.nyiies. 
Allégation, que les vices de l'État moderne «ont aussi ceux des aocidtés 



TABLE DES MATIÈRES. 



U3 



aDonymei qui aujourd'hui arnipareul la produrllon, pngc ^^. — 
Civniiftre r^poot^ ï ci^tte propocltion : les POIrepriaFs pi^rfouiHIcs <■! 
k» lodéUs en DODi rolleclir uu en cornatODiIllc Uetiuciul uq« grande 
pUco dan* l'orguilulion contemportÙDe, pag« 78. 

Lei<io<i<*l^«inonyiiiridifl'trcntslnguliftrcnirnt, parlciiri'nndSUition, 
do l'Ëlal mudenie : ce ub bouI pa« de* diuiocrallr» b peri»nitel vs- 
rlabt* : \r auirriige y «it ceniilairr. Lrt lod^t^s annuyuirs proepÎT^s 
*D transfonucnt eu ariiiocntivs on va muuHKhleB li-uiptr^ea, page 
'». — La peraiBoeoce dei pcnoDura et des IradiliODs vsl U r^gla 
liabilticlln des udi'Ui RDoDfmet, page TU. — Droit et racilitt do 
*écr>rioi] pour Im nitconletit*, page 79. 

La IjureaucntiR ilri aociéW* anouTine* c*l pli» uiuplc et plua etU- 
racn que cellt! de l'Elnl. page HO. — L'Ëtal uiuderne m placn roremeat, 
pour le choii de «m foudluDualres, tu «eid poiiil de vus lechuiiiue. 
p.igr Bi. — L'ËIst motlenie a la pr^entlon qoe le rnnclioniiuire lui 
appartienne Uiut cnller, au») bien ai!« npinions poliUques que aon 
IntetlI^eQcfl, page 81. — Pltuiluda d« lltierlâ. eu dehon d« la aph^re 
profeuioBoelle, laiofe aux employai d«a Mci#t£s anonyiiiec. page 
H?. — A I* longue, le peraonnfl de funclluoDatre* de t'Ëlnl moderue 
doit #lro infArietir é celui de* «ociètfa eDoiiyuies bien comliiile*, 
page M. 

EJostidlt de* taciUi* «nonfinei prouvée par la pratique de» teuipi 
de crite; l'urgnuliiuo de l'Ëtal ne te prt^ta pas aux même» éconumlea 
•oudaliiH. page 8). — KffÉrriice de vllualiuu d'uiin nMuniblve gè- 
nfrali' d'sclinnuaire* cl d'un parlcnieul lilttctif rolallvi'ineDi aul «m- 
ploj'ia ri aux fraJo g^ui^raux d'Hdinliii*tr<itii.n, page 81. — Lu ntpo- 
lianie dei »oeiét^ onoDjUHa est moitia dangereux que celui d« l'Etat 
nicidome, parce que tea baulei foncliona août plu* permoneule* dutii 
le» pri>lui^mi. page St. 

Tuuln eoLrvprlM privée qui «e reUebe eat bientôt couiprouiite ou 
Alliuiit«n : la réduction des illrldende* ou 1* btiniie de* cour* à la 
il un avertltMment lilcu plua «lUcacn pour Ira nctiuaDtlrc* 
qu'un aloiplr di^OcIt budHétalre (mur le farlnincul, p.-ign U. 

Lea eanafquance* de* r-rrcur* <le* eod^léi anouifuiea ne portent que 
iix iiui. au uioiD* par négligence, •'; «ont osfiiciéai le* conaè- 
!■ de* erreur» de lËlal punrnl luême lur eeux qui le* out dè- 
noii«eea et «iDibalUii-*. page lU. — Lm erreur» d« PKIat «ont dai 
erreur* totak*. celle» dr« tnclttë* ■oonjuin» lonl pr<-*quc toujour* 
partlntlp». page Ml. 

llégli'a i{^nrrale> qui réaultent de ce* condtli'ratiuaa. page SI. 

La rcaponaobiliU de l'Ëtal pour le» faulei de le* agvuU e*l luujour* 
phudiniGileaui»Ureeiijeuquec(IIed«* wirlété» aoouyni» ; exomple*, 
aà§t M. — La nèceialuv de ejjlUvor le* bablluilni d'action eolloellv* 
Uft, pour malnlenir la (uuplMM du corp* aodal, uo doit Janola ttre 
^tiév» do vue, page Ku. 

Mode insidieux d'indueoee dont Jouit l'Ëtat : l'exemple, page Bl. 
— EeapDiiBabillU èuurme qu'eadiwao Ttlat de cv cbef, pagp M. — 
Obligé d'agir Uiujuur* en grand, l'Ëlat mulUplic leaermun qui »oot 
•i rréquenle* dan* le» fmoI* butnalii», page SI 



TABLt DES MATIÈRES. 



LIVitE 111 

LES FONCTIONS ESSENTIELLES DE L'ÉTAT. 

SA MISSION DE SÉCURITÉ ET DE JUSTICE, 

DE LÉGISLATION ET DE CONSERVATION 

GÉNÉRALE. 



CHAPITRE PREMIEIl 



s SES B APPORTS 



Lue fuucliona île l'Étal dérivent de sa nature uième, page 93. — L'ÉUl 
a misFioD de paurvoir aux besoios commuDs de la ualioD : différence 
eutri! les besoins commuus et \es besoins gëuËraux, pngt: 94. 

L'Ëtat e»l, pur excellence, le déflaissi^ur des droiù vl des respon- 
sabilités juridiquei, page 9S. 

L'État, possÉdanl. seul la perpétuité, doit tire le JéTenseur des ïntj- 
rèts perpétuels contre l'iuiprâ voyance dos intérêts présents, pa^e 95. 

L'Etal Bat le protecteur naturel des èlres lubies : dilScullés A 
entralneinenta que comporte oette niisaiuD, page 95. 

L'État peut, en oulns prêter aa concours accessoire au développe- 
ment des œuvres individuelles constituant la civilisation progressÏTe : 
périls et tentations d'envabissemcnts qui peuvent résulter de cette fs- 
culti':, page 9S. 

Impossibilité de fixer, par une rî'gle théorique, les limites que doit 
comporter ce concours aux oeuvres civilisai rices; iièci-ssité de s' 
tenir & l'expérience ; un excès d'absleution de l'Ëlat en celte niaUèrA 
est moins nuisible, à notre étape de civilisation, qu'un excès d'in- 
trusion, page 97 U 

CHAPITRE U 

LK SERVICE DE 3ÉCUHni. 

La sécurité collective de la nation el la sécurité privée de l'inctividu- — 
La première a toujours élé coDsidèrêo comiuo la ronctiou primordiale 
de l'Ëtal, paï;e 98. — Le gouverne ment est toujours apparu d'utiord 
comme un appareil militaire et diplomatique, page 99. 

L'État moderne, c'est à-diru l'Ëtut éicclir el Uotlaat, semble compro- 
mettre b la longue la force de cet appareil militaire et diplumalique 
qui reste esseuliel aux DUtîuus, piige 91). 

L'État moderne ulTre des garanties médiocres pour la défense même 
di' In nation, page 1 10. — Espérances superlîciBilcs en la paix perpé- 
tuelle, soit au di?hori>, soit au dedans ; raiEoiis da querelles qui sub- 
■isteat, page lOi. 



TADLE DES MATIÈRES. 445 

La técarité pour les parlicnliers ne vient qu'iprès la sécurité pour 
la nation elle-môme : dc^veloppement. en intensité et en précision, 
des services de sécurité intérieure, page 102. 

Extensions récentes du service de sécurité, page 103. — Problèmes 
très délicats qu'elles comportent : service des épidémies, service pé- 
nitentiaire, page 103. — Le service de sécurité tend à revenir, par 
certains points, à la barbarie primitive, page lOô. 

L'État moderne, courbé bOus la servitude électorale, n'est pas tou- 
jours dans d'excellentes conditions pour garantir complètement la 
sécurité des biens, sinon des personnes, page lOG 98 

CHAPITRE 111 

L ÉT.KT ORGANE DU DROIT. — CARACTICRK ET LIMITES DE CETTE FONCTION. 

L'État est. par excellence, le définisseur des droite et des responsabilités 
juridiques, page 108. — Erreurs de la plupart d^s hommes politiques 
et des publieistes sur la nature de cette mission, page 108. — L*État 
ne crée pas le droit, page lo8. 

L'ancienne conception des lois : une règle fixe durable, faisant oppo- 
sition a l'arbitraire, page 108. — La théorie de Bossuet et de Kénelon 
est moins fausse que celle de Bentham, page 109. 

La loi ne crée aucun ilroit; elle reeounaît le <lroit, le définit et le 
sanctionne, p>ige lOtf. — Conmic le langage, comme l'échange, le droit 
nail spontanément, page 109. — La coutume précède partu ut le droit 
écrit, page 1 10. — Mciiie écrit, le droit est toujours en mouvement, 
par la jurisprudence qui s'inipire graduellement des usages nouveaux 
et des nécessités nouvdl«*s, page liO. — Le législateur ne vient qu'en 
dernier lieu pour sanctionner et préciser, page 110. 

Genèse <le quelques droits : le droit de propriété, page 111. — 
Comment la propriété de la maison et de l'enclos a précédé celle des 
terres arables, page 113. — Comment l'inégalité île la richesse mobi. 
lière a été l'origine de l'inégalité de la propriété foncière, page lit. 
— 1^1 il.ite obscure des transformations de la propriété collective en 
propriétés privées prouve que ce n'est pas la loi qui a créé le droit de 
propriété, patfe 112. 

Partout le fait instinctif et inconscient a précédé la loi, pu^e 113. — 
Exemple de la propriété littéraire et artistique et de la propriété dfs 
inventions, page 113. — Déinoustralion que ces droits existent avant 
toute loi, l'exercice seulement eu est entravé, page Mi. 

B<*au<'oup de droits naturels, comme celui de pK'ter à intérêt, ont 
dû lutter contre le légittUti'ur peodant des séries de siècles et ont 
triomphé «le sa résistance obstinée, page 115. 

Nécessité de rauii>uer le législateur a la modestie, page 115. 

Admirable ilétinition de la loi, de Montesquieu, page llô. — Héfu- 
tation des objections a ce sujet, page lia. — H y a dans la nature des 
choses une ironie qui se lit du législateur; lois de succession, d'im- 
pôts, des maxima d'intérêts ou de prix, etc., page IIG. 

Présomption de ï\ tat moderne et des parlemeots pernianeott, 



TAItl-K DES MATIERES. 



elSula des TantatsieB légi*- 



CHAl'lTIlE IV 

ÏONcnoN UE COKSEBVATIOK GinÉHALE. 

Coiiiiijt.- ri'iirùseulaDl de la purpétuilf sociale, l'Ëtat doit veillt^r A 11 

conaervuliou dce condlliotis gÈuiirsIes d'eiisteuce de la. oatioii, page 

t3<i. — CoDservatfoD du climat, du lerritoire culLIvable, des riche^^es 

naturelle? qui ne se reproduisenl pis, page 111. — Dans ccito Ucbc 

l'Ëtat peut être aidé par les parliculiers uu les assaciatioas, maù il ue 

doit pas e'abslenir, page 131. 

Mervoitlea de U Holliude dans sa lutte contre les eaux, png^ 111, 

Eienipleg en France de belle? itudes théoriques et de briux Irn- 

vauï pratiques pour nette œuvre d^^ conaervation générale, page lïî. 

La politique hydraulique est chez les peuples di? l'Europe à peiiie 

a début, page 121. — Le r'I I l'Ét t peut il oDsidârable 



pour la conservation ou le rep 


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pas, page lîC. — lusiitlisanee d 


lÉtat 


jjodeme 


pour 1 


BCcomplÎMe- 




page IS 






: 1» 



LES TRAVAUX PUBLICS, L'ÉTAT CENTRAL ET LES 
UUNICIPALITËS. 



ClUPITltE PREMIER 

COUP h'œil hbtrospectif sur le b* vélo ppe ment des travaux 

PUDUCS. 

Impossibilité d'une règle Dxe et universdle pour l'iaterTRntion de TËtat 
eu cette malîère, page 130. " Lra IravnuK publics paciQquBs el les 
travaux publics niilJtairea, pciïe 130. 

CaructÈres Iréd divers des travaux publics : ceux de conservatioa 
générale iucaaibeul iuconte s table ment à l'Ëtat, page 130. — L'exAcn 



TABLE DES MATIÈRES. 447 

tioi) ptMit en ôlro déléguée à des parliculicrd ou à des associations» 
paf;«> 131. 

I.i> g«>iirps de travaux publics qui passionnent le plus les contem- 
porains, les entreprises de viabilité, laissaient presque indifférents 
les peuples anciens, page 131. — La construction de routes ou de 
trhemins est l'une des applications les plus tardives du principe de la 
ilivisiiin du travail et de celui de la capitalisation, page 131. — L'usage 
de i.i bête de somme reste à introduire sur des immensités <le terri- 
tiiires, page 132. 

Les diverses phases de l'art den communications se présentent en- 
roH' successivement à robservatcur qui passe d'un continent à un 
autre, page 132. — Les porteurs humains, les caravanes ou les convois 
df mulets, le roulage accéléré, la locomotive, page 132. —Différence 
de prix «le revient de chicun de ces transports, page 133. 

Proportions de la surface de la planète qui ne jouissent que de l'un 
des moili's inférieurs de communication, piigo l.'i4. 

CVsl la guerre qui a fait ouvrir les premières roules, et qui en fait 
encore construire dans les pays barbares soumis aux Européens, 
pagi; 134. - La voie romaine, les routes des Alpes, les chemins de fer 
de rA!«ie centrale, pai^i* 13 L — L'esprit se familiarisa graduellement 
avec l'idée que les routes sont un instrument de paix, page 13.'>. — 
Les travaux publics ont successivement, pour les peuples, été un 
objtt d'm<iifférence, puis d'intérêt, ensuite d'engouement, iMifm de 
pas>iou, page 13G 129 

CHAPITHK II 

DE LA l'ART DE LÊTAT, DES rARTlCLLlEUS ET DEb A^bOCIATlUNS 

DANS LES THAVALX l'IllLIfS. 

Les trois formes sous lesquelles l'Klat peut intervenir dans les travaux 
publies : <>u usant <le son pouvoir ré};lpmentaire, en accordant un 
subside pécuniaire, «-n prenant renlre[)rise même à pnn compte et 
FOUS sa ihrertion, page I3K. — Le premier mode est indispensable pour 
pre4({iii' tous les travaux publie.» iuiporl.ints : le droit d'expropriation, 
page 13 ». — Presque tout(*s les entreprises considénbles sont obligées 
d'em|)runter une partie du diunaine public de l'État et d'avoir son 
nutoris.iti m, p;ige i3î). — Indui'nce <le l'ouverlurt* ou de l'étroitesse 
d'«>«prit, de l.i bonne ou de la mauvaise humeur <les hommes au 
pouvoir, page I4i». 

Au p'ùnt (le vue de la réglementation des entreprises d'intérêt collectif, 
l'État peut p.'cher par absten ion ou par excès, page li«». — Les États- 
Unis ont souvent pét*hé p.ir abstention, dans le régime des chemins 
de fer; réaction aclurlN' contre c«tt«' indilTcnrice, pa;;e lia. — Kn 
Krance ou a presque toujours péché par excès, page 141. — obstacles 
artificiels qu'ajoub' aux nombn*ux obAtacles naturels le pédautisme 
administratif, page lit. 

L'État doit s'at^tenir de toute jalousie ou malveillance à l'endroit 
dei tociétés privées ou dus capitalistes, page 1«1. — Le succès dea 



as TABLE DES MATIÈRES- 

«ociétè« ou àet capilalisles eiiLreprenanU profite à l'Ëlat, pnge Kl. 

— L'Ëtnt mademe est trop porté à la jalaiisie : iuconvènîeDls de n 
penchant en France, pa^e 143. 

L*Ëtal doit se garder du goiït ilu inouopole : [es Pran rats sont pmiiili 
monopoleurs, page m. 

Pour la parlicjpnlion effecliva de l'Élut aiu travaux pulilici oo 
leur gestion absolue parTËlAt, il ettdeuv systèmes opposés: li^iystètus 
anglo-uxoD etie systèiue coutinanlal européen, ou plutôt le «jr^Ièiof 
allemaud, page It3. — Le preoiierïVureumt surtout aux parUciilit^», 
aux asKicialions ou aux corpomtiiiiis locales ; lu secoad fait jooec * 
l'État 1c râle prédoniUtaut, page 1 13. 

Ce ne sont pas seulement la degrc et la qaturc de la ciTtlîsatioD i)iii 
dé 1er minent le choii entre ces deux systèmes, page M4. — La sal'i- 
darilé uoiversclle des capitaux et leur extrême mobilité modiDeiit les 
CODdilioDS propret i chnquc peuple, pa^ \H. 

Les peuples, pourvus les premier» et le plus largement dâ travaux 
publics, sont ceux qui ont eu le plus decouGauce dans l'iniliative libr« 
et se sont le mieux Kar<tèK de la réglementation à outrnnce, poge 1(5. 

Eu Angleterre l'Etat central a généralement aaivi une poliliqua 
d'ubstenlloD en matière da travaux publici ; les pouvoirs locaux cèdent 
davantage k la tendance inIniBive, et l'État central doit parfois tes 
modérer, page 14â. 

L'initiative privée en Angleterre a constitué un eicellenl résf-nu d< 
routes à péage un demi-siècle aïant que la trnnce ne possédât de* 
chemins convcnablen, page M8, — exemples analogies pour k-s 
naui créés par l'inilialive privée en Angleterre, pnge I4H. — Exumpl« 
semblable pour les ports, les bassins, et pour les clieniiiis de fer. 
Dième en Irlande, pafjB H8. 

Utilité pour un pays de grandes fortunns bien assises, page 141 
Néanmoins, même dans îles pays dgalltaires, les sociétés anonyme* 
peuvent remplacer les grandes forlimes, page 150. 

Pratique des Ëtats-Uuis pour les travaux publics, page lin. 

Résultats généraux que l'on obtient en laissant l'iuitiutive privée au 
premier rang : les divers travaux sout exécutés dans leur ordre natu- 
rel, c'est-ft-dire suivant leur degré d'importance pour ta cominiinautA, 
page 151. — Le crédit public est beaucoup mieux ménagé et lea fonds 
publics se (Jenneut a deii cours beaucoup plus élevés, pa^ |S3. - 
L'initiative privée évite plus les séductions de Veilhilisme et propor- 
tionne mieux l'instrument n l'usage auquel 11 est destiné, pnge 151. 

— Ce système conserve les habitudes d'action collective, page 153. — 
En quoi il est plus conforme â l'équité, page <53. — Le sysl<>n]B i 
traire amène, dans la nation, un affaiblissement général de la pré- 
voyance et du diseerueuiecit. page lii '"" 



TAULE DES MATIÈRES, 449 



rjlAPlTHE III 

KSFBIT DIFFÉRENT DK L KTAT KT DES ASSOCIATIONS DANS LES TRAVAUX 

PIBLICS. 

Oininiltc «l*appréci«T d'avance rutililé d'un travail publiCf page I5G. — 
Les deux sortes d'utilités, l'une directe et l'autre diffuso, page 156. — 
A1)U!« fréquenUfi i\es arguinenU reposant sur cette deuxième sorte 
irutilit*'', pa^e lôfi. — Exemple de ces abus en ce qui concerne la pré- 
tendue utilité indin'cte de certaines voies ferrées, page 156. — Les 
compa^Miics et les particuliers se tiennent en garde contre les calculs 
de complaisance; l'Ktat n'y peut guère résister, page 137. — Exemple 
analogue pour les localités, en ce qui concerne les chemins de terre, 
pagt' \I>H. — Autre exemple pour les ports, page 158. — L'État mo- 
derne, dans ses plans de travaux publics, a presque toujours le ju- 
p-ment faussé par les considérations électoralrs, page I.S8. 

Idéi' qui tend à se répandre que toutes les parties du territoire ont 
un ilroit égal aux travaux publics, page 159. — Les travaux perdent 
It'ur caractère technique pour devenir une sorte d'œuvre de charité, 
l»age 151). 

L'uniformité îles travaux publics procède du même principe, page 
160. — Exfuiples du dangiT de cette uniformité, page 160. 

Éparpillement des travaux publics entrepris par l'État, page 161. — 
Proportion énorme île frais généraux l't de gaspillage qui en résulte, 
page 161. 

Tendance à la gratuité di* tous b's S4?rvices dont l'Etat se charge, 
page 16?. — Exemple de l'administration <le8 postes, page 162. 

Le concours donné sous la forme de subventions par l'État central 
aux localités pousse souvent à la prodigalité : exemple de la France. 
pap;e 166. —Il iléveloppc aussi la servilité électorale, page 160. -- 
Procédé tout différent suivi par l'Angleterre, page 168. 

L'atrophie de l'initiative individuelle est, dans les moindres villages, 
la conséquence <lu ré^jime français des travaux publics, page 169. — 
(Iriti(|urs adressées au système qui fait reposer les travaux publics 
sur les particuliers, les assiiciatious ou les localités non subvention- 
nées, pngt; Mi'J. - Exa;j«Tation uu fausseté de ces critiques, {Kige 170. 
— Preuve qu»*. même sous le réginn- de riuitintivo libre, les pays 
pauvres ne sont pas couiplètenient abandonnés, page 171. — Examen 
du reproche d'.inan*hii' ou île monopolisation adres>é à l'initiative 
libre, p.i^'e 17ÎJ — ContnMe discret et exempt de jalou>ie qui est lé- 
gitime cbex l'État, pa^e 174 155 



29 



TABLE DES MATIÈRES. 



CHAPITRE IV 



nâsunË iiisTOniouE d 



Utilité, connue illuslratioD, d'examiner tes parts respectives de l'État el 
des particuliers dans lu transformation des moyens de transport au 
xit" siècle, page l"fl. — L'tiiatoirn de In. vapeur et des voies ferrée» 
t6mDi§cae du manque d'esprit d'invention et d'ndaptation rapide chi't 



V\^[« 



e ne 



Lnpplic 



relutïTC des ctiemius de fer dans les mine?, page I7G. — 
de la vapeur à la locomotion s'est d'abord effectuée 
daus la navigation, page 177. — Les dfdains do l'Ëlat, pai^e 177. 

Toute dËcauverte se ripand surtout dans les pays uii aboodcnl 
l'espiit d'association et les capitaux, page 17S. — Ëtaii lisse ment »ào» 
uueune subvention des premières lignes de navigation ft vapeur. 
page 1T8. 

Pour obtnnir le concours de l'État k une œuvre, il faut convaiocro 
tout te monde ou du moius la majorité; pour uuc nssociation privik-, 
il sntlfll de convaincre quelques enlliousiastes, page 1811. — L'État 
est ëtiauger en Angleterre el en Franco aux premiers chi^tnins de 
fer réguliers, page 181. — Les piemiers cbcmtns du fer unglai«, 
page 181. — Détails sur In constitution du réseau ferré britannique, 
page 181. 

Les dûbula des chemins de fer aui ËLats-Unis, page 183. — Le r£- 
«cau ferrÉ amËricain réalise les trois conditions impartantes ; rapidité 
de couslructton, efficacité d'exploitation et hon marche, page ISS. 

Ancienneté des voies ferrées daus las mines françaises, page 181t. 
— Les premiers cliomins de fer ouverts au public sont Jus, sons la 
Ueslauration, à l'initiative privÉe sans aucune assistance, page 186. — 
Traits caractéristiques de ces concessions, page 188. — Apre? ces 
excellents déhuts la France se laisse attarder; pendant vingt ans la 
concession des voies ferrées n'e!<t presque plus en Frnnce qu'iiu sujet 
de discussion, page IRO, — Les cinq obstacles qui ompCclièronl lu 
Chambres do passer de la délibération à l'action, page 190. — L'abus 
de la controverse; la chaîne électorale; le parti pris de l'opposition; 
ta crainte de l'agiotage el do la corruption; la jalousie eicessiTe des 
droits do l'Ëlat, page 190. ~~ La Chambre pendant dix ans ressembla 
a l'Ane philo snpliique qui fe laisse mourir de faim entre deux bottes 



defc 



I, page Itll. 



Les cliarges.én ormes mises par las pouvoirs publics surl'exploilatiun 
des chemins de fer; leur effet est lu retard dans In cnnstriiction et 
l'infériorité daus l'exploitation, page 193. — Coup d'oeil sur les part» 
respectives de l'Étalet de rinitiaÛve privée en Selgiquv, enÂllemaf^ne, 
en Autriche, etc., page mC. — Exemples décisifs de l'Espagne et du 
Portugal, page sut Ili 



TAULE DES MATIÈRES. 451 

CHAPITRE V 

DK L* KXPLOITATION DES CHEMINS DE FEK PAR l'ÉTAT. 

L't'xploilaliMii lies choinins do for par l'Klal no s'osl pas encore faite en 
fsM'und p.'ir un gouvrrnouiont constiUié dôniocratiquemeut, page 305. 

L*'^ ar^um«Mit8 dôductifs invoqués en faveur de l'exploitation par 
l'Klat, pa^o Î(HJ. — La conclusion légitime de ces arguments, s'ils 
riaient vrais, serait seulement de conférer à TÉtat un droit de contrôle, 
piigo 207. 

Il y a bien une tendance au monopole do fait dans l'industrie des 
chemins de for; mais celle tondanco ne peut jamais aboutir, de la 
parld'ontreprises privérs, à un monopole absolu; exemples, page 207. 
— L«*s deux méthodes, rancienne et la nouvelle, de pratiquer le com- 
merce ; cello-ci s'impose nécessairement aux compagnies, page 208. 
— - L'Klat iloit so réserver une certaine juridictioD et un certain con- 
trôle sur los voiiîs ferrées, page 209. 

Assimilation inexacte du service des voies ferrées à ceux de la poste 
et du télégraphe, page 209. 

Argumouls déductifs contre l'exploitation par l'f.tat; !<> I/État 
nianquo d<> pla!«ticité pour une organisation embrassant une infinie 
variété de détails et oxigoant dos décisions promptos, page 211. — 
2" L'Ktat motlorne tond a faire dégénérer IVxploitation des chemins 
do f«T on un instrumont de pression ot de corruption électorale, page 
21.1. — 3» Tous les services d'Htat ont une tendance à la gratuité ; 
oxomple des postes et télégraphes, page 2U. — 4» Le crédit do l'Ktat 
moderne a besoin do se ménager pour les circonstances exception- 
nejlos, exemple des Klals-Unis ot de l'Angleterre, page 215. — 5o La 
rigidité du budget d'Htat est iiioompaiiblo avec une exploitition aussi 
oouipiiqiiée que colle des chemins «le for : un rapport parlementaire 
en H«'igi(|ao, page 21G. — <î" Los responsabilités pour retards, avaries, 
accidenU, sont beaucoup plus difficiles a faire valoir centre l'Htat que 
conln; dos compagnies privées, page 218. — 7° L'exploitation par 
l'Ktat mot dans la main du gouvt>rneiuent des centaines tie mille 
employés et altère la sincérité ot l'indépendance du corps électoral, 
page 219. 

.\r.:uinonts purement inductifs contre l'exploitation par l'Ktat, page 
220. — <:<»uiparaison do-» rotanls, dos accidents, des frais généraux 
dan<i h'< rheiiiins allemands exploités par l'Ktat et dans ceux qu'ex- 
ploitent les compagnies privées, page 221. 

Tabli'au do4 frais d'exploitation des chemins de ftT d'Klat et dos 
chemins di; for privés ilans les divers pays d'Europe, page 225. 205 

cnAPiTiu: vi 

LES >KRVU:E> D*l>\<.K COLLECTIF Kf LE> Ml Mi.lHALITÉS. 

Le même procès qu'autrefois pour les chemins du fer, outre l'exploita- 



I 



4SS TAULE DES MATIÈRKS. 

lion par l'État cl l'exploitation privi'C. se déliut aujourd'hui pour tes 
entreprises de gaz, d'cnu, d'électricité, de lÉlfphoncS|de tramways, etc., 
page îis. 

Les découvertes ont à lutter, non plus en général contre t'f.dil 
central, maie contre l'État local, page 3Î9. ~ Jaloiisiu riineste di-s 
municipalités contre les compagnies priïées, page 2Î9. — Ln Francr, 
[>ar cette cause, a beaucoup moins proQté que la plupart des autres 
pays dea inventions récenles d'usage collectif, page SÏO. — Les muni- 
cipalités abusent en France de leur pouvoir réglementaire et de leur 
pouvoir fiscal, page 3Î0. — Exemple des charges pesant & Paris e1 
aux États-Unis sur les voitures ulfectéos aux transports en commui), 
pngeïSO. — Exemple de la destruction d'un tramway iluna une gran Je 
ville de France, page 331. 

Épanouissement du socialisme municipal, page 331 . 

Les entreprises municipales d'eau, do gaz ot d'électricité dans le 
lloyaume-Uiii, page 231 . — La Jalousie des municipalités britanoiqucs 
aarrCté le développement de l'éclairage électrique, page 33Î. — La 
loi anglaise de 1)188 réduisant le pouvoir des autorités locales en ce 
qui concerne l'éclairage à l'électricité, page 33?. 

Opinions manifestées dans te Portemcut anglais sur les envahisse- 
ments des municipalités, page T-i3. 

Les municipalités américaines et les services d'usage collectif, page 
231. — Bcetrictions apportées par les conslitulions de certains Etats 
aux droits des municipalités amC'ricaincEi, page !3j. — Utilité d'iotro- 
duire ces restrictions en France, page 236. 

Outre leur infériorité leclmiquo, les municipalités sont encore plus 
que l'État courbées sous le joug électoral, page 33(i. 

Los services municipauv tendent à se traiisfornior en chimériques 
expériences humanitaires, page 33G. 

Fâcheuses pratiques de la municipalité parisienne à l'endroit àe 
l'éclairage, des transports urbains et des eaux, page 336. 

Les quatre conditions du développement rapide ot de l'exploilution 
progressive des griwdes oeuvres d'utilité publique, page 310.... S18 



L'ÉTAT, LA RELIGION, L'ÉDUCATION 
ET L'ASSISTANCE PUBLIQUE. 



CHAPITRE PREMIER 



LET.iT U UN lOEAL SOCIAL. 



Conlestalions auxquelles prête le rûle de l'État cr 
reUgion, l'éducation et l'assistance, page !41. 




TABLE DES MATIÈRES. 453 

^»rrivains T^^lat aurait misision dt» faire r^pnor la vertu et de répandre 
la vi'Tilt'*. pa^jc 242. — L'État, d'après une formule allemande, doit 
prtrir la suiriôlt'» couformt'nu'nt A « l'Idée », page 242. 

Li'S pidilicifus et les théoriciens politiques tournent le dos à la doctrine 
qui prévaut aujourd'hui dans les sciences, page 242. 

La n'chiTche d'un idéal social par l'État a été la cause d'une foule de 
crimes et «le la plus oppressive intolérance, page 242. 

Lt's houinii's d'Ktat, à tous étapes, sont des hommes d'action ; leurs condi- 
ti(»ns mentales ne se prêtent pas à la découverte ou à la propagande 
de la vérité absolut', page 2 1^1 24 1 



CHAIMTIΠH 

i/KT\T F.T LF.< KFLlf.IONS. 

La irloiri* de l'État moderne, c'tst »Ie laisser le champ libre aux contro- 
vi'rs«»s, pag«* 24*». — Néanmoius certains Ktats veulent tbuniner les 
ci»ntr«»v«»i*s«*s n'ligi<*usi's, pagt» 2ifi. 

lïtMix idét's différentes, l'un»' tN>ime. l'autre mauvaise: l'État laïque et 
l'Ktat athée, page 24G. — La laïcisation de l'État implique sou indé- 
pendance, n«>n son hostilité. env«Ts les religions, page 24G. — Un État 
ne di»it ni dédaigner, ni ignorer, ni combattre les religions, page 247. 
— Le po>itivisme absidu est impossible à l'Htit, pai?e 247. 

L'État, man4|uant de la faculté d'invention, est impuissant à faire, à con- 
s#'rver ou ^ détruire les religions, page 241). — L'État moderne doit 
être bi<>n veillant envers elles, page 26<). — Le sentiment relisieux 
est un ciment social tju'il est très «linicile de remplacer, page 250. — 
Parallèle entre le curé ou le pasteur et l'instituteur public, page 251. 
L'État doit avoir un parti pris général <le bienveillance pour tout ce 
qui »'«t ri'-tpectable, page 2.'>I. —Inconvénients de créer «les délits arti- 
lieiels, page 2.'il. — Belles pages de Littré et de .Michel Chevalier, 
pagr J.'ï2. — La séparation tie l'Ktatet ties cultes aux États-Unis est une 
<iniple séparatii>n île biens et n'implique aucune malveillance réci- 
pmque, patfe 252. 

L«' livre de (^irbon. If Serrrt (tu peuple dr Parit, page 253. — L'État 
niod»'rne n'a aucun intérêt à favoriser un- prodigieux déveltïppement 
d'a«piration*<ay'int pour objet exclusif leschosesde ce monde >•, p. 253. 

La que4tion «li» la ««'qtaration tl»'s ÉL'Ii-ies et de l'État dépend des antécé- 
dfiits de ehaqtie peuple et du nombre d<'S confession'*, page 254. — 
L«'s iilêi'4 |i>^ p|ii4 raisonnables et W< plus politiques à ce sujet ont été 
ft»rniub'e.4 par deux athées, David Hume et Adam Smith, page 255. — 
L'intiuiiilation est un mauvais re44ott dei:ouveruement. surtmit àren* 
tlroit de4 innueuf'i's spirituell«'4. page 2.'»5. 

Absurdité de robj'-etion que l'État, i-u soutenant différentes églises, 
propa:;e uêees4air»-inent r«'rr»'ur, pat'»* 25'î 245 



TABLE riES MATIÈRES. 



CHAPIIHE m 



Zèle inraligahle de l'Élnt, mile parfois de fonatUme et toujours d'illusions 
naivGg, pour l'iDslructioii, page 253. — Par dt^s eKcëa dans cette voie, 
l'État peut devenir un agent de dêdassenieot et d'alTaibliBBemeD t natïo- 
iiiil. pnfip !.',9. — Part ileprÉjugd dnna les idées ofûdelies au sujet de 
l'i^rilearitÉ do l'iiistriietion, page SâS. — L'inslructioD ne change pns les 
inslinijls et ne râfrène pas les paesious, pa^e 3.'>'J. — Abanrdilè de l'idée 
quol'instrucliondiiuiniio les crimes et les déliU, pnjfeSGO. — l.'iiistrua 
tioD peut développer la coiicupiscence des lionneui's et de la fortune, 
page 3110. — Elle pousse parfois k des genres nouveaux de erimc-i. 
Exemples, page 3G0. 
L'iiisli'uciion est im simple instrument dont il est h\t tsntAt un bon 
Injili^t un mauvais usage, page 303. 

L'Èln I ne doit pas chercher à accaparer l'inslruclion. page, 2G3. — Lc« 
uiiivtirsilC's, leur origine, page 203. — log^rcoco diverse des Étals 
dans leuc orgaDisation ; l'État fronçais ii agi en rËvolutiannaire et en 
accapareur, page 364. — Exemple opposé des universilÉs altemtuide*, 
page 2G4. — Les efforts récents faits en l''rarie<' pnur ae rappraclirr 
d'elles, page SQT. — Utilité de lu lil)ertË de l'eii^ei;.'neineiit xiipërieur, 
page SQg. — 11 est possible de constituer des étatilissemuuls libri'? de 
haut enseignement, mime en dehors d'une pensiJe confussioniiolle, 
page 368. — Exempte de la fâcondité de l'initiative privée pour les 
Œuvrea de haut enseiguemeal, page 268. 

L'instruction secondaire d'État : sa ri'gle est l'uniformité, page 3TD. — 
La parodie de cetle instruction dans les collËges couiinuuaux en 
France, page 271. — Alternance dans l'euseignimicnl d'État eotre la 
routine prolongée et les houlever«eineuts soudains, page 371. 

Grands inconvËnicnts des bourses données par l'État, page 213. — Un 
projet parlementaire «d'instruction intégrale», page3T4. — ll.ea r£sul- 
tomit un affaiblissement mental du pays, page 275. — Une sociale 
trille et classée au moyen d'examens et de bourses serait la. plus 
antisociale et la plus incapable des sociétés, page 37G. 

Cas exceptionnels auxquels les bourses devraient se réduire, page 377. 

L'État el l'eufleigneroont primaire, page Ï7B. — L'enseignement d'État 
renouvelle les difûcullés et les luîtes de la religion d'État, page 300. 
— L'esprit sectaire dans l'enseignement d'ÉUt : exempte dea écoles, 
de lu ville de Paris, page 380. — La grammaire municipale unique, 
page 381. — Les étapes du socialisme scolaire, page 283. — Incouvé- 
nicnla de la multiplication des examens pour toutes les classe.') lie la 
nalioQ, pageïS). — L'État répond partout la manie et k folie des grau- i 
deurs, page îah. — Affaiblissement national qui on résulte, puge 330. 

L'intervention excessive des pouvoirs publics dans l'enacigncunuil [tro- 
fcBsionnel, page 28(1 3i3 



TABLE DES MATIÈRES. i;i5 

CllAPITUK IV 

LKTAT I:T l'assistance PLDUQlE. 

L'a-'i>lanri» piit>lii|iii' oM un cli»»tlomaiiio5« quoTÉlat moderne chiTohe lo 
pliiî» a îHN'apanT, pa»:»'2H8. — Le r«Mnplneetnent (li> la roiisoieiife iiiili- 
xiiliii-Ilc par la roiiisriiMiri* ^io.Hale ou rollt-rtivi', pa^o *2K!). 

K.iiis<i> npiiiinii (pii> ]i> paiip(''ri.<in(* est iiii llt'aii nouveau, pa^e 281). — 
Iiiipatii'iK'f ili'^ àiufs t'oiiti'inpor.iini':!, pajre 21*0. — Caractère» j^ôiir- 
iMMx ilu paupi'-risiniN paj:!' 2U0. — Kin-ur de ramoner le paupérisme 
a uu«' simjIi» cause, pajje l'î)l. — Les plans artificiels pour son exline- 
tii>ii. patri». 21)1. 

Li's dilTiTciites Tormeit de ranatisinc dont l'État moderne est menacé 
de dfVi'nir la pr<»ii-, page 2i)2. 

Ai:i*i<-inii't>'- du paupiTisun*. paj:i» 2î>?. — Aucune organisation sociale 
n'i'U a «tr ri n'rn p<*ul »"'lr«' exempte, pap» 2î)3. — Les quatre causes 
prini*ipali's de la pauvn-t»', pa;rt» 21».'». — La premicn^ cause ilo pau- 
vn'ti'. ri'llf «pii tii-nt à la nature srule, ptMit comporter une certaine 
int* rM-ntiiiu de4 pnuvnirs publies, sans (pi'elie aille jusqu'à l'aceapan*- 
nifut. pai:e 2*.>.'i. — L.i srrorule eau^e d«' pauvrelr, qui pnjvient de 
«Tilaiui's ein-iin-liiiei's ^nriah'^, a pour princi|)aux remèiles les insti- 
liiliiius de p:ttrnn.i::e l't lie prèviivaiice, pa^e 2.if». — La troisième 
eau-e de pauvreté, riii''r«'ilil.''. ron^titue |i> vrai paupérismt% pape 2î)T. 

— IliM»' de la loi l't dr l'initi-itive privèi» rn cetli» matière, pai^e 21).S. 
La qu.itri«Mni' cause de pauvrft<'-. eidle qui tient aux vices humains, ne 

piMil qu'êtp' accrue par l'.issistauei' publique or<r,inisée légalement, 
p.i;:»* V'.H». — l'ne l'XpèrieiHv philanthropique faite sur les mendiants 
de Paris, patfe 'MA). — IneouvènifUt^ de la charité lé^'ale, pafre 301. 

— Mauvai-» flTi't-» lie la loi des pauvres <*n An^jh-terre, pa/,'e 301. 
I)an;r<-rs du pr<ij«t di> eréer iiiii* a><i^tanei> officiflie dans li;s campa;:nes, 

pa^'e 302. — L*'s iL'ranils ahus des bureaux de bienfaisance en Krance, 

niriieuM* < ini'Xtrieabb'S qu'offre r*ir^ani<iation du travail dr4 iudi;:enls 
iiflii i'Ib'UK'nt secouru-*, pa^e 3ti.'i. — Le-» rxpédi*'nts d(i;radaiits aux- 
qu Is iiu n'i ourt «lans b-» W'ttf kfntusrH an^lai-^, pat;e 3n(;. — Li"i «-xcès 
d-' la-^i-lauei' pri\éi» S'iut liiuit»'.* par b-* rfs-'oiirer- vol(»iit.iires 
q'ii lli' pi'ut ri'i'U' dlir, p.i:r«* 30i;. — L'Klat, iir^ane de ci'nèrulisaiion 
( I ib' li\ati«in, univi-r>aliM> «t perpétu>*les abu^, pa;^e 3UG 2K8 

nLMMTUi: V 

Ml \ I ••n>iiiiii\iimn- ..iMuvM'i «jii I» uvF.NT iu:>riiKiNunp: 
i.'i.M! uvE.Mi"N m: i.i.rvr i .\ mmikiu iiùii « \tion yt ii'assi.xtance. 

Lr ib'-lail infini A>'< tâ<-hi-<i unuvi Me-^ auxquidle^ on convii> l'Ktat n-nd 
nnpt>*>ibb' la rr:.Mil.iiité i-t b* enutrnle d<'S dépenses puhliqueii, 
pa^i* 3US. — Multiplicatiiui di-s rai^srs iioiiv-v rt des mandats fictifs. 



ma TABLE!; «es matiëhes, 

page 309.— Le détail (uiuusculeet lecaractÉrecontiogent des dépense* 
iléconcertDQt les admiaistratioiiii de l'Etat faîtes pour Jps tâches uni- 
Torraes, page aïO. — Le soupçon ot la corrupliiin a'Mondeut lipau- 
Mup plus que proportionutllenieDl a t'accoroisBemenl des tâches de 
l'Ëtut, page 310. — Quelques exemples amâricaius, pa^e 310. — Le 
rfgjine électir n'est nulletneat une (garantie, page 311. 
l'ar Sun ioiTiiislian croissante dans les services de l'éducation et de l'oa- 
sistaDoe l'Ëlat tend a supprimer les licne ppoatanèit entre Ir^s cl(unc«, 
page mi, — En mettant l'inipût à la plaoi^ du don, eu fliibetituuat an 
ilevoir du riche le prétendu droit du pauvre, l'Ëtat entreprctiil une 
œuvre de lamenLibl^ di^sagrégiition sociale, page 313 xat 



L'ÉTAT. LE RÉGIME DU TRAVAIL 
ET LES ASSURANCES. 



CHAPITRE l'IlEMItli 



KT n.\NS LKS ASSURANCBi'. 

hiip>>-ilMil|. .!.■ ...iM. Itl.f .1,1. t...,- :- .l..iii:,ine. ,>fi Ion Veut l'at- 
tiri'i,'.- ;■ ' ■ ■ : ;■. I" ■ ;■■!.■ -, |i.-i:ji'-1l3. — AncienoBl-? 
ili' I ir .■ I ■..- .1 niilii^trie et rlo travail, 

enli-rtV,-^, |..iHi' ol i- - W"- i.""--- H'"- 1'- [""l'ie u'a plu* rien ù craîn- 
ilie de l'iulei'vtulion Je l'Etat, parce quu lui-uièino est devenu rEtnl, 
page 315. — Sorte de pautheismc politique aynot les allures il'itnè 
religion, page 31f> 313 

CnAPITRI^ Il 

MOTIFS DONT PF. Ctiuvni; l.■i^TKHVE^TIll^ UK 1/ktm TUNs LK liér.lME 



Lestroisraolifsqu'inïoquel'Ètnt pour réglementer le travail, page 316. 
— Manque du précision de cas trois motifs ft nppliralians iadVifinïeii 
auiquelles ils peuvent se prêter, p-i-.- ■ ■\\:. . V-Mf lin- du droit 
général de i police n, page ai7. — V ' > ':■ ■ .' , 1 ■. ir ,],■ proti^per 
«lofl faibles ", puge 317. — Qui >-l 1 ; ii:. - Ce mot 

peut Être pria dans le sens naluivi ■ 1 ... !■■ .-eus iHeudii 

et llgurÉ ; inconvénients de cette si^ll'U.!. ml. f^A .. I.lLiiui, pi^je 31", 

La faiblcsso, au lieu d'PIro l'exception dau? la sutiêli; liumaîiic, devient 
In rftgle, page 318. — L'état t:e trouve aiuft conduit A substituer îles 



TABLE DES MATIÈRES. 457 

contrats lyiM's, uniforuie<<, ofûcicis, û ia varit'lt* des contrats libros, 

pai;i' ;»I8. ' 
Ar^'iiiuriit tiiv (le la ptTprtuitt* <lo la nation, dont TËtat ost Kuniquo 

roprrst'ntant, paj;»' :J!8. — Régit'mt'ntation intinie à laquelle il peut 

aboutir, pap* 'AVà. 
Le sophisme consiste à prendre dans le sens figuré les mots de sécu- 

ril»'. counnoiliti'*, faibles, etc., page 319. 
Iiistabiiiti* l«-^»i>lalive qui résulte do cette conception variable, page 319. 

— Kxt'uipli'S curieux de cette instabilité, page 319. — Excessive 

f«-c«»udité et frivole inconstance des législatures modernes, page 3?0. 

CHAPITHK III 

nK<;LF.MENTATK».N Dl' TIl.WAlL CHEZ LES NATIO.NS MODERNES. 

Entliou'^ia'^ine. avoué ou latent, des représentants de la démocratie 
conteinporaini» |>our les in<tituti(»ns du nniyen âge, page 3t!:2. 

L»'< critiqu»"* coiilri* Itirira nidation actuelle du travail systématisées par 
un éerivain allemand, le IK Adier ; les regrets du moyen âge. au point 
«b' viif éeouoniiipie industriel, y stmt très apparents, page 3V2. — 
Le< pr«'>t«>udues neuf plaies du régime industriel actuel, page 324. 

hévi'loppenirnt du travail des enfants rt des femmes dans l'industrie, 
|»ag«* 32.'i. — l)i'<cripti(Ui des maux (pie ce régime peut engendrer, 
paye 3î.'i. — <Mi r-^i »'tonné que. depuis trois quarts de siècle, les sta- 
tistiques vitab's n'en portant pas la trace, page 32(». 

La loni^nifur de la journée dt> travail et le travail de nuit, page 32C. — 
ArgMuii'ut>i iuilustrit'N fourui< en faveur du travail de nuit, page 327. 

L*-t dépositions ft li's exagérations des hommes spéciaux, médecins, 
in<pf('tiMirs de fabriques, i-tc, page 327. — Le « machinisme » a plus 
libère d'êtres f.iiblet) de* tâches grossières et malsaines (pi'il ne leur 
en a a— ujelti-*. {umo 328. — Il n'est pas vrai que la femme prenne 
d.ui-* riuilu^trii* la place tle l'homme; le proLTès de la science amène 
senlenp'iit des interversions dans le rôb* industriel des deux sexes, 
pat'.' 328. 

Le-» iMiquètet du deuxiènie quart «le ce siècle représentent comme très 
dures, pour la feuiuh' et l'enfant, la petite industrie et l'industrie à 
ilomicllf, page ;i2î». — Kxenq)les nombreux, page3?J. — Défiance que 
doivent iu-ipirer b's hygiéni«»t»«s et le«» spécialistes, p;ige 331. 

(hi caltMniiie b-s usines modernes quo la force de^ choses rend de plus 
eti plu-» v.i-li'-î, aèrèes et de moins en moins in-salubres. j>agi' 332. — 
(iramle p.irt de prèjuL'i' et de eonventiou dans les attaques contre le 
rèmiui* nianuf.icturjer contt>mpt»rain, pairi» 333. 

L'' lèi^injateur a b* ilroit «'t l«* devoir de règlmienter le travail «les 
enfants dans le»; manufacturer, page 333. — Origine de-» Farlonj Arln 
eu -Vniib'terre, pau'e 433. — La réglementation actuelle du travail des 
enf.int-i iians 1er diirèrent< pays d'Europe. |Kige 33ô. — Les nations 
p.nni'es et celles à population dense V4)nt bien moins loin danr cette 
rèk'ieuieutatiiiu que les nations riches et celles à moindre densité 
•ipèejtique, patfe 33.'». — La lék'islation allemanile parait celle qui c«)n- 



«H tarle des Matières. 

citleleDilF>iixactucl!cmoat les ilevoiro de ThniunDilâ et les cxigfowt 
de la. production, page 33T. 

ÎM loi frnnenitic en projet viole les lois nntiirdlea en r^^If^mcnUoI la 
joiiruCe de travail pour les iidullpa de tout Age, piigo 33!). — II n'y i 
(l'iBiorvetition légitime de l'Ëtat qu'en (afuui* i]v l'ciafaiit, de l'ail»- 
lescent des deux st'XCB et de la lllle mineure, page 331). — Patalc Icu- 
(lance du lËgîBlateui- moderne à remplueer paitout l'iufiui'ncc det 
mteitra par celle de» lois, page 310. 

M^iue pour le travail de ronfaut la tutelle onicicuse i)o l'Etal doit èbn 
limitée et discrète, page 3G0. — Fausseté de la théorie qut^ le nliirr 
des curante et des fetniuea déprécie les saluirea des hoiuaiec, pagi) StO. 

CHAPITRE IV 

LES sisULTATS DE l'iNTEBVENTIO.N GOirVEnsKSlENTALI! DAK3 LK K^lllï 
Df) TRAVAIL. LE PROJET DE THAITÉS INTERNATIONAUX A CK SHKT. 

M le droit Di les Tails ne comportent la râgl cm enta lion du travail pv 
l'État, page 312. — La limitation des heurcppour les adultes ^quitwit 
à uua expnipriatimi partielle sans indemnité, page 3-U. — Ineoni^- 

liiexactitudi' itii'^ipiir il>' l';Lii:iiiiii'nt tiré de la prétendue ftublesse de 
l'ouvrier rrl.iiii.iiiinl .m ii.iLnui, fMfie 314. — Coiitrailictiou eiilre 1*. 
tutelle iiidii-tii.-lli' ini 1 i:i,il pbee l'ouvrier et les Uroita pollliipici 

L'i iv;;!' mi'iil ili lu travail des adultes, limitée aux usines, est JtlU' 

!-<>iM', l'h'ii'liii' .1 t'ius les duinnines, est iuapplicahlo, page 34S. 

iiiip<i~:=ibilil<' ili' liMTuuc norme pour la lonffucurde la journée offlciellr, 
|i.ii4i: ;HÔ. — Lan trainard» de l'Iiiiiuanitû régleraient la marche d« 
l'hunianilii tout outiérc, page 313. — Les loisirs exagËr^'s sont plus 
uiiisililes qu'utile?, page 315. 

Ironie de la nature des choses qui se joue du I^gielateur, pa^e SI6. — 
1,'intPUsUiS du travail, import.ince de ce phénomène, page :HT. — Li 
fixité de la jouruéu de travail ne serait i^lîleaeu que ei l'uu llicoit au*^ 
t'iuleneilé du travail, ce qui est impossible, pa^a 317. 

Olistacle à la réglementation dans lacoucurrLDcc iulernationale, page 
348. — Crainte de ta concurrence des natinuii anialiques. Matkdiûtcr 
cl Bombay, page 3i0. — Frivolité dos projets de trmtés iutorualîonaux 
à ce sujet, page 3S0. — La longueur de la journée dn travail est la 
ressource des nations pauvres, comme la Belgique, l'Italie, l'AlleniagliCi 
les ludes, et le seul mojrcn pour elles de lullt^r coulre lea natioiM 
riches, l'Angleterre et les Ètats-Uuis, page 3i>l. — Il n'y a pas une me- 
sure commune des travaux humains sur l'ensemble do la ptunt^[c. la pré- 
cocité, l'habileté, l'intensité du travail variant a l'inllui ehi.'x le^ divers 
peuples, page 3;il. — La varifïlé sur le globe ist la condition du pro- 
gréi, page 3a1. — En supposant, par Imposaible, imc légisiatïou iuter- 
uationalc du travail, le coutrûle sérieux manquerait, page m, — 
Danger de l'amollissement graduel des populations ouvrières o«cl- 
denlnlea en présence du réveil de l'eitrCmo Orient, pngo SSi., M 



TABLE DES MATIÈRES. 459 

CHAPITRE V 

L\ NATIUE, LollKlI.NK F.T LK DK\ KLOppKMENT DE L ASSURANCE. 

Mt'p «l'rtondro rons'ui/'rahlomonl la lutoll»» <le l'Etat au raoyon des assu- 
raiicrj», pa^'e 3;>o. — En quoi consi.^lo l'assurance, page 35»!. — Les 
six assuraiiCi'8 dilT^n'iites qui s»'raiont ::liles à l'ouvrier, page 357. — 
La reliffioii et la superstilit)n de l'assurance, pagn 3.*i7. — Les condi- 
tions, spéciales à notre temps, qui ont facililt» le dt^vcloppenieut de 
l'assuranci*, page 3â8. — Les deiix formes d'assurance les plus an- 
ci«'nni*s, Irs assurauet^s maritimes ri li's assurances contre les mala- 
dii'S, page 3.'>8. — Les Ihroriciens allemands de Tassuranci* par l'État, 
page 3.VJ. — Haisons (hictrinales doniires en ce sens, page 3oî>. — 
C'est, tians la plupart des ras, le cri'dit privé qui fraye la voie au 
crédit public, page .100. — Cri(i(pies adressées aux assurances privées, 
page 3(!l. -- Képonse à ces crili(pn*s, pam» 'Mt'i. — Les assurances ofli- 
«irlli's n'tiut jamais pu suppurter avantag«>usement la concurrruce 
Ar< assur.incfs privées, page 3tiï. — Exemple d«; la France vl tie l'An- 
^'lelerre, paife 3t>3. — Les assurances oHicielles en Alleniagne, en 
Autrit'h*-. »'n Suiss«M't ilan-i les pays srandinaves, page 'MM. — Tableau 
«lu di'velnppement respectif des assurances ofticielles et des assurances 
libres en Allemagne, page 'Mit. — L'Étal revient, en matière d'assu- 
rance, à sa vraie nature, la cmitrainte, pa«;e 3G4. — Origine des pro- 
ji'ls d'a-ssnrances obligatoires tie .M. de Bismarck, page 'M\\. — Les 
Inis ou pr«>j«'ts de lui allemands, en cette matière, sont loin d'avoir la 
portée sociale <|u'on leur attribue, page 'Mjô 355 

rjLMMTKK M 

l/r.rAT ET I-'\--rU\.NCE t»nLl«iATUlRE. 

L'assuranci' nbliu'atoire en Allemagne, page .107. — Les accidents pro- 
fessionnels, page Mil. — Proportion moyennt^les accidentsau nombre 
d'ouvriers employé*, pâtre M'tl. — Iniliir-P'nre, jusqu'à un tenips ré- 
ctMit, de la pbi|»irt de<« lr;;i^lations a cr sujet, page 30K. — La quotion 
de la preiixe, pai:«' 3« H. -- En f.iit. r«'M|uil»* dfs tribunaux accorde une 
mdemnité pour la plupart de^ accidents, page MM. — Embarras d«*s 
petits patroiH et «les ouvriers autonom<^s, paj;e 30î). — Examen «le la 
loi allfuiaiitle sur le-* aciidiiit*, pai;e MV.t. — La th«*orie du risqu»» pro- 
fes-^ioiinel P'iilrant dan-* le^ fr.iis généraux, page 37(». — La loi aile- 
luau'le i«>l incomplète quant a sa sphèn» d'action, page 370. — Taux 
di'4 ind'-nniiii'i, pigi* 3^o. 

Lii4»rme déM'loppenieut «le-i frai-» généraux de I organisation al|i>man«le, 
page 37 1. — Les vic«'s principaux du ^ystème : l'intérêt a prévenir 
|i*s accident-* e-*t dimimié. page 372. — lloime iniluence des sociéirs 
lii»res pour la réduction du nombre «b's accidents, page 37?. - - L'in- 
«leinnité accordée dons les cas graves par l'assurance obligatoire est 



4611 TABLE DES MATIÉHES- 

aouvent moindre que celle qu'odroyaient Icb trlbimniiic. pnge iTS. — 
La loi nllauiande pour l'assurance obligatoire des ouvriers coolre h 
maladie, page 873. — Ello ne s'applique qu'aux ouvriers propreuictil 
iliU et Inisae de c6lt uiie partie également intâressaole di^ la popu- 
lation, page 373. ^ Fanctiouuement de cette asauraoce obtigaloirr. 
page 3T4. — La. loi ne tieut pas ce qu'elle promet ; elle fait moini qw 
les sneii^téa parliciilitri» biea menées, page 31h. 

liuposaibilité île maintenir cOte â cûte la philanthropie orScielle et b 
philanthropie libre et apootanêe, page 377, — Les deux struclurrs- 
page 377. 

La loi allemande d'assurance obligatoire contre les iufinujtfs et k 
vieillesse, page 37T. — Caractère illusoire de cette loi, page 37». — 
Tardlvité evcessivc de l'âge de la retraite, page 379- — ChilTre infini- 
t^aimul de cette retraite, page 379. — L'Ëtat niodeme ne poat i^Mt- 
ter â ta poussée universelle, quand iln provoqua ruaivcrselleîllusioD. 
page 38U. 

L'Ëlat l'Dgloutiru, comme ressources de ti'Ësorerie, toutes les primes 
d'assurances qu'il recevra, pag(' 380. — Toutes les petites épargna, 
au lieu d'actires, deviendront passives, page 380. — Cet afflux île res- 
sources poussera l'État nu gaspillage, page 381. 

tacanTénïenl!< généraux du celte dispersion de l'Ëtat dans une toult^ de 
domaines, page 38?. — PossibllilË de rétrogradation de la civilisa- 
tion occidentale, page lis.! 3tC 



EX&MEN BE QUELQUES CAS ACCESSOIRES 
D'INTERVENTION DE L'ÉTAT, 



CII.U'ITRE l'HEMIEIl 



N.ilure du droit de police de l'Èlat, page 3Bfl. — Les médecin! 

toujours au développement de la police hygiénique, pa^e 387. 

L'un des périls de In socléti^ moderne est la domination dea tpétâ»- 
listes, page 38». 

lU'glomentittiou des industries insalubres et incommodes et des lii^iix 
publics, page 3HS. ^ Surveillance des constructions dans les villes. 
page 388. — Conlrble sur les garnis, page 388. — DiFlicuUi-s adminis- 
tratives pour les logements insalubres, page 380. — iQconvénîeiila de 
la destruction inconsidérée de quartiers mnlsains, page a&a. 

l'rojet de faire construire en couimandite par les pouvoirs publics d^ 



TABLK DES M ATI EUES. 461 

Io<;oiiieiit8 populaires, pai;o 391. — lucouvénicnts d'une iotcrvention 
tle ce fjourt», pa^c 391. 

Uf'>^li>mt>utation de certaines industries : le bill Plimsoll pour la pro- 
ti'rti(»n di's marins eu Angleterre, page 393. — Mauvais effets de cette 
It'^gislation, page 39L 

Intervention de l'Ktat dans certaines institutions secourables ou philan- 
thropi(|ue:^ : les nionU-de-piété, page 395. — Les caisses d'épargne, 
page 39i;. — Les pays où les caisses d'épargne sont privées et auto- 
nomes emploient mieux les capitaux populaires que les pays où ces 
ét.iblissements sont centralisés, page 397. 

Les lois sur l'usure, page 397. — Les moratoires, page 398. 

L«'s laliriques d'État; exemple des fautes do l'Etat fabricant : les cons- 
tructions navales, page 39Î). — Les monopoles en vue d'impôts et les 
fabriques modèles, page 400. — La tutelle tlu commerce de la bou- 
rbt'rie et de la boulangerie, pa;;e -U)!. — De l'intervention de TÉlat 
dans les cas d'accaparement de marchandises ou de corners, page 40'«*. 
— L'expériirnee prouve (|uc ces syndicats d'accaparement échouent, 
sauf dans quelques cas où ils sont, pour la plupart, avantageux a 
1.1 stM'iélé en général, page 403. 

La liberté commerciale est le seul remède efûcace aux abus de la spé- 
rui.ition, page 403. 

L'Etat ne doit pas intervenir pour favoriser dans une même industrie 
les concurrents réputés f.iibles, aux tlépens de ceux réputés forts, 
page 4o:i. — Il doit s'abstenir, sauf la garantie de l'oidre public et de 
l.i «it-eurité des propriétés et iles personnes, dans tous les «lifféreuds 
entre ouvriers et patrons, page iO.'i. — Inconvénients des tarifîcu- 
tions oflicieuses de salaires : la série des prix de In ville de Paris, 
page 4(M;. 

Exagération des lois eontrc l'inttMnpérance dans certains États , 
page 400. — Les lois sur les sociétés commerciales, page 400. — Le» 
lois de succession, pa^e i07 380 



CILVIUTHK II 

l-KTAl. \.\. LL\K, LK> VHP-, I.K> FKTKS. 

L'État (b'nioeratique a une tendance à «lévelopper le luxe public et À 
multipii'T les fêtes, pave 410. 

Les idée-; des philosophes sur le luxe collectif, page 411. — En quoi 
elles s.»nt exagérées ou erronée*, page H 3. — L'épargne voluptuaire 
«les États : condition* pour qu'elle soit inoflTcnsive, page 414. — Les 
dt»nations et les leg-t des philanthropes contribuent et contribueront 
encore plus dans l'avenir h enrichir le patrimoine public de luxe uu 
de récréation, p.ige 410. 

Les défaut-: il*- I Etat moderne quand il veut protéger les beaux-arts, 
page 41.1. -- L'action de l'État en ces matières est loujoun passionnée, 
page 41.'». — Exclusivisme des écoles officielles, page 410. — L'Étal 



I 



i62 TABLE DES MATIERES. 

ue tB.il jamais «c placer au simple point ite vue technique et impar- 
tial, pngc tlG. 

Ln problf^nc délicat des fftes piibliqu'^9, page HT. — Les rîtrs rcU- 
t'iouseB tradilionnelleB : absurdité de loa enlrnver, page 417. — Coo- 
ditjons nécessaires pour di?s TMes vraiment nationales, pnfie IM. — 
Les fâtes puremenl politiques , impoBâe» par les légielatmin, 
puge 418. — Klles ont uo carnctvrc orlificii?! ot tombeut, en g^nènl, 
dans le grotesque ; exemple des CËtes de la RËvotuUon, page 419.— 
l.es TMes qui se rultacbunt à un fait économique : Ica cancoiirs ac- 
coles, les expositions, pnfjn 4Ï<). — InconvroienLi des énormes cipu- 
sitions UDÎverselIes, page 4Ï0. — Fâcheuse influence générale et du- 
rable qu'exerce un trop soudain développement du luxe public. 
page 4!l- 

L'Ëlat moderne lend a multiplier les tâtes Ifgalc« el les chAïuage* io- _ 
direcleiuent obtiyatoircs, page 423 tl4 I 



LIVRE Vlll 

UNE DES TACHES DE L'ATAT CONTEMPORAIN 

CIHPITRE UNlQlJK 

LA COLONISATION. 

UuG tâche qui s'impose inconteslabienient, dans noire pérloda du mond^, 
eux gracidt et l'ichcs États mo<!crncs, est la colouisatiou, pago m. 

Lo monde actuel et ecb populations peuvent se diviser en quatre caU- 
gories dilTi'ri'Utcs, page 436. — Deux de ces catégories appi-IIent U. 
tutelle ou l'iultinlian des nations civilisées, page tïG. — Saa» une in- 
tervention de celle sorte la moitié du globe serait restée gI une bonne 
partie resterait encore relalivemeut iraproductire, page 437, 

Pays et races où la civilisation no peut naître spontanément et qui doi- 
vent tn recevoir ptir importation, pogu 4!". — Il n'est pas certoïi), 
duns plusieurs cas, que la civilisation, nne fois importée, puisse ètr« 
iudéQiiimcnl maintenue, sans la conlinuation d'une certoioe direction 
extérieure, page 458. 

Les particuliers ue BUfÛsent pas àcetlcinitlulion des eontrfea barbare! 
par les hommes dijà civilisés, page 4-W. — Les compagnies de coiO' 
nisalion privilégiées, page 431. — La colonisation est un Tait beaucoup 
plus complexe que la simple ouverture de débouchés commerciaux, 
page 431. — La colonisation comporte l'action directe d'un État cj' ' 
lise sur un territoire étranger, png» 433. 

Il ne Tant pas laisser accaparer taules les terres vacantes uu barbares 
par un ou deux peuples seulement, page 433. — L'absence de colo- 



M 



TABLE DES MATIÈRES. 463 

uit'A peut équivaloir uu jour a une Béquestration, page 433. — BIcBure 
qu'il convient trapportor dans le dêvoloppeuieut de la colonisation, 
pa»;«* 433. 
Frivt»iitê de l'opinion dùmnpo^iquc contemporaine qui r^pou9^le un dos 
devoirs incontrstahlrs d'un ^rand État & riioure présente, page 434. 

{Ai^c^ i MM.N 43ô 

Ta m y. !•!> m * riKiii> 439 



UN I»E LA TAllLE DES MATIÈRES. 



tt>iJ->''. ■- CuiiiitiL. Inprinrrie Catil.